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"Au bonheur d'Elise"
16 juin 2017

Psychanalyste : un job « facile », « pas compliqué »

11 juin 2017
Par Blog : Le blog de Jacques Van Rillaer

Freud a maintes fois écrit que sa méthode était facile à apprendre et à pratiquer. La théorie élaborée par Lacan à partir de celle de Freud a fait croire à l’extrême difficulté du savoir analytique. En fait, quand bien même cette théorie apparaît comme une discipline occulte, la pratique, disait Lacan, «ce n’est pas compliqué» et il ajoutait : «on fait comme si on savait quelque chose».

Freud a commencé sa pratique de thérapeute par l’hypnose. En 1896, il évoquait la difficulté de faire se ressouvenir les sévices sexuels refoulés, condition nécessaire et suffisante de la guérison de l’hystérie. Il écrivait: «Les malades ne racontent jamais ces histoires spontanément, ni ne vont jamais dans le cours d'un traitement offrir au médecin tout d'un coup le souvenir complet d'une telle scène. On ne réussit à réveiller la trace psychique de l'événement sexuel précoce que sous la pression la plus énergique du procédé analyseur et contre une résistance énorme, aussi faut-il leur arracher le souvenir morceau par morceau» [1]. Quelques années plus tard, les souvenirs «arrachés morceau par morceau» deviendront des souvenirs spontanément racontés par des femmes «hystériques». Freud racontera alors qu’il a été victime de leurs fantasmes [2]

Influencé par sa patiente la baronne Anna von Lieben — qui fut pendant six ans sa principale patiente et source de revenus —, Freud a développé sa propre méthode: laisser le patient libre de dire tout ce qui lui passe par la tête et lui fournir des interprétations quand cela apparaît opportun. Les résultats n’avaient rien d’exaltant mais, à l’époque, la grande majorité des confrères ne faisaient guère mieux.

  1. Freud a déclaré sa méthode facile
  2. Les principes de l’analyse freudienne
  3. Des anecdotes significatives
  4. La somnolence rémunérée
  5. Lacan : grand artisan de l’occultation de la facilité de la technique
  6. Les aveux de Lacan in fine
    freud-technique-oc

Freud a déclaré sa méthode facile

James Strachey, ami fidèle de Freud et traducteur de ses œuvres en anglais, écrit dans le volume de la Standard Edition qui rassemble les écrits techniques : «La relative rareté des écrits techniques de Freud, ainsi que ses hésitations et les délais de leur production, suggère une certaine répugnance de sa part à publier ce type de matériel. [...] Au-delà de toutes les discussions sur la technique, Freud n’a cessé d'insister sur le fait qu'une authentique maîtrise dans ce domaine ne pouvait s'acquérir que par l'expérience clinique et non par des livres» (XII, p. 82).

Si Freud a peu écrit sur sa technique, c’est simplement parce qu’elle n’est pas compliquée. Lui-même l’a reconnu à maintes reprises. En 1900, il écrit que l’interprétation des rêves est facile si on utilise sa méthode des associations libres : « Il n'est pas très difficile de retirer la garde qui veille aux portes de la raison, comme dit Schiller, et de se mettre dans l'état d'auto-observation sans critique. La plupart de mes malades y arrivent dès le premier essai, moi-même je le fais facilement, surtout si j'écris toutes les idées qui me viennent, ce qui est un grand secours » [3].

En 1904, Freud rédige, pour un ouvrage sur les compulsions, le court chapitre : “La méthode psychanalytique de Freud”. Il écrit que «la tâche de la cure est de supprimer les amnésies, […] de rendre l’inconscient accessible à la conscience» et précise: «La technique de la psychanalyse, une fois qu’on l’a apprise, est beaucoup plus facile à pratiquer qu’il n’apparaît à la description» [4].

L’année suivante, dans le célèbre cas de Dora: «Chacun peut soumettre ses propres rêves à une investigation analytique, et la technique de l'interprétation du rêve est facile à apprendre d'après les indications et les exemples que j'ai donnés » [5]. — «Interpréter les rêves, extraire les pensées et souvenirs inconscients des idées incidentes du malade, et autres pratiques traductives du même ordre, cela est facile à apprendre» [6].

