article publié dans Migros Magazine
Sacha a fait de rapides progrès grâce à la technique ABA (Applied Behaviour Analysis)
Parents, professionnels et associations se battent depuis des années pour que ce trouble soit mieux pris en charge. Il touche un enfant sur cent. La situation s’améliore gentiment mais beaucoup reste à faire.
Thérapies adaptées. Diagnostics précoces. Intégration à l’école et dans le monde professionnel. Meilleure orientation des parents. Voici les principales revendications qu’émettent les associations et les proches des personnes souffrant de troubles du spectre autistique (TSA). «Cela fait trente ans que nous nous battons pour que ce handicap soit mieux pris en charge et que l’on décèle les TSA le plus tôt possible», déclare Yves Crausaz, président de l’Association autisme suisse romande (ASR).
Du chemin a déjà été fait. Il y a quelques années, des études scientifiques ont ainsi démontré que l’on naît autiste, on ne le devient pas. «Contrairement à l’approche psychanalytique qui a longtemps prévalu en Suisse. La faute était alors attribuée aux parents et principalement à la mère», déplore le président, lui-même papa d’un garçon autiste.
L’accent est aujourd’hui mis sur la pose d’un diagnostic très précoce afin que le cerveau, encore malléable, puisse être stimulé grâce à de bonnes thérapies.
L’autisme n’est pas une maladie au sens propre du terme.
C’est un handicap lié à un problème de développement cérébral. On peut apporter des compétences à la personne, limiter considérablement le handicap, mais on ne peut pas la guérir», rapporte Nadia Chabane. Cette éminente pédopsychiatre parisienne a été nommée l’an dernier à la tête d’un nouveau centre pour l’autisme basé à Lausanne (lire interview).
Prise de conscience
Longtemps à la traîne en comparaison de pays comme les Etats-Unis, le Canada ou les pays nordiques, la Suisse essaie tranquillement de rattraper son retard. La création du centre lausannois est un exemple parmi d’autres. «Genève fait des progrès avec la création de deux centres d’intervention précoce. Cependant,les 15 à 18 places existantes ne suffisent pas. Il en faudrait 60 pour répondre aux besoins dans le canton, analyse notamment l’association Autisme Genève. Par ailleurs, il faut une vraie politique d’inclusion et cesser la ségrégation à tous les niveaux: scolaire, professionnelle et dans la société en général.»
Répondant à un postulat, le Conseil fédéral a rendu un rapport en juin dernier allant dans le sens des revendications:
Si de grands progrès ont été réalisés au cours de la dernière décennie, l’insuffisance d’offres adéquates est constatée dans toutes les régions en ce qui concerne la pose de diagnostic, les offres de prise en charge, l’orientation professionnelle, les offres de logement ou le soutien aux parents.»
Il appartient maintenant aux cantons de mettre en place des structures. «Si l’on améliore la prise en charge, on donne plus de chances aux autistes de s’intégrer dans la société et de travailler. C’est tout cela que l'Etat ne devra pas payer plus tard», commente Yves Creusaz.
Des chiffres impressionnants
La prévalence de l’autisme se monte à un enfant sur 100, selon la littérature internationale (une étude américaine parle même d’un sur 88). Un phénomène en progression?
On détecte mieux ces troubles, car les critères de diagnostic ont changé et sont plus précis,
relève Nadia Chabane. On parle aujourd’hui de spectre dans lequel on trouve des personnes très déficitaires tout comme des personnes très brillantes. Tous partagent néanmoins un problème de déficit de la relation à autrui et de la communication.» Impossible en revanche de mettre la main sur les statistiques en Suisse. «Jusqu’à peu les pédiatres ne répertoriaient pas les cas et même si l’AI a un système de codage, elle ne possède pas encore de chiffres fiables. Cela devrait changer bientôt», espère Yves Crausaz. Le nombre pourrait être impressionnant. De quoi passer de petit pas en avant à une grande enjambée?
Trois familles témoignent
Sacha, 6 ans, Grens (VD)
«Il faut se battre. Toujours. Pour tout.» La lutte à laquelle Sarah et David font référence est celle d’une prise en charge adaptée pour leur fils. Depuis que Sacha, 6 ans, a été diagnostiqué il y a trois ans, la famille ne cesse de se démener. Pour trouver les bons interlocuteurs, pour qu’il soit placé dans une structure adaptée ou encore pour qu’il intègre l’école publique.
