Marie-Hélène Colaiacovo est psychomotricienne depuis 1980 au Centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), dont l’antenne longovicienne est située rue de Boismont. Elle a vu évoluer son établissement et son métier depuis une dizaine d’années. Et elle en parle.

Les chiffres

« Le CMPP de Longwy a deux antennes : une à Longuyon et une à Jarny. Et on accueille entre 200 et 300 enfants en difficulté psychique (autisme, troubles du comportement, etc.) sur les trois sites par an, âgés de 0 à 20 ans. En personnel soignant, on a été jusque 11 équivalents temps plein au total. On est aujourd’hui 6 équivalents temps plein, dont une psychologue qui va partir, une orthophoniste, alors qu’à une certaine époque nous en avions 3. Notre budget est établi par l’Agence régionale de santé, chaque acte étant remboursé par la Sécurité sociale.

Et on n’est clairement pas assez pour assurer notre mission qui ne cesse de prendre du volume. À Longwy, on a 45 enfants sur la liste d’attente, 25 à Longuyon, etc. Il faut parfois un an, un an et demi avant qu’un jeune soit suivi régulièrement.

Sans parler de nos salaires, censés augmenter en même temps que ceux des fonctionnaires, même si on n’est pas fonctionnaires. Et il y a eu un gel entre 2010 et 2017. Prétendre qu’il n’y a aucun problème de moyens est un déni de réalité. »

Le contexte

« Même le centre médico-psychologique infanto-juvénile de Longwy-Bas (rattaché à l’hôpital Maillot, lire ci-contre) est en souffrance, avec des pertes d’emplois depuis dix ans.

En résumé : dans la psychiatrie, qui était déjà le parent pauvre du soin en France, la pédopsychiatrie est en réel danger. La tendance est à la mutualisation des moyens, et à budget quasi constant un peu partout en France. Mais ça veut dire quoi quand on parle des souffrances des enfants ?

Et puis on nous demande de plus en plus de comptes rendus. Toutes les décisions se prennent sur dossier, on met les jeunes dans des cases.

Tout est évalué, quantifié, codifié. Tout passe par ordinateur. C’est la chosification de l’humain, et la déshumanisation de notre travail. Tout ça n’a pas de sens, et s’accompagne de la perte de la réflexion thérapeutique. »

Le virage

« Le virage a été pris vers 2010. Les CMPP ont été créés au sortir de la Deuxième Guerre mondiale pour aider les enfants victimes de traumatismes de guerre. On trouvait des instituteurs dans le projet de départ. Aujourd’hui, on n’a plus la notion de « pédagogie » dans l’établissement. Un exemple : le directeur administratif et pédagogique ainsi qu’une rééducatrice en psychopédagogie qui émanaient de l’Education nationale ont disparu.

Il n’y a plus de pédopsychiatre en France. On est dans l’ère des disciplines centrées et axées sur les symptômes, sans prendre l’enfant dans sa globalité, alors que le symptôme n’est que le reflet d’un mal-être profond. »

Alors qu’un des fondamentaux des CMPP était l’apport psychanalytique, celui-ci disparaît peu à peu.

Et puis…

« Tout ça dans un contexte de société où on trouve de plus en plus de problèmes psychologiques, psychogènes, individualistes, sécuritaires, anxiogènes. L’enfant est très vite sous l’emprise de la concurrence, qui empêche l’épanouissement. Et les médicaments sont censés régler les problèmes. Le lien social n’existe plus, et c’est le plus dramatique. »

Sébastien BONETTI