Ecole et handicap : autopsie d’une catastrophe organisée
La rentrée scolaire est passée, les
élèves sont en classe depuis plus d’un mois, chacun a pris ses
marques, et c’est reparti pour une année. Sauf s’il se trouve que
votre enfant est porteur de handicap. On aurait pu croire que depuis
la loi de 2005, qui établit comme principe l’inscription des élèves
handicapés à l’école « ordinaire », la situation des
handicapés à l’école aurait quitté le registre du scandale pour
entrer dans celui de la gestion ordinaire de la vie scolaire. Hélas,
il n’en est rien. Pire, la situation générale s’est en fait
dégradée, réduisant souvent à néant l’immense espoir suscité
par cette loi chez les familles d’enfants handicapés. Pourquoi et
comment, c’est ce que cet article va tenter d’examiner.
Avant 2005 : l’exclusion sans discussion
L’école de la république, avant 2005, n’accueillait pas les enfants handicapés, sauf ceux « capables de se débrouiller ». Le handicap, ce n’était pas le problème de l’école, c’était celui des « établissements spécialisés ». Votre enfant est malentendant ? Mettez le dans une école
« spécialisée pour malentendants ». Il est autiste ? Mettez le dans un
hôpital psychiatrique ou un institut médico-éducatif, « c’est pour son
bien ». Il est dyslexique ? Bon, avec un bon suivi en orthophonie on va
le garder en classe... Sauf que, dans la pratique, les « établissements
spécialisés » vers lesquels toutes les bonnes volontés de l’éducation
nationale s’ingénieniaient à pousser ces enfants, souffrent de deux gros
problèmes :
- il n’y en a pas assez...
- rares sont ceux qui laissent une chance à l’enfant d’intégrer la société dans de bonnes conditions.
En effet la plupart de ces établissements souffrent d’une part d’un sous-financement patent, d’autre part d’une
organisation déplorable – pas forcément de leur fait - qui conduit à y
mélanger tous types de publics. Ainsi on trouvera, dans un même groupe
de 6 à 8 enfants sous la responsabilité d’un éducateur spécialisé, un
autiste, un enfant délinquant en rupture familiale et sociale, un sourd,
et d’autres encore. Dans ces conditions, arriver à tirer ces enfants
vers le haut, à leur donner la moindre chance de réintégrer un jour la
société « ordinaire », relève du surhumain. Dans ce type
d’établissement, la personne qui y entre y reste en général puis passe
dans un établissement pour adulte et a toutes les chances de rester sa
vie durant en « milieu protégé ».
Certes il y a effectivement des handicaps
tellement lourds que mieux vaut protéger la personne sa vie durant. Il y
a aussi beaucoup (mais encore bien trop peu) d’établissements pour handicapés
qui effectuent un remarquable travail d’éducation, d’insertion et de
soutien pour tenter, le plus possible, de permettre aux personnes prises
en charge de vivre parmi les autres plutôt que cloitrées derrière les
murs d’une institution. Ce type d’établissement est généralement pris d’assaut et gèrent des listes d’attentes interminables.
Mais il y a par ailleurs bien des enfants qui, avec une aide
compétente, parviennent à suivre une scolarité « ordinaire » plus ou
moins aménagée, apprennent un métier, trouvent une place dans la société
au même titre que n’importe qui – même avec plus de difficultés. Et
dans leur cas, leur refuser l’école
sans même leur donner une chance de montrer leurs capacités, constitue
un abandon voire une maltraitance flagrante. La situation était telle
que beaucoup de parents tentaient, quand c’était possible, de cacher le handicap de leur enfant à l’école afin qu’on ne leur y refuse pas leur enfant.
