C’est donc le dernier rapport, rendu public, par le ministère des Affaires sociales et de la Santé. Et il est sur la prise en charge de l’autisme en France. Tout un symbole, tant le sujet est délicat, complexe, et porte son lot d’incompréhensions et de douleurs.

Le bilan (1), – établi par l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) sur le troisième plan autisme 2013-2017 –, est mitigé. Il y a certes un peu de mieux, tant le retard français était important, mais il reste beaucoup de lacunes, en particulier pour les adultes.

Le poids des conflits passés

En France, la prise en charge de l’autisme a été, on le sait, longtemps marquée par des clivages profonds entre ceux qui voient dans ce trouble la manifestation d’un handicap, et ceux qui mettent plutôt en avant l’aspect psychique. Aujourd’hui, aux yeux de tous, il s’agit d’un trouble du neurodéveloppement qui apparaît très précocement, dans les toutes premières années de la vie. Il se manifeste par des difficultés à établir des liens sociaux, mais aussi par des troubles comportementaux plus ou moins sévères. Tout le monde considère que les causes sont multifactorielles, certains insistant néanmoins sur l’importance du facteur génétique. Récemment, on a pu voir que des médicaments anti-épileptiques comme la Dépakine, prise au cours de la grossesse, pouvaient provoquer ce type de troubles chez l’enfant.

Premier rappel que fait l’Igas: les données épidémiologiques sont faibles, la Haute Autorité de santé parlant d’une fréquence de 1 sur 150 naissances, ce qui ferait que pour les moins de 20 ans il y aurait en France autour de 100 000 personnes atteintes. C’est beaucoup, mais ce n’est pas une croissance folle, comme certains le répétaient. Second constat, la prise en charge est délicate, douloureuse, et souvent très inégalitaire selon les lieux d’habitation des personnes concernées. En plus, le rôle des familles, pourtant essentiel, reste parfois compliqué par des rapports difficiles avec les professionnels de santé.

De fait, dans l’analyse du troisième plan qui va de 2013 à 2017, l’Igas met en cause la faiblesse de la cohérence générale du schéma: en raison de connaissances épidémiologiques très réduites, la mission note «une multiplicité de mesures peu priorisées, aux effets difficilement mesurables». La gouvernance générale «ne prévoit pas l’association de toutes les professions concernées, comme les médecins généralistes, les neurologues, les psychologues» etc. Quant au pilotage au niveau régional, il a été rendu difficile par les réorganisations territoriales. En d’autres termes, l’élaboration des politiques publiques manquait de clarté à leur plus haut niveau de responsabilité.

Parcours éclaté, orientation hasardeuse

Mais là n’est pas le plus grave. Le plus inquiétant restant ce constat: l’éclatement des prises en charge de l’autisme, avec «des résultats très hétérogènes». Pourtant, il avait été défini dans le plan un triptyque: repérage, diagnostic simple, et diagnostic complexe. Aujourd’hui, note l’Igas, c’est le désordre. On échoue «à mettre en œuvre un repérage des troubles du neurodéveloppement en proximité». Puis: «Les parcours des familles demeurent très heurtés dans un paysage éducatif, sanitaire, social et médico-social éclaté.»

Quand on entre dans le détail de la prise en charge, l’Igas s’étonne «du non-lien entre le diagnostic et l’intervention précoce. Les enfants ne bénéficient pas toujours de l’orientation la plus appropriée». La mission pointant «des fonctionnements cloisonnés» et s’alarmant de l’existence de très longues listes d’attente dans les prises en charge. Au final, on arrive souvent à une orientation «qui ne tient que trop peu compte des réels besoins de l’enfant, ni de ceux de sa famille», et cette orientation «relève plus souvent d’une orientation par défaut». Les parcours restent marqués ensuite par des ruptures nombreuses.

En matière de scolarisation – question essentielle –, si la mission pointe des avancées, «une proportion importante d’enfants avec autisme n’est scolarisée que durant un temps hebdomadaire limité». Il y a eu beaucoup d’intentions affichées, note l’Igas, mais «la mission constate peu de résultats concrets». Bref, cela reste la galère pour les parents d’enfants autistes, même s’il y a la volonté affichée de mettre de la cohérence et du suivi.

Pire, sur le front des autistes adultes, le constat reste, là, très négatif. «Les réalisations [de structures d’accueil, ndlr] sont non seulement très en retard et insuffisamment diversifiées, mais elles sont très éloignées des attentes des familles.» Ces dernières sont souvent contraintes de se rendre à l’étranger (notamment en Belgique) pour trouver des places d’accueil. Ou encore: «La méconnaissance des besoins des adultes n’a pas permis la construction d’une politique innovante et cohérente», tant sur le volet travail que logement. «Le rôle des familles est mal pensé», et on attend toujours «des mesures plus importantes».

Un défi pour le prochain président

Au final, devant l’élaboration d’«une politique publique aussi complexe», l’Igas conclut sur les indéniables progrès dans la prise en charge chez l’enfant, mais note que chez l’adulte la situation demeure honteuse. Elle insiste, dans le cadre d’un éventuel quatrième plan, sur l’urgence «de mieux intégrer l’autisme dans la politique générale du handicap». Une bonne idée, mais encore faudrait-il qu’il y ait une politique forte affichée sur le handicap en France.

Ce sera en tout cas un des défis pour le prochain président de la République. Faut-il noter que lors du débat de mercredi, Emmanuel Macron avait fait de ce point une priorité. Déclarant «ne plus vouloir de personnes vivant en situation de handicap qui soient sans solution», s’engageant «à créer tous les postes d’auxiliaires de vie scolaire pour que les jeunes enfants en situation de handicap puissent aller à l’école», et «les postes et les structures pour que les enfants, en particulier les jeunes autistes, n’aient plus à aller à l’étranger pour pouvoir être en centres, lorsqu’ils sont obligés de l’être». Et de conclure: «Ce sera l’une des priorités de mon quinquennat parce qu’aujourd’hui il y a des dizaines de milliers de nos concitoyens qui sont sans solution, livrés à eux-mêmes, à un quotidien auquel on n’apporte aucune réponse. Aucune !» Promesses, quand tu nous tiens…

(1) Rapport établi par Claire Compagnon, Delphine Corlay, et Gilles Petreault

Eric Favereau