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"Au bonheur d'Elise"
22 février 2015

Autisme Asperger, un handicap invisible

article publié dans Paris Match

Autisme Asperger, un handicap invisible

Enfant, Daniel Tammet (ci-contre), autiste Asperger, rêvait d’être «ordinaire». Il s’est battu pour rester libre. © Hubert Fanthomme
Le 21 avril 2009 | Mise à jour le 09 février 2015

En France, l’autisme toucherait quelque 200 000 personnes, condamnées à une existence en marge de la société. Les autistes Asperger ont une spécificité : dotés d’une mémoire exceptionnelle, ils ne souffrent guère de retard dans leur développement intellectuel, mais leur rapport aux autres reste problématique. Nous avons rencontré un Anglais vivant en France, considéré comme l’un des cent plus grands génies au monde. Avec son ami, Jérôme, il nous raconte son quotidien.

Daniel Tammet, 30 ans. L’homme qui danse avec les chiffres

Paris Match. Comment définissez-vous le syndrome dont vous êtes atteint ?
Daniel Tammet. C’est un autisme de haut niveau. Il y a des choses qui sont très faciles à faire pour moi comme apprendre les langues, mémoriser et calculer. Et d’autres qui sont très difficiles, tels les actes de la vie quotidienne. Quand j’étais enfant, je souffrais aussi de problèmes d’isolement, j’avais des difficultés
à me faire des amis, je ne savais pas regarder les gens.

Quand avez-vous pris conscience que vous étiez différent des autres ?
C’est à un âge précis. Quand j’étais tout petit, le monde était dans ma tête. Cela ne m’intéressait pas de jouer avec les autres enfants. Mais, à 8 ans, j’en ai ressenti l’envie et je ne savais pas comment faire. J’ai eu besoin de casser les murs en verre qui m’en empêchaient. J’ai observé pour comprendre, comme on observe une espèce animale, et, petit à petit, j’ai appris. Ma famille m’a aidé, je n’étais pas seul. Dans les années 80, on ne savait pas ce qu’était l’autisme. Ma famille a su de façon instinctive s’occuper de moi, même s’ils ont compris très vite que j’avais des troubles. C’étaient de très bons parents.

C’est à ce moment-là que les chiffres sont devenus vos amis, comme vous dites ?
Chaque enfant a besoin de jouer. Alors moi, je me suis mis à jouer avec les chiffres. Pour moi, ils ont une vie, une couleur, une forme, une personnalité. Je passais ma vie avec eux. Je vois des liens entre eux, ça m’aide à comprendre ce qu’il faut faire avec. J’ai commencé à connecter les gens avec les chiffres. Mais quand on me demande quel est mon chiffre préféré, c’est comme lorsqu’on demande à une mère quel est son enfant préféré ! Cependant je les associe tous à une caractéristique. Pour moi, le 6, c’est la tristesse, le trou noir. Le 4, c’est la timidité. J’aime particulièrement les chiffres premiers, ils sont mes favoris.

Aujourd’hui avez-vous le sentiment que ce dont vous souffrez est une force, peut-être même une chance ?
Au début, j’aurais voulu être ordinaire. Puis, je me suis battu pour être libre. J’étais comme dans une prison que j’ai vaincue grâce à ma famille et à mes amis. Je voulais avoir une vie avec du bonheur, comme ce que je lisais dans les livres. Mais il fallait d’abord sortir de cette prison. C’était impossible pour moi d’y rester. Je ne me sens pas comme un extraterrestre mais comme un humain. Ni comme un savant ou un autiste mais comme quelqu’un qui aime, qui a une carrière.

Comment avez-vous pu arracher les barreaux de votre prison ?
Mes parents m’ont aidé à me surpasser. Mais je crois que chaque personne a du talent. Il faut que chacun se surpasse. On a dit que les cerveaux étaient figés, mais on sait maintenant qu’un cerveau évolue, qu’on peut aider à son développement. J’ai réussi à apprendre des choses difficiles, donc je pense que c’est possible aussi pour tout le monde. Les gens peuvent apprendre les langues par exemple. Moi, je me suis forcé à regarder les autres dans les yeux, à voir à travers cette fenêtre de l’âme qu’est le regard, à deviner leurs émotions. Cette volonté ne m’a jamais quitté.

Vous ne voulez pas être considéré comme un être à part mais vous vous prêtez à des expériences. Comme apprendre une langue en quatre jours ou réciter les 22 514 décimales de pi pendant plus de cinq heures !
Je veux savoir quel est l’horizon de mon cerveau. Pour pi, j’ai voulu faire cet exploit pour mesurer mes capacités. Il fallait de la foi et de la détermination, beaucoup de gens en sont capables. L’autre raison est personnelle, c’est la fierté. Un jour, mon père m’a dit : “Tu as 25 ans, tu peux être fier de ce que tu as fait, tu as voyagé, tu as créé un site...” Mais je ne comprenais pas ce qu’était la fierté. Lorsque j’ai énuméré les suites de pi, j’ai compris pour la première fois ce qu’était la fierté. Je suis allé le plus loin possible. Le plus difficile a été l’épreuve physique, cinq heures d’affilée, j’étais épuisé.

