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"Au bonheur d'Elise"
5 août 2015

La colère d'une mère courage

Maylis Haegel
Mardi, 4 Août, 2015
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Francine Bajande
Laetitia a décidé d’attaquer en justice les carences de l’État 
dans la prise en charge du handicap mental de son fils Karl.

« Ne vous inquiétez pas, Madame, votre enfant rentrera en maternelle sans problème », lui disait-on. Elle, elle le voyait bien, pourtant, que Karl n’était pas comme les autres enfants de son âge. Mais les médecins n’en démordaient pas. Alors, à trois ans, son petit est allé à l’école. Son hyperactivité est rapidement ingérable pour la maîtresse, qui ne le tolère plus dans sa classe. Après avoir fait nombre de maternelles en Île-de-France, toutes refusant un enfant hyperactif, Laetitia jette l’éponge. Pour Karl, ce sera l’école à la maison. « Il sait lire, écrire et compter, dit-elle aujourd’hui. Il s’intéresse à énormément de choses, il aime les musées. » Mais Laetitia ne le doit qu’à son propre effort.

« Ils voulaient l’envoyer 
à l’hôpital en camisole de force »

Après quelques passages en hôpital de jour, Karl intégrera, entre six et treize ans, un institut médico-éducatif (IME). Une structure réservée aux enfants et adolescents atteints de handicap mental. Mais, là encore, la prise en charge, non spécifique à l’autisme, est totalement défaillante. Peu à peu, Laetitia voit la personnalité de Karl changer, il devient de plus en plus violent. Un jour, elle se rend discrètement aux abords de l’IME. Elle aperçoit Karl dans la cour, enfermé dans un carton avec cinq enfants assis dessus… « Pendant ce temps, les éducateurs, qui me répétaient ne pas comprendre pourquoi Karl devenait violent, buvaient tranquillement le café dans le réfectoire ! » se souvient Laetitia, en larmes. Elle finira par retirer Karl de l’IME en cours d’année : « Ils voulaient l’envoyer à l’hôpital en camisole de force si je ne le mettais pas sous Tercian, un neuroleptique de la catégorie des phénothiazines prescrit par le psychiatre de l’IME afin de l’assommer. »

À quinze ans, Karl rejoindra finalement l’Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique de Sevran (Seine-Saint-Denis). Une structure qui accueille enfants et adolescents présentant des difficultés psychologiques et des troubles du comportement. Une prise en charge à minima qui s’interrompt à la majorité de Karl. Sans solution, Laetitia décide de faire passer des tests à son fils dans un hôpital spécialisé dans l’hyperactivité à Bordeaux… qui les renvoie vers un médecin versaillais. Le diagnostic tombe enfin : « Madame, votre fils est autiste. » Il aura fallu attendre les dix-neuf ans de Karl pour savoir. Presque deux décennies perdues, sans traitement adéquat.

Aujourd’hui, Karl a vingt-six ans. Il passe quelques heures par jour dans un Centre d’initiation au travail et aux loisirs (CITL). « C’est un lieu d’accueil ouvert à toutes les personnes handicapées inaptes au travail, mais, encore une fois, pas spécialisé dans l’autisme, précise Laetitia. J’ai écumé toutes les structures pour dénicher celle qui correspond à mon fils, mais je n’ai toujours pas trouvé… » Et comme beaucoup de familles d’autistes, elle a dû arrêter de travailler. « J’ai besoin d’énormément de temps pour m’occuper de mon fils. Il n’est pas autonome. »

En février 2014, Laetitia a décidé de porter plainte contre l’État. Depuis deux ans, elle est aidée par l’association Vaincre l’autisme qui mène désormais le combat sur le terrain judiciaire. Avec un premier succès. Le 15 juillet, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État français à verser des dédommagements allant de 13 164 euros à 70 000 euros à sept familles, dont deux ont dû envoyer leurs enfants en Belgique, faute de place en établissement spécialisé en France. Le verdict va faire boule de neige, espère M’Hammed Sajidi, le président de Vaincre l’autisme. « Une quarantaine de plaintes ont été engagées et plus d’une centaine de familles supplémentaires se sont manifestées. » Le gouvernement n’a pas fait appel, reconnaissant, par la voix de sa secrétaire d’État aux Personnes handicapées, Ségolène Neuville, le « retard historique » de la France en la matière. Malgré le troisième plan autisme, lancé il y a deux ans, il reste encore près de 6 300 places à créer.

Sur le fond, « il faut arrêter les lobbies de psychiatres, l’enfant n’est pas un porte-monnaie », s’insurge Laetitia. Son souhait ? Que son fils bénéficie de la méthode A.B.A., conformément aux recommandations de la Haute Autorité de santé qui défend les méthodes « comportementales ». Mis en place dès le plus jeune âge, ce traitement, qui consiste à habituer l’enfant à répéter des gestes, peut porter ses fruits, veut croire Laetitia. Mêler à du « job coaching », elle espère qu’un jour Karl « pourra travailler ». Mais le coût de toutes ces méthodes reste très élevé – quelque 2 500 euros par mois - et le remboursement est nul, l’État ne les reconnaissant pas. Pour Laetitia, une indemnisation en justice, palliant l’absence de prise en charge publique, est donc cruciale. Au bout de ces années de souffrance, elle garde pour Karl un souhait très simple : « Une auxiliaire spécialisée qui l’aiderait à intégrer un service où il travaillerait à temps partiel. » La seule manière, selon elle, « pour qu’il se sente enfin accepté et intégré ».

« Il n’est pas autiste, il a juste une psychose. » Ce discours, Laetitia l’a entendu pendant des années. Cette mère célibataire, qui a décidé de porter plainte contre l’État pour « carence » de prise en charge, a vécu le long calvaire des parents d’enfants autistes. Absence de structure adaptée, obligation de lâcher sa carrière… À cinquante et un ans, Laetitia a tout connu. À commencer par la difficulté de faire reconnaître le handicap mental de son garçon.

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