En 1912, dans un article sur la technique, Freud définit sa règle de l’"attention flottante" : «Cette technique [la psychanalyse] est très simple. Elle récuse tous les moyens auxiliaires, comme nous le verrons, même la prise de notes, et consiste simplement à ne vouloir porter son attention sur rien de particulier et à accorder à tout ce qu'il nous est donné d'entendre la même “attention en égal suspens” [gleichschwebende Aufmerksamkeit], selon la dénomination que j'ai déjà employée. On s'épargne de cette façon un effort de l'attention que l'on ne pourrait d'ailleurs pas maintenir quotidiennement des heures durant, et l'on évite un danger qui est indissociable de l’attention intentionnelle. En effet, du moment où l’on tend intentionnellement son attention jusqu'à un certain degré, on commence aussi à sélectionner parmi le matériel offert ; on fixe tel morceau avec une acuité particulière et on en élimine en revanche un autre, en suivant dans cette sélection ses attentes ou ses inclinations» [7].

L’année suivante, dans un autre article technique, il précise l’énorme avantage du dispositif divan-fauteuil : «Je tiens ferme à ce conseil de faire s'allonger le malade sur un lit de repos, alors qu'on prend place derrière lui de façon à n'être pas vu de lui. Cet aménagement a un sens historique, il est le reste du traitement hypnotique à partir duquel la psychanalyse s'est développée. Mais il mérite d'être maintenu pour de multiples raisons. D'abord pour un motif personnel, mais que d'autres peuvent bien partager avec moi. Je ne supporte pas d'être dévisagé par les autres huit heures par jour (ou plus longtemps). Comme pendant l'écoute je m'abandonne moi-même au cours de mes pensées inconscientes, je ne veux pas que mes mimiques procurent au patient matière à interprétation » [8].

La même année, il affirme l’existence d’un pouvoir dont chacun dispose pour psychanalyser : «Tout être humain possède dans son propre inconscient un instrument avec lequel il est en mesure d’interpréter les manifestations de l'inconscient chez l’autre» [9].

En 1925, il répète une fois de plus la facilité de sa méthode : « Le travail analytique est un art de l'interprétation [Deutungskunst], dont certes le maniement requiert pour le succès doigté et pratique, mais qui n'est pourtant pas difficile à apprendre [unschwer zu erlernen] » [10].

Les principes de l'analyse freudienne

L’analysant couché sur un divan dit tout ce qui lui passe par la tête. C’est «la règle fondamental ». L’analyste, à l’abri de son regard, écoute en état d’attention flottante. Les interventions classiques de l’analyste freudien sont les suivantes.

a) Émettre des marmottements, indiquant à l’analysant qu’il dit des choses jugées significatives ou qu’il est écouté. Smiley Blanton a bien décrit leur effet dans le journal de son analyse : «Je suis frappé par une certaine façon qu’a Freud de produire un son avec son gosier — une sorte de grognement, d'exclamation non verbale —, de modulation en somme, destinée à manifester son accord ou sa sympathie au patient, mais sans gêner son flux associatif» [11].

b) Mettre en relation des paroles de l’analysant avec des événements (réels ou imaginés) de son passé. Par exemple, Dora raconte qu’elle a été énurétique « vers 7 ou 8 ans pendant un certain temps ». Freud en déduit illico qu’elle s’est alors masturbée, car « mouiller ainsi son lit n'a pas de cause plus vraisemblable que la masturbation » [12]. Notons que Dora a nié énergiquement cette activité, mais pour Freud ce n’est là qu’une dénégation, donc une preuve.

