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"Au bonheur d'Elise"
23 avril 2014

Mon fils est autiste mais il n'est pas malade

article publié dans "côté quartiers" le blog des quartiers populaires

Aline Yapo, maman seule de 51 ans, se bat au quotidien pour faire progresser son fils Kévin, diagnostiqué autiste à l'âge de 2 ans. A ses côtés, la mission handicap de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) a développé depuis 2004 un réseau d'échange et d'information pour permettre aux handicapés de prendre toute leur place dans la cité.

Ce sont des petits riens. De minuscules gestes. Des frôlements de main, des regards protecteurs. Et puis des paroles : « Kéké ! Viens on va ramasser les perles de couleur », lance Aline Yapo énergiquement à son fils Kévin, âgé de 11 et demi. « Quand il était bébé, il avait des problèmes d’équilibre. On lui a fait des scanners, des radios à l’hôpital Trousseau puis à Robert Debré mais on ne trouvait rien. » Kévin a été diagnostiqué autiste par la maison du handicap à l’âge de deux ans. « Moi, je ne comprenais rien. Alors, j’écoute et j’accepte. Quand on m’a dit que mon enfant n’était pas comme les autres, mon mari a voulu qu’on le mette à la DDASS. J’ai cru qu’on m’enfonçait un couteau dans le cœur. J’ai porté Kévin neuf mois, j’ai dit à mon mari que je ne le donnerai à personne. Je garde mon enfant », raconte-t-elle encore sous le choc. Depuis, c’est seule qu’Aline, maman de cinq enfants, fait face.

Femme de ménage à temps plein depuis 23 ans, Aline Yapo a vu sa vie basculer peu après la naissance de Kévin. « Je n’ai jamais été malade. Aucun de mes enfants n’a eu de problèmes de santé. Je ne sais pas pourquoi. Mais je n’avais pas le choix. Je me posais des questions. Je pensais si mon fils est malade, peut-être que moi aussi. » Les institutions, les dossiers à remplir, le vocabulaire spécialisé, les rendez-vous médicaux, les incompréhensions… Aline découvre un monde et se heurte progressivement aux murs des protocoles. Un parcours de combattante pour obtenir les informations sur un handicap, encore trop mal pris en charge en France. « On m’a donné un livre sur l’autisme mais je ne l’ai pas ouvert. Je n’ai pas fait d’études. Mais, comme dit un proverbe de chez moi, en Côte d’Ivoire, ‘je suis tombée dans l’eau, je n’ai plus peur de l’eau froide’ ».

Pas de vacances ni pour Kévin, ni pour sa soeur

Kévin a pu suivre une scolarité classique jusqu’à ses cinq ans à la crèche d'abord, puis dans la classe d'inclusion scolaire maternelle de Fontenay-sous-Bois grâce à une assistante de vie scolaire. Puis à l’âge de 6 ans, il est entré dans un Institut médico-éducatif à Saint-Mandé. « Il est autiste mais il n’est pas malade », explique simplement Aline Yapo. Dans la famille, ce petit garçon calme, doux et élancé tient une place essentielle : « C’est le cœur de tout le monde. Il est très protégé par ses sœurs, elles me soutiennent beaucoup. Si mon enfant pouvait être heureux, c’est tout ce que je demande», lance-t-elle. Lorsque Aline travaille, c’est Kelly, sa fille de quinze ans, qui se charge de Kévin pendant les vacances scolaires. Avec son salaire de 1400 euros par mois, difficile de prendre une garde d'enfants. « C’est dur pour ma fille. C’est une adolescente, elle aimerait sortir avec ses copines. J’ai essayé de voir si Kévin pouvait prétendre aux colonies de vacance de l’IME dans lequel il est suivi mais l’assistante sociale m’a rétorqué : « Ca coûte 3000 euros, vous les avez ? ». Je me suis rendue à l’espace des solidarités pour savoir si on pouvait m’aider financièrement mais on m’a dit qu’il n’y avait plus d’argent… Alors ni Kévin, ni sa sœur n’ont jamais pu partir en vacances ».

