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"Au bonheur d'Elise"
25 février 2012

article publié dans Médiapart le 23 février 2012

La psychanalyse et l'autisme en France, ou les dégâts d'un lyssenkisme hexagonal

 

Antonio Fischetti a pondu récemment, dans le Charlie Hebdo du 11 janvier dernier, un billet gentiment intitulé « Suis-je un fasciste ou un charlatan ? » Notons au passage que la disjonction dans ce titre n’est pas judicieuse, car les deux attributs sont souvent intimement associés – rares sont les formes de fascisme qui ne reposent pas sur un quelconque charlatanisme, qu’il soit idéologique ou pseudo-scientifique, et à son tour, le charlatanisme, pour s’imposer, dérive rapidement vers des méthodes de manipulation de l’individu et des groupes d’individus pour aboutir à leur soumission, qui caractérisent l’idéologie fasciste.  Il échappe peut-être à la vigilance intellectuelle de M. Fischetti que ce qui est précisément remis en cause, par les parents d’enfants autistes, est la prise en charge de l’AUTISME par les psychanalystes, dans la mesure où la psychanalyse n’a jamais été capable de démontrer une quelconque efficacité dans ce domaine, et qu’au contraire, elle contribue à enfermer les enfants souffrant de ce handicap dans leur retard développemental, tout en culpabilisant les parents, ce qui engendre une grande détresse.

Les psychanalystes occupent toujours la place prépondérante dans les institutions françaises où sont pris en charge les autistes. Par leur opposition déclarée aux TCC, ou par leur prétention à vouloir imposer leur contribution par le biais d’un montage nommé « approche intégrative », ils empêchent les enfants d’avoir accès à des méthodes qui ont fait leur preuve et qui pourraient leur permettre à apprendre à communiquer, à acquérir le langage, pour finalement se développer et être capable de s’épanouir et vivre une vie digne. Le retard de la France est patent et reconnu internationalement. L’engouement pour la psychanalyse est, de loin, principalement responsable de cette situation.

Faisant partie du problème, les psychanalystes ne peuvent à la fois prétendre faire partie de la solution. Les parents revendiquent, avec détermination, que la psychanalyse soit exclue du traitement de l’autisme. Cette revendication est légitime et conforme à l’état de la connaissance actuel en matière d’autisme. Les psychanalystes doivent simplement reconnaître leurs limites et s’avouer incompétents en matière d’autisme. Or, il semble que, pour les psychanalystes, même pour les plus nuancés d'entre eux, une telle admission n’est pas acceptable, car elle risque de remettre en cause tout leur édifice idéologique. Est-il possible que la psychanalyse fonctionne dans notre pays comme une science totalitaire, une sorte de lyssenkisme hexagonal ?    

Pour Elisabeth Tessier, il y a des astrologues sérieux, qui ont une approche scientifique (qui peut même être sanctifiée par un doctorat délivré par une Université française), dont elle fait naturellement partie, et des astrologues charlatans, qui sont la honte de la profession. Il en est de même pour Fischetti en ce qui concerne les psychanalystes : d’une part, il y a les psychanalystes « pitoyables » et « dogmatiques », ses collègues sur qui il n’hésite pas à jeter l’opprobre, pour mieux se positionner comme un psychanalyste « nuancé », raisonnable. (Si j’étais psychanalyste, je me dirais que quand on a des amis comme lui, on n’a pas besoin d’ennemis…) Dans son billet de Charlie Hebdo, Fischetti use d’un euphémisme lorsqu’il dit « qu’il ne condamne pas totalement et radicalement la psychanalyse », pour ensuite se plaindre qu’on le classe dans le camp des défenseurs des pseudo-sciences. En fait, son approche consiste à enlever les quelques fruits pourris pour sauver la récolte. C’est une stratégie de défense, qui le place résolument dans le camp des partisans de de la psychanalyse. Il a donc un double langage, qui malheureusement le condamne à l’incohérence. Ainsi, il se contredit, en commençant par observer que « les concepts psychanalytiques n’ont pas été démontrés par des expériences », concluant qu’ « il est vrai, la psychanalyse n’est pas scientifique », pour, à peine dix lignes plus loin, dire l’exact opposé : « il existe des études répondant aux règles scientifiques, et qui prouvent l’efficacité de thérapies ou d’hypothèse psychanalytiques ».

