Discours d’ouverture du Congrès Autisme France 9 décembre 2017
Monsieur le Directeur-adjoint de l’ARS Nouvelle Aquitaine, parents militants et professionnels engagés à nos côtés, personnes avec autisme, amis de notre cause, bienvenue au congrès d’Autisme France 2017.
Depuis cinq ans, j’avais pris l’habitude de commencer mon discours par Madame la Ministre, mais cette année, pas de ministre. Cependant, nous vous diffuserons la vidéo faite à votre intention, elle ne nous oublie donc pas. Mais une présence physique eût été un signe plus fort, surtout en plein plan 4. Nous l’éplucherons à la loupe, le futur plan 4. Après 3 plans qui n’ont tenu que partiellement leurs promesses, tout le monde l’a bien compris : le droit à l’erreur, c’est fini. Tout le monde sait ce qu’il faut faire : diagnostiquer massivement, soutenir massivement les familles, refondre toutes les formations initiales et contrôler la qualité des services. Alors, faisons-le. Ensemble, professionnels, familles, administrations. Nous n’admettrons pas que pour échapper aux implications financières, législatives et administratives que le courage politique devrait impliquer en matière d‘autisme, le sort de nos enfants, les plus maltraités du champ du handicap, continue à être passé à la trappe ou soumis à des lobbies obscurantistes dont ne voulons plus. Donc, non, diluer l’autisme dans un vague ensemble troubles neuro-développementaux n’est pas acceptable, surtout sans recherches validées pour aller dans ce sens, rétablir la notion de soins, dont on sait bien ce que certains vont en faire, ne l’est pas non plus. Il y a des professionnels et des familles qui se sont battus pour que les recommandations s’appellent interventions et pas pseudo-soins. On ne soigne pas l’autisme, on donne aux personnes autistes la possibilité de vivre de la manière la plus autonome et la plus respectueuse possible de leurs particularités, le plus possible au milieu de tous. Et non, l’autisme n’est pas pluriel, il est un, avec des profils très variés et des niveaux de sévérité très différents. Laissons résolument la recherche scientifique continuer ses avancées, et les catéchismes, leur place, est au musée.
L’année 2017 a été très difficile pour les familles. Nous trouvons tous que les mauvais coups se sont encore accumulés contre nous. J’avais fait au congrès précédent la liste des violences subies par les familles et je peux hélas la reprendre telle quelle : refus de diagnostic, diagnostic erroné ou tardif, CRA inaccessibles et pas toujours compétents, mise en cause rapide de la scolarisation dans de nombreux cas, orientation abusive en IME, refus d’accorder des heures d’AVSi, guerres entre HDJ et CRA qui font leur travail correctement, dont les familles font les frais, abandon total des adultes, psychiatrisation abusive, mainmise sidérante de la psychanalyse sur les cursus de formation….La liste n’est même pas exhaustive.
Les acquis du plan 3 sont pour certains menacés et des mesures emblématiques sur lesquelles familles, professionnels, cabinet ministériel et administrations avaient travaillé, (les associations c’est toujours à leurs frais bien sûr), ont été abandonnées sans explication. Par exemple, une certification en formation continue pour les travailleurs sociaux, abandonnée après 18 mois de travail collectif, un audit des établissements de formation en travail social (pourtant savoir que seuls 14% de ces établissements diffusent des connaissances actualisées en autisme aurait mérité une suite, ne pensez-vous pas ? Au demeurant, je salue la compétence des 14% qui s’efforcent depuis plusieurs années de prendre au sérieux leur travail de formation en autisme), un DPC autisme pour les professionnels de santé, un site autisme lui aussi à l’abandon, une mesure spécifique ASE et autisme que nous avions arrachée et que tout le monde a laissé tomber : c’est pour moi le plus grand des scandales. Plus de comité de suivi du plan 3 depuis février et ma demande d’en réunir un n’a pas été suivie d’effet. A la trappe, le plan 3, alors que 21 mesures sur 39 n’ont jamais vu le jour, que le chantier de la formation n’a pas été entamé, ni celui du contrôle de l’argent public. Il n’y a plus aucun pilotage public autisme depuis février et c’est dramatique : chacun se croit autorisé à défendre sa chapelle, ses croyances, ses intérêts, et les combats en interne ont repris. Mettre à mal ainsi le travail de deux ministres qui ont fait un travail considérable n’est ni respectueux de leur travail, ni surtout de bon augure pour les familles sacrifiées à un consensus mollasson qu’on essaie de nous vendre.
