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"Au bonheur d'Elise"
29 mai 2013

AUTISME et PSYCHANALYSE (2)

 

 

 

Préambule :  ce deuxième volet sur  le sujet cherche à compléter le premier en transcrivant presque intégralement les propos du documentaire, suivis s'une critique de ceux-ci, des théories et des pratiques passées et présentes de la psychanalyse au sujet de l'enfant autiste.

Introduction, la polémique

Une polémique existe autour du documentaire Le Mur, de Sophie Robert. De nombreux parents et des associations d'enfants autistes y voient un nouveau document à charge contre la légitimité de la psychanalyse à prendre en charge les enfants autistes.  Suite à la plainte de trois psys concernés, Esthela Solano-Suarez, Eric Laurent et Alexandre Stevens, la justice a ordonné le retrait du film en donnant raison aux plaignants, au prétexte que leurs propos auraient été dénaturés. On trouvera en attaché l'énoncé complet du jugement.
On entend un peu partout que les partisans de ce documentaire ne sont que dans le dénigrement, l'invective, la vengeance, qu'ils n'argumentent pas leurs critiques, qu'ils ne sont pas dans le logos mais dans le pathos, etc. Alors, nous allons essayer ici d'être de dignes contradicteurs.


Le jugement, la plainte d'Alexandre Stevens



Le jugement précité affirme que Sophie Robert "laisse faussement apparaître que pour Mr Stevens les parents sont désignés comme responsables ou fautifs. L'accusation se base sur des propos que la journaliste n'a pas retenu dans le film ceux où Stevens affirmerait le contraire des propos retenus dans le film. Les voilà :
"Elle est d'abord de la responsabilité du sujet lui-même. C'est lui qui a choisi - c'est étrange mais c'est comme ça. - de se tenir en retrait par rapport à une certaine dimension d'envahissement qu'il a connu. Il est vrai que ce choix va varier en fonction de ce qui vient de l'autre, d el'extérieur, des autres, mais je n'ai pas idée, moi, qu'il y ait une grande responsabilité des mauvais parents qui de ce fait font que leurs enfants soient autistes. Je ne mets pas la responsabilité, la faute de ça, sur les parents. "  

Remarquez qu'il est dit d'abord que les parents ont peu de responsabilité mais pas trop, puis qu'ils n'en ont pas du tout. En plus de ce flou, Stevens renforce son propos sur la responsabilité, sur la volonté du bébé (de l'embryon ?) dans la survenue de sa pathologie :  "c'est lui qui a choisi" .  Je ne sache pas que cette explication-là soit absente de la  polémique !  Nous voyons bien que la position de Stevens n'est pas moins contestable en prenant connaissance  de son intervention intégrale.

C'est le contraire, même, s'agissant de la responsabilité de l'enfant. Bon, le psy évacue ici celle des parents, et alors ? Il n'y a rien de nouveau. Léo Kanner, qui a décrit le premier l'autisme infantile les aurait déjà innocentés. Par contre, il les aurait décrits "remarquablement peu aimants, intellectuels, rigides et froids."
source : http://www.spp.asso.fr/main/extensions/items/12_autisme.htm

Ajoutons qu'il y a bien une question posée dans le film qui n'est pas la question de l'interview proprement dite, mais elles sont de même substance, donc aucunement trompeuse. Il y a aussi une formule abusive alléguant que pour  tous les psychanalystes,  l'autisme est une psychose résultant d'une mauvaise relation maternelle. La journaliste a eu tort, en effet, de ne pas nuancer son propos.

Le jugement, la plainte d'Esthela Solano-Suarez

Là encore, la journaliste fait un tour de passe-passe avec les questions. On ne peut pas l'approuver déontologiquement, c'est évident, mais en fait, on remarque que cette erreur dessert plus la journaliste que la plaignante (voir interview plus haut : "cette façon de concevoir...).  Alors qu'on demandait à cette dernière si des connaissances scientifiques sur l'autisme avaient enrichi sa discipline, qui se pique de s'occuper des autistes, Solano fait une réponse d'emblée en opposition qui donne une idée de sa disposition d'esprit envers la science. Pour la deuxième question tronquée, on constate que la réponse correspond davantage à la question initiale qu'à la question finale, mais aussi que cette réponse peut être désolidarisée de la question. Idem pour les autres questions. Par ailleurs, il n'est pas inintéressant d'entendre quelqu'un dire "la  loi de la mère est une loi de caprice", quel que soit le contexte. Cela signifie que la personne qui prononce ces mots admet qu'une mère respecte une loi, celle du caprice : et on est tout de suite plongé dans un imaginaire sexiste. Pour ma part, j'ai pensé à la Donna e mobile, de Verdi, la femme est changeante. On peut aussi penser à "Souvent femme varie", les exemples ne manquent pas.

 Le jugement, la plainte d'Eric Laurent

Il reproche à Sophie Robert l'image négative sur la science donnée par son propos retenu pour le film, isolé d'un long laïus de sept minutes, où il précisait en particulier que "la description de nous-mêmes comme mécanisme biologique se complexifie des hypothèses amenées par les neurosciences, par la biologie fondamentale...".  Dans l'extrait choisi par la réalisatrice, pourtant, on entend bien que l'interwievé est attentif aux progrès de  la biologie et des neurosciences, dont  il dit clairement qu'il s'informe des résultats. Ce n'est pas de la faute de la journaliste si Laurent expose au même moment, et de plusieurs manières, son scepticisme.
En conclusion, sans nier que la journaliste aurait dû s'astreindre à davantage de rigueur  dans son travail, il me paraît évident que ce dernier apporte un éclairage très intéressant  sur des idées et des pratiques de la psychanalyse sur l'autisme, et que le jugement du tribunal de Lille est empreint de partialité, donnant plus de poids à quelques erreurs qu'à  un ensemble riche de témoignages.

Le Mur

Pour juger au mieux le film, j'ai retranscrit presque intégralement les propos rapportés des thérapeutes interrogés afin de les analyser le plus objectivement possible

LA CAUSE DE L'AUTISME ET SA NATURE  :  L'ENFANT LUI-MÊME

Pierre Delion, psychanalyste :

"La distinction structurale qu'on peut faire entre l'autisme, d'une part, et la psychose de l'enfant d'autre part, qui est véritable, sur le plan de la description, et de la structure sous-jacente, ne résiste pas à l'analyse dans la continuité, entre cette première structure et la deuxième. Il me semble qu'il y a des passages entre la structure autistique et la structure psychotique, et la structure dysharmonique. Maintenant, si on dit ça, on fâche beaucoup les associations de parents d'enfants autistes, qui pensent qu'il n'y a rien à voir entre les autistes et les psychotiques. A mon avis c'est une erreur, il y a beaucoup de choses à voir..."

Alexandre Stevens, psychanalyste, psychiatre en chef de l'Institution pour enfants Le Courtil, à Tournai :

- Je pense que l'autisme, c'est un mode de réaction du sujet qui est évidemment très tôt dans l'histoire logique, si je puis dire, c'est quand même qu'au fond, en réponse à ce qui vient d'envahissement du monde et de l'autre, il se ferme. Il se met dans une bulle, et il refuse, au fond, de se mettre dans les méchanismes de la parole, encore que certains autistes parlent, n'est-ce pas ? donc c'est plus que de la parole, dans les mécanismes subjectifs, c'est à dire, parler d'accord, mais sans y être impliqués.
- Est-ce que vous faites une distinction structurale entre l'autisme et la psychose ? demande la journaliste.
- Non. Pour ma part, non.
- Les autistes sont psychotiques ?
- Oui. Si vous voulez, l'autisme dans le fond est une situation extrême de quelque chose qui est dans le cadre des psychoses.

Esthela Solano,  psychanalyste à Paris, professeur à l'Université Paris VIII

- " Ce que nous pouvons constater quand nous nous occupons des enfants autistes, c'est précisément que les enfants autistes sont malades du langage. L'autisme est une façon de se défendre de la langue."

Professeur Bernard, Psychanalyste APF, chef de service de pédopsychiatrie de l'hôpital Necker à Paris.

- Parler à l'autre veut dire qu'on n'est plus confondu avec l'autre. Je veux dire, tant qu'on n'est pas séparés, tant qu'on est confondu dans l'autre, fusionné dans l'autre, ce qui est le problème des enfants autistes, justement, pour qui d'ailleurs l'autre n'existe pas. Mais après, quand l'autre commence à émerger, ils sont encore dans une distance tellement pathologique, qu'ils ne peuvent pas parler à l'autre.

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- On ne penser à l'autre, on ne peut parler à l'autre que si on a pris du champ. Tant qu'on est encore inclus, interpénétré, fusionné avec l'autre, on peut ni penser à l'autre, ni parler à l'autre, c'est presque un truisme. Si le langage nous touche tout au long de notre vie à ce point là, et la psychanalyse passe par le langage, c'est que le langage ne parle que de séparation. Et ça c'est une vision qui n'a.. très très... c'est une vision du développement si on veut, c'est une vision extrêmement spécifique de la vision psychanalytique des choses.
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Au fond, on essaye par tous les moyens, de faire sentir à l'enfant autiste qu'un autre existe. qu'il n'est pas menaçant.


LA CAUSES DE L'AUTISME ET SA NATURE  :  LA MÈRE, LE PÈRE.

