Ségolène Neuville, médecin, est secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Elle détaille les axes du troisième plan Autisme.
Les stratégies d’intervention précoce, dont le modèle de Denver pour les très jeunes enfants (ESDM), ont démontré leurs bénéfices. Où en est leur développement en France ?
Les interventions précoces et leur préalable, le diagnostic précoce, sont inscrits dans les recommandations de la Haute Autorité de santé de 2005 et de 2012, et font partie des axes forts du troisième plan Autisme 2013-2017. Les professionnels d’excellence, soit une dizaine d’équipes en France, doivent maintenant diffuser ces nouvelles approches, former leurs pairs… Fin octobre, je vais les réunir, ainsi que des spécialistes européens, car je souhaite que nous devenions leader dans ce domaine de l’intervention précoce. Pour cela, il faut aussi encourager la recherche, montrer que la France a pris le virage, que nos chercheurs et professionnels peuvent innover en matière d’interventions. Ceux qui publient seront ainsi reconnus internationalement et dans notre pays. Des études épidémiologiques sont aussi nécessaires. En France, les données manquent dans le domaine de l’autisme, comme du handicap en général. Or, c’est un prérequis pour la mise en place des politiques publiques. Une cohorte de 1 600 enfants et adolescents avec des troubles autistiques, en cours de recrutement en Languedoc-Roussillon, permettra d’en savoir plus sur leur trajectoire.
Je comprends l’impatience des parents pour accéder aux interventions précoces, dont les résultats suscitent d’énormes espoirs pour leurs enfants. La révolution est en marche dans l’autisme, mais prend du temps. D’ici deux ans, le paysage aura déjà complètement changé.
Concrètement, comment se réorganise le système pour favoriser les prises en charge précoces ?
Le diagnostic précoce nécessite d’abord une formation des professionnels de santé, et pas seulement des hyperspécialistes, car cela créerait un effet entonnoir. Il faut que les professionnels de la petite enfance et du social bénéficient d’un minimum d’enseignements, pour repérer les premiers signes de l’autisme chez de jeunes enfants. Des formations initiales et continues dans ces métiers sont prévues dans le plan Autisme, et nous nous assurons que le programme est respecté dans les écoles, les universités…
Quant aux centres ressources autisme (CRA), qui sont en quelque sorte des centres experts, notamment pour le diagnostic, ils semblent hétérogènes dans leur fonctionnement. Ils font l’objet d’une évaluation par l’Inspection générale des affaires sociales, et un nouveau décret va préciser leur organisation et leurs missions.
Les équipes de soins en pédopsychiatrie ont aussi un rôle à jouer. Mais elles doivent s’adapter aux nouvelles recommandations. Des inspections sont d’ailleurs prévues par les agences régionales de santé. Le plan Autisme prévoit d’ouvrir de nouveaux services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) pour les jeunes enfants, sur tout le territoire. Jusqu’ici, ces dispositifs étaient réservés aux plus de 6 ans.
Pour le volet scolaire, l’objectif est d’une unité d’enseignement de sept places en école maternelle dans chaque département, pour des formes d’autisme sévère. Soixante ont déjà ouvert. Ce dispositif complète l’ensemble des modalités de scolarisation existantes pour des enfants autistes.
Enfin, nous souhaitons développer des plates-formes où des professionnels libéraux (psychologues, psychomotriciens…) viendront faire des vacations, sans coût pour les familles. Actuellement, faute d’autre solution, beaucoup d’enfants sont accompagnés par des professionnels libéraux. Mais les prestations sont à la charge des familles, ce qui est une énorme injustice.
Les interventions précoces sont coûteuses en personnel. La France peut-elle faire face aux besoins ?
Le facteur financier ne devrait pas être bloquant. Sur les 205 millions d’euros alloués au troisième plan Autisme, 71,4 millions ont été prévus pour des ¬interventions précoces, et 25 millions engagés. En ce qui concerne les Sessad, seulement 3 des 25 millions fléchés pour leur développement ont été dépensés. Il reste donc des budgets pour financer des projets. Le problème récurrent auquel on se heurte pour ouvrir de nouveaux services est plutôt celui de la formation des professionnels.
Tous les enfants autistes n’ont pas besoin d’un accompagnement de vingt heures par semaine, notamment après un premier programme d’intervention précoce intensif. Les besoins sont très variables, quelques heures hebdomadaires peuvent suffire. Dans tous les cas, la guidance parentale fait partie intégrante des interventions précoces. Les professionnels sont là pour montrer la voie, mais les parents ont un rôle essentiel.