Soyons cependant positifs. Nous nous réunissons toujours à nos congrès pour nous redonner collectivement confiance en nos compétences partagées, et continuer à les développer ensemble. Cette année, nous souhaitons rendre hommage aux professionnels qui font avancer la société inclusive aussi pour nos enfants, à tout âge.
A vrai dire, notre ministre aurait dû rebondir sur cette thématique qui lui est chère depuis toujours. Je ne vois en effet rien à redire au virage inclusif mis en avant par le nouveau gouvernement, et je sais que la nouvelle présidente de la CNSA, Mme Montchamp, que je salue, va aussi prendre ce virage à cœur et à bras le corps. Mais je ne voudrais pas qu’on oublie les interventions spécifiques qui sont dues aux personnes autistes, comme le rappellent la loi, en l’occurrence le Code de l’Action Sociale et des Familles, et un grand nombre maintenant de recommandations de bonnes pratiques, situation tout à fait inédite dans le champ du handicap. La société inclusive pour l’école, le logement, le travail, le sport, dans l’autisme aussi c’est possible, et des associations la mettent en œuvre, résolument, pour le plus grand bénéfice de tous, personnes concernées, professionnels, environnement social. C’est ce que nous avons choisi de vous montrer, grâce aux professionnels qui ont accepté d’intervenir sur ces thématiques.
Il ne faut pas oublier cependant que l’autisme coûte cher, en France comme partout. Les personnes les plus vulnérables n’ont pas à faire les frais d’une gestion strictement comptable de l’argent public. Il y a eu beaucoup d’erreurs de faites dans l’autisme, beaucoup d’argent gaspillé, et il faut mettre fin à ce scandale d’Etat, mais il y a eu aussi beaucoup de travail accompli dans des services dédiés et compétents, beaucoup d’efforts pour actualiser les connaissances et les savoir-faire, et toutes ces compétences doivent être préservées. Est prévue une mission sur la qualité de vie des professionnels du médico-social : nous commençons toujours par la qualité de vie des résidents, bien entendu, et c’est une évidence, mais il est tout aussi essentiel que les professionnels qui nous aident soient reconnus, soutenus, formés en permanence, aidés quand c’est nécessaire, et d’abord par une supervision technique.
Nous pouvons aussi nous attacher aux avancées de cette année. La prise en compte du DSM 5 dans de nombreux documents et le vocabulaire qui en découle. Déficience intellectuelle cède la place à trouble du développement intellectuel dans un ensemble de troubles neuro-développementaux qui comprend les TSA, les troubles spécifiques des apprentissages, le TDAH, les troubles de la communication, les troubles moteurs. Voilà qui devrait tordre le cou définitivement aux thèses préhistoriques, enfin espérons-le.
Depuis décembre 2015, existe une instruction autisme aux ARS, dont l’annexe définit les critères de qualité attendus : il s’agit d’un travail associatif collaboratif. Nous avons milité pour que ce travail soit suivi de la construction d’une certification autisme dans le champ médico-social pour l’ensemble des établissements et services. Les ARS ont impérativement besoin d’un outil de contrôle de la qualité, pour défendre la qualité attendue, évidemment, et nous espérons que ce chantier soit porteur d’espoir et remercions Handéo et tous ceux qui vont s’y impliquer pour leur énergie et leurs compétences.
La Cour des Comptes va rendre son rapport sur le coût de l’autisme à l’Assemblée Nationale : nous le souhaitons sans concessions. Les recommandations de bonnes pratiques pour les adultes vont bientôt sortir, ainsi que les recommandations diagnostiques actualisées pour les enfants. L’ANESM a produit un travail considérable autour des comportements-problèmes et de l’accès aux soins somatiques : encore merci, Djéa, pour ton implication sans relâche au service des plus vulnérables. Nous serons aussi vigilants à ce que la spécificité médico-sociale ne soit pas sanitarisée dans l’absorption de l’ANESM par la HAS. Nos enfants ne sont pas des objets de soin, ils sont des sujets de droit, et l’auto-détermination c’est aussi pour eux.
Il existe depuis avril 2016 un guide autisme MDPH fait par la CNSA, toujours avec le concours actif des associations, mais visiblement, les MDPH ne l’ont toujours pas lu, et nous invitons les familles à l’avoir sur elles pour défendre leurs droits : être obligé de se battre en permanence pour le minimum : une place à l’école, un AVS, un accompagnement, devoir aller au TCI, parce que la MDPH a décidé dans votre dos autre chose, trouver en urgence un diagnostic ou un bilan (aux frais des familles bien entendu) parce que la MDPH vous met le couteau sous la gorge, et se permet d’accepter ou non un diagnostic, c’est le quotidien des familles. Notre service de protection juridique, en permanence sollicité, témoigne de ces difficultés, même si ici ou là, nous saluons les initiatives de quelques MDPH : notifications sur 2 ou 3 ans, pour les AVS, plusieurs années pour l’AAH ou la Carte d’Invalidité. Petit à petit, l’exigence de bon sens et d’un meilleur service rendu à l’usager font timidement leur chemin.