Daniel Widlocher, Psychanalyste, ancien chef de service de psychiatrie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, professeur de psychiatrie à l'Université de Paris VI

La journaliste : Par rapport à la psychose aussi bien que l'autisme, il y a une explication qui est traditionnellement utilisée, c'est que  il y a une dépression maternelle pendant la grossesse ou pendant les premiers mois de la vie, qui aurait altéré la relation mère-enfant et pourrait être responsable de ces troubles graves.
-  Alors, c'est ce que des collègues sérieux nous disent. Par conséquent, moi je les écoute.
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- Pourquoi des autistes profonds ne parlent pas ? demande la journaliste.
- Je ne sais pas. Ma première idée c'est qu'ils ne parlent pas parce qu'ils ne sont pas stimulés à la parole, de même que des enfants qui sont très peu entourés par un bain de langage auront quand même des difficultés de langage même si ils ne sont pas autistes. Par conséquent, il y a une stimulation dans le langage, une stimulation parentale et de l'environnement qui est tout à fait importante.

Geneviève Loison, psychanalyste lacanienne, pédopsychiatre référente à Lille.

"L'autisme, c'est donc la fusion maternelle ?" demande la journaliste. "Attendez", répond la psy, "là il y a des tas de théories, hein. Pour moi, j'ai soit la fusion, soit l'abandon complet, le vide. Soit l'un, soit l'autre. Les deux pôles. Ce n'est pas pareil. Mais quand ils sont complètement dans le vide. Mais, moi ce que je rencontre ici, dans le cabinet, c'est plutôt les fusions. Les abandons complets je ne les vois pas ils vont en institution.
- Bruno Bettelheim dit que les autistes sont victimes de mères trop froides, et d'un autre côté on a Jacques Lacan qui théorise la psychose et l'autisme par la fusion maternelle, par une relation quasi-incestueuse  entre la mère et l'enfant..
- Oui, oui, tout à fait.
- ....voilà, donc d'un autre côté on a une mère trop chaude.
-  Oui. Trop froide ou trop chaude, ça ne va pas. Il faut une mère, comme dit Winnicott, suffisamment bonne, ni trop bonne trop chaude, ni trop vide complètement, évidemment. S'il n'y a pas de relation, ça ne donnera rien.
- Comment expliquer que deux attitudes complètement opposées puissent donner le même résultat ?
- Il y a des mécanismes différents. Nous c'est notre travail de remettre entre les deux."

 Pourquoi-voulez vous qu'ils communiquent ? ils sont en fusion. Ils communiquent sans parole. Il n'ont pas de raison d'acquérir la parole. La parole suppose l'accès au symbolique. L'accès au père. Je ne suis pas qu'avec ma mère, il y a un père qui m'a créé à l'origine, qui a été le fondateur avec sa puissance paternelle, qui a créé un enfant. Et l'enfant ne le découvrira que très progressivement, ça.
- En quoi le père incarne-t-il le symbolique ?
- ... Ah, c'est difficile, ça. ...Euh... Ben..c'est l'accès à l'abstraction, à la distance. L'accès... faut bien parler quand on n'est plus collé. Il vient s'interposer entre la mère et l'enfant.
                                                                                  
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- Les enfants autistes (c'est la journaliste qui parle), on dit que leur mère n'arrive pas à capter leurs regards.
-  Ben oui, ils ne sont pas dans la relation du tout. Ils sont restés dans un oeuf.
- Ils fuient la mère, alors, parce qu'ils sont fusionnés à la mère ?
- Ils n'ont pas décollé du tout. Moi ce que j'en dis, et c'est.. ils sont restés dans l'oeuf, dans l'utérus. Ils sont restés dedans, pourquoi voulez-vous qu'ils regardent ou qu'ils parlent ?


- Il n'a pas pu, hein. Souvent, vous savez, combien de fois on voit des pères qui auraient voulu, et c'est ce qu'on appelle la forclusion. La forclusion du nom du père.
-   Qu'est-ce que ça veut dire ?
- Bonne question ! Ça veut dire que le père, en termes simples, a fait l'enfant mais qu'il n'existe pas. On nie son existence.
- La mère nie son existence ?
- Nie sa fonction, son existence, il n'y a qu'elle et l'enfant qui compte. Le père n'existe pas. Il est peut-être là pour apporter un peu d'argent, pour, pour.. il est là comme un figurant. Il n'a pas la fonction d'un mari aimé, considéré dans sa parole. Quand la mère considère la parole du père,  l'enfant découvre la parole.
- Si l'enfant ne parle pas, c''est que la mère déconsidère la parole du père.
- Ben, il n'y en a pas beaucoup, ici, hein, c'est en hôpital psychiatrique, en hôpital de jour que j'avais des autistes profonds.   

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Vous savez la folie..  oui, c'est les premiers mois de la vie. Mais le tout..on a tous été fous, puis.. Enfin ou presque.
(...)
La journaliste : Mais pourquoi qualifier cet instinct, cette relation, cette capacité hors langage, à la mère à comprendre son enfant hors-langage, pourquoi qualifier ça de folie ?
- Ben, parce que si on en restait là, l'enfant irait dans la folie, hein. Et la folie, c'est justement ce que vous demandiez tout à l'heure pour l'autisme : ils en sont restés là.

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"C'est le crocodile*, lance la dame en sortant un crocodile  en plastique d'un coffre à jouets. Voilà le crocodile. Alors, le crocodile nous indique tout de suite de quoi il s'agit. Il joue avec. Quand ils mettent la main dedans, je suis inquiète. Ou un objet dedans, je suis inquiète. Quand ils se mettent dessus ou quand ils tapent dessus, je suis rassurée !
- Pourquoi, qu'est-ce que ça veut dire le crocodile ? questionne la journaliste.
-  Le crocodile c'est la mère. Les dents de la mère.
(...)
- C'est ce que Lacan appelait la mère crocodile ?
-Oui. Alors, tout le but de notre travail, c'est de l'interdire de manger.
- De manger l'enfant ?
- Oui.
(...)  La psy tient le crocodile dans une main, un crayon dans l'autre.
- Et ce crayon, il représente quoi ?
- Et bien ça, c'est... (elle place le crayon en travers de la gueule du croco), voilà, tu ne peux plus. C'est la barre.
- C'est le phallus paternel ?
- Voilà. Tu ne peux plus.
- C'est la loi du père ? Qui barre l'enfant vers sa mère ?
- Voilà.
- Qui interdit à la mère de détruire l'enfant ?
- Voilà. Et de le dévorer.
- Est-ce que ça concerne les autistes ?
- Et oui. Mais oui. C'est une question de stade. Voyez, on prend l'enfant à un stade, parfois. Les autistes, c'est eux qui, souvent.. (elle sort une tortue en peluche, dans laquelle elle fourre une main).. ils nous mettent l'enfant là-dedans. Ils se mettent là-dedans. Là, on est  assez inquiets, hein !

*   « Un grand crocodile dans la bouche duquel vous êtes, c'est ça la mère. On ne sait pas ce qui peut lui prendre tout d'un coup, de refermer son clapet. C'est ça, le désir de la mère. Le rouleau qui est là en puissance au niveau du clapet, c'est ce qu'on appelle le phallus, c'est le rouleau qui vous met à l'abri si tout d'un coup ça se referme. »
 Jacques Lacan  : « Le Séminaire, livre XVII, L'envers de la psychanalyse ».
                                                                 
Laurent Danon-Boileau, psychanalyste, centre Alfred Binet à Paris :

"-  Il y a cette idée, bon il y a ce qu'on appelle familièrement la folie maternelle des premiers temps, c'est à dire grosso modo, il y a  un moment donné où la mère est tellement contente  d'avoir son lardon, elle fait un tout avec le lardon et puis il n'est pas question que quiconque  intervienne.
- Pourquoi appeler ça folie, d'ailleurs ?
- Euh... parce que il y a l'idée, disons, d'une espèce de totalité qui serait.. qui donne une espèce de toute puissance. Et à l'idée qu'on a fait une chose comme ça on est tout puissant, rien ne peut vous atteindre etc. etc."

- "La folie maternelle. Est-ce que la folie maternelle est un obstacle majeur à l'émergence du langage ? Dit sous cette forme-là bien entendu que oui."

Alexandre Stevens    :   
                                                
La journaliste :  -  Vous êtes d'accord avec la notion de folie maternelle ? Que toute femme, toute mère traverse les premiers mois après l'accouchement une phase de folie qui peut s'avérer problématique pour le nourrisson si elle se prolonge ?
- Oui, oui, non, moi ça ne me gêne pas du tout le terme de folie maternelle.
(...)
- Vous êtes psychiatre, la folie c'est quand même quelque chose de connoté. De manière assez négative, quand même.
-  Pas pour moi.
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- La fonction paternelle consiste à intervenir de deux façons. D'une part, çà un dire que  non à la fusion de la mère et de l'enfant. Le père est celui qui interdit la mère.
- Qui interdit sexuellement, c'est ça ?
- Qui interdit la jouissance de la mère.
- C'est à dire, c'est à entendre dans son équivoque. Il interdit aussi bien que l'enfant jouisse exclusivement de la mère, que le fait que la mère jouisse exclusivement de l'enfant.

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Esthela Solano,  psychanalyste à Paris, professeur à l'Université Paris VIII

- Fondamentalement, la fonction du père c'est une fonction symbolique, et des fois, le père réel ne porte pas cette fonction symbolique. Et il peut être absolument adorable et gentil, et néanmoins, l'enfant se trouve confronté à une carence symbolique du côté de la fonction paternelle. (...) Quand on parle de fonction paternelle, c'est quelque chose qui oriente dans  la vie. C'est une sorte d'autoroute. Une boussole.
- Pourquoi la mère, en tant que femme, ne pourrait pas donner une assise à l'enfant ? Même livrée à elle-même ?
-  Il y a des mères qui peuvent bien transmettre une fonction paternelle.
- Mais pourquoi ce n'est pas une fonction maternelle ? Pourquoi ce n'est pas une symbolique maternelle ? Pourquoi lui donner un sexe ?
(...)
- La loi de la mère, c'est une loi de caprice.