Pour étayer cette dernière affirmation, Fischetti cite deux références. La première est une méta-analyse publiée en 2008, qui ne traite pas de l’autisme et qui a été critiquée car s’appuyant sur des études très disparates et extrêmement limitées pour servir de base à une méta-analyse.(*) En deuxième, il cite, sans autres précisions, les articles de Bruno Falissard de l’INSERM. Tout cela est bien maigre. Fischetti tombe lui-même, en l’occurrence, dans cette « lecture sélective » dont il accuse les « pourfendeurs » de la psychanalyse. Il met en effet en exergue les travaux d’un seul chercheur de l’INSERM, tout en faisant l’impasse sur le rapport « Psychothérapie – Trois approches évaluées » extrêmement détaillé et très élaboré que cette même institution a produit en 2004 en faisant appel à un groupe de ses meilleurs experts, qui ont passé en revue quelques 1000 articles et documents, pour conclure  à l’inefficacité de l’approche psychanalytique et à la supériorité des TCC dans le traitement de l’autisme. Difficile d’avoir une lecture plus sélective !

Il apparaît aussi que pour Fischetti, la science est une notion à géométrie variable, à laquelle il a recours – du bout des lèvres - quand il peut en tirer un soutien au dogme psychanalytique, mais qu’il dénigre en la taxant de « scientificité » dès que la démarche scientifique ne se prête plus à cette utilisation idéologique. Mais, ce qui est plus grave, il présente une version dénaturée de l’état de la connaissance en matière de psychologie, attribuant à la psychanalyse le monopole de l’inconscient : « je crois en effet à l’existence de l’inconscient. Pure invention, s’enflamment ceux qui veulent bruler Freud ». D’une part, l’inconscient n’est pas une invention de Freud, bien que ce dernier s’en soit abusivement attribué la paternité (comme Onfray l’a bien montré). D’autre part, la notion d’inconscient n’est pas l’apanage exclusif de la psychanalyse, loin de là. La division entre activité cérébrale consciente et inconsciente est actuellement un champ de recherche extrêmement fertile. Je pense notamment aux recherches placées sous la désignation de « Dual process theory ». Jonathan St B.T. Evans passe en revue l’état de la connaissance dans son récent livre « Thinking Twice : two minds in one brain ».  On peut aussi lire le dernier ouvrage de Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie, « Thinking, Fast and Slow » - le point central de Kahneman est que le comportement de l’être humain est essentiellement dicté par son inconscient, et que nous ne sommes pas l’ « agent rationnel » qui est présupposé comme axiome central de l’ultra-libéralisme, mais sommes au contraire motivés par des préjugés de toutes sortes, qui échappent à notre conscience. L’inconscient joue aussi un rôle central dans « La soumission librement consentie » de Joule et Beauvois, qui observent que les gens « ignorent les déterminants de leur comportements tout comme ils ignorent les déterminants de leurs jugements, et la raison est simple : ils n’y ont généralement pas accès. »  J’aime beaucoup mieux cet aveu d’impuissance et ce constat d’une limite - nous n’avons pas accès à nos motivations inconscientes - plutôt que cette vaine prétention de vouloir tout expliquer en ayant recours à la mythologie freudienne.

De toutes les théories de l’inconscient, la psychanalyse est la moins intéressante et la plus stérile. Mais même si cela n’était pas le cas, même si la psychanalyse détenait les clés de notre inconscient, tant qu’elle n’a pas prouvé son efficacité dans le traitement de l’autisme – et pour l’instant, sa performance est complètement négative - elle n’a aucune légitimité à se mêler de ce qui ne la regarde pas. Ce qui importe, c’est que les soins prodigués aux autistes puissent leur donner les meilleures chances de vivre aussi bien que possible avec leur handicap. Les parents d'enfants autistes savent ce qui marche – et qui est constamment en  train d’évoluer, se soumettant à la validation scientifique de manière continue – et ce qui ne marche pas. Et pour eux, la psychanalyse est irrémédiablement disqualifiée : ils n’en veulent tout simplement pas.

(*) La remarque formulée par les experts de l’INSERM dans leur rapport s’applique à la perfection à cette étude : « La principale pierre d’achoppement des études méta-analytiques est le regroupement d’études concernant des pathologies ou des problèmes psychologiques variés et aussi les biais d’inclusion tenant à l’allégeance idéologique des auteurs. »

http://blogs.mediapart.fr/blog/pascal-diethelm/230212/la-psychanalyse-et-lautisme-en-france-ou-les-degats-dun-lyssenkisme

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