J'utilise la poésie de mon cerveau

Vous parlez beaucoup d’amour dans votre livre. Vous n’éprouvez ou ne ressentez pas de sentiments négatifs comme la haine, la rancune ?
Mon livre est optimiste. Shakespeare dit qu’on est tous l’étoffe des rêves. J’ai une vision positive de l’être humain.

Jérôme. C’est vrai qu’il ne ressent jamais d’amertume ni de haine. Mais certaines choses le mettent en colère, comme la pauvreté.

Daniel. Oui, je ressens de la colère quand je vois cette pauvreté, car je sais que tout le monde a du potentiel et c’est un véritable gâchis pour ceux qui ne reçoivent pas d’éducation. En France, on a eu Dolto qui était en avance sur son temps et qui a compris qu’il fallait parler aux enfants. Les autistes, on les a d’abord considérés comme des robots. Maintenant on sait qu’ils peuvent progresser.

Jérôme. Daniel ne se pose pas en étendard de l’autisme mais, comme il le dit, il en est la pierre de Rosette, car il peut exprimer les émotions des autistes qui peuvent être ainsi déchiffrées !

Pardon de vous poser la question ainsi mais, aujourd’hui, vous sentez-vous normal ?
Oui. Pour moi, voir les chiffres en trois dimensions, ça me paraît normal. J’utilise la poésie de mon cerveau, je danse avec les chiffres. On connaît les différences entre les savants et les non-savants, entre les autistes et les non-autistes, mais on n’a pas établi les similitudes. Moi je viens des deux mondes. Même si aujourd’hui vous vivez en couple avec Jérôme, éprouvez-vous toujours de la solitude ? Non, je ne pense plus vivre dans la solitude.

Que voulez-vous faire de votre vie si particulière ?
J’aimerais continuer à écrire, peut-être même des romans. Enfant, je ne lisais que des encyclopédies. Maintenant que je comprends mieux les émotions, les romans m’intéressent davantage. En ce moment, nous lisons Dostoïevski, tous les deux et à voix haute. J’ai une imagination très forte, vous savez ! Je souhaite aller en Australie et aussi continuer à étudier les langues. Je m’énerve contre leur disparition. Il faut comprendre pourquoi chaque langue compte. Je mets au point une théorie sur les langues. J’ai établi des connexions entre les différentes langues, je voudrais voir si ça marche aussi pour les dialectes aborigènes. Et j’attends d’être contacté par des universités pour enseigner ma théorie.

Trouvez-vous des réponses à vos questions ?
Il y a des choses dans la vie qu’on ne peut pas expliquer. Quand j’étais petit, j’ai essayé de comprendre l’univers ! Il y a des réponses dans la religion. J’en ai étudié beaucoup. La religion chrétienne et l’histoire de Jésus sont d’une beauté incroyable. Jésus veut avant tout aller vers les autres. Après, dans la religion, il y a beaucoup de choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord.

Vous comprenez que votre vision du monde peut sembler naïve ?
C’est pour cela que je lis des romans comme ceux de Dostoïevski ! J’ai eu une vie difficile, j’ai connu la pauvreté, la solitude, la maladie de mon père, alors aujourd’hui je pense qu’on est responsable pour soi, mais aussi pour les autres. La société a l’obligation d’aider les gens à faire mieux.

Diriez-vous que vous vous connaissez bien aujourd’hui ?
Je me connais mieux. La science m’a aidé à me comprendre, à comprendre le fonctionnement de mon cerveau. La musique aussi, car il y a dans la musique de la répétition qui convient bien aux autistes. Jérôme m’aide aussi. On discute de psychanalyse, c’est impor­tant de s’interroger sur soi-même. Il m’apprend aussi à ne rien faire. Car c’est fatigant un cerveau comme le mien, je dois le nourrir en permanence par de la lecture, de la musique, de nouveaux apprentissages.

Quel est le prochain exploit que vous rêvez de réaliser ?
Assister au concert de Mylène Farmer ! Nous avons pris les places, il y a un an, pour aller au Stade de France au mois de septembre au milieu de la foule. J’ai encore beaucoup de difficultés avec la foule,
mais Jérôme sera avec moi.

