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"Au bonheur d'Elise"
28 juillet 2012

article publié dans le devoir.com le 28 juillet 2012

Trouble envahissant du développement - Je suis Colin la Lune, j’ai 21 ans

Colin n’aura plus droit aux services d’éducation spécialisés que requiert sa condition en raison de son âge

Marie-Andrée Chouinard   28 juillet 2012  Santé
Colin a 21 ans, mais c’est un petit garçon de deux ans dans un corps d’adulte. Il souffre d’autisme sévère avec déficience intellectuelle profonde.
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
Colin a 21 ans, mais c’est un petit garçon de deux ans dans un corps d’adulte. Il souffre d’autisme sévère avec déficience intellectuelle profonde.

 

Sur le trampoline, Colin se propulse avec ses genoux, étire bras et mains en ondulations artistiques, pousse des cris de bonheur. Caché sous une carcasse de 160 livres et de 5 pieds 10, un tout petit garçon s’amuse.
 

Qui est ce gaillard attachant au regard tendre, que ses parents affublent de tous les surnoms, dont Colin la Lune ? Un amateur de vitesse, quand il prend place dans la décapotable rouge de son père Denis, et aussi sur le tandem qu’il enfourche avec lui, les mains parfois détachées du guidon tellement il aime. Un nageur sans technique autre que celle du dauphin, tournoyant du fond du lac ou de la piscine en courbes si étranges qu’elles sont drôles. Un adepte du trampoline, mais aussi du menu détail, de tous ces fils de tapis qu’il aime tirer partout où il les croise jusqu’aux brins d’herbe du terrain de jeu.
 

Le voilà justement avec une poignée de gazon attrapée en rentrant à la maison, après les cabrioles du dehors. Colin porte spontanément la gerbe à sa bouche pour la manger. « Non, Colin, pas dans la bouche ! » interviennent les parents. Un autre de ses surnoms est la Chèvre, et on traîne toujours pour lui une botte de persil à grignoter quand l’envie lui prend de mordre ce qu’il trouve. Colin a 21 ans, mais c’est un petit garçon de deux ans dans un corps d’adulte. Il souffre d’autisme sévère avec déficience intellectuelle profonde.
 

Colin est incontinent. Il marche, mais adore se traîner sur les genoux. Il ne parle pas, émet de temps à autre quelques cris. Il a besoin d’aide pour à peu près tout. Doit bénéficier d’une surveillance de tous les instants — tiens, le voici attiré par les câbles du barbecue, qu’il souhaite goûter. Il ne travaillera jamais, et ses incapacités lui interdisent pour toujours le statut d’autonome.
 

Du lever au coucher, l’encadrement qu’on lui prodigue est très serré, comme sa condition de handicapé le requiert. Depuis qu’il a cinq ans, il a fréquenté des écoles où l’adaptation scolaire prenait tout son sens : des services spécialisés, des professionnels pour lui permettre de se développer et s’épanouir, à la hauteur de ses moyens. Son dernier établissement, l’école des Érables, de la commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles, est une école spécialisée destinée notamment aux enfants présentant un trouble du spectre de l’autisme. Des enfants de 5 à 21 ans la fréquentent.
 

Ils ont accès à des services d’éducation spécialisée, de psychologie, d’ergothérapie, d’orthophonie, de physiothérapie, une piscine, un gymnase, une salle Snoezelen (pièce fournissant une série de stimuli sensoriels) et une cour d’école, sans compter un service de garde.

 

Le « trou noir »

Mais en septembre, Colin ne peut plus fréquenter cet environnement qui lui a permis d’évoluer — envers et contre les sombres pronostics qu’ont reçus ses parents quand il était petit. Il a 21 ans, et la loi stipule que le parcours scolaire de la clientèle lourdement handicapée se termine à cet âge.
 

Depuis plusieurs mois, ses parents vivent une grande angoisse, car après l’école des Érables, c’est « le trou noir », comme le dit Mireille de Palma, mère de Colin.
 

« De 5 à 21 ans, on met tout en œuvre pour ton enfant, on te donne tous ces services, parce qu’on croit que ça va l’aider à se développer, et puis à 21 ans ? Fini. Plus rien. Bye bye. Tu n’as plus besoin de quoi que ce soit. On ne te donne plus rien. Tu tombes dans le trou noir. »
 

Les parents sont inquiets, en colère, offusqués. Depuis ce diagnostic tombé quand Colin avait deux ans et demi, leur vie est une bataille. Il y a une vingtaine d’années, les diagnostics de trouble envahissant du développement (TED) étaient encore relativement nouveaux. — 1 sur 100 000 alors, 1 sur 100 selon certaines études aujourd’hui, ce qui en fait le désordre neurologique touchant le plus les enfants au Canada.
 