Ainsi, par exemple les déficients visuels ou les malentendants, sans
retard cognitif, peuvent très bien suivre une scolarité comme les
autres, ils en ont les moyens intellectuels. Il suffit d’un minimum
d’aménagements, un bon suivi par des professionnels compétents. Des
exemples, il y en a – mais tous se sont heurtés un jour à un enseignant
ou une directrice d’école leur disant
avec compassion, « mais voyons madame, vous ne pensez pas qu’il serait
mieux dans un établissement spécialisé ? » Peu importe que
l’établissement en question, tel que cet enseignant l’imagine,
n’existe... que dans son imagination.
Même un élève déficient intellectuel tirera parti d’une
scolarisation en milieu ordinaire, tant il est vrai qu’il sera « tiré
vers le haut » par les autres. Il est possible qu’il redouble, une ou
plusieurs fois – et alors ? D’autres le font aussi. Et si le décalage
est un jour trop grand il sera toujours temps de chercher un bon
« établissement spécialisé ». Comme me l’a dit une mère d’enfant handicapé il y a quelques années, « en France, à l’école, mieux vaut être un cas social qu’un handicapé, personne ne remet en cause le droit à la scolarisation. » Triste et terrible constat d’une
société qui, animée des mêmes bons sentiments, fait tout pour aider
certains types de « défavorisés » tout en excluant d’office les
autres...
2005 : la révolution – sous conditions
La loi de 2005 a tout changé – sauf les mentalités évidemment.
Toujours est il que des parents de mieux en mieux informés de leurs
droits, année après année, parviennent à ce que leur enfant soit
scolarisé avec les autres, au départ en maternelle, puis en primaire
pour beaucoup, voire au collège puis au lycée.
Pour beaucoup d’enfants, cette loi a suffi pour que l’école leur ouvre ses portes, et qu’avec quelques aménagements ils suivent une scolarité comme les autres. C’est le cas pour les handicaps
physiques légers, pour qui peu d’aménagements sont nécessaires. Un
accès au fauteuil roulant, une place assise à l’avant de la classe pour
mieux entendre ou mieux voir, et c’est tout.
Mais pour certains types de handicaps, et en particulier les divers handicaps mentaux ou les handicaps physiques lourds, la situation est bien plus compliquée. Qui dit handicap mental, dit en général besoin d’une
aide humaine pour tout ou partie du temps scolaire. Cette aide humaine
est bien souvent le pivot, la condition indispensable à ce que l’enfant
tire parti de sa scolarisation et progresse avec et parmi les autres
enfants. Cette aide humaine, c’est la personne qu’on appelle « l’AVS » -
l’Auxiliaire de Vie Scolaire.
Quel est son rôle ? Elle intervient en classe au côté de l’enfant afin de compenser au mieux son handicap.
Ainsi, un enfant touché par la maladie des os de verre : l’AVS veillera
sur elle pendant la récréation ou dans les moments de bousculade
(entrée/sortie de classe), poussera si besoin le fauteuil roulant. Un
enfant déficient mental : l’AVS l’aidera à comprendre les consignes,
sans pour autant faire le travail à sa place. Un enfant autiste : l’AVS
l’aidera à comprendre les codes sociaux afin qu’il puisse jouer avec ses
camarades, se conformer aux règles de vie en classe ; elle l’aidera
aussi à gérer ses troubles du comportement, ou encore lui reformulera
les consignes de l’enseignant – l’enfant autiste ne comprenant pas
forcément qu’une consigne collective s’applique aussi à lui.
Mais pourquoi faire, dirons certains ? Ces enfants ne seraient-ils
pas mieux « en établissement spécialisé » ? Eh bien non, ils n’y
seraient pas mieux car ils ne trouveraient généralement pas de lieu
adapté à leur cas. Beaucoup d’enfants aidés par une AVS compétente et
convenablement formée à leur handicap
progressent, à leur rythme, trouvent leur place parmi leurs camarades,
et un jour se débrouillent tout seuls. Ainsi en est-il du fils de
l’acteur Francis Perrin, diagnostiqué « autiste sévère » à 2 ans, que
les psychiatres donnaient pour un cas sans espoir. Après des années d’un
suivi spécialisé (encore rare en France pour l’autisme) et une
scolarisation avec AVS, il est aujourd’hui suffisamment autonome pour
qu’arrivé au CE2 ses parents envisagent sereinement de le laisser
continuer à l’école sans AVS l’année prochaine (voir un récent article de Nord Eclair : http://www.nordeclair.fr/Locales/Villeneuve-d-Ascq/2010/09/30/francis-perrin-lutte-pas-a-pas-contre-l.shtml).
