Un jeune autiste, un Asperger et une femme en fauteuil roulant à la détermination sans faille ont réussi l’impensable en obtenant récemment leur ceinture noire de karaté, une première au Québec pour des personnes handicapées.
«Leur force, c’est leur détermination. Cette ceinture, ils l’ont obtenue par le mérite», souligne Mohamed Jelassi, l’entraîneur et cofondateur d’Adama, l’Association de développement des arts martiaux adaptés à Montréal (Adama).
Sophie Joanette, une athlète de 44 ans de Longueuil souffrant de la maladie de Steinert, Tommy Doan-Leduc, un Montréalais autiste de 19 ans, et Philippe Paré-Langevin, un jeune Asperger (une forme d’autisme) de 21 ans de L’Île-Perrot ont obtenu le plus haut grade du karaté.
«C’est une ceinture noire reconnue, pas honorifique», rappelle fièrement Mohamed Jelassi, qui entraîne les deux premiers.
Apprendre le style de son père décédé
Un jeune karatéka autiste qui vient de décrocher sa ceinture noire rêve de maîtriser les techniques de karaté que lui enseignait son père, décédé d’un cancer il y a trois ans.
«Un jour, je veux retrouver le karaté que mon père m’a appris», lance Tommy Doan-Leduc, 19 ans, le regard déterminé.
Pour ce Montréalais, le karaté, enseigné par son père depuis qu’il a sept ans, est une affaire de famille.
La mort de son papa a donc été très difficile à vivre pour le jeune homme, en quête de stabilité comme la plupart des enfants autistes.
«Il a perdu un repère important. Il a eu du mal à comprendre pourquoi son père ne revenait pas», se souvient sa mère, Quynh Nhu Nguyen.
Mère stupéfaite
Mais au lieu de sombrer, le jeune s’est accroché au karaté, l’héritage de son père. Il lui avait appris les rudiments du Kyukoshinkai, un style de karaté axé sur l’efficacité au combat.
Toutefois, lorsqu’il s’est inscrit chez Adama, il y a trois ans, son entraîneur Mohamed Jelassi lui a plutôt enseigné le Shotokan, fondé sur le respect.
Il l’a maîtrisé jusqu’à obtenir une ceinture noire au début du mois.
Beaucoup n’y croyaient pas, y compris sa mère.
«Quand son entraîneur m’a dit il y a trois ans qu’il pouvait aller jusqu’à la ceinture noire, j’ai pensé ‘‘mais il ne peut pas, il est autiste’’. Mais Tommy m’a dit ‘‘oui maman, je peux!’’», se souvient Quynh Nhu Nguyen, émue.
Il imite son père
Maintenant qu’il a été au bout de ce chemin, il veut reprendre la voie du Kyukoshinkai tracée par son père.
«Je veux apprendre le style, dans les règles», explique-t-il.
En attendant, il imite déjà son papa en enseignant le karaté pour Adama à des enfants d’une dizaine d’années.
«Les enfants peuvent améliorer leur équilibre avec le karaté. C’est important pour se tenir bien droit dans le métro», précise-t-il, faisant rire sa mère qui n’avait pas pensé à cet avantage.
Le karaté l’a transformé
Le père de Philippe Paré-Langevin n’aurait jamais cru que le karaté pouvait changer la vie de son fils Asperger, désormais un brillant étudiant entouré d’amis.
«Quand il était petit, Philippe était non verbal, je ne pensais pas qu’il pourrait s’améliorer. J’ai pleuré pendant des mois quand j’ai réalisé l’impact qu’avait le karaté sur Philippe», se souvient André Langevin, de L’Île-Perrot.
À l’âge de quatre ans, non seulement son fils Philippe Paré-Langevin ne parlait pas, mais il avait des problèmes de motricité. Il a reçu un diagnostic autiste.
«Il s’essuyait sur son chandail, qui était plein de crachats. Il avait de la difficulté à se faire des amis», raconte le père.
À 13 ans, Philippe Paré-Langevin a suivi des cours de karaté. Il a aimé ça. À tel point que deux ans plus tard, il a aidé son père, lui-même professeur de karaté, à donner des cours à des enfants autistes.
Dès lors, tout a changé.
Réussite
«Il était obligé de s’impliquer. Et je le trouvais même meilleur que moi pour communiquer avec les enfants autistes», se souvient son père, André Langevin.
Le jeune a appris à communiquer, à échanger, bref, à socialiser avec les autres.
Âgé de 21 ans, désormais Philippe Paré-Langevin a davantage le comportement d’un garçon Asperger, une forme d’autisme, mais avec beaucoup moins de problèmes de communication. Il est le premier à reconnaître les bienfaits du karaté dans sa vie.
«Ç’a amélioré ma confiance, ce qui m’aide beaucoup pour socialiser. Avant, je m’ennuyais, je n’avais pas beaucoup d’amis», témoigne le jeune homme.
Maintenant bien intégré dans un groupe d’amis qui ne souffrent pas de maladie mentale, il sort avec eux, pratique le tennis, la course et va au gym. Il est aussi étudiant en troisième année de physique à l’Université McGill et il est parfaitement bilingue.
Et il y a quelques semaines, il a obtenu sa ceinture noire de karaté.
«J’ai ressenti beaucoup de fierté. Le fait que je suis Asperger, ça ne m’est pas vraiment venu à l’esprit, parce qu’obtenir une ceinture noire, ce n’est évident pour personne», dit Philippe Paré-Langevin.
Karatéka en fauteuil roulant
«Je vis pour ça. Ça faisait longtemps que je la voulais cette ceinture noire», lance Sophie Joanette, très fière de pouvoir exhiber sa ceinture noire de karaté alors qu’elle doit se déplacer en fauteuil roulant.
Cette athlète de Longueuil souffre de dystrophie myotonique de Steinert, une maladie dégénérative qui affaiblit ses muscles d’année en année. À tel point qu’aujourd’hui elle ne peut plus rester debout immobile sans perdre l’équilibre et doit se déplacer en fauteuil roulant pour ne pas tomber.
Mais trois fois par semaine, elle se rend à Montréal pour suivre des cours de karaté adapté avec l’Adama.
Là, après avoir enlevé ses chaussures, assise sur un banc en faisant attention à ses appuis, elle se lève, se tient droite et répète ses «katas» (enchaînements de karaté). Et tant pis si cela lui fait mal au dos.
Ses efforts ont été récompensés au début du mois, quand elle a réussi les katas exigés pour obtenir la ceinture noire.
«J’étais tellement stressée... Je savais que c’était la première fois (pour une personne handicapée au Québec). Après, j’étais fière, je souriais tout le temps», rit-elle.
Debout
Sophie Joanette a décroché sa ceinture marron il y a près de deux ans. Depuis, elle n’a jamais relâché ses efforts pour atteindre son but.
«Il y a des jours, j’avais des blessures, des petits bobos, mais j’allais quand même aux cours de karaté. [...] Si on veut et si on persévère, on peut», résume-t-elle.
Son entraîneur, Mohamed Jelassi, a été impressionné par cette volonté de fer.
«Sophie m’a dit “Senseï, avec ma maladie, il se peut que dans quelques mois je ne puisse plus me lever”. Et dimanche (le 6 décembre), elle a fini ses katas debout», se souvient-il.