c) Décoder des symboles. Ainsi, « l'araignée, dans le rêve, est un symbole de la mère, mais de la mère phallique dont on a peur, si bien que l’angoisse devant l’araignée exprime l’effroi devant l'inceste avec la mère et l'horreur devant l’organe génital féminin » [13]

d) Décrypter des « mots-ponts » (Wort-Brücke). Par exemple, l'Homme aux rats se dit un jour qu'il est trop gros (zu dick) et essaie de maigrir. Interprétation de Freud : son rival s'appelle Richard et est parfois surnommé Dick. En essayant d'être moins «dick», il tue inconsciemment son concurrent [14]. Ce type de décodage a été abondamment utilisé par Lacan, qui parle de «décomposition signifiante» et disait : «J’attache énormément d’importance aux jeux de mots. Cela me paraît la clé de la psychanalyse» [15]. Selon sa « théorie de la suprématie du Signifiant», l'Inconscient est régi par les propriétés phonétiques des mots en tant que tels, plutôt que par les significations auxquelles les mots renvoient. Dès lors, la pratique psychanalytique s'apparente à un jeu de calembours, un jeu facile à la portée de tous et qui fonctionne à tous les coups. Quand le patient dit «ne me prenez pas au mot», on interprète qu’il refuse de se reconnaître «homo».

e) Rester silencieux, ce qui fait comprendre à l’analysant qu’il reste «en surface», qu’il «résiste» à parler «vrai».

Si l’analysant s’oppose à une interprétation, l’analyste y voit ipso facto une « résistance » dû à un refoulement inconscient. Si l’analysant est mécontent du traitement, l’analyste n’y voit qu’un reproche adressé à quelqu’un d’autre, par exemple le père ou la mère : « II ne peut faire aucun doute pour nous [kann uns nicht zweifelhaft sein], écrit Freud, que les sentiments hostiles envers le médecin méritent le nom de “transfert”, car la situation de la cure n'est certainement [gewiss] pas un facteur suffisant pour rendre compte de leur apparition » [16]. Si des éléments de la théorie analytique peuvent s’opérationnaliser de manière à les confirmer ou les réfuter, les interprétations durant la cure sont irréfutables au sens poppérien [17]. Toute objection est «résistance» à la «vérité» de l’«Inconscient» et n’a pas droit de cité dans le réel. L’analyste a toujours le dernier mot.

Notons encore que le contenu de beaucoup d’analyses est largement constitué de simples bavardages qui n’aident en rien à résoudre de véritables problèmes, quand il y en a. Marion Mari-Bouzid, qui a fait des interviews approfondies d'enfants de psychanalystes français réputés, donne ce joli exemple : « Mon père ne voulait pas changer les configurations du cabinet parce qu'il disait : “Si je change la configuration du cabinet, mes patients vont encore passer un quart d'heure à me dire : Vous avez changé le vase, vous l'avez mis à la place de ça, tiens j'aime mieux, tiens j'aime moins... enfin bref, ils vont passer encore...”. Et c'est vrai. Et moi, j'ai été chez mon psy dernièrement, et il a viré des plantes vertes (rit) et je lui ai dit : “Je suis désolée de vous faire la réflexion, mais je ne peux pas m'en empêcher (rit) : Vous avez enlevé votre plante verte”, et j'étais morte de rire et il me dit “oui” et je lui dis : “Ça me fait rire parce que ça me rappelle mon père quand il changeait ses trucs dans le cabinet et il me disait : “Toute la journée je vais avoir droit à ‘vous avez changé des trucs’” et je lui dis : “Je ne sais pas le numéro combien je suis (rit), heureusement que ça n'est que le début” » [18].

Des anecdotes significatives

Henri Ellenberger, le célèbre historien de la psychothérapie, rapporte qu’au début de la Première Guerre mondiale un agent secret était venu voir Albert Moll [19], lui demandant de l'instruire de telle façon qu’il puisse, avec quelque vraisemblance, se faire passer pour médecin. Le célèbre sexologue lui répondit que c'était impossible, mais qu’il pouvait indiquer comment incarner le personnage d'un psychanalyste. Il lui apprit en quelques jours les rudiments et le jargon de la profession, et l'homme servit effectivement son pays tout au long de la guerre en exerçant sa nouvelle compétence [20].

Ernest Jones rapporte qu’en 1921 une «Maison d'édition anglaise de psychanalyse» publiait cette annonce : «Aimeriez-vous gagner 1.000 livres par an comme psychanalyste ? Nous pouvons vous montrer comment faire. Inscrivez-vous à 8 leçons par correspondance pour la somme de 4 guinées». Le fidèle lieutenant de Freud ajoute qu'il y avait à Londres, dès le début des années 1920, «des dizaines d’analystes sauvages» [21]. Au congrès international de psychanalyse de Bad-Homburg (1925), il fut décidé que l’analyse didactique par Freud ou un disciple patenté serait une condition pour être reconnu psychanalyste freudien.

