Il fait souvent très chaud à Montpellier mais en matière de pédopsychiatrie, ce que propose le CHU de la ville est une petite bouffée d’air frais. L’hôpital de Saint Eloi mise ainsi sur l’implication parentale, la psycho-éducation, et l’evidence-based pour aider les familles confrontées à un enfant particulièrement agité. Focus sur un service innovant.

Quand on est parent d’un enfant porteur d’un trouble du développement, ou au comportement difficilement gérable, la prise en charge proposée peut tout changer. Selon leur zone géographique, toutes les familles ne seront pas logées à la même enseigne. Vivre dans les environs de Montpellier peut ainsi contribuer à alléger le fardeau. Le service de Médecine Psychologique de l’Enfant et de l’Adolescent de l’hôpital Saint Eloi propose depuis dix ans un accompagnement inspiré des programmes anglo-saxons et de la littérature scientifique. La dimension « evidence-based » des suivis proposés a été renforcée avec l’arrivée dans le service du Professeur Diane Purper Ouakil. Le caractère assez disruptif de ces prises en charge relevant de la psycho-éducation, eu égard aux pratiques françaises usuelles, est saisissant.

Troubles externalisés de l’enfant : des programmes avec un bon niveau de preuves

Pour accompagner les enfants diagnostiqués avec un TDAH et leur famille, le service utilise le programme Barkley ainsi que le programme canadien « Multi-propulsion ». Les modalités sont variables : les parents peuvent s’inscrire pour un stage de deux jours, très intensif, qui constitue la porte d’entrée, une sorte de vademecum d’un programme de psycho-éducation de base. Ils peuvent aller plus loin participer à un ensemble de sessions, en groupe, où seront ajoutés des vignettes filmées ou des mises en situation. Pour les enfants avec des symptômes plus accentués et des comportements très tyranniques, l’adaptation d’un programme israélien est testé, sur les bases de la « résistance non violente ». L’équipe s’apprête désormais à expérimenter « Incredible Years », l’un des plus fameux dispositifs américains de soutien parental, afin de répondre aux besoins des familles avec des enfants plus petits (3-6 ans), donc pas encore diagnostiqués, mais présentant des symptômes de trouble. Plusieurs psychologues de l’équipe sont actuellement en cours de formation.

Lors d’un récent colloque organisé par l’ANECAMSP, Diane Purper Ouakil a livré une description très claire des objectifs et modalités des programmes standardisés qui ciblent les troubles externalisés de l’enfant (c’est à dire l’impulsivité, l’agitation, l’hyperactivité, l’opposition, la désobéissance, l’agressivité, les crises de colère). D’autres programmes, plus préventifs que curatifs, moins universalistes, vont davantage viser l’attachement et la sensibilité maternelle ou le développement cognitif de l’enfant. Mais le soutien parental avec une indication de troubles du comportement de l’enfant est celui qui rencontre le plus haut niveau de preuves.

Agressivité chez l’enfant : de la norme au trouble

« Le comportement agressif fait partie du répertoire comportemental humain », rappelait Diane Purper Ouakil en mars dernier (comme nous l’avait aussi précisé Richard Tremblay dans un précédent entretien). Il est normal chez le jeune enfant. Il connaît un pic dans la seconde année, est plus fréquent chez le garçon. Les contacts agressifs physiques entre pairs diminuent avec le temps quand se développent les compétences de communication. Pour l’opposition et la colère, l’âge d’or est entre 18 et 30 mois. Il s’agit de situations de conflit pour l’enfant entre ses capacités en développement et les limites posées par l’adulte. Chez le jeune enfant la colère est une réaction habituelle. Son répertoire d’autorégulation est limité. Il existe aussi une variabilité interindividuelle avec des différences importantes dans le registre comportemental.

Les parents constituent les premiers agents de régulation. Ils manifestent des capacités de contenance, de validation et de verbalisation des émotions. Le médecin a également posé la question essentielle : quelle est l’évolution des comportements difficiles chez un enfant de moins de six ans ? Là aussi sa réponse rejoignait celle que nous avait donnée Richard Tremblay : « On ne peut pas forcément parler de troubles. Mais 5 à 10% d’enfants restent à un niveau élevé de comportements agressifs. Ce sont ceux-là qui nécessitent une prise en charge. Les difficultés deviennent des troubles si elles dépassent l’ajustement transitoire, si l’intensité est importante, s’il y a un retentissement dans différents environnements, si elles entravent la socialisation et les apprentissages. On constate une relative stabilité développementale ; 50% des enfants identifiés à 3 ans auront des troubles à l’adolescence. »

On retrouve les difficultés externalisées dans les troubles du neuro-développement, dans les troubles disruptifs (Trouble oppositionnel avec provocation et trouble des conduites), trouble disruptif avec dysrégulation émotionnelle. Ces difficultés sont souvent associées à des troubles anxieux (peur de la séparation, retrait relationnel), à des troubles des apprentissages, du développement du langage, des TSA, des TOC, des troubles intellectuels. En tous cas, en consultation spécialisée, les trouble du comportement constituent le premier motif de recours pour les enfants d’âge pré-scolaire.
Dans ce tableau, quel rôle jouent les écrans ? « Il est certain que la gestion des écrans est une problématique qui explose, constate Diane Purper Ouakil. Elle se surajoute souvent à la problématique de départ puisque certains enfants semblent avoir des caractéristiques individuelles qui exacerbent leur appétence pour cette stimulation et que la limitation du temps d’écran peut susciter ou renforcer une opposition. La relation entre l’usage d’écrans, leur contenu et les troubles du comportement mérite de poursuivre des études longitudinales pour mieux en comprendre les enjeux et éviter les généralisations et autres attributions causales hasardeuses dans des troubles à déterminisme complexe. »

Modifier la réponse parentale pour atténuer le symptôme

Quels sont les facteurs de risque des trouble externalisés ? Les perturbations de l’environnement relationnel (liens d’attachement, qualité de la relation parent-enfant), les attitudes éducatives dysfonctionnelles, les violences familiales, la discorde familiale, la précarité, la psychopathologie parentale, les caractéristiques individuelles (sexe -les garçons sont sur représentés-, tempérament, fonctionnement cognitif, hérédité).

