Scolarisation des enfants handicapés : les parents dénoncent le manque de volonté politique
Réunies à Paris mercredi 25 janvier 2012 à l'occasion du «Grenelle de la scolarisation et de la formation professionnelle des jeunes handicapés», les associations de parents demandent la mise en place d'un véritable métier d'accompagnant, et pointent du doigt les disparités de traitement d'un département à l'autre.
Organisée à l'initiative de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (Fnaseph) la journée du 25 janvier avait pour objectif de dresser un état des lieux de la loi «handicap» de 2005, et de proposer des solutions pour une application réelle des textes en vigueur.
Car pour Sylvie Moscillo, présidente de l'association Défis 74, les chiffres ne veulent rien dire. «Oui, le nombre d'enfants handicapés scolarisés a bien augmenté : 200 000 enfants étaient scolarisés en 2012, contre seulement 133 000 en 2004. Mais les rentrées scolaires sont toujours aussi difficiles ! Si nos enfants entrent à l'école, c'est pour suivre une scolarité de qualité. Et sur ce point, il reste du chemin à parcourir.»
Emplois précaires
La Fnaseph dénonce en effet le manque de compétences des personnes recrutées en tant qu'emplois vie scolaire (EVS) avec une mission d'auxiliaire de vie scolaire (AVS). Recrutées sous contrat unique d'insertion (CUI : un contrat aidé de 6 mois à 2 ans), «ces personnes ne sont ni qualifiées, ni diplômées», dénonce Sophie Cluzel, présidente de la Fnaseph.
Tout AVS est bien tenu de suivre 60 heures de formation, mais cette dernière n'a pas toujours lieu avant la prise de poste, et surtout, n'est pas obligatoire pour les EVS.
Or ces derniers représentent la moitié des personnes chargées d'accompagner les enfants en milieu scolaire. Comme le rappelle Jean-François Chossy, ancien parlementaire et auteur d'un rapport sur les personnes handicapées remis au gouvernement en novembre 2011, «pour accompagner un enfant porteur de handicap, la seule bonne volonté ne suffit pas. Il faut des compétences !»
Ironie du sort, les personnes qui, elles, avaient développé des compétences, et travaillaient depuis 2003 sous un contrat d'assistant d'éducation pour l'Education nationale (contrat de 3 ans renouvelable une fois), ont dû abandonner ce métier, faute de perspectives d'évolution.
Car malgré le travail acharné des associations, aucun référentiel métier ni aucun diplôme n'ont jamais été validés, aucun cadre d'emplois défini. «Un véritable gâchis ! s'emporte Sophie Cluzel. Sur les quelques 3 500 personnes dont le contrat d'assistant d'éducation arrivait à échéance en 2009, le secteur associatif, qui s'était positionné comme repreneur de ces contrats, n'a pu en réembaucher que 180.»
Un échec dû aux contraintes administratives liées à cette délégation de service public, où seule l'Education nationale mettait la main au portefeuille.
Services d'accompagnement départementaux - Pour Sophie Cluzel, qui réclame une implication interministérielle, «il y a un manque criant de volonté politique sur ce dossier». «Autant de personnes remplacées ensuite dans les établissements scolaires par des EVS sans formation et recrutés de manière précaire. Il faut sortir de cette hémorragie de compétences !» exige Joël Derrien, président de la Fédération générale des PEP, qui propose de créer, au sein de chaque département, un service d'«accompagnement scolaire, social et professionnel», pour garantir une continuité des parcours et une réponse de qualité aux besoins des enfants.
Autre cheval de bataille des parents d'enfants handicapés : l'évaluation des besoins des enfants. «Trop souvent, les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) préconisent l'accompagnement par un AVS, a priori, parce que les enseignants ne sont pas formés à l'accueil d'un enfant handicapé, alors qu'il faudrait faire un diagnostic préalable», analyse Sophie Cluzel.
Inégalités territoriales
Car c'est ce diagnostic qui conduit à la rédaction d'un projet personnalisé de scolarisation (PPS). «Tous les départements ne mettent pas en oeuvre le PPS de la même manière, dénonce Sylvie Moscillo, quand celui-ci est mis en oeuvre ! Et dans certains départements, où le PPS n'existe pas, les parents n'ont aucun recours en cas de désaccord avec la MDPH !»
Marie-Hélène Audier, mère d'un enfant autiste, et qui se bat aux côtés d'autres familles, témoigne ainsi de sa difficulté à faire reconnaître le handicap de son fils par la MDPH de la Drôme : «Il n'y a aucun dialogue possible, pas de PPS et des directeurs d'écoles qui disent encore non à l'intégration car cela «va déranger la classe» !»
Outils statistiques - Patrick Ségal inspecteur général à l'Inspection générale des affaires sociales, admet que des progrès restent à faire pour mutualiser les connaissances et les pratiques des MDPH. «Il faudrait créer un tableau de bord national !»
«C'est une de nos revendications premières», confirme Sophie Cluzel, qui réclame à corps et à cris des outils statistiques nationaux, pour que les disparités territoriales cessent enfin.
«Sept ans après leur création, l'architecture informatique des MDPH ne permet toujours pas de requêtes au niveau national. Il n'y a aucun suivi de cohortes de jeunes, aucun suivi des enfants sans solution», dénonce-t-elle.
Principale accusée : la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, sensée garantir une égalité de traitement sur tout le territoire. Une de ses représentantes, présente dans la salle, avance une explication : «Les MDPH sont indépendantes, il n'est pas simple de les harmoniser.»
Et de lâcher : «Il existe un lourd passif d'inégalités territoriales en matière médicosociale. Ce n'est pas en 7 ans qu'on va les gommer !» Un aveu d'impuissance dont les parents d'enfants handicapés ne sauraient se contenter.
Les recommandations issues du Grenelle
Pour créer un vrai métier d'accompagnant :
- Aboutir à la définition d'un cadre d'emplois pour un métier d'accompagnant ;
- Mettre en place les 60 heures de formation avant toute prise de fonction ;
- Compléter ces 60 heures de formation par des temps d'analyse des pratiques ;
- Formaliser une évaluation des compétences au terme de chaque contrat ;
- Développer une formation en alternance avec certification de l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (Inshea) ;
- Créer, au sein de chaque département, un service d'«accompagnement scolaire, social et professionnel» porté par les associations, pour garantir une continuité des parcours, une réponse de qualité aux besoins.
Pour lutter contre les inégalités territoriales :
- Elaborer des documents communs pour tout le territoire : projet personnalisé de scolarisation (PPS), fiche de synthèse de commission des droits et de l'autonomie (CDA), fiches de mise en oeuvre, grilles d'observation et d'évaluation...
- Mutualiser et harmoniser les pratiques des MDPH sur l'ensemble du territoire ;
- Réaliser un guide national des bonnes pratiques.
Michèle Foin
http://www.gazette-sante-social.fr/actualite/actualite-generale-scolarisation-des-enfants-handicapes-les-parents-denoncent-le-manque-de-volonte-politique-31371.html
Extraits :