La somnolence rémunérée

Il y a très peu de métier où l’on peut gagner sa vie en sommeillant ou en dormant pendant une partie du travail. C’est le cas de la psychanalyse. En fait, si l’assoupissement est excusable, il n’en montre pas moins que l’action de l’analyste peut se réduire à très peu de chose sans (trop) déranger l’analysant. Exemples :

Dans le compte rendu de son analyse avec Freud, Abram Kardiner rapporte : «On savait à Vienne que Freud me parlait et cela suscitait une certaine curiosité, tant et si bien qu'un jour j’eus l’honneur de recevoir une invitation de James Strachey et John Rickman à venir prendre le thé. [...] Rickman me dit : “Je me suis laissé dire que Freud parle avec vous.” — “Oui, répliquai-je, il me parle, tout le temps.” Ils dirent : “Et comment faites-vous ?” [...] Tous les deux dirent d'un commun accord : “Freud ne dit jamais un mot”. Rickman ajouta : “Je le soupçonne de dormir. En fait, je sais qu'il dort, parce que je sais ce qu'il faut faire pour le réveiller. J’arrête tout simplement de parler et au bout de quelques instants de silence Freud sursaute en me disant : “Oui... oui... continuez, je vous prie”. Je lui ai même dit un jour : “Ce que je disais n'était pas très important, Herr Professor, vous pouvez vous rendormir”» [22].

La même pratique se retrouve par exemple chez Lacan, comme en témoigne Jean-Guy Godin, qui deviendra analyste lacanien : «Il paraissait sommeiller, somnoler, ouvrait un œil, murmurait son “alors.., bien cher?” et accompagnait d'un regard pesant presque soucieux, inquiet, le trajet de l'intrus, tournant à peine sa tête posée sur sa main comme sur un axe ; son “très bien... c'est épatant... à d'main” arrêtait la séance ; “j' vous revois quand” appelait une réponse qui, une fois enregistrée, lui faisait reprendre cette somnolence apparente. Elle s'arrêtait comme par hasard, régulièrement à un point précis de mon trajet du retour : juste devant ce coin de table où — c'était convenu — je posais le prix de la séance. Il levait la tête, son œil retrouvait un éclat plus vif et, de son lointain, vérifiait la matérialité du geste» [23].

Dans La Technique psychanalytique d’Edward Glover, on trouve un conseil pour contrer la tendance à l’assoupissement : «Durant les séances, l'analyste devrait prendre des notes afin de s'éviter de sommeiller, à la manière de ces femmes-analystes qui, au cours de leur travail, s'adonnent au tricot ou au croche » [24].

 

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  L'analyste lacanien Jean-Pierre Winter

  Président du “Mouvement du coût freudien”

 

Lacan : grand artisan de l’occultation de la facilité de la technique

La principale innovation technique de Lacan est la séance à durée variable, invariablement courte ou très courte [25]. Rappelons qu’en 1963 cette pratique a conduit l’Association internationale de psychanalyse à ne plus reconnaître les didactiques dirigées par Lacan. Pour continuer à former des analystes à sa guise, il a alors créé sa propre École [26].

La principale contribution de Lacan au maintien en vie de la psychanalyse est la transformation du discours freudien, parfaitement compréhensible, en discipline occultiste. (Aujourd’hui la psychanalyse reste le type de psychologie dominant que dans les pays où le lacanisme s’est diffusé : France, Argentine, Brésil). Il est arrivé à Lacan de rappeler cette évidence : «Ai-je besoin de dire que dans la science, à l'opposé de la magie et de la religion, le savoir se communique?» [27]. Lui, il a tout fait pour que le savoir psychanalytique ne se communique plus comme en science, mais devienne un mystère dont la révélation est réservée à ceux qui s’appliquent laborieusement à déchiffrer sa Parole. Son enseignement n’était pas destiné à communiquer un savoir qui puisse soulager des troubles psychologiques, il visait à lui rendre un culte comparable à celui que des dévots rendent aux gourous des sectes [28].

