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"Au bonheur d'Elise"
11 août 2017

Autisme : "J'ai été diagnostiquée Asperger à 33 ans. Avant, je croyais être folle"

article publié dans le Nouvel Observateur

Autisme : "J'ai été diagnostiquée Asperger à 33 ans. Avant, je croyais être folle"Diagnostiquée autiste Asperger tardivement, Marie a subi harcèlement et racket lorsqu'elle était une enfant "bizarre" pour les autres (photo d'illustration). (FREDERICK FLORIN/AFP)

L’autisme touche trois garçons pour une fille, mais certaines associations et études pointent la difficulté à déceler les troubles du spectre autistique chez les filles. Diagnostiquée tardivement, Marie témoigne.

Alors que la concertation du quatrième plan autisme s'est déroulée début juillet, des études scientifiques affirment que l'autisme – touchant davantage les hommes que les femmes – serait en réalité sous-diagnostiqué chez les filles. S'exprimant de façon différente chez les petits garçons et les petites filles, il serait moins décelable chez ces dernières car elles adoptent mieux les attitudes requises en société.

Âgée de 36 ans, Marie* a appris il y a seulement trois ans qu'elle était atteinte du syndrome d’Asperger, une forme d'autisme sans déficience intellectuelle ni trouble du langage. Membre de l’Association francophone de femmes autistes (AFFA), qui lutte pour sensibiliser à la spécificité de l’autisme féminin et à son diagnostic, cette mère de deux enfants, eux-mêmes atteints de troubles du comportement, raconte :

"C'est pour ma fille – autiste Asperger, comme moi –, que j'ai décidé de m'engager. Quand je la vois aujourd’hui, je me revois enfant. Je ne veux pas qu'elle subisse ce que j’ai enduré. Toute ma vie, je me suis sentie bizarre, différente. Petite, j'étais dans ma bulle. C'était moins fatigant que d'affronter le monde extérieur, ses bruits, ses sollicitations… Je passais des journées entières avec mes livres, à trier et à catégoriser ma collection de fiches sur les espèces animales.

A l'époque, le diagnostic du syndrome d’Asperger n’existait pas. Et puis, j'ai toujours su m’adapter malgré ma différence. Gamine, lorsque tout que le monde riait à une blague, je faisais semblant de la comprendre et je riais aussi. Je suis passée entre les mailles du filet. Je n'ai été décelée autiste Asperger qu’à 33 ans.

"Ton fils n'a rien, tu divagues"

C’est la découverte de l'autisme modéré de mon fils aîné, qui m'a amené à mon propre diagnostic. Très vite après sa naissance, je me suis rendu compte que quelque chose n’allait pas. Des proches m'ont dit :

"Mais il n’a rien ton fils, c'est toi qui divagues."

C'était très lourd à porter. Je me suis éloignée d'amis, de membres de ma famille. Un bébé, c'est mignon. Mais un bébé qui va mal, se tape la tête contre les murs, ça intéresse beaucoup moins. Le handicap est un fabuleux tri. J'ai perdu des proches. Mais ceux qui restent, eux, restent à vie.

J'ai alors cherché de l’aide et me suis tournée vers un centre d’action médico-sociale précoce. Très vite, les choses se sont retournées contre moi. Vous voyez l’affaire Rachel ? J'ai sensiblement vécu la même chose.

Soupçonnée de maltraitance infantile

Un signalement a été fait auprès des services de l'aide sociale à l’enfance (ASE) : on me soupçonnait du syndrome de Münchhausen par procuration, une forme rare de maltraitance infantile. A l'instar de ces mères qui inventent des pathologies à leurs enfants voire les font tomber malades pour susciter l'attention du corps médical, on me soupçonnait de vouloir rendre mon fils autiste.

On m'a reproché un regard trop fuyant – signe indéniable que je mentais –, et un manque d’empathie, assorti à de trop grandes connaissances paramédicales. On m'accusait d’être folle, et surtout, d'être une mauvaise mère.

"Si ma fille a pu être diagnostiquée, c'est parce que son frère et moi l'avons été."

Cette menace de perdre la garde de mes enfants, malgré le soutien indéfectible de leur père dont je suis aujourd'hui séparée, m'a poussée à contacter nombre de spécialistes médicaux. J'étais prête à recevoir n'importe quel autre diagnostic que celui d’un syndrome de Münchhausen par procuration. Pour une mère, il n'y a pas pire.

"Je ne suis pas un monstre"

Je me souviens très bien du jour où, quelques mois après le signalement, un ponte de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière m'a diagnostiquée. Il m'a dit :

"Vous êtes atteinte d'un trouble autistique Asperger."

J'ai pleuré. J'étais tellement soulagée.

"Ce n'est pas de votre faute", a-t-il ajouté.

Et là, on remonte le fil de sa vie jusqu’à l'enfance ; et tout s'emboîte. Lors des funérailles de ma mère, par exemple, je n'ai pas pleuré. Cela m'a été beaucoup reproché. C'était pourtant mon pilier, la seule qui ne me jugeais pas pour ce que j'étais. Pendant des années, on nous dit que c'est de notre faute, on nous enjoint à faire des efforts, mais on ne peut pas. C'est comme demander à un aveugle de voir !

