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"Au bonheur d'Elise"
3 mars 2019

Vienne : psychanalyse controversée, la riposte du professeur poitevin Pascal-Henri Keller

Où l'on apprend que la psychanalyse est « Une approche scientifique et rigoureuse de la vie psychique humaine. » ...

Pour ma part je préfère « Notre pratique est une escroquerie : bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des mots qui sont du chiqué, c’est quand même ce qu’on appelle d’habitude du chiqué — à savoir ce que Joyce désignait par ces mots plus ou moins gonflés — d’où nous vient tout le mal. » Jacques Lacan, 26 février 1977 (Voir l'article de Médiapart de Jacques Van Rillaer)

Plus d'infos sur Le blog de Jacques Van Rillaer

Jean-Jacques Dupuis


03/03/2019 04:55 |
Vienne : psychanalyse controversée, la riposte du professeur poitevin
Accusée de secte, de fausse science, la psychanalyse essuie de violentes polémiques. La profession monte au créneau, portée par le Pr Pascal-Henri Keller. Rencontre.

Pascal-Henri Keller

Pascal-Henri Keller, professeur émérite, université de Poitiers.
 

C'est assez rare pour être souligné. Un mois plus tôt, une tribune parue dans le journal Libération réunissait les signatures de 17 associations et écoles de psychanalyse (1) dans une posture collective afin de défendre la nature même de la discipline. A l'heure du tout « fake », le professeur émérite de l'université de Poitiers, Pascal-Henri Keller, défend un métier centenaire, partie prenante de la vie sociale, professionnelle et privée de ses contemporains.

Comment percevez-vous la psychanalyse ?

« Une approche scientifique et rigoureuse de la vie psychique humaine. Freud a de suite décelé une seconde conscience ? l'inconscient ? chez l'être humain. On en connaît les effets : nos rêves, nos lapsus, nos pulsions, etc. Le psychanalyste est alors celui qui prend la parole au sérieux, qui permet aux patients de s'écouter parler. Longtemps, des approches similaires étaient réservées à la religion et parfois à la magie. Ce qui conférait à l'interprétation des paroles un caractère soit sublimé par une vue élevée de l'esprit, soit péjoratif. Il fallait un champ d'étude pour l'approcher. »

Certains la considèrent pourtant comme une mystification?

« On sous-estime le pouvoir de la parole dans une vie humaine. Elle doit être prise dans toute sa complexité car c'est l'acte fondateur de l'existence. Nous naissons avec un acte parlé, un nom, avec lequel nous commençons déjà à nous construire. Dès lors, elle constitue l'intégralité du rapport aux autres. Que font les Gilets jaunes, si ce n'est prendre la parole sur les ronds-points pour inventer une autre société ? La méfiance envers la psychanalyse vient du fait qu'il est décevant de se rendre compte que nous sommes seulement des êtres parlants et non des êtres de performances. Une médaille d'or ne nous dit rien d'une existence. »

Longtemps, l'interprétation des paroles était réservée à la religion et parfois à la magie. 

Pascal-Henri Keller, professeur émérite, université de Poitiers

Le film de Sophie Robert, « Le Phallus et le néant », a récemment créé la polémique. Il vise à décortiquer la théorie sexuelle et sa « dimension politiquement très incorrecte. »

« Contresens absolu. Chacun est confronté à l'énigme sexuelle, à son identité « psycho sexuelle », dans le sens de notre rapport au genre. Prenez l'exemple d'un petit garçon dont le père a disparu. Le premier réflexe est de confier au grand-père le soin de lui apprendre à « pisser debout ». Nous devons comprendre le pourquoi de ces réflexes. Le scandale vient plutôt du fait de ne pas se poser la question. C'est le film Billy Eliott, cet enfant à l'entourage masculin très présent dans l'Angleterre ouvrière des années 2000 et son envie de devenir danseur classique malgré les réprobations de ses pairs. Le sexuel construit notre identité. »

C'est toute la controverse nourrie à propos de l'autisme. Certains pointent des prises en charge visant à culpabiliser les parents.

« Les reproches fustigent les travaux de Bruno Bettelheim dans les années 1960. Je ne l'excuse pas mais il a eu le courage d'énoncer certaines hypothèses, dont celle de la responsabilité de la mère, à une époque où personne ne voulait s'intéresser à l'autisme. Pourtant la construction du terme ? « auto » et « érotisme » ? nous dit quelque chose : celui qui se suffit à lui-même, sans connotation sexuelle. Aujourd'hui la profession est dans une logique de recherche pour inventer d'autres prises en charge. Les travaux autour de Préaut (2) montrent bien les bénéfices de la profession sur l'autisme. Ce qui importe, c'est le respect de l'originalité. Et la discipline en est garante. »

Face à aux gestions managériales de nos vies, les individus ne s'en sortent pas

Nous traversons une période de violence, d'incertitude, où les gens n'arrivent plus à se parler. Est-elle encore compatible avec votre discipline ?

« Elle l'est d'autant plus que la parole est de nos jours disqualifiée. L'être humain n'est plus perçu que par les chiffres et les statistiques. Nous faisons nos courses et n'avons plus affaire à la caissière pour payer. Au moment de l'orientation, nos lycéens n'ont plus que des cases à remplir sur un logiciel. Nos hôpitaux sont davantage soumis au règne de la rentabilité que de l'écoute. On entend des formules comme « gérer son stress » ou « identifier des compétences » dans lesquelles on bannit la parole qui pourtant nous donne une raison d'exister. Face à ces gestions managériales de nos vies, les individus ne s'en sortent pas. Ils se retrouvent par ailleurs, sur les réseaux sociaux, dans un besoin de parler. A minima, c'est une bonne chose, mais il faut voir aussi à quel point la parole y est dévoyée. »

Le psychanalyste Michael Larivière rapproche d'ailleurs la pratique à celui du besoin de littérature?

« Littérature et psychanalyse ont en commun l'exploration de la conscience, le fait de mettre en récit la pensée. Le rêve est d'ailleurs une création pure, originale et spécifique. Dans la séance, on fait résonner deux subjectivités qui vont ainsi échanger. Dernièrement, l'entreprise de Philippe Lançon avec son roman Le Lambeau (NDLR, récit de la reconstruction physique et psychologique du journaliste victime des attentats de Charlie Hebdo) est un exemple saisissant de la relation complexe entre littérature et psychanalyse. Le praticien se nourrit de la littérature, aussi bien de ses histoires que du danger des mots. »

La psychanalyse ne permet pas d'expliquer mais donne les clefs pour penser le phénomène

Vous évoquez des phénomènes plus contemporains auxquels la psychanalyse contribue à faire évoluer la connaissance comme la radicalisation islamique.

« L'idée du psychanalyste Fethi Benslama est de pouvoir identifier chez l'individu la parole qui " donne envie d'adhérer ". La psychanalyse ne permet pas d'expliquer mais donne les clefs pour penser le phénomène. Celui de l'isolement des jeunes, que les Japonais nomment Hikkikomori, et le moment où le parent réagit dans le sens de l'isolement. On remonte ainsi le fil de la radicalité. Chaque phénomène comporte ce que l'on appelle une « narrativité ». Celle-ci doit permettre de se projeter. C'est le fondement de la discipline. Sa visée humaniste redonne à chacun le droit de rêver. Et qu'a réellement besoin la société de nos jours, si ce n'est de rêver ? »

(1) Dont trois portant la mention " reconnue d'utilité publique ".
(2) L'Association PRÉAUT prône une prise en charge de l'autisme par la dimension thérapeutique et pédagogique.
Henry GIRARD
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