J’ai moi-même été pendant plus de dix ans membre d’une École freudo-lacanienne (l’École belge de psychanalyse) et j’ai passé des centaines d’heures à déchiffrer, avec mes coreligionnaires, des textes lacaniens [29]. Un événement a fait basculer ma croyance dans la "profondeur" du discours lacanien à une interrogation sur sa dose de charlatanisme. Quelques analystes de notre École avaient passé deux soirées à analyser ces deux phrases par lesquelles Lacan avait conclut une interview à la TV : « L'interprétation doit être preste pour satisfaire à l'entreprêt. De ce qui perdure de perte pure à ce qui ne parie que du père au pire » [30]. La première phrase était problématique : Freud avait mis en garde contre l’empressement à donner des interprétations au patient [31] et « entreprêt » ne figurait pas dans Le Robert. La deuxième phrase était ô combien plus problématique. Comme des croyants devant un texte sacré sibyllin, les analystes n’avaient pas envisagé l’hypothèse que l’énoncé pourrait être faux ou être de la poésie surréaliste. Le mystagogue de l’Inconscient lacanien [32] avait averti en début d’interview : « Je parle à ceux qui s’y connaissent, aux non-idiots, à des analystes supposés ». Il fallait déchiffrer sa Parole. Les interprétations étant divergentes, celui qui avait le privilège de faire son analyse chez Lacan en personne fut chargé de demander ce qu’il en était in fine. La réponse : dans le film réalisé par Sophie Robert avec quatre déconvertis de la psychanalyse, vers la 31e minute: http://www.dailymotion.com/video/x37mnmz

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    Interview de Lacan à la télévision

                 (1974)

 

 

 Je venais de lire l’analyse par Erwin Goffman des procédés de mystification du public. Cette phrase en particulier m’éclaira : "Comme le montrent d'innombrables contes populaires et d'innombrables rites d'initiation, le véritable secret caché derrière le mystère, c'est souvent qu'en réalité il n'y a pas de mystère; le vrai problème, c'est d'empêcher le public de le savoir aussi" [33].

Les aveux de Lacan in fine

Environ cinq ans avant sa mort, Lacan s’est mis à démystifier sa propre pratique. Le 26 février 1977, il déclarait : "Notre pratique est une escroquerie, bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des mots qui sont du chiqué, c'est quand même ce qu'on appelle d'habitude du chiqué. […] Du point de vue éthique, c'est intenable, notre profession ; c'est bien d'ailleurs pour ça que j'en suis malade, parce que j'ai un surmoi comme tout le monde. […] Il s'agit de savoir si Freud est oui ou non un événement historique. Je crois qu'il a raté son coup. C'est comme moi. Dans très peu de temps, tout le monde s'en foutra de la psychanalyse" [34].

En novembre, à l’occasion de l’ouverture, au Département de Psychanalyse de l'Université de Paris VIII, d’une section offrant un « Diplôme de clinique psychanalytique » après deux années de cours à raison de six heures hebdomadaires (sans obligation d'analyse didactique), Lacan s’est clairement exprimé sur la facilité de la pratique analytique : « Qu'est-ce que la clinique psychanalytique ? Ce n'est pas compliqué. Elle a une base — C'est ce qu'on dit dans une psychanalyse. En principe, on se propose de dire n'importe quoi, mais pas de n'importe où — de ce que j'appellerai pour ce soir le dire-vent analytique... On peut aussi se vanter, se vanter de la liberté d'association, ainsi nommée... Évidemment, je ne suis pas chaud-chaud pour dire que quand on fait de la psychanalyse, on sait où on va. La psychanalyse, comme toutes les autres activités humaines, participe incontestablement de l'abus. On fait comme si on savait quelque chose » [35].

L’année suivante : « La psychanalyse n'est pas une science. Elle n'a pas son statut de science, elle ne peut que l'attendre, l'espérer. C'est un délire — un délire dont on attend qu'il porte une science. On peut attendre longtemps ! Il n'y a pas de progrès, et ce qu'on attend ce n'est pas forcément ce qu'on recueille. C'est un délire scientifique » [36].