«A deux ans et demi, il ne parlait pas, dormait mal, sélectionnait méticuleusement les aliments. Nous avons commencé à nous faire du souci. Nous avons alors insisté pour faire des tests et le diagnostic est tombé.» Après la phase d’acceptation, le couple commence à faire des recherches. Il constate que la Suisse a du retard par rapport à d’autres pays. Un livre va notamment les orienter vers les thérapies comportementales. «Elles donnent d’excellents résultats, mais ne sont, pour l’instant, pas remboursées en Suisse.» Peu importe. La famille trouve un centre qui dispense ces traitements – l’association Objectif vaincre l’autisme (OVA) à Gland (VD) – et se débrouille pour lever des fonds (3000 francs par mois). Dans un premier temps avec l’aide de la famille, puis ils créent une association (www.avecsacha.ch).
Dans cette structure, Sacha fait très vite des progrès grâce à la technique ABA (Applied Behavior Analysis). «Après trois semaines, il a
commencé à parler. Il a ensuite beaucoup gagné en autonomie.» Aujourd’hui, grâce à la ténacité de ses parents et avec le soutien de Mandy Barker, pédopsychiatre, ce passionné de guitare a intégré l’école publique vaudoise à mi-temps. L’après-midi, il se rend au centre thérapeutique. «Sacha restera toujours autiste, mais avec une prise en charge adaptée, il pourra progresser et trouver sa place en société plus tard.»
Paco, 6 ans, Versoix (GE)
«Nous sommes dans une période charnière. La reconnaissance de ce trouble évolue. Mais lentement.» Sandro, le papa de Paco, 6 ans, tire ce constat en réfléchissant aux cinq dernières années. Une moitié de décennie durant laquelle Céline et lui se sont battus quotidiennement pour donner les meilleures chances à leur fils de progresser.
«Au début, on était dans le déni, on pensait que Paco avait besoin de plus de temps que les autres pour se développer», confie Céline. Puis, à vingt mois, le diagnostic tombe: le petit garçon aux grands yeux en amande est atteint d’autisme en plus d’une maladie génétique appelée X-fragile. «On nous a dit qu’il n’y avait pas grand-chose à faire. On voyait une pédopsychiatre, elle nous demandait comment allait notre couple, alors que nous cherchions des outils pour aider notre fils.»
Durant un an, Paco fréquente des structures publiques. Mais il progresse peu et s’intègre difficilement. «Il se donnait jusqu’à 300 gifles par jour, piquait de grosses colères et pouvait rester des heures à claquer une porte», se souvient Sandro. Le couple tombe ensuite par hasard sur un documentaire: Le cerveau d’Hugo, dans lequel il est notamment question des thérapies comportementales. Tout comme la famille de Sacha, ils décident alors de lever des fonds et d’inscrire leur fils dans un centre spécialisé. «L’ABA n’est pas une solution miracle, précise Sandro. Mais les résultats sont impressionnants: quinze jours après son arrivée, Paco était déjà apaisé.» Grâce à ses nouveaux acquis et après bientôt trois ans dans cette structure, Céline et Sandro espèrent le réintégrer au système public. «Notre objectif principal est qu’il devienne autonome. Dans un futur proche, nous voulons prendre un chien d’assistance. Paco adore les animaux!»
M.,10 ans, Genève
Pendant que M., 10 ans, gambade dans un parc genevois, Isabelle, sa mère, s’énerve contre le manque d’ouverture de l’école publique. Les parents de ce jeune garçon plein de vie ont essayé de l’intégrer dans le système traditionnel. Ils avaient même une accompagnante payée par leurs soins. Pourtant, l’école à laquelle ils ont fait la demande «n’a pas voulu, afin de ne pas créer de précédent». Diagnostiqué à l’âge de 3 ans, le garçon a essentiellement fréquenté des établissements privés. «Son père et moi travaillons à 100%. Nous avons pu financer un temps une école privée, puis des structures spécialisées. Mais comment font ceux qui n’ont pas les moyens?»
M. commence à parler vers 4 ans. Il est considéré comme un autiste de type Asperger. «C’est très important d’avoir un bon profil de l’enfant. Le plus tôt est le mieux, afin qu’il bénéficie de la meilleure prise en charge. Car il n’y a pas une seule bonne méthode, mais une combinaison d’outils socio-éducatifs adaptée à chaque personne.»
Le jeune garçon est très curieux, s’amuse et parle avec plaisir. «M. progresse très bien, il sait néanmoins qu’il est différent. Lorsqu’on lui fait une remarque, il répond: ‘Ce n’est pas ma faute, c’est mon cerveau.’» Ses parents souhaitent vraiment pouvoir l’intégrer dans le système public. Et la suite? «C’est encore le point d’interrogation», répond Isabelle. Pour M. la réponse est limpide: «Vivre ensemble, avec tout le monde.»
Texte © Migros Magazine – Emily Lugon Moulin