Yann Bokopolsky,  psychanalyste et criminologue.

- Il ne s'agit d'ailleurs pas que des mères. Il s'agit aussi de la place du père dans le désir de la mère, et il s'agit d'un certain nombre de données, ne serait-ce que celles déjà avec lesquelles l'enfant lui-même est venu au monde, et du lien qui s'est créé, ou des désirs de mort  que telle mère a pu avoir effectivement pour cet enfant nouveau-né, mais toutes les mères qui ont des désirs de mort pour leur enfant ne vont pas faire que...tous ces désirs-là ne vont pas faire  que l'enfant va être psychotique pour autant.
   
LA PSYCHANALYSE  ET  LA SCIENCE


Eric Laurent, psychanalyste, enseignant formateur en psychanalyse.

- Il y a des espoirs du côté de la biologie. Et ces espoirs, ça serait merveilleux d'y croire ! Si on peut croire nous demain, demain on va avoir les solutions. Et bien, la psychanalyse, comme discours coruscant [qui brille, étincelant*] envers toutes les croyances,  est d'essayer de pouvoir faire vivre l'humanité sans qu'elle croit à des lubies trop importantes, fait partie de son effort. Alors, le dialogue avec les neurosciences, c'est pas simplement nous-mêmes, nous informer des résultats, et de faire valoir que ça ne change pas ce qui est notre pratique fondamentale, l'orientation de notre pratique, c'est aussi d'essayer de pouvoir faire vivre l'humanité sans avoir de trop grands espoirs dans les différentes bonnes nouvelles qui sont publiées tous les jours, et qui sont faites pour essayer de maintenir, justement, un taux de bonnes nouvelles dans un environnement où il y en a fort peu

Esthela Solano,  psychanalyste à Paris, professeur à l'Université Paris VIII

La journaliste :  le psychisme, il n'évolue pas indépendamment du cerveau, il ne se promène pas tout seul dans le vide. Si on a d'un côté le cerveau d'un enfant normal, qui fonctionne bien, d'un côté, et de l'autre un enfant autiste, par exemple,  dont le cerveau ne fonctionne pas bien, est-ce que ça ne fait pas une différence fondamentale dans sa capacité à communiquer avec le monde extérieur ?
[question originale : Je voulais savoir si la découverte des causes génétiques de l'autisme et des lésions neurologiques a pu modifier votre approche sur l'autisme en tant que psychanalyste.]
-  Cette façon de concevoir la causalité de l'autisme est très réductrice.

Geneviève Loison

 La journaliste :  - Est-ce qu'il ya une plus grande incidence des cas de psychoses, d'autisme dans  les pays en guerre, les favellas de Rio, dans toutes ces circonstances où les mères ont de bonnes raisons d'être déprimées ?
- Mmmh...Je ne suis pas au courant. Je n'arriverai pas à répondre. Je peux dire que ce que je vis au cabinet, vous voyez.

Alexandre Stevens

"Dans le monde francophone, l'envahissement par les techniques cognitivo-comportementales, est un envahissement nouveau, récent, mais très présent actuellement. La psychanalyse se bat contre cet envahissement. N'est-ce pas ? Un certain nombre de collègues, spécialement Jacques Alain Miller, ont pris la tête de cette lutte, de ce combat. D'autres aussi, dans d'autres mouvements. N'est-ce pas ? C'est un combat très important. Pour maintenir vivant, la dimension, au fond, de la subjectivité par... c'est à dire des singularités de chaque sujet, par rapport, au fond, à cette idée comportementale  du réglage par cases."

Professeur Bernard Golse, Psychanalyste APF, chef de service de pédopsychiatrie de l'hôpital Necker à Paris.

"Le bébé, une partie de ses chromosomes vient du père l'autre de la mère. Donc il y a une partie qui est comme la mère, celle-là elle ne pose pas de problème, et il y a une autre partie qui est comme le père, qui pose immédiatement un problème. Et d'ailleurs, dès que l'enfant est conçu, l'organisme maternel va immédiatement sécréter une vague d'anticorps très forte, pour expulser ce bébé qui est à demi étranger pour le corps de la mère. C'est un petit peu triste à dire à le dire comme ça, mais finalement, la première chose que biologiquement la mère ne supporte pas chez son bébé, c'est la partie qui vient du père. Alors ce qui est doublement anthropologique là-dedans, c'est le double-non. Non je ne reconnais pas le bébé je vais l'éjecter. Mais tout de suite, un non au non."



LA PRATIQUE PSYCHANALYTIQUE



Alexandre Stevens

- Vous voyez des auteurs comme Tustin ou Margaret Mahler, au fond, expliquer comment il s'agit d'abord d'apprivoiser l'enfant. Là on est en cabinet, mais c'est la même chose en inrtitution, ça. Apprivoiser l'enfant, c'est à dire... je ne sais plus laquelle décrit ça, il s'agit de se tenir un peu en retrait, pas dans la diretion de son regard, ne pas parler trop fort, suivre ce qu'il dit plutôt que d'essayer de le précéder etc.

Laurent Danon-Boileau, psychoanalyste, centre Alfred Binet à Paris.

Bon, moi je suis plutôt du genre à être disons, comme dans une attitude d'observation. C'est à dire, avec une enfant autiste, j'en fais très peu. Très peu, ça veut dire quoi? Que je pose mes fesses, que je me mets à côté de lui et j'attends qu'il se passe quelque chose. Et, j'oublie, j'essaie d'oublier tout. J'oublie le temps. J'oublie qu'on est pressés par le temps pour qu'il acquiert le langage, j'oublie tout. Parce que je me dis qu'à partir du moment où je suis dans cette espèce d'apesanteur, il risque de se passer quelque chose, que je ne peux pas prévoir.

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-  Moi, si l'enfant fait rien de toute la séance, si je somnole à côté de lui, ça m'est égal. Je suis habitué à ça dans mon travail de psychanalyste. Mais ça suppose un certain nombre de trucs. Ça suppose, un, ne pas s'emmerder quand on a des idées à soi, deux, ça suppose aussi de ramer à l'encontre de tout un fonctionnement social qui veut qu'on est pressé par le temps, qu'il faut faire des trucs, que etc. c'est bien gentil tout ça mais quand même si l'enfant est encore comme ça dans dix ans c'est pas vous qui allez... Tout ça est vrai.  Je me mets dans la position de psychanalyste. Ça veut dire de n'avoir ni mémoire, ni attente, et à partir de ce moment-là il se passe quelque chose; Et ça,  c'est une attitude, je pense, qui est une atitude psychanalytique. Profondément."

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"Si vous chantez une petite chanson et que l'enfant autiste s'y trouve pas mal, il y a quelque chose qui se passe. Alors vous allez me dire, il n'y a pas besoin d'être psychanalyste pour ça. Si. Si, vous n'en faites pas une méthode éducative. Si. Si,  vous vous dites : après tout, ce que l'enfant va en faire je m'en moque, visiblement ça a l'air de l'intéresser, on fait ça et puis on verra bien après. Ou on verra pas après. C'est vraiment...  Le point fondamental de mon attitude en tant qu'analyste vis-à-vis de ces enfants-là, c'est le fait d'abdiquer l'idée d'une progression. Et ça va pas de soi, hein, je vous prie de croire que... . Mon idéal analytique  me fait exigence d'abandonner cette dimension-là, mais il se trouve aussi que je suis, que  j'appartiens à une société dans laquelle je suis payé pour donner du soin. Par conséquent, je suis en conflit. Mais, ça, la situation de conflit, si un analyste n'est pas foutu de la vivre, il faut qu'il change de métier, parce que c'est le fondement même de la pratique analytique.

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La journaliste : - Qu'est-ce qu'un enfant autiste peut raisonnablement attendre d'un travail analytique. En terme de résultats ?
Le psy sourit, garde le silence, baisse la tête, on ne voit plus que ses cheveux, il se gratte la nuque. Il se passe de très longues secondes ainsi dans le silence. Soudain, la tête se relève. Et le bonhomme lâche :
              - Le plaisir de s'intéresser à une bulle de savon.
Long silence encore puis :
                  - Je ne peux pas vous répondre autre chose.

Eric Laurent, psychanalyste, enseignant formateur en psychanalyse.
                                                               
- Quel est l'impact de la psychanalyse sur les enfants autistes ? Qu'est-ce qu'un enfant autiste peut raisonnablement en attendre, en termes de résultats ? interroge la journaliste.
- "Mais ça, je peux pas répondre à ça. C'est pas une question de psychanalyste, ça".

Esthela Solano,  psychanalyste à Paris, professeur à l'Université Paris VIII
            
- Disons que lorsqu'on reçoit un enfant autiste, on pratique une psychanalyse qui est une pure invention. On se trouve en face d'un sujet qui, la plupart du temps, ne dispose pas du langage.
(...)  Aucune volonté de maîtrise. Aucune volonté éducative.  Aucune imposition de quoi que ce soit.
(...)  Il s'agit justement de prendre en compte les détails les plus insignifiants, et de s'apercevoir que ce détail insignifiant peut être interprété comme voulant dire un petit quelque chose, et donc, petit à petit, on peut intervenir en supposant que là il y a un signe , donc nous le prélevons de l'ordre d'en vouloir dire.



LE DISCOURS PSYCHANALYTIQUE AU-DELA DE L'AUTISME



Jacqueline Schaeffer, psychoanalyste, enseignante formatrice en psychanalyse.