Il y a 10 ans, quelle chance aurait-on laissé à cet enfant ? Aucune –
il aurait été aiguillé en « établissement spécialisé » sans se poser la
question de ses capacités réelles à suivre en école ordinaire.
De plus, scolariser un enfant en milieu ordinaire avec une AVS coute
beaucoup moins cher que le mettre en IME ou en hopital de jour par
exemple. Ce choix est donc financièrement rationnel : il coute moins
cher à court terme, et permet d’espérer des économies à long terme dans
beaucoup de cas, le suivi nécessaire à l’age adulte étant plus léger
(voire nul) compte tenu des progrès plus important de l’enfant.
2010 : la consternation...
Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais
entretemps la crise est passée par là, et avec elle la course aux
économies à tous les niveaux de l’Etat. Course aux économies parfois à
courte vue comme on va le voir.
En 2005, une AVS était recrutée généralement sous un statut appelé
« assistant d’éducation ». Il s’agit en fait d’un contrat à durée
déterminée de 3 ans, renouvelable une fois pour le porter à 6 ans. Un
enfant scolarisé avec AVS pouvait donc espérer être suivi par la même
personne pendant des années, capitalisant ainsi une expérience afin de
l’aider au mieux. Même si ce type de contrat ne comprenait pas une
rémunération mirobolante, il avait le mérite d’une certaine stabilité et aussi de permettre l’embauche de personnes formées.
En 2010, la situation budgétaire de l’éducation nationale est telle
qu’ordre est donné au niveau national de « faire avec 9000 équivalent
temps plein ». Quant on sait à quel point les demandes de scolarisation
avec AVS explosent depuis 2005, ce chiffre est déjà, en soi, nettement
insuffisant. Mais ce n’est pas tout. Les contrats d’assistants
d’éducation ne sont plus utilisables. On exige désormais que les AVS
soient embauchés sous « Contrat Unique d’Insertion » (CUI). Ce type de
contrat est réservé à des personnes en grande difficulté sociale – les
critères précis étant à définir par le préfet, donc différents selon les
départements. Mais en règle générale une personne embauchée en CUI doit
être au chomage depuis au moins 1 voire 2 ans, sans qualification, et
le contrat est limité à 6 mois renouvelable une seule fois.
Au final, quels types de personnels sont embauchés pour accompagner les handicapés à l’école ?
Des gens qui ne peuvent pas être formés (le CUI exclut généralement les
personnes qualifiées puisqu’elles doivent être « en grande
difficulté »), et qui seront obligatoirement renvoyés au bout d’un an
donc ne capitaliseront pas leur expérience. La rémunération n’étant de
surcroit pas très élevée, la personne embauchée sur ce type de contrat
pour accompagner un enfant handicapé devra vraiment avoir « la foi » pour rassembler assez de motivation afin de l’aider au mieux, surtout que certains handicaps font peur, en particulier l’autisme qui fait l’objet de beaucoup d’ignorance et de fantasmes erronés.
Et pour parfaire le tableau, avec l’enveloppe imposée de « 9000
équivalent temps plein au niveau national », un enfant à qui la MSPH
(ex-CDES) octroie une AVS pour par exemple 20 heures par semaine, se
verra allouer par l’éducation nationale une personne pendant 10 heures
par semaine, voire personne ! C’est totalement illégal mais c’est ainsi,
on explique aux parents que « il n’y a pas de budget pour plus ». Et
bien sur l’enfant sera (toujours illégalement) refusé à l’école
lorsque l’AVS n’est pas là. Coupant ainsi ses chances de s’intégrer à
sa classe, d’apprendre comme les autres, sans parler de l’obligation qui
est faite à un des parents de cesser de travailler pour s’occuper de
l’enfant lorsqu’il est exclu de l’école.
