Il nous a fallu 15 ans pour savoir qu'Elise est autiste déclare un couple de parents
article publié dans 24 heures.ch
Témoignage : A la veille de la Journée mondiale de l’autisme, le 2 avril, un couple de parents raconte le chemin de croix de leur fille, 18 ans aujourd’hui, livrée à l’impéritie psychiatrique.
Les Boudou, qui s’occupent intensément d’Elise au point de se reprocher de ne pas consacrer suffisamment de temps à Max, son jeune frère, se prennent à rêver d’une guérison prochaine. Et à 10 ans, alors qu’elle se trouve à Lavigny, Elise, qui est traitée aux neuroleptiques depuis un an, démontre en effet de telles capacités intellectuelles que son retour à l’école normale devient une évidence.
L’évidence, néanmoins, se transforme en cauchemar. A Borex, où elle est scolarisée en VSB, Elise ne parvient toujours pas à s’intégrer et la cruauté de ses camarades, qui vont jusqu’à uriner sur son matériel scolaire, ne connaît pas de limites. «Elise vit un martyre mais le montre à peine, s’accroche avec un courage hors normes et parvient à achever sa scolarité obligatoire avec succès», raconte sa maman, dévastée d’émotion. En septembre 2013, elle entre au Gymnase de Nyon. Si elle éprouve des difficultés dans certaines matières comme le français, l’économie et le droit, elle flambe en maths. La classe la rejette, et ses parents se disent qu’Elise, décidément, ne parvient pas à comprendre le monde où elle vit.
La psychiatre, qui oppose invariablement une «psychose infantile» aux questions et aux doutes du couple, en rejetant ne serait-ce que l’évocation d’un éventuel autisme, augmente les doses de médicaments. La forme d’Elise décline peu à peu. En été 2014, à la veille des vacances familiales, la jeune fille s’effondre brutalement et demande elle-même à être hospitalisée. Au CHUV, l’Unité d’hospitalisation psychiatrique pour adolescents (UHPA) qui la prend en charge propose aux parents de changer des médicaments. Ils acceptent. Après une semaine, toutefois, l’état d’Elise est catastrophique: tête basse, elle rase les murs comme un fantôme. Les médecins vont jusqu’à évoquer l’hypothèse d’une schizophrénie. Appelée sur son portable, sa psychiatre depuis onze ans prétexte une fête de famille pour couper court.
Quelques jours plus tard, alors que Fabrice et Natalie Boudou s’apprêtent à ramener leur fille à la maison, ils croisent le patron du service, revenu de vacances: «A vrai dire, leur lance-t-il, il me semble que votre fille souffre plutôt du syndrome d’Asperger.» Elise ne serait donc pas atteinte de «psychose infantile», mais bien d’autisme, ce qui est une autre paire de manches.
Tests inadéquats
Pour en avoir le cœur net, les Boudou demandent à la nouvelle psychiatre d’Elise de la soumettre à des tests. Elle commence par refuser, puis accepte devant leur insistance. Méfiant, le couple contacte une autre praticienne pour savoir ce qu’elle pense des tests proposés par sa consœur. La réponse est limpide: ils sont totalement inadéquats pour le dépistage du syndrome d’Asperger. En novembre dernier, une pédopsychiatre lausannoise, spécialiste des troubles neurodéveloppementaux, teste enfin la jeune fille et diagnostique un syndrome d’Asperger irréfutable.
Aujourd’hui, Elise, 18 ans, remonte lentement la pente, bénéficie d’une thérapie comportementale cognitive, d’un coach au sein du Gymnase de Nyon et travaille avec un logopédiste. Introvertie et peu démonstrative comme tous les Asperger, elle témoigne néanmoins d’une ouverture nouvelle à l’égard de ses parents, qui ont retrouvé, comme ils le disent dans un sourire désarmant de bonheur, «un sens et les moyens pour guider Elise». Il a fallu quinze ans de souffrances pour qu’un médecin leur montre le bon chemin. (24 heures)
(Créé: 16.03.2015, 07h36)D’origine biologique, l’autisme est un trouble neurodéveloppemental qui se manifeste précocement chez l’enfant. Les affections qui le caractérisent – et que la communauté scientifique a regroupées sous le terme de troubles du spectre autistique (TSA) – peuvent être d’intensité variable. Les difficultés des personnes autistes se manifestent notamment dans les interactions sociales et la communication verbale ou non verbale. Le syndrome d’Asperger, lui, est une forme d’autisme sans déficience intellectuelle ni retard de langage. La Suisse compte chaque année plusieurs centaines (entre 500 et 800) naissances d’enfants souffrant de TSA. Selon l’Office fédéral des assurances sociales, l’augmentation des cas est de 10% par an.
Marie-Jeanne Accietto ne mâche pas ses mots: «En matière d’autisme, il existe des outils de diagnostic et des méthodes éducatives reconnues sur le plan international. La Suisse, sous l’emprise de théories psychanalytiques obsolètes, ne les utilise pourtant pas».
Devant ce qu’elle considère une inertie des pouvoirs publics et du corps médical, la présidente de l’association Autisme Genève a dénoncé la situation au Comité des droits de l’enfant de l’ONU, qui s’est déclaré choqué et a adressé à la Suisse, le 4 février dernier, une série de recommandations sur la détection et la prise en charge de l’autisme. «Notre pays souffre d’un déficit de formation et de compétences. Les psychiatres et les psychologues refusent le plus souvent d’utiliser les outils à leur disposition pour le diagnostic précoce des troubles du spectre autistique (TSA), et continuent d’évoquer des pathologies, comme la «psychose infantile», que la communauté scientifique a bannies depuis longtemps, précise Marie-Jeanne Accietto.
Avec la France, nous sommes le dernier pays à privilégier l’approche psychanalytique dans le cadre de l’autisme, alors que l’on sait qu’il relève des neurosciences.» Directrice du nouveau Centre cantonal de l’autisme, lancé à Lausanne il y a cinq mois sur le site du CHUV, le professeur Nadia Chabane, diplômée en neurosciences de l’Université Harvard et ancien médecin à l’hôpital parisien Robert-Debré, ne dit pas autre chose: «Ce que la famille Boudou a traversé est malheureusement un cas classique. Des milliers d’autres parents ont vécu un drame analogue, et je suis d’accord avec le constat de Marie-Jeanne Accietto, que je connais, souligne-t-elle. Néanmoins, les choses commencent à bouger, et depuis mon arrivée à Lausanne, je n’ai pas senti de frein ou de réticence à la nécessité de former les médecins, les psys et les éducateurs aux nouvelles méthodes de diagnostic, de prise en charge et d’accompagnement des enfants atteints de TSA. Quoi qu’il en soit, le centre dont je viens de prendre la direction va bien évidemment fonctionner à l’unisson des standards internationaux.»