Diane Purper Ouakil le précisait en mars dernier : il existe des styles éducatifs à risque. Devant des comportements indésirables de l’enfant si les réponses sont imprévisibles, incohérentes, variables, cela met à mal ses capacités de régulation. L’attention du parent sur le comportement négatif est un renforçateur très puissant : c’est un mécanisme de maintien pernicieux. Le mécanisme contraire, tout céder, est délétère aussi. Le traitement vise à diminuer les facteurs de risque modifiables, à augmenter les facteurs de protection (empathie, régulation sociale, compétences physiques et cognitives…). Les programmes parentaux proposent de modifier la réponse parentale pour changer le comportement de l’enfant. Ils insistent sur la sensibilité parentale, le renforcement des comportements positifs.

Ne rien proposer à l’environnement de vie de l’enfant sera sans impact sur lui. Diane Purper Ouakil l’explique aux parents. « On leur fait comprendre qu’il est inutile de prendre un enfant en soin tout seul, qu’ils sont un ingrédient très important du changement ».
La prise en charge débute avant tout diagnostic puisque les enfants sont jeunes. Il s’agit quand même d’une intervention plus que d’une prévention puisque le symptôme, lui, est là. Diane Purper Ouakil estime d’ailleurs qu’un programme uniquement préventif, qui s’adresse à des familles qui ne sont pas encore confrontées au problème, est moins efficace. Les données de la littérature semblent lui donner raison. Il ressort des revues de littérature et méta-analyses qu’un dispositif est d’autant plus efficace que les familles participent activement et sont assidues. Or, cet engagement dépend beaucoup de la motivation très corrélée à la nécessité de résoudre une difficulté existante.

Vidéos, jeux de rôle, valorisation et encouragements

En quoi consistent les programmes d’entraînement aux habiletés parentales, dont Incredible Years? Ils aident les parents à trouver des stratégies face à des comportements indésirables en proposant une modélisation à partir de vignettes vidéo et de jeux de rôle. Cette approche repose sur les thérapies cognitivo-comportementales, la théorie de l’apprentissage social, la théorie de l’attachement, entre autres. Chaque séance est consacrée à un thème précis. Les parents échangent à partir d’une interaction filmée. « La dynamique de groupe est importante puisque les parents se stimulent entre eux, précise Diane Purper Ouakil. Les familles sont soutenues de façon bienveillante, pas interprétative. Pour un psychologue français, c’est une façon de faire très différente. L’ambiance est positive, ludique et interactive. On félicite beaucoup le parent.» Les séances en individuel servent à renforcer les progrès parentaux. Le fait d’accueillir plusieurs familles en même temps permet en plus une économie de temps.

Pour des parents qui présenteraient plus de difficultés, le service propose des prises en charge alternatives. Dans la mesure où la demande initiale émane du parent, Diane Purper Ouakil reconnaît qu’il peut être difficile de toucher les familles plus vulnérables qui seront moins pro actives dans leur demande de soins. La part de familles aisées est d’ailleurs sur représentée par apport à la composition socio-économique de la population locale. « Il serait intéressant de former des intervenants en première ligne, des professionnels de PMI ou des services sociaux», estime le médecin. Elle en est persuadée : même si les parents fragiles sont plus difficiles à mobiliser, ils peuvent avoir un rôle actif dans la prise en charge. De la même façon, elle estime que les grands principes de ces programmes sont tout à fait applicables à des populations présentant une forte diversité culturelle.

La France à la traîne

Comment expliquer que ce type de prises en charge, les seules à recueillir un bon niveau de preuves, soient encore si rares en France ? Diane Purper Ouakil énumère plusieurs freins : une fausse représentation de ce qu’est une thérapie validée réplicable, la résistance culturelle vis-à-vis de programmes essentiellement anglo-saxons, la méfiance vis-à-vis de l’évaluation. « J’ai la chance d’avoir trouvé un terrain favorable à Montpellier. Mes prédécesseurs avaient une formation attachementiste, quelques psychologues étaient formés aux TCC. La question de la relation bienveillante, de l’implication parentale, tout ça était construit. Si l’équipe avait été dans un paradigme psychodynamique l’introduction des thérapies standardisées et de la dimension evidence-based aurait probablement été moins aisée.»
Pour le médecin, il y aurait des leviers de changement qui permettraient la diffusion de ces pratiques validées. « La Haute Autorité de Santé pourrait produire des recommandations. Il existe aujourd’hui des données solides sur les interventions précoces et pourtant, en France, aucune ligne directrice sur les troubles des conduites. Il faudrait aussi agir au niveau de la formation initiale pour toucher les acteurs de terrain y compris au sein de l’éducation nationale. Aujourd’hui on ne forme que les enseignants spécialisés. Le problème c’est qu’il n’y a personne qui soit sensibilisé sur cette question au sein des ministères et qu’aucune association de parents ne porte cette problématique spécifiquement
Diane Purper Ouakil a en tous cas comme ambition de construire un programme de formation afin de permettre la diffusion de ces bonnes pratiques.