- A la naissance de l'enfant, il y a une lune de miel, hein ? Quelquefois c'est pas si lune de miel que ça, ça peut être dramatique, mais il y a une lune de miel, il y a une fusion, il y a un extraordinaire.... bon, alors, quand vous dites ne faire qu'un, bien sûr il y a cette fusion, il y a en même temps un grand plaisir pris ensemble. Le bébé très rapidement, ce qu'on peut dire, bon, il n'y a pas de différence des sexes, mais il y a un grand plaisir érotique pris ensemble.  

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Dans les soins maternels, la mère peut très bien exciter le pénis d'un petit garçon.  Dans les soins maternels, les petits garçons ne s'en privent pas. On a beaucoup de petits garçons, qui, quand ils sont langés, quand ils sont, voyez, nettoyés par la mère, le petit pénis réagit.  

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- L'inceste paternel, ça ne fait pas tellement de dégâts. Ça rend des filles un peu débiles, mais l'inceste maternel, ça fait de la psychose, c'est à dire, c'est la folie. Il ne peut pas y avoir d'inceste maternel, d'un garçon avec sa mère, sans qu'il y ait un énorme trouble mental. C'est pas  possible. A cause, justement, de cette fameuse barrière, mais la fille avec le père, elle n'est pas issue du père, hein ? elle n'a pas été dans le ventre du père, donc  il y a quelque chose, vous voyez, c'est un inceste secondaire, je dirais ça, alors que l'inceste primaire, véritable, c'est  la mère, c'est pénétrer la mère. Et les garçons qui pénètrent leur mère, ils sont psychotiques. Alors que la fille, non.  Les filles peuvent... on a beaucoup d'expériences de filles avec un inceste paternel, qui se débrouillent pas trop mal. Bon, on ne peut pas dire que ça va très très bien, il y en a qui sont très très mal, il y en a qui sont moins mal, et puis il y en a qui se débrouillent en.. bon, autrement, ce que je disais un petit peu débiles, mais, mais.. c'est très différent.

Laurent Danon-Boileau, psychoanalyste, centre Alfred Binet à Paris.
                                                    
- Il y a des psychanalystes qui, il y a très longtemps, ont parlé de quelque chose qu'ils ont appelé "la censure de l'amante". Ça veut dire une chose très simple. Ça veut dire que, quand la mère est en train, disons, de changer le nourrisson, et pui que tout d'un coup, elle prend un peu trop de plaisir à son propre goût, dans le toucher qu'elle a du nourrisson. Et elle se dit ouh là là il y a une chose de bizarre, c'est pas logique, là je le traite pas comme...
- Un truc un peu incestueux ?
- Un truc un peu incestueux. Qu'est-ce qui se passe ? Et bien elle va penser à l'homme avec lequel elle l'a conçu. En d'autres termes, à son amant. Bon. Et du coup, ça va créer une distance entre elle-même et le nourrisson en question. C'est ce qu'on appelle la censure de l'amante.
- Il faut qu'elle ait un homme dans la tête pour qu'elle ne soit pas dans la relation incestueuse avec son enfant ?
- C'est pas : il faut que... C'est qu'on ne peut pas y échapper.

  Yann Bokopolsky,  psychanalyste et criminologue.

- Au début, l'enfant pense qu'il est le phallus de la mère, c'est à dire qu'il est cet objet qui viendrait tout donner, combler la mère, la faire jouir complètement.

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- Le père est là pour dire l'interdit, et, en même temps, euh, protéger l'enfant. C'est à dire protéger l'enfant du désir incestueux de la mère.
- Toutes les mères ont des désirs incestueux envers leur enfant ?
- Oh oui ! Qu'elles en aient conscience ou pas. Oui.
- D'où vous vient cette conviction ?
- Oh, ben déjà des écrits psychanalytiques, je veux dire le désir, il n'est pas interdit. C'est sa réalisation qui l'est.
- Mais que l'amour d'une mère pour son enfant ait des désirs incestueux, c'est...c'est....c'est...
-  Et bien, et bien... euh oui, parce que, euh, déjà elle a beaucoup de mal à se séparer de son enfant qui est né. Il y a là une unité qui se fait, qui, si, euh, le père de l'enfant, ou celui qui occupe cette place, qui n'est pas forcément le géniteur, ne vient pas dire à la mère que la jouissance ça se passe entre eux, ne vient pas rappeler son désir à la mère, et la jouissance qu'elle va pouvoir avoir par le truchement de ce désir qui  les lie tous les deux, la mère va avoir une jouissance à caresser son enfant, à pouvoir l'avoir sur le corps toute la journée que sais-je, enfin, va jouir, et c'est en cela, pour reprendre votre question de tout à l'heure, que le corps  est bien présent, et que la sexualité, pour autant qu'elle ait à voir avec la jouissance que donne le corps, et qui est reprise par le langage, est d'emblée présente dans les questions des psychanalystes.  

Dr Aldo Naouri, pédiatre, analyste, essayiste

- Et bien, la plupart du temps, le symptôme de l'enfant n'est ni plus ni moins que le symptôme qui lui est imparti d'avoir par l'inconscient maternel principalement.  Car les enfants sont dans une relation très très très perméable dans leur relation avec leur mère. La gestation conditionne littéralement un enfant, et le formate, et vraiment lui donne quelque chose  qui est entièrement fabriqué sur le corps, ce qui vient du corps de sa mère. Ça fragilise le terrain,  c'est à dire que ça met l'enfant dans un état où justement, sa résistance est altérée par les conditions qui lui sont faites de son environnement.
     
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"La mère se situe du côté de la nature, et de ce côté elle est animale, si vous voulez, tandis que le père, lui, a été celui qui a fondé la culture. Ce qui fait dire d'ailleurs à Levi-Strauss cette magnifique définition quand  il parle du couple, il dit : c'est l'union dramatique  de la nature et de la culture. D'accord ? Quand le droit soutient la culture, en disant : il y a du père, il dit : nous sommes dans la culture, le retour à la  nature ne doit pas se faire.
il dit : Nous sommes la culture, le retour à la nature ne doit pas se faire."

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- Dans ce cas, pourquoi la grande majorité des incestes sont-ils perpétrés par des hommes ?
- D'abord il faut vous signaler une chose, c'est que l'inceste père-fille est infiniment plus fréquent que l'inceste mère-fils. N'est-ce pas ? Et pourquoi il n'y a pas plus d'inceste mère-fils, pour une raison simple, c'est que l'attitude maternelle à l'endroit des enfants, qu'ils soient garçons ou filles, est une attitude d'essence incestueuse, spontanément. Le rêve de toute mère, c'est que son enfant ne manque de rien. La disposition maternelle à l'endroit de l'enfant  est une disposition incestueuse. Donc elle n'a pas besoin, elle n'a pas besoin de passer à l'acte. Dans son attitude, il ya suffisament de choses, elle ne passe pas à l'acte.



L'AUTISME, c'est quoi ?   



La recherche scientifique éclaire progressivement les causes des pathologies autistiques. Elle a mis en évidence la présence de nombreux désordres dans le cerveau des personnes autistes. Ces problèmes sont d'ordre : neurologiques, génétiques, métabolique, immunologique, principalement. Il existe aussi un certain nombre des facteurs environnementaux connus ou suspectés, tous liés à des agressions ou des mofifications physiobiologiques : virus, médicaments, métaux, malformations, âge des parents, procréation assistée, accidents prénataux, périnataux, effets climatiques, différences nutritionnelles, infections maternelles, etc.)  
Par ces découvertes,  la science apporte enfin les premières pierres à la connaissance des origines des pathologies autistiques. En mettant en évidence un faisceau de causes neurobiologiques, elle a commencé de démontrer rigoureusement les différents dysfonctionnements à l'oeuvre dans la survenue de ces pathologies. Sur ces causes, nous ne possédons pas d'autres éléments de connaissance, quoi qu'en disent les psychanalystes, nous y reviendrons. En conséquence, pour qui s'intéresse sérieusement à la question autistique, ces découvertes éclairent pour la première fois ses origines.
Les désordres constatés dans les pathologies autistiques sont très divers et très complexes non seulement dans leur fonctionnement  mais aussi parce qu'ils se combinent le plus souvent, formant tout un ensemble de causes. Si on rattache tous ces désordres à une même famille, c'est qu'ils handicapent la vie de tous les enfants touchés principalement dans le registre de la communication, de la sociabilité et du comportement. Selon, la gravité des causes, les autistes sont handicapés dans ces registres à des degrés très divers, d'où le terme de Troubles du Spectre Autistique (TSA), plus approprié à la réalité des handicaps, plutôt qu'autisme au singulier.



LA CRITIQUE DE LA PSYCHANALYSE, Les causes de l'autisme.