Ce jour-là, je me suis dit :

"Je ne suis pas un monstre."

Trente-trois ans de ma vie trouvaient enfin une réponse.

Enfant, j'ai été qualifiée de "déficiente intellectuelle"

Toute mon enfance, j'ai senti que quelque chose n'allait pas. Dès l'école maternelle, je me faisais moquer et dépouiller. Je n’avais pas de copains, je cumulais les mauvais résultats. Mes professeurs ne me comprenaient pas. Sur les bulletins scolaires, ça donnait ça :

"Enfant très intelligente, mais Marie* est à côté de la plaque. Que se passe-t-il ?"

J'ai redoublé quatre fois. L'école a été une grosse souffrance. J'ai même été qualifiée de "déficiente intellectuelle" par un psychologue scolaire. J'étais lente, donc on en concluait forcément que j'étais limitée. Or, si les autistes Asperger ne sont pas tous des génies, ils ne souffrent d’aucun retard mental. Après avoir réalisé des tests, on a évalué mon QI à 134.

Toujours est-il que je n'étais pas autonome à 12 ans. Mon beau-père squattait devant la douche pour me contraindre à y aller. A 18 ans, j'étais incapable de prendre un bus seule. Je paniquais.

J'avais aussi des troubles alimentaires. Je pouvais passer trois heures à table à faire le hamster, des boules de viande coincées dans mes joues. Et ça avait le don d’agacer mes parents qui, démunis, finissaient par croire à de l’insolence. Je passais pour une gamine capricieuse, hyper-sensible. Des coups, j'en ai pris toute mon enfance. Cela ne justifie rien, mais sans diagnostic médical, mes parents ne pouvaient pas comprendre.

Trop sage pour être dépistée

En même temps, je parvenais suffisamment à m'adapter pour être considérée comme la petite fille modèle. Je ne faisais pas de bêtises, je ne demandais jamais à sortir et je passais tout mon temps à la bibliothèque municipale. On me demandait quelque chose ? Je le faisais sans broncher, encore aujourd’hui je ne sais pas dire "non" ni mentir.

A l'adolescence, je me suis retrouvée encore plus seule. Les filles de mon âge s'intéressaient aux garçons, se maquillaient entre elles. Moi, je m’en fichais complètement.

Je suis Asperger : ni singe savant, ni "débile mental", je m'en suis sorti. Et j'en ai bavé

Puis, il a fallu travailler. J'ai eu un poste quelques temps en agence d'intérim, avant d'arrêter à l'arrivée des enfants. Les interactions sociales sont très compliquées pour moi. J'ai du mal avec tout ce qui est sous-entendu, implicite : souvent, je comprends les choses de travers. Travailler en équipe ou passer un entretien d’embauche m’est impossible.

Où sont les petites filles autistes ?

Aujourd'hui, j'agis pour mes enfants, pour éviter que ma fille ne rencontre les difficultés que j'ai affrontées. Si elle a pu être diagnostiquée tôt et peut aujourd’hui être accompagnée à l'école d’une auxiliaire de vie scolaire, c'est parce que son frère a été dépisté avant elle, et moi aussi. Dans une famille normale, une petite fille comme la mienne n'aurait que très peu de chance d'être repérée. C'est aussi parce que j'ai une connaissance accrue de l'autisme que j'ai pu en parler, m'interroger. Dans l’école spécialisée de mon fils, on compte seulement deux petites filles autistes. Où sont les autres ? Il n'est pas normal qu’aussi peu de filles soient diagnostiquées.

"Une petite fille qui marche sur la pointe des pieds ? Elle danse !"

La connaissance de l'autisme féminin doit changer. Celui-ci est plus fin, il faut vouloir regarder pour le voir. Ma fille de 8 ans aligne tout le temps ses petites figurines animales de plastique. On va juste se dire que c’est une fillette qui adore les animaux. Mais si un garçon aligne toutes ses petites voitures, on y verra tout de suite la stéréotypie, ce rituel consécutif à une forte émotion qui permet aux autistes de canaliser celles-ci. Un garçon marchant sur la pointe des pieds ? On va s'inquiéter. Une petite fille ? Elle danse ! Si une enfant pleure ou hurle pour un rien, on pensera qu’elle est hystérique ou fait un caprice…

Même pour les garçons, ce n'est pas simple : on a toujours cette image des autistes à la "Rain Man", mais en réalité tous les autistes ne sont pas des petits génies. Certaines femmes ne se posent même pas la question car, comme ce fut mon cas, elles se sentent folles plus que petits génies ! Il faut sortir de ces stéréotypes qui font plus de tort que de bien."

Propos recueillis par Chloé Pilorget-Rezzouk

*Le prénom a été modifié

Chloé Pilorget-Rezzouk

Chloé Pilorget-Rezzouk

Journaliste

 

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