Les familles ont cru voir la fin de leurs malheurs avec l’annonce des pôles de compétences externalisés ; en effet la quantité et la qualité de l’offre médico-sociale est notoirement inadaptée. Listes d’attente de 3 ou 4 ans en SESSAD, ou en IME, tellement monstrueuses en FAM ou MAS qu’il vaut mieux se taire, et je ne parle pas des SAVS ou SAMSAH, tellement rares que les doigts des deux mains suffisent pour les compter. Il reste à faire pour que les ARS comprennent ce que les familles attendent de ces pôles, c’est-à-dire le financement des libéraux qu’elles recrutent et paient de leurs poches. Je salue à cet égard l’investissement de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes et celui de l’ARS Nouvelle Aquitaine, qui se lancent les premières dans ce chantier, avec les moyens du bord, et ils sont modestes, mais qui ont vu la révolution à accomplir pour répondre à ces besoins essentiels et non pourvus. Les MDPH l’ont anticipé à leur manière, et je pense à celles qui se sont proposées pour êtres les pionnières de l’action « Une réponse accompagnée pour tous ». Mais nous ne sommes pas dupes de ces bricolages et en tout cas, il est absolument essentiel que les personnes autistes, toutes les personnes autistes, aient droit à un parcours accompagné en fonction de leurs projets et de leurs besoins.
Enfin nous attendons que l’article 38 de la Loi Santé qui encadre strictement l’isolement et la contention en psychiatrie, dont sont largement victimes les adultes autistes, soit mis en œuvre, de même qu’un document de la HAS pour rappeler que ces pratiques ne sont que de derniers recours : le document de la HAS cite les personnes autistes (un quart du public accueilli en HP depuis plus de 5 ans, ce qui fait froid dans le dos) pour inspirer d’autres pratiques de prévention des troubles et violences. Encore faudrait-il que la loi soit appliquée. Merci à l’ARS Bretagne d’avoir complété son état des lieux autisme médico-social par un état des lieux dans le sanitaire.
Et je termine par le plus grave. C’est la quatrième année consécutive que j’évoque devant vous le scandale intolérable des signalements abusifs à l’Aide Sociale à l’Enfance et des placements qui peuvent s’en suivre.
C’est tous les jours que nous recevons des appels au secours pour des situations toujours identiques : diagnostic non posé, refus d’un CAMSP ou d’un CMP de le poser, maintien d’une demande de diagnostic de la famille, souvent monoparentale, qui cherche à joindre un CRA, et la terreur de la dictature du système se met en route : dénonciation de la famille aux services sociaux, demande de placement, accusation de Syndrome de Münchhausen par procuration (zéro occurrence dans le monde pour l’autisme et les chercheurs ne lancent pas une étude pour cette spécificité purement française ?), familles traînées dans la boue, qui cherchent désespérément un avocat que la plupart du temps elles n’ont pas les moyens de payer, justice aux ordres de l’ASE qui n’a même pas le courage de se donner les moyens de lire correctement un dossier et de rendre la justice. Juger au nom du peuple français (c’est-à-dire nous,) en saccageant des familles innocentes, en détruisant des enfants, en les privant des soins dont ils ont besoin, indéfiniment, nous ne pouvons pas l’accepter.
Vous n’avez pas pu venir, Madame la Ministre, eh bien c’est très dommage. Partout est mis en évidence que l’autisme est une locomotive grâce à l’action des associations, mais aussi grâce à l’implication des professionnels qui mettent énergie et compétence à innover, toujours mieux répondre aux besoins, et partager leurs savoirs avec les familles, elles-mêmes reconnues comme expertes. Servez-vous donc de cette locomotive pour faire avancer la cause du handicap : toutes les personnes handicapées vous en remercieront. Soyons tous fiers, professionnels et familles, de notre locomotive autisme.
Merci à tous ceux qui ont porté le congrès 2016 : les intervenants, notre charismatique modérateur, Djéa Saravane, notre conseil d’administration, notre secrétariat, Eugène Urban qui assure la technique depuis de nombreuses années et que je remercie tout spécialement, ainsi que son épouse, Marie-Claude, ancienne présidente d’Autisme France, Frédérique Glory qui a conçu l’illustration graphique et tous les bénévoles qui assurent la logistique de cette rencontre annuelle.
