Jean-Francois Py
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Irlande, 28 septembre 2018
à
Monsieur le Président de la République française
Lettre ouverte
Copies à
M. le Premier Ministre
Mmes Ministres
de la Justice, de la Santé, du Handicap
M. le défenseur des Droits
Mme Contrôleure générale des lieux de privation de liberté
Monsieur le Président,
Il y a trois ans aujourd’hui exactement, mon épouse Maryna quittait la France pour l’Irlande, avec son fils Timothée, âgé de 16 ans, atteint d’autisme. Ce dernier venait de subir une hospitalisation psychiatrique avec contention et fortes doses de neuroleptiques, à la demande de son père et indirectement, du directeur de l’IME où le père de l’enfant avait placé son fils quelques semaines auparavant. Mon épouse, qui avait la garde, avait dû accepter cette situation sous la contrainte d’un juge des enfants, à la suite de l’exclusion abrupte du collège ordinaire qu’il fréquentait, en septembre 2014. Ce n’est qu’après avoir essuyé un refus de ce même juge des enfants de considérer le danger que son fils encourait, et alors que son fils exprimait un refus catégorique de retourner en institution, qu’elle s’était résolue à quitter la France, en abandonnant tout.
Timothée avait rapidement été pris en charge de façon appropriée en Irlande, avec intégration dans le système scolaire local. En janvier 2017, il est rentré en France avec son père pour des vacances, ce dernier s’engageant à le ramener en Irlande dans un délai d’un mois. Au lieu de cela, Timothée a été de nouveau soumis à un traitement neuroleptique (dit par le médecin «anti psychotique double»), et réintégré dans l’IME qui l’avait brièvement accueilli en 2015. Comme il atteignait sa majorité en avril 2017, une demande de tutelle a été faite, et en novembre 2017, cette tutelle a été confiée à une association, au motif qu’il fallait tenir Timothée à l’écart du conflit opposant ses parents. Cependant il nous a été interdit, à sa mère et moi son beau-père, de le rencontrer, et l’association n’a fait qu’entériner les choix du père en terme de placement, alors que nous affirmions être disposés à préserver une vie familiale et ouverte en milieu ordinaire à Timothée. Cette décision de tutelle vient d’être confirmée en appel, alors que le père et l’association s’apprêtent à faire intégrer Timothée dans une Maison d’accueil spécialisé(e).
Cette situation appelle plusieurs remarques :
1/ Au cours des procédures que j’ai brièvement évoquées, jamais il n’a été jugé utile d’entendre Timothée lui-même, par les moyens appropriés compte tenu de son handicap, y compris lorsqu’il était devenu majeur. Ses droits lui ont été constamment déniés. Un expert a certes été commis par la juge des tutelles pour préciser qu’il n’avait pas le discernement nécessaire pour être entendu relativement à sa mise sous tutelle. Mais cela ne signifie en rien qu’il ne saurait exprimer des choix, en particulier de voir la famille dans laquelle il a grandi (la nôtre, comprenant sa soeur cadette dont il est très proche), et de vivre avec elle. Nos demandes en ce sens ont été jusque là systématiquement ignorées. Or son statut de personne vulnérable et dépendante ne le prive nullement de ses droits, comme le stipule l’article 459-2 du Code civil.
2/ Les conventions internationales sur le droit des personnes handicapées, dont la France est signataire, et qui donc l’obligent, ont été purement et simplement ignorées, en particulier sur le point où elle stipulent que la personne handicapée ne saurait être contrainte à vivre dans un quelconque lieu «spécialisé». Ce qui me conduit à revenir sur la question du traitement neuroleptique. On parle de camisole chimique à ce sujet, ce n’est nullement excessif. De l’aveu même du directeur de l’institution que Timothée a été contraint de fréquenter, lorsqu’on n’arrive pas à gérer un «pensionnaire», on demande à ses (son) parent(s) de le présenter en hôpital psychiatrique. Situation codée qui engendre donc le «traitement». Or Timothée, durant les années passées sous notre toit, n’a jamais relevé d’aucun traitement de cet ordre. Et l’on sait que les excès de comportement, chez les personnes atteintes d’autisme, pallient la difficulté à exprimer frustrations et mécontentements. Ainsi lorsque Timothée a exprimé son rejet de l’institution, il fallait le «traiter» pour l’amener à résipiscence. La situation n’a pas été différente en 2017, lorsque j’ai constaté visuellement qu’il était transporté quotidiennement sanglé sur une civière à l’arrière d’une ambulance (ce pour quoi j’ai dû porter plainte pour maltraitance), au prétexte qu’il avait un comportement dangereux.
