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"Au bonheur d'Elise"
17 mars 2012

article publié dans le nouvel observateur le 17 mars 2012

Et si on évaluait les psychanalystes ?

Modifié le 17-03-2012 à 10h02

4 réactions | 905 lu

Temps de lecture Temps de lecture : 4 minutes

LE PLUS. Un rapport de la Haute autorité de santé a mis les psychanalystes en défaut et désavoué leurs pratiques thérapeutiques dans le traitement de l'autisme. La colère des parents d'enfants autistes a fini par faire éclater une guerre jusqu'alors larvée. Pour Sébastien Smirou, psychanalyste et écrivain, il est tout à fait légitime de demander des comptes à ce corps de métier.

> Par Sébastien Smirou Ecrivain et psychanalyste

Edité par Amandine Schmitt  

Être un jeune psychanalyste français aujourd’hui n’est pas une sinécure. La récente polémique sur l’apport "non consensuel" de la discipline dans la prise en charge des patients autistes, dans la foulée d’autres mises en cause au cours des dernières années, semble avoir fait des analystes une espèce (presque nuisible) en voie de disparition – peut-être même à brève échéance.

 

Le centre pour jeunes autistes Albert Camus, à Villeneuve-d'Ascq, le 14 novembre 2008 (B.CHIBANE/SIPA).

Le centre pour jeunes autistes Albert Camus, à Villeneuve-d'Ascq, le 14 novembre 2008 (B.CHIBANE/SIPA).

 

La méfiance qui les entoure désormais est le prix que paie l’ensemble d’une profession pour l’arrogance d’une partie d’elle-même. À force de donner des leçons sur le monde, de rire des travaux d’autres disciplines, de refuser de rendre des comptes sur leur pratique, les "représentants" du monde psychanalytique français creusent non seulement leur propre tombe, mais entraînent avec eux ceux qui pourraient (devraient) encore faire avancer la psychanalyse.

Car oui, il existe aussi des analystes qui, dans l’intimité de leur cabinet ou en institution, travaillent encore avec une capacité d’étonnement et une disponibilité réelles pour les patients, qui ont le goût de la recherche que la clinique impose, et qui cultivent l’honnêteté intellectuelle que requiert toute grande aventure de pensée. Une bonne partie des psychanalystes qui exercent aujourd’hui ne se reconnaît probablement pas dans la posture de certains ténors, souvent marquée – contre ce que réclame l’expérience de la clinique – par un manque ahurissant d’humilité.

Je ne vois pas, par exemple, comment les psychanalystes pourraient faire fi des avancées des autres disciplines (il n’est pas question que des neurosciences, mais également de la littérature, par exemple) ou revendiquer le monopole de la vérité quant à telle ou telle pathologie. Comment aurions-nous fait si Freud n’avait pas été aussi un spécialiste des mythes et de Shakespeare, si Lacan n’était pas devenu aussi un fin connaisseur de la linguistique et du structuralisme, ou si Bion n'avait pas pris appui sur Poincaré ?

Sigmund Freud à côté de son fameux divan (Sigmund Freud Museum/SIPA)

Sigmund Freud à côté de son fameux divan (Sigmund Freud Museum/SIPA).

 

Je ne vois surtout pas au nom de quoi les psychanalystes n’auraient pas à faire la preuve de leur efficacité. Pas juste auprès d’une communauté de patients plus audible qu’une autre, mais auprès de tous ceux qui, en quête d’une solution à leur souffrance, chercheraient des explications quant à ce qu’on peut attendre d’un analyste.

Les parents d’autistes, parce qu’ils ont le plus fort souffert d’une forme de brutalité psychanalytique (d’ailleurs déniée par le milieu sur le mode de "seuls les mauvais psychanalystes disent ces horreurs"), ont été les premiers à se manifester. Demain, qui empêchera les parents d’enfants phobiques ou anorexiques de les imiter ?

Les associations d’hystériques, d’obsessionnels, de schizophrènes, etc. ? Pourquoi ces gens ne mettraient-ils pas en place ici, à l’image de ce qui se fait déjà ailleurs, des sites web comparatifs, par exemple – comme pour trouver les bons pédiatres, les bons garagistes, les bons kinés –, avec commentaires et notations, par "les usagers", des cliniciens de leur ville ? Et pourquoi pas si, à défaut d’autre chose, cela permettait à chacun de s’orienter dans le paysage ? Pour l’heure, la seule chose que les analystes organisent, c’est ce défaut lui-même.

Chacun est fondé à savoir comment nous pensons les demandes qui nous sont adressées, quelles finalités nous visons dans la cure (pourquoi faire l’économie de nouvelles explications sur la question de la "guérison" si tout le monde les réclame encore ?), comment nous fixons le cadre de notre travail (y compris le paiement de nos honoraires) et quels résultats nous obtenons.

Il ne s’agit pas de se plier, tête basse, à des critères d’évaluation qui nous seraient plaqués uniformément au nom de la science ; mais il ne s’agit pas non plus de rejeter toute forme d’évaluation au prétexte qu’il existe déjà des contrôles internes dans les associations de psychanalyse ou dans le dispositif analytique lui-même. L’enjeu est bien plutôt de pouvoir dialoguer collectivement avec les pouvoirs publics et les patients sans s’en remettre à la voix de tel ou tel leader plus ou moins éclairé.

Pourquoi refuser systématiquement de s’inclure dans des études contrôlées sur les psychothérapies, par exemple, si l’on est capable d’argumenter quant à ce qu’on fait en séance ? Pourquoi ne pas attirer l’attention sur des dimensions méconnues de ce qu’on appelle un "résultat", ou un "gain thérapeutique" ? Faute de tels efforts, nous nous exposons bel et bien à la disparition de la profession de psychanalyste en France.

Au lieu de s’indigner auprès des familles qui les montrent aujourd’hui du doigt, les "professionnels de la profession" devraient presque les remercier de tant de véhémence. Elle contraste avec ce qui nous attend de plus commun : la désaffection silencieuse de la psychanalyse. D’autres ont en effet déjà choisi de nous tourner le dos avec moins de fracas mais peut-être plus de conséquences. C’est notamment le cas d’une partie de la communauté homosexuelle. Face aux prises de position si péniblement normatives de certains d’entre nous, elle ne peut désormais plus faire confiance a priori à un analyste. Ne parlons pas des pseudo-cliniciens qui militent pour "le retour des pères sévères", contre "le fléau des jeux vidéo" ou autres balivernes du même type.

 

Un psychanalyste n’est ni une autorité morale ni un militant de quelque cause que ce soit. Il aide simplement ses patients à développer leurs capacités de penser ce qu’ils pensent et ce qui leur arrive, en s’appuyant entre autres sur l’analyse du transfert. Il ne peut travailler ni seul, ni contre, ni en surplomb – uniquement dans l’écho. Et on peut légitimement lui demander des comptes sur son travail.

À ce titre, évidemment, on se demande depuis combien de temps les plus "assis" de nos analystes n’ont plus fréquenté un divan. Plus sérieusement, on s’attellerait volontiers à la définition de critères d’évaluation valables pour ce métier, c’est-à-dire à la fois parlants pour tout un chacun, et fidèles à l’expérience de la cure.

A lire aussi sur Le Plus :

La psychanalyse est devenue dogmatique, c'est son erreur Par Boris Cyrulnik, psychanalyste

Autisme et psychanalyse : les véritables enjeux Par Eric Laurent, psychanalyste

Les psychanalystes, premières victimes de la psychanalyse ? Par Peggy Sastre

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/482532-et-si-on-evaluait-les-psychanalystes.html

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