C’est un coup de massue. L’Etat fait appel dans l’affaire Amélie, cette jeune femme atteinte d’une forme sévère d’autisme, gardée à domicile faute de place dans un établissement spécialisé. Ses parents, à bout, épuisés physiquement et nerveusement, s’étaient tournés vers la justice.

Ils ont obtenu, il y a quinze jours, la condamnation de l’Etat à trouver d’urgence une structure pour accueillir cette jeune femme, au nom «du droit à la vie». Cette décision de justice représentait une lueur d’espoir pour toutes ces familles qui ont à charge un proche lourdement handicapé. Mais voilà qu’aujourd’hui, le ministère de la Santé interjette un appel, considérant, en résumé, qu’il ne faut pas que le cas d'Amélie donne des idées à d’autres personnes.

Ironie de l’histoire, l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile de France, structure publique qui pilote l'aide aux personnes handicapées, a annoncé aujourd'hui aux parents d’Amélie qu’ils auraient une place pour leur fille à compter du 4 novembre prochain. «Nous avons reçu ce matin un recommandé qui nous assure qu’elle sera prise en charge dans une Maison d’accueil spécialisée (MAS) à Beaumont-sur-Oise (Val d’Oise)», a confirmé à l’AFP Jacques Loquet, le père d'Amélie.

«La ministre a la trouille»

«Indépendamment de la situation particulière de mademoiselle Loquet, à laquelle l’admission à la MAS de Beaumont-sur-Oise s’efforce de remédier, il est demandé au conseil d’Etat de censurer le raisonnement qui sous-tend cette ordonnance, dont on peut craindre qu’elle suscite un nombre considérable de demandes auxquelles l’administration ne pourra de toute évidence pas faire face», écrit le ministère dans sa requête déposée devant le conseil d’Etat.

L’avocat de la famille d’Amélie, Me Felissi est révolté. «Vous imaginez ce que ça veut dire ? Cette réponse signifie qu’ils sont parfaitement au courant que des milliers de gens sont dans la même situation que les parents d’Amélie et qu’ils ont une trouille bleue que tous se mettent à saisir la justice. Voilà ce que ça veut dire.» Furieux, il poursuit : «On est dans une République bananière, quand la presse se mobilise sur un cas, l’ARS trouve une place. Les autres, on les abandonne.»

«Mort sociale»

«On marche sur la tête, vraiment», bégaye Christel Prado, la présidente de l’Unapei, la principale fédération d’associations de défense des personnes handicapées mentales, et partie civile dans l’affaire Amélie. «Que la ministre censée défendre les droits des handicapés fasse appel en disant que l’Etat n’est pas responsable du manque de places, c’est le summum ! Vraiment odieux», bégaye-t-elle. Sollicité, le cabinet de Marie-Arlette Carlotti répond que «des précisions seront apportées par écrit demain matin». «L’Etat cherche à institutionnaliser une mort sociale pour les personnes handicapées et leurs familles. Ce même gouvernement affichait il y a moins d’un mois au Comité interministériel du handicap sa volonté d’inclure les personnes handicapées dans notre société. A présent, il conteste avoir la moindre responsabilité pour leur trouver une place dans un établissement spécialisé !», écrit l'Unapei dans son communiqué de presse. «Un Etat qui ne veut pas répondre aux besoins de ses citoyens, c’est quoi ?» ajoute-t-elle.

Christel Prado est aussi furieuse du traitement réservée à Amélie et ses parents. «Depuis la décision de justice, qui reconnaissait quand même que le droit à la vie était en danger, rien n’a été fait pour aider les parents. Pas une aide à domicile, rien du tout. Ils se font balader de lettres recommandées en lettres recommandées. L’ARS les a convoqués à plusieurs reprises, pour au bout du compte, leur proposer une place le 4 novembre. Et encore, Amélie sera en période d’essai d’un mois !» Rien ne garantit qu’elle conserve sa place dans l’établissement. L’Unapei appelle à un rassemblement lundi à 10 heures, devant le Conseil d’Etat, juste avant qu’il statue sur l'affaire.

Marie PIQUEMAL