3/ La justice, ainsi que le père de Timothée, la MDPH en 2014, et l’association de tutelle, portent la responsabilité de la situation présente, où l’avenir d’un jeune adulte devrait se limiter à l’environnement d’une «maison spécialisée», en compagnie de 40 autres adultes atteints du même handicap. Timothée est un garçon très bien développé physiquement, d’une endurance remarquable (vélo en montagne, longues randonnées), il pratiquait le piano et fréquentait des concerts à l’Opéra, s’initiait à l’anglais autant qu’au russe, allait, à sa manière, au-devant des relations sociales. On ne peut croire que cette perspective d’enfermement corresponde, Monsieur le Président, en aucun point de ce que vous avez exprimé sur la question du handicap et de l’autisme en particulier, ni même aux perspectives dites stratégiques de la « stratégie nationale autisme » que votre gouvernement a présenté au printemps dernier.
4/ Cette perspective est d’autant plus insupportable qu’il y a une alternative, celle que la Cour d’appel a refusé de prendre en considération: nous sommes disposés, sa mère sa soeur et moi, à lui permettre cette vie dans le tissu social commun et l’aider à y trouver une place satisfaisante, sans pour autant le couper de sa famille paternelle. Mais sans doute que la stigmatisation judiciaire dont sa mère fait l’objet (et moi accessoirement) s’oppose à cette possibilité. Poursuivie par mandat d’arrêt européen en 2015 pour soustraction d’enfant, (mais l’Irlande a refusé son extradition), elle a été reconnue coupable, mais dispensée de peine, par le tribunal correctionnel le 2 juillet dernier. J’ai pour ma part été relaxé du chef de complicité. Cette décision était une porte ouverte pour un apaisement de la situation. Hélas, le Parquet s’est empressé de refermer cette porte en interjetant appel. Je ne peux que supposer, ne disposant pas des attendus de la décision de confirmation de tutelle, que ce statut judiciaire a pesé, implicitement au moins, dans la décision rendue. Toujours est-il, une fois encore, que la personne concernée au premier chef, Timothée, n’a pas été entendue.
Ainsi, Monsieur le Président, la France, à travers ce cas particulier, particulièrement douloureux, s’illustre une nouvelle fois par une décision de ségrégation et discrimination, à rebours de ce que nombre de pays, prenant le mal à bras le corps, ont décidé, dans les décennies passées, d’éradiquer. Si c’est moi qui me tourne vers vous, et votre gouvernement, c’est parce que mon épouse, qui avait enduré de longs combats pour maintenir son fils dans la scolarité ordinaire, qui a depuis 2015 subi une persécution soutenue de la justice française alors qu’elle ne faisait que tenter de protéger son fils, mon épouse non seulement est épuisée de ces batailles, mais elle a perdu toute confiance dans notre pays. Toutes les voies légales pour arracher Timothée à l’avenir étroit qui lui est promis, nous paraissent fermées. Je reste très mal à l’aise de devoir faire cette démarche dont je ne sais pas ce que nous pouvons en attendre (le temps des rois thaumaturges est loin, n’est-ce pas). Et pourtant ne rien faire serait insupportable. Il n’est pas dans mon goût d’escalader des grues, ni des toitures d’institutions de la République. Timothée n’est hélas pas le seul à subir ce genre de ségrégation, la France doit agir pour faire cesser cela, sans délai. C’est de vies humaines qu’il s’agit. C’est pourquoi également je souhaite donner un maximum de publicité à cette lettre.
Je vous prie d’accepter, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations respectueuses.