Introduction

Dans le documentaire de Sophie Robert, les psychanalystes assimilent à des degrés divers l'autisme à une psychose infantile. Cette définition a été abandonnée de par le monde.  L'Organisation Mondiale pour la Santé (OMS) classe les syndromes autistiques  parmi les Troubles Envahissants du Développement (TED).  Cette Classification Internationale des Maladies (CIM, CIM-10 à ce jour) est établie par un ensemble de médecins et de chercheurs du monde entier, à l'image du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux              (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders : DSM, à ce jour DSM-IV), dont la définition autistique est similaire. Précisons que toute référence à la psychanalyse a  été évacuée du DSM depuis le DSM-III, en 1980.  Les deux classifications médicales citées sont celles qui font autorité dans le monde entier, et il n'est pas étonnant que La Haute Autorité de Santé Publique française  (HAS) ait repris peu ou prou leur définition et leurs critères  de l'autisme.
Nous n'entrerons pas dans le débat plus ou moins technique de la critique que font de nombreux psychanalystes français au DSM. Primo, parce que celui-ci dépasse le cadre de notre sujet, qui est l'autisme, et secundo parce que la question de savoir si la psychanalyse a un rôle à jouer dans la prise en charge des autistes trouve sa réponse dans l'analyse critique des discours et des pratiques psychanalytiques : c'est ce que nous allons examiner. Toutefois, nous ne résistons pas à l'envie de reproduire ici les propos d'un théoricien prolixe, psychologue clinicien de son état,  Arthur Mary, à propos du DSM :
"Pour varier autour du thème de l’athéoricité du DSM, nous proposons de rapprocher de notre débat la question de la jouissance. Quelle modalité de jouissance (phallique ou autre) se révèle dans la volonté de noyer dans une équivalence des théories les différentes psychologies ? A première vue, le rejet d’une théorie qui dominerait toutes les autres relève d’un refus d’une jouissance phallique, c’est-à-dire un rejet de ce qui se soutiendrait d’un point d’exception. A l’opposé donc, l’idéal d’un livre qui serait totalement hors de la théorie unique mais dans toutes à la fois, renvoie à une modalité toute autre que phallique d’organiser la jouissance des lecteurs et utilisateurs de ce manuel. Soit, une autre façon d’exprimer qu’est forclose la dimension symbolique des théories englobées par un système prétenduement athéorique."
http://arturmary.wordpress.com/2008/10/07/le-dsm-est-il-atheorique/
Peu importe de savoir ici la nature des théories dont on parle, ni si une volonté existe bel et bien  de la part de quelqu'un à combattre telle ou telle, ce que nous retenons c'est l'affirmation répétée que le débat théorique, la polémique relèvent de la jouissance. On théorise dans un sens et on serait dans la jouissance phallique. On théorise dans un autre sens et on serait dans le refus de cette jouissance. Toute personne de bon sens sait bien qu'il y a dans le débat polémique une dimension affective, émotionnelle. Les convictions des uns et des autres peuvent s'accompagner d'indignation, de colère, de haine, parfois, exprimée ou non, c'est une évidence. Mais, sur quelle base donner au  sujet  une dimension de jouissance phallique ?  Je n'ai pas connaissance de la moindre observation, de la moindre connaissance pouvant appuyer cette allégation. Par ailleurs, elle s'articule autour d'un pôle sexuel unique qui ne rappelle que trop bien  l'histoire de la domination masculine, par idéologie faut-il le rappeler, et jamais par souci de vérité ou de justice. Cette obsession sexuelle  est partout dans le discours de la psychanalyse, et chacun sait que son fondateur en est le premier promoteur. Le principal problème de ce sujet, décliné par la psychanalyse sur de multiples modes pour parler des causes et de la nature de l'autisme est celui de sa validité, de sa véracité. C'est ce que nous proposons d'interroger ici.

La parole des psychanalystes interrogés

S'agissant des causes de l'autisme, que disent-ils  ? :

1)  L'autisme est un mode de réaction de l'enfant, une réponse à un envahissement du monde, une façon de se défendre de la langue. L'enfant autiste est lui-même "malade du langage". Il ne parle pas parce qu'il est "confondu", "fusionné dans l'autre".
 On est frappé par le rôle majeur que tient ici le langage. Rappelons que les troubles autistiques concernent principalement des troubles de communication, de comportement et d'interactions sociales. Le langage même, la parole,  n'est pas le principal obstacle à la compréhension et à la communication. Des sourds-muets ont une langue adaptée, et les autistes qui ne peuvent parler s'emparent des langages de substitution qu'on leur propose  (Makaton, Pecs, par exemple) quand leurs capacités cérébrales le leur permet. Alors, pourquoi cette obsession du langage chez les psychanalystes, alors que les troubles autistiques débordent de loin cette problématique ?  Bernard Golse, dans le film, nous donne un élément de réponse :
"Si le langage nous touche tout au long de notre vie à ce point là, et la psychanalyse passe par le langage, c'est que le langage ne parle que de séparation."
Dans le même ordre d'idées péremptoires et gratuites, nous pouvons citer Jacques Lacan définissant l'analyse comme "une partie entre quelqu'un qui parle, mais qu'on a averti que sa parlote avait de l'importance. Vous savez il y a des gens à qui on a affaire dans l'analyse, avec qui il est dur d'obtenir ça. Il y en a pour qui dire quelques mots ce n'est pas si facile. On appelle ça autisme. C'est vite dit. Ce n'est pas du tout forcément ça. C'est simplement des gens pour qui le poids des mots est très sérieux et qui ne sont pas facilement disposés à en prendre à leur aise avec ces mots. "
Jacques Lacan, conférences américaines, Revue Scilicet 5/6, p 46


Comment peut on être professeur et affirmer sans rougir que le langage, vecteur de mille et une richesses de la culture humaine "ne parle que de séparation" ? Comment Lacan peut-il parler sérieusement d'enfants au cerveau endommagé comme autant de personnages de salons qui soupèsent leurs mots avec gourmandise ? C'est une insulte aux handicapés. Ici, on pointe du doigt l'attitude constante des psychanalystes, nous y reviendrons souvent, qui consiste à affirmer des opinions avec une réthorique peut être séduisante, mais dont le rapport au réel est inexistant.  
Commençons par cette pseudo responsabilité du bébé, de son choix délibéré de devenir autiste. Une telle opinion confère à un embryon ou à un  nourrisson des capacités phénoménales d'action sur le fonctionnement de son cerveau, d'une manière ou d'une autre. Primo, l'opinion apparaît ridicule au sens commun a priori, s'agissant d'un être en gestation ou d'un nourrisson. Secundo,  si les "envahissements" divers et variés du monde (guerre, dépression maternelle, pauvreté, etc.)  autorisaient un enfant à s'auto-mutiler, la prévalence de l'autisme serait significative dans des lieux de graves conflits ou de situations sociales douloureuses. Il n'en est évidemment rien et il ne me semble pas que les psychanalystes aient jamais cherché à le mesurer. Surtout pas Geneviève Loison, qui ne sait que ce qui se passe hors de son cabinet. Une démarche très scientifique, là encore.  Tertio, surtout, aucune connaissance ne vient, de près ou de loin, étayer ces allégations . Au contraire. Toutes les découvertes sur le cerveau démontrent que l'enfant est seulement  une victime. Il ne choisit rien mais il subit toutes sortes d'agressions, comme n'importe quel handicapé, n'importe quel malade. Il ne choisit rien, mais des étapes de son développement peuvent mal se dérouler. C'est ce que l'on sait. Mais dire "qu'il se défend la langue" vient de l'imagination pure. C'est un non sens total. La capacité de produire du langage demande au moins un matériel cérébral, neuronal, adéquat. C'est le minimum requis. Sans ce minimum, il n'est même pas besoin de s'interroger sur les conditions de production de langage qui sont aussi sociales. Régulièrement, les recherches scientifiques pointent chez les autistes des problèmes de maturation de cerveau, de cellules nerveuses, de  neurotransmetteurs, la liste est longue et la cohorte de problèmes qu'ils engendrent, hélas, aussi.

2)  L'autisme est dû à une carence (dépression, folie, négation du père) ou, au contraire,  à une "fusion" maternelle;  Il peut s'y ajouter une carence paternelle, un manque de stimulation à la parole.  

Cette manière d'aborder les causes des troubles autistiques n'est en rien sérieuse. En rien rationnelle. Nous avons évoqué l'ensemble des dysfonctionnements neurobiologiques susceptibles de déclencher la venue de ces troubles. Elles ne concernent ni de près ni de loin les causes avancées par ces psychanalystes.
Devant les découvertes scientifiques et les progrès des méthodes éducatives, ces thèses dites psychogéniques ont depuis longtemps été abandonnées aux Etats-Unis, puis dans les pays Anglo-Saxons, et la France est un cas vraiment à part où les idées psychanalytiques les plus contestables continuent d'être enseignées. Ce qui signifie clairement qu'à l'heure où on parle, des psychanalystes reçoivent des parents dans les hôpitaux, des centres publics de soins (j'en suis le premier témoin)  en les incluant (surtout la mère) à part entière dans le "soin" de l'enfant, en les culpabilisant. Si vous êtes armés socialement, intellectuellement, vous possédez aujourd'hui assez d'arguments pour refuser un tel traitement, l'évolution des lois va dans ce sens, mais si vous êtes démuni, cette mise en cause peut être catastrophique pour la famille, on l'imaginera sans peine.


Que ceux-ci ne représentent pas toute la communauté psychanalytique, c'est un fait, et nous allons examiner plus loin d'autres points de vue de la discipline. Mais que l'on accuse Sophie Robert de caricaturer la psychanalyse  à travers le choix de leurs propos, n'est pas une position tenable. Pour le montrer, faisons même l'avocat du diable en tombant d'accord avec les psychanalystes que la documentariste a opté délibérément de fabriquer un document à charge. Les petites manipulations coupables de la réalisatrice, pointées par le jugement du tribunal de Lille, sont là pour en témoigner, ainsi que l'ensemble  des propos retenus pour  le film. Seulement, pour que ce parti pris puisse être assimilé à une caricature, il faudrait que les propos retenus des psychanalystes ne représentent que des points de vues marginaux de la discipline, que les idées et les pratiques dont le spectateur est témoin  sont à la fois rejetées et décriées par l'ensemble de la profession. Nous allons voir que c'est loin d'être le cas.