C’est ainsi qu’un collectif d’associations de la cote Basque a gagné un procès contre l’Etat en juin dernier (http://www.sudouest.fr/2010/06/05/handicap-l-etat-se-voit-contraint-a-respecter-la-loi-109488-4621.php ), obligeant en principe l’Etat à mettre en place les personnels requis par la MDPH pour accompagner les enfants handicapés. Sauf que l’Etat fait la sourde oreille et n’exécute pas la décision de justice...
Prenons maintenant un peu de recul et examinons les conditions qui, à
l’étranger, permettent d’assurer le succès de la scolarisation des
enfants handicapés en milieu
ordinaire, et leurs donnent les meilleures chances de progresser vers
l’autonomie future. Ce qu’on sait, c’est qu’il faut :
- une prise en charge de qualité par des personnes formées au handicap de la personne
- un accompagnement à l’école par une personne compétente
- une bonne collaboration entre école, famille, et équipe de prise en charge.
Or, en France, que fait-on :
- les prises en charge sont souvent insuffisantes ou inadaptées,
c’est particulièrement criant pour le cas de l’autisme où la France
souffre d’un énorme retard mais c’est aussi vrai pour d’autres handicaps, comme la trisomie 21
- l’accompagnement à l’école
sera désormais effectué par des personnes non formées, à qui on
n’offre aucune des conditions nécessaires à leur motivation ni à leur
qualification
- la collaboration avec l’école reste souvent difficile, soit du fait de réticences d’enseignants à recevoir un handicapé
en classe (surtout sans AVS ou avec une AVS non formée !), soit du
fait de blocages au niveau de l’inspection académique qui rechigne à
permettre une collaboration avec les équipes de prise en charge,
beaucoup d’inspecteurs, de directeurs d’école et d’enseignants restant dans le schéma que « la place des handicapés est en établissement spécialisé ».
Tout est donc mis en oeuvre pour faire délibérément échouer la loi de 2005 et la scolarisation des enfants handicapés.
Que cela ait un coût humain et financier énorme n’émeut personne –
seules les économies de court terme comptent. Sans même parler du
compartimentage des budgets : une économie de long terme sur le budget
de la sécurité sociale est totalement invisible de la part de
l’Education Nationale qui fait tout pour éviter d’assumer un cout plus
faible à court terme.
Et après ?
Face à cette situation dramatique, dénoncée par toutes les associations de parents d’enfants handicapés et en particulier la FNASEPH qui oeuvre depuis des années pour la scolarisation en milieu ordinaire (http://www.fnaseph.org/ ), que va-t’il se passer ?
Les familles qui le peuvent, qui en ont la volonté, qui ont encore
l’endurance et les capacités financières, vont se battre comme elles
peuvent dans leur coin pour tenter de sauver leur enfant du mieux
qu’elles le peuvent. Certains rémunèreront à leurs frais une AVS quitte à
mettre leur enfant dans une école
privée de bonne volonté, car mettre en place une AVS à ses frais est en
principe interdit dans le public. D’autres feront le siège des bureaux
des inspecteurs d’académie pour faire valoir les droits de leurs
enfants, ou intenteront à l’Etat de coûteux et aléatoires procès.
D’autres encore, sans doute les plus nombreux, baisseront les bras...
Et tous attendront des jours meilleurs, certains avec colère,
d’autres avec résignation, en espérant malgré tout que leur enfant s’en
sortira, avec son handicap, face à
une Education Nationale globalement insensible voire hostile envers ces
enfants différents qui ne sont coupables de rien mais qui sont condamnés
quand même par un système injuste géré par des bureaucrates sans âme.
http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/ecole-et-handicap-autopsie-d-une-82710