Pour avoir des services de qualité pour leur fils tout en continuant à travailler tous deux, ils se sont battus. La conciliation famille-travail n’est pas gagnée pour ces parents. Ils ont constamment besoin d’aide, même le soir et les fins de semaine (près d’une centaine d’éducatrices sont passées dans la vie de Colin, et cet été, une petite annonce placée pour trouver une aide à domicile à « Côlino le Coco » prouve que c’est éternellement à recommencer).
 

« Colin, c’est un pionnier dans le fond », raconte son père, Denis Duquet, qui s’insurge de l’incohérence du système et d’un manque de souplesse qui finit par coûter très cher à l’État. Les parents refusent de croire qu’ils vont devoir mener à nouveau un combat pour ce qui leur semble un incontournable.
 

Que se passera-t-il en septembre ? Si rien ne bouge d’ici là, qu’on ne permet pas par exemple la dérogation que les parents souhaitent afin que Colin passe au moins une autre année à son école, il aura accès à un centre de jour sous-équipé, sans les ressources professionnelles équivalentes, situé dans un centre commercial, en opposition complète avec l’environnement sécuritaire dont il a besoin, aux horaires morcelés, sans service de garde, ce qui forcera un changement de lieu en pleine journée.
 

Les parents sont inquiets. Mireille est de tous les comités, dont ce bien nommé « Club des 21 ans et plus sans issue », qui souhaite que l’Agence de santé et des services sociaux des Laurentides soit sensible à l’absence de continuité de services pour la clientèle lourdement handicapée de plus de 20 ans.
 

« Qu’est-ce qui va arriver à Colin ? » demande Mireille. « Si on l’abandonne après avoir investi tout ça tout ce temps, il va régresser, perdre ses acquis, devenir agressif. Ce serait le vide après tout cela ? Imaginez le coût social… »
 

Ce constat n’est pas que le lot des Duquet-de Palma. Dans un rapport spécial tout juste publié par la protectrice du citoyen, Raymonde St-Germain (« Les services aux jeunes et aux adultes présentant un trouble envahissant du développement : de l’engagement gouvernemental à la réalité », mai 2012), on note l’absence de services après l’âge fatidique de 21 ans, leur caractère insuffisant ou inadéquat, des constats qui inquiètent la protectrice.
 

Colin la Lune a beau être un pionnier, plusieurs petits soldats TED le suivent, ce qui indique que les cas d’exception se multiplieront bientôt. Cette année, quelque 8000 personnes ont signé des pétitions déposées à l’Assemblée nationale pour sensibiliser le gouvernement à l’importance de maintenir des services pour cette clientèle, délaissée désormais par les Centres de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI) pour cause de révision de mandat et troncation de budget.
 

Résultat ? Les parents qui recouraient à ces centres de jour pour leurs enfants handicapés, rassurés de les savoir en voie de maintenir leurs acquis, avec du personnel qualifié, dans un environnement stimulant et sécuritaire, se retrouvent le bec à l’eau. Ils quittent leur emploi pour prendre la relève, perdant du coup des ressources et une occupation valorisante. Un avis du Conseil de la famille et de l’enfance évaluait en 2008 à 30 000 le nombre d’enfants ou adultes ayant des incapacités importantes vivant avec leurs parents.

 

Contraints au placement ?

D’autres se voient contraints de « placer » leur enfant, une autre course à obstacles compte tenu du très petit nombre de ressources d’hébergement. « Si c’est le placement qui attend nos enfants, c’est une fortune que ça coûte à l’État, pas mal plus cher que si on trouvait une manière plus souple et logique de permettre la continuité des services », tonne Denis Duquet, qui trouve aberrant que l’État soit prêt à débourser des dizaines de milliers de dollars en compensation à une « famille d’accueil » qui prendrait son fils alors que si lui doit cesser son travail pour prendre soin de Colin, il n’aura pasun sou.
 

Colin tournoie autour de nous, vient se lover contre papa, qui lui frotte le dos pendant qu’il fixe sans la moindre gêne l’objectif de la caméra. Pendant un bref instant, dans ces yeux qui vous regardent intensément, cet air calme, cette belle gueule de jeune homme, on ne voit plus le petit garçon de deux ans.

Colin a 21 ans, mais c’est un petit garçon de deux ans dans un corps d’adulte. Il souffre d’autisme sévère avec déficience intellectuelle profonde. Colin est un adepte du trampoline.
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