Par ailleurs, mettons en avant une critique touchant à la simplification réductive des théories psychanalytiques :
 "Toute personne qui connaît les travaux des psychanalytes de renom, tels que Lacan ou Winnicott qui sont cités, sera frappée par les simplifications faites: traiter de la notion lacanienne de forclusion en deux minutes est une aberration; aplatir celle de "préoccupation maternelle primaire" de Winnicott (extrêmement riche et tout à fait observable) sur l'expression "folie maternelle" (comme s'il avait soutenu que les mères, à la naissance de leur enfant, étaient folles!) en est une autre..."
http://maurice.villard.pagesperso-orange.fr/AUTLEMUR.htm
Ici, le psychanalyste nous explique qu'il y a simplification et caricature des notions psychanalytiques au prétexte qu'elle n'ont pas été exposées dans toute leur richesse. L'argument est parfaitement rhétorique. Certains énoncés ont une signification claire en dehors de tout contexte. Si un homme public dit  : "les Arabes sont des feignants", le racisme patent de la phrase est avéré quelque soit le contexte. C'est la même chose pour bon nombre de phrases imbuvables pronconcées dans le documentaire. Il faut les assumer.  Et comme nous le disions, nous allons montrer que toutes les prétendues caricatures sont bel et bien des idées et des pratiques de la psychanalyse dans son ensemble. Entrons dans le vif du sujet.

LA PSYCHANALYSE et la SCIENCE

L'AUTISME et LA PSYCHANALYSE CONTEMPORAINE

Commençons par le rôle de la psychanalyse dans la prise en charge de l'autisme, selon deux grands noms de la discipline :
"Selon Hochmann* (2003), la psychothérapie d'inspiration psychanalytique appliquée aux enfants autistes consiste d'abord à les aider à « communiquer avec une personne étrangére à la famille » et à « mettre en relation les différents événements de leur vie présente et passée, en rapprochant ce qui se passe dans la cure et dans leur vie quotidienne  ». Houzel et Haag (1989) précisent que la « psychanalyse s'occupe des significations et non des causes.
Selon Haag et al. (1995). le psychanalyste a un double rôle auprés des enfants autistes. D'une part au sein du traitement individuel ou groupal, « il doit savoir repérer et travailler, dans les relations transférentielles et contre-transférentielles, les angoisses en arrière plan des aspects pathologiques des défenses » et,  d'autre part. « il doit communiquer suffisamment d'éléments de compréhension de la psychodynamique à l'oeuvre  aux équipes soignantes et aux familles ». Ainsi, l'entretien et le soutien aux parents sont aujourd'hui intégrés à la psychanalyse (Hoclnrarur. 1989 : Houzel et Haig. 1989)."
http://www.creai-bretagne.org/pdf/rapport%20baghdadli.pdf

* professeur émérite à l'Université Lyon I, Claude-Bernard, membre honoraire de la Société psychanalytique de Paris et médecin honoraire des hôpitaux de Lyon.
* Geneviève Haag, pédopsychiatre et psychanalyste, théoricienne

"De nombreux psychanalystes considèrent la psychose comme la conséquence d’une interrelation qui ne permet pas, pour des raisons qualitativement diverses, la structuration normale du nourrisson et la construction d’une relation normale à la réalité. Cette interrelation est bien entendu celle qui lie le bébé à sa mère, c’est-à-dire son lien primaire, et relèverait donc d’un dysfonctionnement. Nous pouvons notamment évoquer Winnicott qui nous sensibilise à l’impact de la « défaillance de la fonction de la mère ordinaire normalement dévouée, à un moment donné ou pendant une période donnée »[1]. Cet auteur, qui a surtout cherché à théoriser le développement de la psyché chez le nourrisson et le petit enfant, met en exergue le caractère fragile des tous premiers liens en expliquant qu’une « sorte de communication s’établit avec force depuis le tout début de la vie de chaque individu, et quel que soit le potentiel, l’édification des expériences vécues – ce qui devient une personne – ne tient qu’à un fil, le développement peut être suspendu ou dévoyé n’importe quand, comme il peut… ne jamais se manifester »[2].  Winnicott attribue donc au lien primaire qui s’établit entre le nourrisson et son objet maternel une importance considérable dans le développement ou non d’un fonctionnement psychotique.
Dans leur définition de la psychose, Laplanche et Pontalis précisent que « fondamentalement, c’est dans une perturbation primaire de la relation libidinale à la réalité que la théorie psychanalytique voit le dénominateur commun des psychoses, la plupart des symptômes manifestes étant des tentatives secondaires de restauration du lien objectal. »[3]. D’une manière générale, les travaux psychanalytiques étayent donc l’hypothèse d’une perturbation dans le développement des toutes premières relations. Mais « il ne faut pas penser à propos des enfants souffrant de psychose infantile que ce sont des enfants normaux chez qui une mère émotionnellement dérangée aurait induit un processus psychotique. Ces enfants sont vulnérables de constitution et peuvent être prédisposés au développement de la psychose. C’est souvent l’existence même d’un défaut constitutionnel du moi de l’enfant qui tend à créer le cercle vicieux de la relation pathogène mère-enfant, en stimulant la mère à réagir vis-à-vis de l’enfant d’une manière nuisible à ses tentatives de séparation et d’individuation ».[4] Le sujet aurait donc une part active indéniable dans l’établissement de son lien à l’objet primaire et ne serait pas uniquement un petit être passif qui se laisserait entièrement modelé par sa mère.
Sans vouloir donc stigmatiser les mères d’enfants psychotiques comme « mauvaises », ce modèle psychanalytique de compréhension de la psychose a l’intérêt de se focaliser sur le lien primaire mère-bébé et donc d’axer son dispositif thérapeutique sur les mouvements transféro-contre-transférentiels qui réactualisent ce lien et permettent de le travailler.

A. Psychose autistique et identification adhésive

Intéressons nous à présent aux psychoses autistiques et précisément au lien mère-enfant lorsque celui-ci a un fonctionnement autistique. Dans la filiation de Bion, F. Tustin et D. Meltzer ont décrit un état antérieur à l’individualisation d’un self ayant constitué une séparation d’avec les objets, et une relation préalable à l’identification projective, l’identification adhésive. Meltzer (1984) décrit effectivement l’autisme comme une forme désespérée d’attachement de l’enfant à sa mère. Réputé pour son travail sur cette forme de psychose infantile, cet auteur considère que l’enfant autiste cherche à maintenir un lien exclusif et « omnipotent » avec un objet maternel. Il évoque la bidimensionnalité de la relation d’objet comme précédant la tridimensionnalité et l’identification adhésive comme une défense contre le ne-pas-cesser-de-tomber. Le mécanisme d’identification adhésive décrit initialement par E. Bick entre la mère et le nourrisson, dans le sens d’une identification narcissique primitive où sujet et objet sont en continuité corporelle, se manifeste par des mouvements de rapprochements momentanés, instantanés ou durables du bébé avec son environnement social et physique. G.Haag (1984) évoque elle le terme d’identité adhésive, sorte d’émotionnalité primitive à l’œuvre dans la fusion bidimensionnelle, de ” collé à ” fusionnel où le sentiment d’identité séparée est plus ou moins aboli.
Dans le cas d’un enfant au fonctionnement autistique, « ce mécanisme ne lui permettrait pas de rencontrer l’environnement dans ce qu’il comporte de lié et d’uni. Ces absences de liens constituent des trous de la psyché. Chaque sensation, perception, représentation est incomplète. L’enfant grandit avec cette impression constante de vide, de manque qui marque chacun de ses comportements. Il ne peut se constituer comme sujet, faute d’un soi complet et vivifié par des plaisirs liés à ses interactions et à ses perceptions. »[5] Pour Tustin (1989), un “trou noir”, vécu d’annihilation, d’”agonie primitive” pour reprendre l’expression winnicottienne, serait conséquent à la perte du sein alors que l’enfant n’a pas encore constitué la différenciation dedans/dehors et qui serait donc vécue comme un arrachement de la bouche avec le mamelon. Cet arrachement provoquerait alors une perte du sentiment d’existence.
On peut estimer que l’identification adhésive est une véritable conséquence, pour une part, de la vie utérine. En effet, le « fantasme de corps-unique, primordial chez tout être humain, a bien sûr son prototype biologique qui prend naissance dans la vie intra-utérine, où le corps-mère doit véritablement subvenir aux besoins vitaux des deux êtres. »[6] Si le développement de l’enfant est non pathologique, celui-ci va évoluer vers une réelle séparation et individuation, faisant parallèlement le deuil de ce fantasme de corps-unique. Par contre, on peut retrouver dans les fonctionnements psychotiques, autistiques et symbiotiques, cette illusion de n’être qu’un, d’être en fusion parfaite. L’identification adhésive est donc une manifestation de l’intolérance à la séparation. Si, pour l’enfant, seul existe ce qui est au contact de sa propre surface, la moindre modification dans l’environnement ou dans la surface de l’objet le plonge alors dans un profond désarroi. Adhérer est donc une défense primitive contre la perte mais le bénéfice est éphémère car cela exige un état immuable qui ne permet pas d’atténuer la souffrance des futures séparations.

[1] WINNICOTT, D.W. (1992). Le bébé et sa mère. Paris : Payot, p. 27.
[2] WINNICOTT. Ibid, p. 128.
[3] LAPLANCHE, J. et PONTALIS, J.-B. (2007). Vocabulaire de la psychanalyse. Paris : PUF, p. 356.
[4] MALHER, M. (1990). Psychose infantile : symbiose humaine et individuation. Paris : Payot, p. 139.
[5] ADRIEN, J.-L. (1996). Autisme du jeune enfant : développement psychologique et régulation de l’activité. Paris : Expansion scientifique française, p. 9.
[6] DELION, P. (2002). Corps, psychose et institution. Ramonville Saint-Agne : Érès, p.14."