Manque de dialogue et d'information

Dans l’appartement de la cité des Alouettes, à quelques minutes de l’A 86, les perles en bois roses, vertes, jaunes, bleues sont éparpillées sur la table de la salle à manger. Pendant que Kévin les trie par couleur et par forme, en chantonnant, Aline dit l’amour et la souffrance mêlés d’avoir à porter à bout de bras sa famille. Lorsque son mari a quitté le domicile, il lui a laissé des tonnes de dettes. Des impayés de loyers, des crédits à la consommation dont elle n’a pas vu l’ombre d’un centime… Alors Aline rembourse en essayant de se défendre. Sur la table basse, les lettres de la banque et les factures se mêlent au cahier de correspondance de Kévin. Dedans, une longue série d’échanges écrits à la main entre Aline et la direction de l’Institut de Saint-Mandé. Pourtant, les informations semblent avoir du mal à passer... « A chaque rentrée, je recevais un dossier à remplir pour Kévin. Il y avait des tas de cases à cocher, savoir si mon fils voyait des spécialistes. C’est là que j’ai compris qu’il fallait aller voir d’autres équipes, qu’il pouvait bénéficier d’autres aides pour progresser. J'avais l'impression d'être la seule à ne pas faire suivre mon fils par des spécialistes ».

Voilà à peine un an que Kévin fait des séances d’orthophonie. « Au bout de deux mois, il a commencé à parler. Vous trouvez normal vous qu'on ne sache pas à quoi on a droit ? ». La prise en charge par des spécialistes ou pour des interventions comportementales intensives sont à la charge des familles. Par conséquent, impossible pour les plus modestes d'accéder à ce que le conseil économique et social, dans son rapport sur l'autisme d'octobre 2012, appelle « l'égalité éducative ». C'est ce pourquoi Marie-Françoise Lipp, de la mission Handicap de Fontenay-sous-Bois, se bat depuis 2004. Dans cette ville communiste, un vaste chantier a été lancé pour faire entrer les questions du handicap dans la cité. Et faire tomber les peurs sur l'autisme qui diagnostiqué tôt peut permettre à l'enfant de progresser. « On peut réduire l'impact du développement de ces troubles, on peut agir sur le langage et sur la communication. Plus on va vite, plus on améliore la qualité de vie future et on atténue les troubles du comportement qui sont une conséquence de la maladie et non une cause », précise Marie-Françoise Lipp.

Un rôle de maman et d'éducatrice

Pour faire face, Aline a joué son rôle de maman et d'éducatrice. Elle chante avec lui, elle joue, elle le stimule. « J'ai réussi à travailler avec Kévin. » Accompagnée à chaque étape, elle a pu s'appuyer sur ce service transversal de la mission Handicap de Fontenay. Et, pour Marie-Françoise Lipp, c'est toute la perception du handicap qui est à revoir. « Je suis partie d'un simple constat. Les handicapés sont invisibles dans la ville. On a une approche trop gestionnaire qui consiste à regrouper les gens qui ont les mêmes problèmes ensemble. Au lieu d'inclure, de mélanger, de s'adapter à cette minorité, on fait l'inverse, on met à l'écart. Alors j'ai proposé un projet aux élus, déjà très sensibles à cette question, pour faire que ce soient les professionnels quels qu'ils soient qui aillent vers les personnes handicapées et non l'inverse. » Concrètement, la ville devrait pouvoir offrir des lieux de proximité et de socialisation : faire du sport, de la musique, aller chez le dentiste, aller chez le coiffeur dans la ville de résidence. Aujourd'hui, beaucoup de parents passent leur temps à courir d'une ville à l'autre, d'un lieu spécialisé à un autre. Rien n'est à proximité. Tout pousse à l'isolement des familles. « En France, on imagine que tout va bien, que tout le monde est bien soigné. Mais c'est faux, s'insurge la chargée de mission. Il y a une réévaluation à mener en profondeur sur la façon dont on prend en compte l'enfant, l'adolescent et l'adulte handicapé ». A Fontenay-sous-Bois, on estime que cinq fontenaysiens par an naissent autistes ou avec un trouble envahissant du développement (TED) chaque année.

Fière et digne, Aline a décidé, peu avant la naissance de Kévin, en 2000, de monter une association de solidarité avec un village de Côte d'Ivoire. Elle choisit un projet de maison de santé. « La santé, c'est essentiel et en Afrique, les centres de soin manquent. Beaucoup de femmes accouchent à la maison ou sur le chemin de l'hôpital et ça se passe mal. J'organise des repas pour récolter des fonds. Il n'y a pas de hasards... La santé, pour moi, c'est la vie. »

Ixchel Delaporte

photo Olivier Coret

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