Juillet 2015 : le tribunal administratif de Paris condamne l’Etat français à verser près de 250 000 euros de dommages au profit de sept familles d’enfants autistes. Il reconnaît ainsi des graves carences dans la prise en charge de l’autisme dues à l’absence de services adaptés.
Depuis quelques années, aussi bien en France qu’en Belgique, la question de l’autisme défraie régulièrement la chronique judiciaire. La France essuie déjà plusieurs condamnations par des instances européennes en matière de violation des droits des personnes avec autisme. Bien que non contraignantes, ces condamnations ternissent l’image du pays des droits de l’homme. Mais la récente condamnation est un jugement interne qui représente un précédent aux lourdes conséquences. Des dizaines d’autres familles rejoignent la liste des plaignants pour des actions futures.
Prises en charge opposées
Sujet de débats parfois enflammés, l’autisme se révèle un véritable problème de santé publique dans le monde entier. Il est communément admis qu’un enfant sur 100 naît avec une forme plus ou moins grave d’autisme. Les statistiques américaines font actuellement état d’une naissance sur 68. Si les causes précises de l’autisme restent encore en partie non élucidées, il est accepté par la communauté scientifique internationale, ainsi que par l’OMS (Organisme mondial de la Santé), que l’autisme est un trouble précoce du développement de l’enfant, d’origine neurobiologie, affectant le cerveau et plus particulièrement les capacités de communication et de relation sociale. L’autisme résulte en un handicap permanent.
Si le consensus sur les causes et la définition de l’autisme est désormais acquis au niveau mondial, il existe néanmoins une exception française qui, sur base d’une différente interprétation de la maladie mentale, considère l’autisme comme un trouble résultant de traumatismes psychiques, archaïques, causés par des maltraitances parentales parfois aussi subtiles qu’inconscientes, voire par un retrait volontaire de l’enfant face à une situation de vie angoissante.
De ces différentes interprétations de l’autisme découlent des prises en charge parfois opposées. La Belgique francophone a suivi la France à la trace. Historiquement, l’autisme relevait du domaine de la psychiatrie. Néanmoins, notre pays présente une différence de taille : le principe de la liberté thérapeutique et, en ligne générale, de la liberté de choix des familles, s’applique davantage chez nous que chez nos voisins.
Et pour les tout-petits ?
Ainsi, depuis 25 ans, des écoles spécialisées à pédagogie adaptée ont vu le jour dans nos contrées, de même que des services offrant une prise en charge éducative. Cela n’est hélas pas suffisant : le nombre de places spécialisées disponibles dans les écoles francophones ne couvre pas les besoins de notre population. En effet, pour 11 000 enfants autistes en âge scolaire, nous comptons seulement 1 200 places, dont plus de 300 sont occupées par des Français. Les écoles réputées pour la qualité de leur enseignement ont des listes d’attente interminables.
D’autre part, c’est en amont de l’école qu’il faut intervenir, afin de donner à nos enfants un maximum de chances de fréquenter un enseignement ordinaire. Or, dans notre pays, manquent cruellement les programmes de stimulation précoce et intensive (notamment l’A.B.A. - analyse du comportement appliquée) visant la rééducation des jeunes enfants en âge préscolaire (entre 2 et 6 ans). Ces programmes ont fait leurs preuves depuis 20 ans ailleurs dans le monde et leur efficacité est démontrée. Des études validées prouvent que pour près de la moitié des enfants avec autisme, il est possible de parvenir à une amélioration très significative des symptômes et à une autonomie pratiquement optimale. En outre, les approches éducatives permettent des progrès pour toutes les personnes autistes, même les plus déficitaires, et à n’importe quel âge de la vie.
Des parents livrés à eux-mêmes…
Ces informations sont disponibles et accessibles à tous. Nombre de parents confrontés à un diagnostic d’autisme s’informent très rapidement et savent ce qu’il faut mettre en place pour aider leur enfant. Ils savent qu’une éducation appropriée permet des progrès importants et une plus grande autonomie. Surtout, ils savent que l’on peut éviter l’institutionnalisation à l’âge adulte. Le drame est que ces parents sont pour la plupart laissés à eux-mêmes, les services d’accompagnement ne pouvant pas pallier les besoins d’interventions intensives. Alors que d’autres pays, en cas d’attente, proposent des programmes alternatifs impliquant la formation des parents aux méthodes d’apprentissages, en Belgique, les familles doivent se débrouiller avec leurs moyens propres.
… et sans soutien financier
Or, on peut trouver des éducateurs, logopèdes et psychologues formés aux bonnes pratiques, mais les séances ne sont pas remboursées par l’Inami. Certains parents y consacrent dès lors des sommes énormes. Il n’est pas rare de rencontrer des parents qui vendent des bics et des nounours, qui organisent des soirées boudin, des concours de pétanque pour ramasser quelques euros à investir dans des séances de rééducation ou de formation.
Depuis des années, nous revendiquons la mise en place d’un Plan Autisme national et transversal et des services adaptés. Face aux revendications légitimes des parents et à leur désespoir, l’Etat belge fait la sourde oreille et se limite à commanditer des études dont il ne suit pas les recommandations.
Des années de palabres
A des jeunes parents confrontés au temps qui passe inexorable, les entités fédérées répondent que nous sommes en période de terribles restrictions budgétaires et qu’aucune politique nouvelle ne peut se déployer sans un consensus préalable. Cela demande donc encore des années de palabres, discussions et concertations, alors que des centaines de nouveaux diagnostics viennent augmenter chaque année le nombre d’enfants autistes et de leurs familles laissés-pour-compte. Le temps des parents n’est pas le temps du politique.
Cette condamnation de la France ouvre une perspective nouvelle, celle du droit. La Belgique a aussi été condamnée en 2013 par le Comité européen des Droits sociaux pour carence de solutions d’accueil pour les adultes handicapés de grande dépendance. Parmi eux, une bonne partie sont autistes. A la suite de cette condamnation, trois actions individuelles ont été menées avec succès dans le cadre de tribunaux belges contre l’agence flamande des personnes handicapées. Un précédent aussi dans notre pays, que nos gouvernements francophones semblent, à tort, prendre à la légère.
Aujourd’hui plus que jamais, les parents sont déterminés à faire valoir les droits de leurs enfants, ainsi que leur liberté de choix thérapeutique, en s’appuyant sur les conventions internationales ratifiées par la Belgique. Puisse le monde politique entendre la détresse de ces parents mais aussi la voix de la raison. Notre système, défaillant en matière de prise en charge de l’autisme, a produit des générations entières d’adultes autistes surhandicapés, il est grand temps d’y remédier.
Titre, introduction et intertitres sont de la rédaction.