Gary McKinnon, 43 ans. Le plus grand Hacker de tous les temps

Pour Gary McKinnon et sa famille, les sept dernières années ont apporté un seul point positif : mettre enfin un nom – Asperger – sur la «différence» de Gary. Ses tendances obsessionnelles, sa difficulté à se faire des amis et à se mettre à la place des autres, son génie pour l’informatique, sa naïveté enfantine : les singularités de ce grand gaillard roux sont des traits communs à beaucoup de personnes atteintes du syndrome. Le diagnostic est tombé en août 2008. S’il avait été examiné plus tôt et s’il avait pu être pris en charge, ce Britannique de 43 ans ne serait peut-être pas aujourd’hui menacé d’extradition vers les Etats-Unis, où il risque soixante-dix années de prison pour avoir commis ce que les autorités militaires appellent «la plus grande opération de hacking de tous les temps».

Un matin de novembre 2002, Gary est tiré du lit par des policiers de l’Unité nationale contre le crime high-tech. Il vit à Crouch End, une banlieue de Londres, chez la tante de sa petite amie. De son PC, il a piraté au moins 97 ordinateurs top secret : 53 appartenaient à l’armée américaine, 26 à la marine, 16 à la Nasa... Il a été identifié après avoir téléchargé un programme en utilisant son adresse e-mail personnelle, sans chercher à se cacher. Gary ne réclame pas d’avocat et admet ses intrusions informatiques. Il risque six mois de travaux d’intérêt général. Mais, deux ans et demi après son arrestation, les autorités américaines demandent son extradition au nom d’un traité signé dans le cadre de la lutte contre le terrorisme : en plus d’avoir causé pour 700 000 dollars de dégâts dans des réseaux straté­giques, Gary McKinnon a eu accès à des informations «qui pourraient être utiles à un ennemi». Le procureur américain parle d’une «tentative intentionnelle et calculée d’influencer et d’affecter le gouvernement des Etats-Unis par l’intimidation et la coercition».

Gary et sa mère, Janis Sharp, racontent une histoire différente, celle d’une idée fixe. Enfant, il n’était pas particulièrement doué en classe mais se montrait brillant sur les sujets qui le passionnaient. A 7 ans, il apprend seul le piano. Un soir, Janis trouve son petit garçon jouant la «Sonate au clair de lune». Elle a bien remarqué que son fils n’était « pas comme les autres» : «A l’école, on se moquait de lui. Il avait très peu d’amis.» Wilson, le beau-père de Gary, lui offre son premier ordinateur, une console de jeux Atari. Une passion est née. En même temps, l’adolescent commence à s’intéresser à ce qui deviendra son obsession : les ovnis. «J’espérais qu’il existait quelque chose de plus avancé que nous, qui pourrait veiller sur nous», expliquera-t-il en 2005.

A 15 ans, il rejoint l’Association britannique de recherche sur les ovnis. Mais les élucubrations des autres membres heurtent son esprit analytique. « Ils préféraient croire que prouver », dit-il. Dans le milieu des fans des petits hommes verts, une théorie récurrente veut que les autorités américaines dis­si­mu­lent l’existence des extraterrestres. Gary soutient que c’est pour en avoir le cœur net qu’il s’est lancé dans le piratage de haut vol. Quand il trouve un ordinateur top secret trop facile d’accès, il laisse un mot : «Votre système de sécurité est nul.» En 2000, il démissionne de son emploi de responsable informatique d’une petite entreprise pour se consacrer à son obsession, huit heures par jour, sept jours sur sept.

Après son arrestation, quand il entend prononcer les mots «extradition» et «prison américaine», Gary est terrifié. Ses avocats axent sa défense sur son image de gentil «nerd», de passionné d’informatique un peu à côté de ses baskets. Tout comme Gary et sa famille, ils n’ont jamais entendu parler du syndrome d’Asperger. Mais une interview du hacker à la télé alerte un médecin. Un groupe d’experts examine alors Gary et confirme le diagnostic. Parmi eux, le Pr Simon Baron-Cohen, directeur du Centre de recherche sur l’autisme à l’université de Cambridge. Il reconnaît chez Gary la « vision tunnel », fréquente chez les patients Asperger : «Dans leur quête de vérité, ils ne voient pas les conséquences sociales potentielles de leurs actes, pour eux comme pour les autres.» Un séjour en prison serait dévastateur, prévient le professeur. La National Autistic Society prend aussi la défense de Gary et s’appuie sur son cas pour souligner l’importance de la détection du syndrome chez l’adulte.

Mais Gary ne fait pas l’unanimité chez les «Aspies». Aux Etats-Unis notamment, des voix se font entendre pour souligner que la condition de Gary n’efface pas sa faute. «Ce n’est pas une excuse, reconnaît Janis. Mais devons-nous laisser extrader un adulte vulnérable et le laisser purger soixante-dix ans de prison pour avoir cherché des ovnis ?» Ceux qui soutiennent Gary – comme le chanteur Sting, Boris Johnson, le maire de Londres, et une vingtaine de députés – demandent qu’il soit jugé en Grande-Bretagne. En sept ans de bataille, Gary McKinnon a épuisé tous ses recours. Sa dernière chance : un réexamen de la demande d’extradition par la Haute Cour à Londres, les 9 et 10 juin prochain.

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