En 1979, il qualifiait la psychanalyse de « pratique de bavardage » et le psychanalyste de « rhéteur » (c’est-à-dire « orateur, écrivain sacrifiant à l’art du discours la vérité ou la sincérité » [Le Nouveau Petit Robert, 1993, p. 1981]) :

« La psychanalyse est à prendre au sérieux, bien que ce ne soit pas une science. Comme l'a montré abondamment un nommé Karl Popper, ce n'est pas une science du tout, parce que c'est irréfutable. C'est une pratique, une pratique qui durera ce qu'elle durera. C'est une pratique de bavardage. […] Le psychanalyste est un rhéteur. […] Ce que j'ai appelé le rhéteur qu'il y a dans l'analyste n'opère que par suggestion. Il suggère, c'est le propre du rhéteur, il n'impose d'aucune façon quelque chose qui aurait consistance. […] Ce qui fait le vrai et ce qui fait le faux, c'est ce qu'on appelle le pouvoir de l'analyste, et c'est en cela que je dis qu'il est rhéteur » [37].

L’année suivante, le 5 janvier, Lacan a dissout son École au motif de ne pas tomber dans le piège où s’était fourvoyé Freud : « On sait ce qu'il en a coûté, que Freud ait permis que le groupe psychanalytique l'emporte sur le discours, devienne Église ». Les analystes qui voulaient rester dans sans École devaient faire acte de candidature, Lacan se réservant de faire le tri compte tenu des « déviations et
compromissions » que son École avait nourries [38].

Pour Lacan, la Messe était dite. Pour ceux qui continueront, dans des dizaines de chapelles rivales, à se réclamer de lui, sa logomachie occultiste servira encore à dissimuler, aux yeux du public, la facilité du job d’analyste et à s’occuper sans fin des interprétations et réinterprétations de ce que pourrait signifier « quelque part » ses jeux de Signifiants.

 

lacan-libe-deces-une

 

  Les jeux de mots:

 "cela me paraît la clé de la psychanalyse" (Lacan)

 La une de Libération annonçant la mort du gourou

  (9 septembre 1981)

 

 

 —————

Toutes les citations de Freud sont extraites des Œuvres complètes, traduites aux PUF. Le 1er nombre indique le tome, le 2e la page.

[1] “L'hérédité et l'étiologie des névroses” (1896) III 117.

[2] Pour des détails sur cette contradiction, révélatrice du manque de rigueur de Freud, voir : J. Van Rillaer : “Le freudisme : un conte scientifique”. En ligne : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2347

[3] L’interprétation des rêves (1900) IV 96.

[4] “La méthode psychanalytique de Freud” (1904) VI 7.

[5] Fragment d’une analyse d’hystérie (1905) V 167 ; VI 190s.

[6] Ibidem, V 281 ; VI 295s.

[7] “Conseils au médecin dans le traitement psychanalytique”. XI: 145s.

[8] “Sur l’engagement du traitement” (1913) XII 174.

[9] “La disposition à la névrose de contrainte” (1913) XII 88.

[10] “Autoprésentation” (1925) XVII, p. 88.

[11] Journal de mon analyse avec Freud. Trad. PUF, 1973, p. 26.

[12] Fragment d’une analyse d’hystérie (1905) VI 253.

[13] Nouvelle suite de leçons d'introduction à la psychanalyse (1933) XIX 105.

[14] Freud écrit dans son carnet de notes découvert après sa mort : « Ceci est ma trouvaille et il ne sait pas l'apprécier ». Dans le texte destiné aux lecteurs, il affirme que le patient a lui-même découvert cette signification ! Pour les citations et les références, voir J. Van Rillaer, Les illusions de la psychanalyse. Mardaga, 1981 (4e éd., 1996), p. 132s.

[15] Le Triomphe de la religion. Seuil, 2005, p. 96.

[16] Leçons d’introduction à la psychanalyse (1917) XIV 460.

[17]Sur Popper et la problématique de l’immunité de la psychanalyse, voir : https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/180217/karl-popper-un-celebre-deconverti-de-la-psychanalyse

[18] Les enfants de la psychanalyse. Paris : Mon Petit Éditeur, 2012, p. 99s. Compte rendu de l’ouvrage : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1976

[19] Au début du XXe siècle, Moll était le spécialiste de la sexologie le plus connu de toute l’Europe. Son ouvrage Libido Sexualis (850 pages) publié à Berlin en 1897 a été lu par Freud. Pour des détails : Sulloway, F. (1981) Freud, biologiste de l'esprit. Trad., Fayard, 285-290.