J’avais en 2012 rendu hommage à un adulte autiste mort en HP de manière peu digne, en 2014 à un rescapé de 22 ans en HP, dont 16 passés en Unités pour Malades Difficiles, en 2016 à 4 enfants, Aymeric Woimant et les trois enfants de Rachel.
Cette année, je dédie ce congrès à deux grandes dames qui nous ont quittés : Evelyne Nové que tout le monde connaissait et qui a tant donné à Autisme France pour défendre la cause des enfants et adultes. Sylvie Brylinski qui a co-présidé le groupe de pilotage des recommandations adultes, et lui a donné son éthique et son immense respect pour les plus vulnérables. Elle n’aura pas vu la validation de son travail par les deux agences qui l’ont porté mais le jour où les recommandations sortiront, c’est à elle que nous penserons.
Je finirai par Rachel, encore et toujours. Pas de plan 4 tant que ses enfants ne lui seront pas rendus. Toutes les familles victimes de l’Aide Sociale à l’Enfance sont emblématiques du scandale français : incompétence pour diagnostiquer, arrogance des incompétents qui masquent leur incompétence sous la violence exercée sur des familles vulnérables, lobby des associations du champ de la protection de l'enfance qui ont tout intérêt à maintenir le système, cynisme de tous les acteurs qui se lavent tous les mains des destructions qu’ils organisent sciemment, des souffrances des familles, des droits violés. Je vous lis le dernier message de Rachel :
« Petit point sur la situation.
Petits appels à l'école et au collège, sans réponse à mes questions, je ne saurais vous dire ce qu'il en est.
Petit rdv Aide Sociale à l'Enfance.... Ah non, excusez-moi, il n'y en a pas eu encore, depuis juillet...(un rdv tous les six mois, surtout juste avant une audience).
Une à deux personnes au téléphone ; ouf ma ligne fonctionne encore !
Autour de moi le silence, le téléphone se fait désespérément silencieux et je tente d'encaisser toutes ces promesses non tenues.
Autisme rime avec trouble de la communication et des interactions sociales : alors beaucoup de personnes non autistes n'ont pas eu leur diagnostic.
Je veux que cela évolue, je veux du mouvement. Je veux mes enfants avec moi pour les week-ends au minimum. Je veux de la considération en tant que maman, en tant que personne. Avant d'être des enfants atteints de troubles divers et variés, ce sont des enfants. Avec leur personnalité, leur sensibilité et caractère propre à eux. Je n'ai plus aucun libre arbitre. Envolée la liberté, je veux la récupérer. La seule chose que je contrôle c'est mon alimentation.
Petite fille souriante, gentille, si proche de moi, pleine de joie de vivre. Aujourd’hui distante, fermée, loin de moi. Nos parties de Triomino avec tisane me manquent À la dernière audience, la situation lui convenait et elle n'a pas demandé de retourner à la maison. Je dois vivre avec cela depuis 5 mois....J'ai perdu ma fille, un fossé s'est creusé.
Petit chat aux yeux pétillants, remplie de joie de vivre... Nos petits rituels du soir, terminés. Les petits massages se sont envolés. Je ne vois plus mon fils passer discrètement dans le salon voler des bonbons pour manger dans son lit. Aujourd’hui, je guette le moindre petit geste à espérer, un câlin une fois tous les 15 jours.....
Petite crevette d'amour qui rigolait aux éclats dans la maison, qui me volait des bisous à volonté. Aujourd’hui je te vois en colère et triste. Je suis si démunie face à ta souffrance. Plus aucune complicité, envolée...
Le lien est brisé, perdu par trois années de combat. Je lance cette bouteille à la mer, un appel, un SOS, un morceau de vie brisée, prenez le comme vous voulez ... Ma confiance n'est plus de ce monde, dans les larmes je me noie à vous écrire ces quelques mots. Comment surmonter l'insurmontable ? Comment continuer le combat d'une vie fatiguée ? Trop d'années ont passé loin de mes trois papillons. Les visites sont devenues un enfer. J'assiste impuissante à la perte de ma famille. Mon corps ne suit plus, ma vie ne suit plus…Je demande juste un petit espoir auquel me raccrocher, mais qui ne vient pas .. Détruite je suis, détruits sont mes enfants."
Alors, pour la énième fois, face à la cruauté et la violation systématique des droits des enfants et de leurs familles, l’inertie du Défenseur des Droits, pourtant sollicité, la lâcheté collective face à l’incompétence scandaleuse de certaines ASE, qu’on laisse sans aucun contre-pouvoir broyer des familles innocentes, Justice pour Rachel.
Danièle Langloys