Texte d'Aurélie Moreau

http://paradoxa1856.wordpress.com/2011/02/14/la-psychose-et-le-lien-mere-enfant-dans-la-theorie-psychanalytique-par-aurelie-moreau/

Cette synthèse de qualité nous présente des auteurs dont les travaux sont des références pour les psychanalystes dans la question de l'autisme. Elle nous montre que les préoccupations psychanalytiques accordent toujours une importance capitale aux premiers liens entre la mère et l'enfant dans la survenue des psychoses et de l'autisme (encore bien confondus ici) :  défaillance des mères,  relation libidinale, incestueuse, entre elle et son enfant, "la forme désespérée d’attachement de l’enfant à sa mère."," l'identification adhésive", etc.  

Tout cela fait encore un enfant troué, barré, etc, et sans cesse, nous est présenté comme dans le documentaire, des allégations, des formules dont la réalité ne rend absolument pas compte. Ni les théâtres de conflits, personnels ou sociétaux, nous l'avons dit, ni la science. L'observation clinique ? Elle ne permet pas de prononcer quoi que ce soit sur le désir ou la volonté supposée d'un embryon ou d'un nourrisson, comme le fait, on vient de le voir, Pierre Delion : ...le fantasme de corps-unique, primordial chez tout être humain, a bien sûr son prototype biologique qui prend naissance dans la vie intra-utérine. Un propos péremptoire et là encore, qui allègue des choses dont nous  n'avons pas le plus petit début de preuve.
Par ailleurs, il est frappant de voir que la  théorie psychanalytique est fondée pour une part sur un modèle archaïque de société, basé sur l'inégalité des sexes et une sexualisation des rôles. Au père la morale, la supériorité de la loi, la culture (cf les propos de Naouri,dans le documentaire), la puissance, la tempérance, qui lui permet de libérer son enfant, de tracer son chemin. A la mère, le concentré d'affects, de désordres et d'extrêmes.  Bien souvent, un être en perdition, du côté de la négation : elle nie le père, rejette l'enfant. Difficile de ne pas rapprocher tout cela de tout un imaginaire qui a stigmatisé les femmes durant des siècles et attribué aux sexes des rôles prétendument naturels. Là encore, le des vues de l'esprit font figure de vérité. Là encore, la dimension idéologique de la psychanalyse se trouve confirmée.
Rappelons que toutes ces croyances forment des piliers des théories freudiennes. Elles structurent l'histoire de la psychanalyse dès ses fondements. Il n'est donc pas inintéressant de s'y arrêter un moment.

La femme, dans la pensée de Sigmund Freud

“…l’infériorité intellectuelle de tant de femmes, qui est une réalité indiscutable, doit être attribuée à l’inhibition de la pensée, inhibition requise pour la répression sexuelle.”

La Vie Sexuelle, 1969 (articles réunis, parus entre 1907 et 1931)

"C’est un fait connu, et qui a donné aux hommes ample matière à récrimination, que souvent le caractère des femmes s’altère singulièrement une fois qu’elles ont renoncé à leur fonction génitale. Elles deviennent querelleuses, tracassières et ergoteuses, mesquines et avares ; elles font ainsi montre de traits d’érotisme sadique anal qu’elles ne possédaient pas auparavant, durant leur féminité.”

La disposition à la névrose obsessionnelle 1913

“Derrière l’envie de pénis se révèle l’amertume hostile de la femme envers l’homme, amertume dont les productions littéraires des « émancipées » présentent les signes les plus évidents.”

Le Tabou de la Virginité,  1918

“[...] l’enfant ne se comporte pas autrement que la femme moyenne inculte, chez qui subsiste la même disposition perverse polymorphe. Dans les conditions habituelles, celle-ci peut rester à peu près normale sexuellement, mais sous la conduite d’un habile séducteur, elle prendra goût à toutes les perversions et en maintiendra l’usage dans son activité sexuelle. Dans son activité professionnelle, la prostituée met à profit la même disposition polymorphe et, par conséquent, infantile ; et, si l’on considère le nombre immense de femmes prostituées et de celles à qui il faut accorder des aptitudes à la prostitution bien qu’elles aient échappé au métier, il devient en fin de compte impossible de ne pas reconnaître dans l’égale disposition à toutes les perversions un trait universellement humain et originel.”

Trois Essais sur la Vie Sexuelle 1905


L'infériorité intellectuelle des femmes est indicutable, nous dit Freud. Les causes de cette infériorité ? Une inhibition mentale requise pour... une répression sexuelle. On le voit bien ici, un postulat gratuit, conditionné par des mentalités patriarcales , devient pour Freud un fait scientifique (indiscutable). Ce discours permettait en général de déduire que les femmes, de par cette infériorité, devaient rester au foyer, n'étaient pas à même d'accéder à de multiples métiers, ni de prendre part aux décisions importantes de la famille ou de la nation. Chez Freud, non, le postulat est lié d'emblée à des problèmes psychiques et sexuels  : inhibition, répression sexuelle. La stigmatisation des femmes est criante dans le deuxième extrait, qui est une collection de poncifs qu'on peut retrouver depuis l'antiquité. Par ailleurs, c'est quoi, renoncer à sa fonction génitale ? Ne plus avoir de rapports sexuels ? Ne plus avoir la moindre jouissance ? Qu'importe. Le problème est ailleurs. Il est encore dans cet esprit pseudo-scientifique (c'est un fait connu...). On dirait une conversation de bar. C'est connu que les hommes sont plus habiles en mécanique que les femmes. C'est connu que les Noirs courent plus vite que les Blancs. C'est connu que, dès que les femmes renoncent au sexe, elles deviennent des créatures insupportables. Mais pas seulement. Un nouveau symptôme apparaît, et il est sexuel, bien sûr. Il s'appelle "l'érostisme sadique anal".

Le troisième extrait confirme les deux autres. La femme inculte a comme l' enfant une disposition perverse polymorphe. En général, cette femme est "à peu près" normale sexuellement. Et juste après, on est plongé dans Don Giovanni. Le pôle positif, masculin de l'humanité apparaît : Il est habile. Il exerce de la séduction. Il est un initiateur. Les expériences sexuelles qu'un homme et qu'une femme vivent ensemble sont ici un ensemble de perversions mais celui qui les initie a le beau rôle Il n'est pas question de se demander si une femme peut initier un homme à de telles "perversions", il n'est pas question de se demander comment cela touche un homme (toujours cet aspect anecdotique du rôle des hommes dans la théorie psychanalytique) mais seulement la femme, si pervertie qu'elle peut avoir des dispositions de pute sans le savoir.

D'un condensé d'inepties, Freud tire une nouvelle fois des lois "universelles", celles-là même sur lesquelles se fondent toute sa théorie.  C'est ahurissant. Consternant de bêtise.  Nous pourrions multiplier à l'envi les propos de Freud et de ses suiveurs qui démontrent sans cesse l'indigence ou la vacuité des théories proposées, tel le fameux complexe d'Oedipe, que nous examinerons  ailleurs.


Une idéologie bien vivace

L'ensemble des croyances psychanalytiques que nous avons évoquées est toujours très présent dans l'enseignement actuel  :
"Fuller-Torrey, professeur de psychiatrie et longtemps haut responsable au National Institute of Mental Health des États-Unis, rappelle aussi que dans 125 articles de la littérature spécialisée en psychiatrie infanto-juvénile, inspirés par le dogme freudien de 1970 à 1982, les mères sont rendues responsables de 72 sortes de désordres mentaux chez leurs enfants ; aucune mère n’est déclarée émotionnellement intacte, alors que la plupart des pères le sont."
Jacques Bénesteau (Université de Toulouse-Rangueil)
http://www.psychiatrie-und-ethik.de/

Ce que confirment nombre de textes actuels d'enseignement psychanalytique :

"Une des fonctions du bébé est de restructurer sa mère. La femme déprimée qui trouve un bébé souriant en rentrant chez elle (un bébé qui répond et sollicite sa mère), pourra compter sur la relation induite par l'enfant pour restructurer le Moi défaillant, pour se réparer. Le bébé gratifie, satisfait narcissiquement la mère déprimée. On peut donc parler d'évènements circonstanciels d'où résulte l'autisme."
Formation pour Infirmier de Secteur Psychiatrique
http://psychiatriinfirmiere.free.fr/infirmiere/formation/psychiatrie/enfant/pathologie/autiste.htm
"Autisme: repli excessif sur soi-même, enfermement à l'intérieur d'une coquille relationnelle dont la principale conséquence est de protéger l'autiste des contacts extérieurs. Le sujet autistique privilégie dès lors une vie intérieure intense, refusant le vécu angoissant du monde qui l'entoure."

