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"Au bonheur d'Elise"
20 juin 2017

"Séparer un enfant de sa mère au prétexte de sa 'fragilité' ou de condition sociale est insupportable"

article publié dans le JDD
18h57 , le 20 juin 2017, modifié à 19h00 , le 20 juin 2017

TRIBUNE - Anne n’avait pas payé les honoraires d'orthophonie et de psychomotricité de sa fille. Le 29 mai, à Montpellier, un juge des enfants a décidé du placement de Mylena, 7 ans, atteinte de troubles dysphasiques (du langage) en s’appuyant sur un rapport défavorable de l'Aide sociale à l'enfance (Ase). Alertée par l’avocat de la mère, Olivia Cattan, présidente de l’association SOS autisme France, prend sa défense.

Olivia Cattan (à gauche) photographiée en 2011.

Olivia Cattan (à gauche) photographiée en 2011. (Sipa)

"Anne est une maman, un parent isolé comme beaucoup de femmes d’aujourd’hui. Son parcours n’a pas été facile : de petits boulots en petits boulots avec un ex petit-ami qui ne donne pas de nouvelles. Son rayon de soleil, c’est sa fille Mylena, une petite princesse comme elle l’appelle, âgée de 7 ans à peine. Anne lui consacre ses jours et ses nuits, elle lui consacre toute sa vie. Mylena aurait pu être autiste, c’est ce que des médecins avaient d’abord pensé mais elle est dysphasique. Anne a passé beaucoup de temps à chercher la meilleure éducation pour elle. Voilà pourquoi elle avait décidé de la mettre dans une école privée, de lui faire suivre des séances d’orthophonie et de psychomotricité. Elle n’a pas été soutenue dans ses démarches parce que l’information et le soutien que l’on rencontre lorsque l’on a un enfant handicapé en France est difficile à trouver. Et les prises en charge sont rares et hors de prix.                                                                

"Le parcours de beaucoup de ces mères seules est compliqué" 

Le parcours de beaucoup de ces mères seules est compliqué avec toutes ces démarches à entreprendre auprès de la Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), ces dossiers fastidieux à remplir... Alors on court, on ne fait pas toujours les choses dans les temps parce que les informations manquent et que s’occuper quotidiennement d’un enfant handicapé est épuisant, et qu’il n’y a aucun répit. Anne faisait tout ce qu’elle pouvait, se débattait avec les difficultés quotidiennes puisant toute son énergie dans l’amour qu’elle vouait à sa fille. Mais voilà, un grain de sable s’est glissé dans la machine : une personne a fait un signalement, estimant que cette maman n’était "pas apte à gérer le handicap de sa fille", et le rouleau compresseur de la justice a été lancé…

Le 9 mai, à Montpellier, un juge des enfants a ordonné une mesure d’investigation éducative puis une enquête a été diligentée. Et sans disposer de preuves étayant une quelconque maltraitance, l’Aide sociale à l'enfance a rendu un rapport défavorable préconisant un placement de la fillette. La magistrate a considéré qu’au regard des troubles de l'enfant, "le non-paiement de ces séances serait un manquement suffisant à la mesure d'assistance éducative". Elle en a conclu que cette mère était inapte à s’occuper de sa fille et qu’il valait mieux les séparer. Elle a ordonné le placement assorti d’un droit de visite hebdomadaire. Une décision contestée en appel par l’avocat de la mère, Me Marc Gallix. Pour lui, "le dossier est vide, à part quelques factures impayées de séances d’orthophonie et de psychomotricité".

"Etre "fragile" n’implique pas que l’on ne puisse pas s’occuper de son enfant"

Anne n’aurait rien d’autre à se reprocher que quelques dettes, ce que tendent à confirmer les témoignages favorables du médecin de famille ou de la nouvelle directrice de l’école dans laquelle Myléna avait parfaitement bien réussi son intégration. Alors certaines personnes, comme moi, qui croient en la justice de notre pays, penseront que la machine ne se déclenche pas ainsi et qu’il est impossible que l’on retire un enfant à sa mère, juste pour quelques factures impayées ou pour un statut, pourtant devenu si courant, de mère célibataire. Mais, pour avoir été alertée par d’autres avocats sur différentes affaires, j’en viens aujourd’hui à me demander pourquoi la plupart d’entre elles concernent des foyers monoparentaux. Les services sociaux de notre pays penseraient-ils qu’une mère seule est incapable de s’occuper de son enfant handicapé, surtout lorsqu’elle ne travaille pas? Mais comment trouver un emploi quand on a un enfant handicapé? Arrache-t-on aujourd’hui un enfant à sa mère parce qu’elle n’a pas trouvé le temps ou l’argent nécessaire pour régler quelques factures?

Je m’interroge sur le regard qui est porté aujourd’hui dans notre pays sur les mères, et plus largement sur les femmes. Outre le sexisme, les violences qui leur sont faites, faudrait-il être mariée ou sous l’autorité d’un homme pour être déclarée "apte" à élever un enfant handicapé ? Une mère qui s’arrête de travailler pour se consacrer à son enfant serait-elle coupable parce que jugée "trop en fusion avec sa fille" comme certaines personnes ont pu le susurrer à l’oreille de Me Gallix? J’aimerais dire à tous ceux qui pensent cela que ces fameuses mères "en fusion" n’existent pas. Et que cette expression sexiste et d’un autre temps devrait être bannie définitivement des cabinets médicaux et des prétoires parce que ce cliché est insupportable et qu’il est préjudiciable. Nous portons nos enfants 9 mois dans nos entrailles, ils se nourrissent de nous, parfois encore pendant de longs mois après leur naissance. Alors il est normal de les aimer de façon charnelle et instinctive. Et lorsqu’un handicap les touche, notre instinct nous pousse à les protéger encore plus. Cela s’appelle l’amour maternel.

Qu’il soit impératif de protéger les enfants de mères maltraitantes, c’est un fait, mais séparer un enfant d’une mère au prétexte de sa "fragilité" ou de sa condition sociale, cela est insupportable. Le traumatisme qui en résulterait pour l’enfant serait bien trop profond et aurait des conséquences terribles. Etre "fragile" n’implique pas que l’on ne puisse pas s’occuper de son enfant.  Etre précaire n’empêche pas une maman d’aimer. Alors Mesdames et Messieurs les juges, ne condamnez pas la vulnérabilité de ces mères qui se battent au quotidien. Soutenez-les plutôt en vous rappelant la force et le courage que ces femmes doivent avoir, aujourd’hui en France, pour élever seules un enfant handicapé."

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