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"Au bonheur d'Elise"
10 mai 2014

Les enfants difficiles n'existent pas

article publié dans psychologies.com

© Jupiter

 

Il enchaîne les caprices. Elle n’écoute rien. En tant que parent, on a l’impression d’avoir tout essayé. On se sent désemparé. “C’est un enfant difficile”. La phrase est finalement lâchée. Et sonne comme une sentence irrévocable. Comme un mauvais numéro tiré au loto. Et après ? Interview mise au point avec la psychanalyste Claude Halmos, qui nous explique les risques qu’il y a à coller cette étiquette sur un enfant.

Propos recueillis par Anne-Laure Vaineau

“Mon enfant est difficile”. Est-ce une expression qui revient régulièrement dans votre cabinet ?

Claude Halmos : C’est en effet une expression qui est dans l’air du temps, mais qui n’a aucun sens. C’est un concept qui induit l’idée qu’il y aurait des enfants qui, constitutionnellement, seraient difficiles à élever. Comme si c’était inscrit dans leurs gênes. Pourtant, si vous dites “Il est difficile, c’est donc qu’il est né comme ça ?”, personne ne vous dira oui. En réalité, il n’y a pas d’enfants difficiles, il n’y a que des enfants que les parents ont des difficultés à élever. C’est donc la relation parent-enfant, et non l’enfant, qui est difficile. Mais c’est vrai qu’il peut être plus facile de remettre son enfant en question, plutôt que sa relation à lui. Il devient le miroir des difficultés de toute la famille. C’est là-dessus qu’il nous faut travailler.

Qu’entend-on par « enfant difficile » ?

Claude Halmos : Il s’agit la plupart du temps d’un enfant qui ne répond pas à la demande. Étant entendu que la demande n’est pas insensée : qu’il apprenne à l’école, qu’il se tienne correctement… L’enfant résiste à cela, et donc, on en conclut qu’il est difficile.

Quel risque y a-t-il à coller cette étiquette sur un enfant ?
Claude Halmos : Parler d’enfant difficile, c’est nier la construction de l’enfant et le rôle qu’y jouent les parents. C’est typique de la psychiatrie dans laquelle nous sommes aujourd’hui. La psychiatrie classique considérait l’individu, sa construction, sa singularité. Aujourd’hui, il n’y a plus que des symptômes, et ce jusqu’à la caricature. La personne unique que je suis, ou que vous êtes, ne compte plus. Alors que nous sommes tous des personnes uniques, qui se sont construites de façon singulière, avec deux parents qui étaient eux-mêmes deux êtres singuliers, avec des grands-parents, une lignée, une langue, un pays… Là, on induit l’idée que l’enfant est né comme ça. Comme si ses parents avaient tiré le mauvais numéro à la loterie. Ce serait donc inné. Alors l’enfant s’identifie à cette image qui lui est renvoyée de lui-même. Quant aux parents, ils sont réduits à l’impuissance la plus totale.

C’est pourtant un terme qui est repris par certains psys, qui en ont même fait des livres. Quel peut être leur intérêt, à part déculpabiliser les parents ?
Claude Halmos : L’enfant difficile est un marché. Si l’on propose à des personnes qui se sentent désemparées de les aider, il est facile de les appâter. Une fois que l’on a créé la catégorie “enfant difficile”, il n’y a plus qu’à vendre la salade qui va avec. Ou des livres, des cours, des méthodes, des groupes de parole, des formations… On joue de l’impuissance des parents pour pouvoir ensuite leur proposer des solutions. Puisque eux n’y peuvent rien.

L’enfant dont on dit qu’il est difficile est-il toujours un enfant en souffrance ?

Claude Halmos : Toujours. Qu’il ait des difficultés parce qu’il a une histoire lourde qui pèse sur lui, ou bien, ce que l’on voit plus souvent, juste parce que les règles éducatives (et elles existent !) ne sont pas connues des parents, ne sont pas comprises, et donc ne sont pas imposées. De nombreuses familles marchent sur la tête juste parce que personne n’y est à la bonne place, parents comme enfants. Au départ, l’enfant est un petit sauvage, ni plus ni moins. C’est normal, c’est son fonctionnement. S’il a envie de taper, il tape. C’est le principe de plaisir. Il fait ce qu’il veut, quand il veut. Il est le roi du monde, il est tout-puissant. Seule l’éducation peut le sortir de cela. Si l’enfant est fétichisé, et pense qu’il a tous les droits, c’est insupportable et destructeur pour lui. Il est donc nécessaire de poser les règles et de les expliquer, parce que sinon, l’enfant risque de penser qu’il ne s’agit que d’un rapport de force avec ses parents. Et puis il faut les imposer. J’entends bien que cela puisse être dur à faire. À nous, psys, d’aider les parents qui ne s’en sortent pas. Mais il y a toujours des solutions.

Les parents peuvent parfois avoir l’impression de faire preuve d’autorité, mais de ne pas y arriver, de ne pas être entendus…
Claude Halmos : Je dis toujours que l’autorité est une question de sentiment de légitimité. Quand je pose une limite à un enfant, je suis infiniment persuadée que ce n’est pas ma fantaisie, mais que c’est indispensable pour vivre. Je vois parfois des enfants arriver dans mon bureau avec pour seule envie de tout foutre en l’air. Je leur dis “Imagine que moi, je commence à tout ravager dans ta chambre. Tu en penseras quoi ? Je ne peux pas faire ça. Tes parents non plus. Toi non plus, tu ne peux pas le faire. Alors tu t’assoies, on discute, et après on verra si ça va mieux.” Et je suis absolument convaincue, quand je dis cela, que je le fais pour eux. Pas pour mes affaires, pas pour mon bureau. Mais juste parce que c’est une loi humaine. Parce que la vie ne serait pas possible autrement. Il faut que les choses aient du sens, et qu’elles soient expliquées avec conviction, pour qu’elles puissent être comprises. On peut les répéter une deuxième fois si c’est nécessaire et ensuite c’est stop. Si l’enfant ne s’arrête pas, alors il est puni. Si l’on ne punit jamais un enfant, comme voulez-vous qu’il s’arrête ? Si l’on ne mettait pas de contravention, qui s’arrêterait au feu rouge ?

juillet 2013

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