L’année 1968 marque, dans l’imaginaire français, le point de départ d’une grande révolution culturelle, dans laquelle on a coutume d’inclure l’émancipation sexuelle qui s’est ensuivie. Au cours des décennies post-68, la parole sur le corps et sur la sexualité, notamment des femmes, s’affranchit du carcan patriarcal, tandis que les pratiques sexuelles se diversifient et s’autonomisent. Cinquante ans après, les personnes en situation de handicap demeurent trop largement exclues de cette évolution sociétale souvent résumée par une devise devenue célèbre : «Jouissons sans entraves !»

La sexualité est une dimension essentielle de notre humanité. Les besoins en matière d’amour, de tendresse ou d’intimité sont universels. Aucun être humain ne peut s’affranchir de ses pulsions sexuelles. Ces évidences sont reconnues par une écrasante majorité de nos concitoyens : 96% des Français estiment que les personnes handicapées peuvent avoir une vie sentimentale, 96% pensent que ces mêmes personnes peuvent avoir une vie sexuelle et 93% qu’elles peuvent avoir des enfants si elles le souhaitent (1). Paradoxalement, il subsiste en France un tabou important concernant la sexualité. Les jeunes, d’autant plus lorsqu’ils sont touchés par le handicap, manquent d’une véritable éducation au plaisir.

L’institution doit évoluer

Le handicap constitue un frein à la vie amoureuse, à la sexualité et à la parentalité. Si les personnes évoluant en dehors du cadre institutionnel jouissent d’une relative liberté, ces questions demeurent sensibles à l’intérieur de l’institution, où deux adultes consentants peuvent difficilement bénéficier de moments d’intimité. L’environnement contraint autour de ces personnes ne favorise pas leur épanouissement sexuel. Certes, des règles existent et doivent persister. Mais l’institution doit aussi évoluer en reconnaissant aux personnes en situation de handicap – et en rendant effectif – le droit à une sexualité choisie, en cessant d’aborder ce sujet sous le seul angle de la gestion du risque.

La société est généralement en avance sur les questions liées aux droits des minorités. La récente loi sur le mariage pour tous ou la mise en place de salles de consommation à moindre risque illustrent assez bien ce type d’évolution, où réflexions éthiques et morales précèdent généralement la législation. Dès lors, comment favoriser l’émancipation sexuelle des personnes handicapées, dans un contexte où cette nécessité est largement admise par l’ensemble de la population ? Les exemples étrangers représentent souvent des sources d’inspiration. Plusieurs pays du Nord de l’Europe – Allemagne, Danemark, Pays-Bas – ont ainsi autorisé et encadrent strictement l’activité d’assistant sexuel, destinée à raviver le plaisir sensuel, érotique ou sexuel des adultes en situation de handicap qui en font la demande. Cette piste est notamment évoquée par les associations militant en faveur de la reconnaissance de l’accompagnement sexuel en France.

Pour sa part, l’Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (LADAPT) œuvre pour que la sexualité des personnes handicapées soit considérée comme naturelle. Pour que, au sein des institutions particulièrement, cette question profonde d’humanité ne se heurte plus à des tabous dépassés. Pour que les personnels ne se sentent plus démunis face aux besoins de tendresse des patients. Le festival «Ma sexualité n’est pas un handicap», que nous coorganisons du 28 au 30 juin avec le Centre de recherche et d’étude pour le droit à la santé sexuelle dans le secteur médico-social, participe de cette démarche. Cet événement portant sur l’accès, la prévention et l’éducation à la sexualité pour et par des personnes en situation de handicap, leur donne la possibilité de témoigner quant à leur vie amoureuse et sexuelle. Un autre objectif est de contribuer à faire évoluer les mentalités et les pratiques des accompagnants.

L’histoire d’une vie fait qu’elle peut subitement basculer vers le handicap. Dans une telle situation, chacun devrait continuer d’être considéré avant tout comme une femme ou un homme, avec les mêmes besoins et les mêmes désirs que quiconque, sans se voir réduit à un adjectif. La Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée par la France en 2010, stipule dans son article 23 que «les Etats-Parties prennent des mesures efficaces et appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des personnes handicapées dans tout ce qui a trait au mariage, à la famille, à la fonction parentale et aux relations personnelles, sur la base de l’égalité avec les autres […]». Notre rôle est de rappeler, sans relâche, la force de ces textes garants du vivre-ensemble.

(1) Sondage «Les préjugés des Français face au handicap» réalisé par Opinion Way pour LADAPT en octobre 2016 sur un échantillon de 1 002 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus constitué selon la méthode des quotas.

Eric Blanchet Directeur général de LADAPT