Hélène Sester, prof de maths à l’Institut national des jeunes sourds (INJS) de Paris, et représentante de l’intersyndicale du personnel et des parents d’élèves, est écœurée. Lors du conseil d’administration de l’INJS, le représentant de la direction générale de la cohésion sociale a expliqué que l’économie ainsi réalisée devrait servir à… financer la revalorisation de l’allocation adultes handicapés (AAH). «C’est d’un tel cynisme… Piocher dans les budgets dédiés à l’éducation de jeunes en situation de handicap pour augmenter l’aide aux adultes…» Interrogé, le cabinet de la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, dément. «La baisse de 13% s’inscrit dans un plan d’économie drastique général. Il s’agit seulement d’économies structurelles, qui ne touchent pas à la qualité du service rendu par les instituts, et qui n’ont évidemment aucun rapport avec la revalorisation de l’AAH. Ils font partie de la même ligne budgétaire mais l’un ne sert pas à financer l’autre.»

«Désengagement»

Au-delà de cette question, les équipes s’inquiètent de l’avenir de ces cinq instituts nationaux (quatre pour jeunes sourds et un pour aveugles, INJA), directement sous la tutelle du ministère des Affaires sociales. Les autres établissements spécialisés pour ces publics (environ 200) sont gérés par des associations de parents et pilotés à l’échelle régionale par les agences régionales de santé. Pour l’intersyndicale, cette coupe dans le budget est un signe avant-coureur d’un vieux projet dans les tuyaux : «C’est le premier pas vers un désengagement de l’Etat. Nos instituts sont malmenés depuis quelque temps.» L’année dernière, le projet avait été mis sur la table de transférer leur financement aux agences régionales de santé. Colère des équipes et des parents d’élèves. «Pourquoi casser quelque chose qui fonctionne ? Pour faire des économies sur le dos des enfants ?» questionne, amère, Laura Catry, mère d’un enfant malentendant, scolarisé à l’INJS de Paris et membre du conseil d’administration.

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Les quatre INJS et l’INJA de Paris, qui accueillent en tout un millier d’élèves, frôlent les 100% de réussite aux examens nationaux (brevet, bac, CAP…). Idem pour les unités délocalisées dans les établissements ordinaires où sont scolarisés 6 000 enfants. «La régionalisation aura pour conséquence qu’une partie de la population sourde et malvoyante ne pourra avoir (encore moins qu’aujourd’hui) accès à la formation de son choix, car aucune région n’aura les moyens de proposer une offre complète aux jeunes sourds et aux jeunes aveugles», déplore l’intersyndicale dans un courrier adressé au Premier ministre.

«Complémentarité»

Hélène Sester explique qu’en transférant le pilotage aux régions, l’approche ne serait plus la même : elle deviendrait d’abord médico-sociale avant d’être pédagogique, comme dans les instituts nationaux. «Ce serait un retour en arrière, à contresens du discours actuel sur la société inclusive.» Elle s’indigne aussi du discours «sournois» des autorités qui, à coup de petites phrases, tend à opposer les INJ à l’Education nationale. «Evidemment que non, nous ne sommes pas en compétition, mais dans la complémentarité. Quand les enfants peuvent aller en classe ordinaire, nous sommes ravis. Mais il y a des situations où ce n’est pas encore possible, parce que certains handicaps nécessitent des moyens importants et une formation adaptée des enseignants. Mais nous sommes ouverts à la discussion sur l’évolution de nos missions. On ne cesse de la réclamer, même !»

Aujourd’hui, ces enseignants spécialisés dépendent du ministère des Affaires sociales. Ils passent un concours spécifique, et pour l’instant aucune passerelle avec l’Education nationale n’existe. Qu’il en soit créé est l’une de leurs requêtes. Et cela fait partie des questions sur lesquelles planchent les inspecteurs des affaires sociales et de l’Education, chargés de conduire un audit sur ces instituts. L’année dernière, face au tollé suscité par l’annonce de la régionalisation, le gouvernement avait appuyé sur pause, et diligenté une mission d’inspection. Les conclusions sont attendues dans les premiers mois de 2018. Du coup, l’annonce de la baisse des subventions aujourd’hui, avant les conclusions des inspecteurs, est vécue comme une trahison par les instituts.

Marie Piquemal