[20] A la découverte de l'inconscient. Histoire de la psychiatrie dynamique. Éd. Simep, 1974, p. 680.

[21] La vie et l'œuvre de Sigmund Freud. Vol. III. Trad., PUF, 1969, p. 53.

[22] Mon analyse avec Freud. Trad., Belfond, 1978, p. 116s.

[23] Jacques Lacan, 5 rue de Lille. Seuil, 1990, p. 151.

[24] Trad., PUF, 1958, p. 52.

[25] Pour savoir comment Lacan analysait : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1553

[26] Pour des détails sur le véritable motif (généralement occulté) de la création de l’École lacanienne : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1825

[27] “La science et la vérité” (1965). Rééd. in Écrits, 1966, p. 877.

[28] Cette dénonciation a été faite par des élèves de Lacan : Roustang, Perrier, Récanati et alii. A titre d’exemple, celui qui fut un temps le principal représentant du lacanisme à New York : https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/210217/un-deconverti-du-lacanisme-stuart-schneiderman

[29] J’ai été l’assistant du Prof. Jacques Schotte, qui présenta son ami Lacan lors de sa conférence à l’université de Louvain en 1972. On le voit sur la vidéo à la minute 1 : https://www.youtube.com/watch?v=-HBnLAK4_Cc

[30] Télévision. Seuil, 1973, p. 72. Réédité in Autres écrits. Seuil, 2001, p. 545. Pour écouter ces phrases : http://www.youtube.com/watch?v=GbSfb8OQ-NE

[31] Freud a écrit qu’il ne faut communiquer des interprétations que « lorsque, par une préparation, le malade est arrivé lui-même à proximité de ce qu'il a refoulé » et « s'est attaché (transfert) au médecin de telle sorte que les sentiments à son égard
rendent une fuite rapide impossible » (“Ueber ‘Wilde’ Psychoanalyse”, 1910, G.W., VIII, p. 123s).

[32] L’inconscient lacanien n’est pas celui de Freud. Lacan déclare que «Freud n’avait que peu d’idées de ce que c’était que l’inconscient, mais il me semble qu’à le lire, on peut déduire qu’il pensait que c’était des effets de signifiant. Freud n'avait rien de transcendant, c'était un petit médecin qui faisait ce qu'il pouvait pour ce qu'on appelle guérir, qui ne va pas loin» (“L’insu que sait de l’une-bévue, s’aile a mourre” [sic], Ornicar? Bulletin périodique du champ freudien, 1978, 14, p. 5).

[33] La mise en scène de la vie quotidienne. Trad., Minuit, 1973, vol. 1, p. 71.

[34] Le texte n’a été publié que 4 ans plus tard : “Propos sur l’hystérie”. Quarto [Supplément belge à La lettre mensuelle de l’École de la cause freudienne], 1981, n° 2. Réédité en partie dans Le Nouvel Observateur, sept. 1981, n° 880, p. 88).

[35] “Ouverture de la section clinique”. Ornicar ?, Bulletin périodique du champ freudien, 1977, 9 : 7.

[36] “L'insu que sait de l'une-bévue s'aile a mourre”, Op. cit., p. 9.

[37] “Une pratique de bavardage”. Ornicar ? Bulletin périodique du champ freudien, 1979, 19 : 5s.

[38] “Lettre de dissolution”. Ornicar ? Bulletin périodique du champ freudien, 1980, n° 20-21 : 10.

Deux sites pour d’autres publications de J. Van Rillaer sur la psychologie, la psychopathologie, l'épistémologie, les psychothérapies, les psychanalyses, etc.

1) Site de l'Association Française pour l'Information Scientifique:  www.pseudo-sciences.org

2) Site de l'université de Louvain-la-Neuve

1° Taper dans Google : Moodle + Rillaer + EDPH

2° Cliquer sur : EDPH – Apprentissage et modification du comportement

A la page suivante, cliquer “Oui” à : "Règlement"

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