Trente ans après la création de l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés, il y a 18 % de chômeurs handicapés, deux fois plus que la moyenne nationale, et ce taux a grimpé. Pourquoi ?

En période de crise, le chômage des travailleurs handicapés est la variable d'ajustement. Leur recrutement et leur maintien dans l'emploi nécessitent du sur-mesure, d'autant plus qu'ils sont moins qualifiés. La bonne nouvelle, c'est que les syndicats de salariés et le patronat ont décidé de s'emparer de la dimension du handicap dans le dialogue social. Je les ai reçus vendredi pour une première séance de travail. C'est une grande première car jusqu'à présent les partenaires sociaux n'avaient jamais été réunis par la ministre en charge du handicap. Nous aurons aussi bientôt dans chaque ministère un haut fonctionnaire chargé de diffuser la politique du handicap.

Le gouvernement va investir dans les compétences et la formation professionnelle, avec deux plans à 15 milliards d'euros. Y aura-t-il un fléchage des fonds vers le handicap ?

Nous voulons aller vers une politique beaucoup plus incitative pour faire en sorte que les personnes handicapées, 15 % de la population, bénéficient des politiques publiques comme tout le monde. Pour cela, il faut communiquer vers l'extérieur mais aussi vers les personnes handicapées qui s'autocensurent. Il faut également lutter contre l'usure sociale : les personnes handicapées renoncent aux études supérieures, parce qu'il faut déjà se bagarrer jour et nuit par exemple pour accéder physiquement aux salles de cours.

Comment faire pour qu'il y ait plus d'apprentis handicapés ?

Seuls 2 % des jeunes handicapés sont en apprentissage, contre 7 % dans toute la population. C'est trop peu, d'autant plus qu'il s'agit d'un levier pour l'emploi particulièrement efficace pour eux.

Le taux d'emploi de handicapés dans les entreprises privées n'est que de 3,3 %, malgré une obligation légale de 6 %. Frilosité ?

Oui, les entreprises sont frileuses ! Un jour, un DRH m'a dit qu'il n'embauchait plus de handicapés car il avait eu une mauvaise expérience. Depuis quand cesse-t-on de recruter des personnes valides parce qu'une fois, ça ne s'est pas bien passé ? Quand on accueille une personne handicapée, il faut préparer son arrivée, mais en fin de compte cela profite à tout le monde. J'ai visité l'entreprise Andros en Eure-et-Loir il y a trois semaines. Elle a embauché 7 autistes non verbaux en CDI. Il a fallu aménager les postes, créer des parcours fléchés avec des pictogrammes et des signaux lumineux, installer des chariots élévateurs, améliorer le management. Résultat, la société a gagné en productivité. Et les efforts pour simplifier la compréhension des consignes ont servi à tous. C'est ainsi que l'on crée une société inclusive. Nous devons changer le regard, embarquer le chef d'entreprise dans l'embauche et le maintien en emploi de personnes handicapées. D'autant plus qu'elles vont être nombreuses à arriver sur le marché du travail car la loi de 2005 leur a ouvert l'accès à l'école ordinaire.

Mais comment persuader l'employeur ?

Il faut d'abord faire monter en qualification les personnes handicapées, qui sont deux fois moins qualifiées que la moyenne. Puis accompagner l'employeur. Nous avons déjà 1.000 « emplois accompagnés », ce n'est pas énorme, mais cette expérimentation nous permettra d'avoir un retour sur les besoins des entreprises, que nous connaissons mal. Nous voulons créer de vrais « job coaches », des accompagnateurs qui monteront en compétences au service non pas d'une personne, mais du collectif de travail.

Ne craignez-vous pas un regain de chômage chez les handicapés avec la baisse du nombre de contrats aidés et du niveau de subvention ?

Ce n'était pas une politique d'insertion durable. Il y a d'autres façons de mettre le pied à l'étrier : l'apprentissage, l'alternance, la reconnaissance de la qualité de vie au travail... Il y a trop de protections, et pas assez d'émancipation dans la gestion du handicap en France. Il faut sortir de cet enfermement.

Les deux fonds qui soutiennent l'emploi handicapé dans les entreprises privées et publiques, l'Agefiph et le Fiphfp, ne collectent plus assez d'argent pour faire face aux dépenses croissantes de compensation. Comment faire ?

L'objectif de 6 % était indispensable pour diffuser une culture du handicap, mais cela plafonne aujourd'hui. Il faut rénover la déclaration d'obligation et les quotas. Toutes les options sont ouvertes. Certains secteurs se sont mieux adaptés que d'autres, la grande distribution, par exemple, davantage que l'industrie ou le high-tech. Il faudra flécher les emplois vers la transition numérique ou écologique, la création d'entreprise. En revanche, je ne crois pas que ce soit le rôle de l'Agefiph de financer la formation, qui doit s'inscrire dans les politiques de droit commun.

Solveig Godeluck