Source : Psychiatrie Infirmière :
http://psychiatriinfirmiere.free.fr/definition/autisme/autisme-theorie.htm

" On peut remarquer qu'il n'était pas psychanalytique de prendre l'histoire amenée par les parents comme vérité historique - il s'agit de l'élaboration par leur propre culpabilité d'une catastrophe insensée : la non-vie psychique de l'enfant qu'ils ont engendré."
(...)
La réalité d'une maladie autistique s'estompe devant : - soit des maladies autistiques ayant diverses origines, - soit un syndrome autistique témoignant d'une organisation psychique de survie indépendamment des facteurs internes et/ou externes ayant favorisés sa survenue.
La distinction nette entre facteurs de l'environnement et internes est devenue en toute rigueur impossible depuis que l'on prend en compte d'une part les compétences innées du nourrisson à la relation, et d'autre part l'importance des expériences faites par l'enfant dans la structuration de ses connexions neuronales. En revanche, un traitement psychique le plus précoce possible s'impose, surtout si on a la notion qu'une atteinte organique va compliquer la tâche de l'enfant.
L'autisme et son traitement psychanalytique, dégagé de la confusion des conséquences et des causes, imposent aussi de réévaluer d'une manière plus générale, qui concerne également les enfants déficitaires, l'apport à la construction psychique de l'établissement d'une relation non verbale qui prenne en compte l'économie pulsionnelle.
La problématique autistique dans sa spécificité et avec ses paradoxes continue aussi de représenter un défi pour notre compréhension, travail dans lequel nous avons beaucoup à apprendre sur les défenses mutilantes contre les douleurs psychiques extrêmes, sur les désinvestissements et les hyperinvestissements paradoxaux, sur la construction psychique et sa complexité, sur l'accès à l'être de l'humain."
Société Psychanalytique de Paris (SPP)
 source : http://www.spp.asso.fr/main/extensions/items/12_autisme.htm

"La rencontre clinique avec un enfant autiste convoque un sentiment de mort de plusieurs manières, dont certaines sont porteuses d’ambiguïté, ou peuvent entraîner le contre-transfert vers des impasses. Le temps semble arrêté pour cet enfant qui trouve dans ses stéréotypies une éternité de l’instant, avec toutes les conséquences dramatiques qui en résultent pour son développement psychique et affectif qui paraît condamné par le besoin d’immuabilité que soulignait déjà Leo Kanner. L’objet externe semble ne pas exister : la relation à l’autre est comme morte. L’absence d’espoir semble installée entre les parents et l’enfant. Nous discuterons les conséquences qui ont pu être trop hâtivement tirées de ce sentiment. Et pourtant, cet enfant est indiscutablement vivant, provoque des réactions considérables dans son environnement familial qui s’est centré sur lui, trouble souvent la communication à son sujet entre les parents et le psychiatre d’enfant ou l’analyste par son excitation, ou une crise de rage ou de désespoir déclenchée par une frustration, parfois minime – en tout cas par une impuissance à une maîtrise absolue du monde.
 Il y a donc des réactions à l’environnement, des liens pulsionnels à l’investissement par les parents, de l’excitation indiscutablement libidinale (possession érotique joyeuse de la mère par l’enfant que décrit Meltzer, masturbations qui ne semblent aucunement inhibées…) et des réactions défensives, quoi qu’en pensent les cognitivistes qui, comme Uta Frith, prétendent que les troubles autistiques ne découlent que de déficits de l’organisations cérébrale[1]
Le recours à la métapsychologie freudienne m’a été précieux pour penser cette coexistence du libidinal et du mortifère dans la clinique de l’autisme. Ceci impose de suivre l’évolution freudienne de 1920 vers un Au-delà du principe de plaisir qui se révèle très pertinent dans la tentative de compréhension de l’autisme infantile."

Denys Ribas, Psychiatre et psychanalyste, directeur de l’hôpital de jour pour enfants de l’Entraide universitaire, Paris XIIe.
http://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2006-2-page-18.htm

"Ils ne sont pas comme ils devraient être à leur âge. Ils font preuve d'un mode d'être caractérisé par un hors lien, isolé dans leur monde, un monde clos. Ils témoignent de leur indifférence dès lors que la parole ne se noue pas à l'imaginaire c'est-à-dire au corps et, dans ces conditions, le signifiant ne représente pas le sujet pour un autre signifiant. Ils vivent dans un monde différent de celui de l'interprétation et de la signification.­Pour faire advenir une position de sujet désirant, le registre du Réel, Symbolique et Imaginaire, doivent être noués. Il n'en est pas ainsi pour le sujet autiste pour qui le registre du réel est premier.Bien qu'ils soient baignés dans le champ du langage, ils sont hors discours. Tout l'enjeu, En-Je, est qu'ils puissent s'inscrire dans un lien social, qui leur soit propre et faire advenir un Je qui les représente en accueillant leurs trouvailles infimes et difficilement repérables dont ils font preuve.
Béatrice Radigois"

source : http://www.radio-a.com/index.php?option=com_content&view=article&id=161&Itemid=155&13996e5e045b936f38f0dce4e9388e43=4d79eba91d2327379878c98072b01f28

"S'il y a bien une caractéristique principale de l'autisme, qui correspond à l'étymologie du mot, c'est bien l'absence de relation avec autrui, son ignorance, son évitement, voire l'état d'agitation et de destructivité que parfois les tentatives d'entrer en contact suscitent. Si l'on entend l'Autre avec la polysémie que Jacques Lacan a donné à ce terme (Adulte tutélaire pour l'infans, Langage, Symbolique, Inconscient, altérité radicale), c'est à tout cela que l'autiste ne peut avoir accès. Pour lui, cet Autre n'existe pas car, comme l'expriment Rosine et Robert Lefort (2003), il n'est pas troué. Dit autrement, il n'y a pas de signifiant et de ce fait tout est réel (Balbo et Bergès, 2001), rien n'est symbolisé. Pour saisir ce que cela signifie, une brève explicitation est nécessaire. L'adulte tutélaire de l'enfant est inscrit dans l'ordre symbolique du Langage, est porteur d'une histoire et investit cet enfant de projets, d'attentes, de désirs; faisant donc de cet enfant qui arrive au monde (et avant même son arrivée) un être situé dans le fantasme et dans une lignée. Enfant idéal ou imaginaire, dit-on souvent, pouvant prolonger ou compléter ceux qui l'ont précédé, enfant vécu comme plénitude potentielle."
http://maurice.villard.pagesperso-orange.fr/autisme6.htm

Tout ce catéchisme ne s'appuie jamais sur la réalité observée mais sur tout un fatras de théorie sans cesse asséné par les psys avec des mots abscons, vides de sens. Disséquons ces mots : L'autisme se caractérise par "une absence de relation avec autrui, son ignorance..." On ne peut pas écouter pareille fadaise passer sans indignation. Les autistes connaissent tous des problèmes de communication, mais ils sont extrêmement variables d'une personne à l'autre. Un grand nombre d'autistes communiquent à leur façon et ont une foule de relations. Je rencontre chaque jour des enfants très handicapés intellectuellement, qui me font des grimaces pour m'accueillir, qui me tendent l'index jusqu'à ce que j'y pose moi-même le mien en guise de contact. Mon propre enfant sans langage, avec une cognition très élémentaire, cherche à communiquer en permanence. Entre ses moments de repli, de jeu solitaire ou de stéréotypies, il cherche le regard, l'attention, de manière d'ailleurs si permanente parfois qu'elle en devient fatigante et étouffante. Mon fils aime beaucoup les câlins. Mon fils, toujours, aime faire des blagues. Par exemple, il vous lance le ballon assez haut pour que vous ne le rattrapiez pas et ça le fait rire. Dans certains cas, il trouve des moyens pour vous communiquer ses désirs. Ainsi, il tend un morceau de bois pour me dire qu'il a envie de faire un feu. Mais comme son handicap l'empêche de percevoir de manière complexe la relation sociale, l'altérité, il se sert (parfois) de mon corps comme d'un jouet, il malaxe mes joues, s'asseoit sur moi sans prévenir quand je lis, etc.


Nous le voyons bien, la relation à autrui est faussée, gênée par le handicap, mais, dans bien des cas, elle existe sous de multiples formes. Au lieu de partir de la réalité complexe du handicap, la seule réalité observable, les psychanalyses préfèrent leurs vieux discours idéologiques, dont les allégations sont fantaisistes et truffées de fausseté, nous venons de le voir. Dans le dernier extrait choisi, on le voit bien, on ne parle jamais de la vie complexe de l'enfant en relation avec le monde. Nous l'avons choisi car il représente bien tout le discours de la psychanalyse sur l'autisme. On emploie de grands mots pour dire que "l'adulte tutélaire de l'enfant est inscrit dans l'ordre symbolique de l'enfant... investit cet enfant... de désirs... faisant de cet enfant, avant même son arrivée, un fantasme... Enfant idéal ou imaginaire, dit-on souvent..." Ce discours est totalement artificiel. Il parle de symboles, de fantasmes, de désirs, d'angoisses, et leur confère chez les uns et les autres des dynamiques forgées par les théories psychanalytiques successives auxquelles la science, n'a jamais apporté le moindre fondement mais qui au contraire, ont commencé d'être sérieusement invalidées par elle.


On pourrait continuer ainsi ad nauseam, et on verrait que l'autiste de la psychanalyse ne cesse de nous rapproche de la mort ou de l'enfer relationnel,  choisit lui-même sa condamnation au silence, à la réclusion, que les parents ne se déferont jamais vraiment de leur culpabilité, que les mères auront beau faire, elles trimballeront  toujours des désirs coupables,  libidineux, incestueux, et malheur à elles quand ils les lieront à jamais à leur enfant, pour leur plus grand malheur. Et que dire de son géniteur,  séducteur d'un jour, souvent dindon d'une farce érotico-sado-anale dans laquelle il ne peut prétendre qu'à un rôle de figurant.
Nous avons évoqué jusqu'ici la frange très majoritaire de la psychanalyse qui continue de parler de l'autisme comme si la science n'avait rien dit depuis trente ans à ce sujet. Nous devons maintenant examiner le cas des ces psychanalystes "progressistes", qui seraient attentifs aux avancées scientifiques, qui travailleraient en collaboration avec les éducateurs aux méthodes "cognitivo-comportementales".  


Les  psychanalystes  new-look

http://www.risc.cnrs.fr/pdf/SH206_rencontre_hochmann.pdf
Ce sont ceux qui traitent Bettelheim de "has been", qui reconnaissent du bout des lèvres que la psychanalyse a pu faire des erreurs, que la science apporte ses connaissances aux côtés de la psychanalyse qui apportent les siennes, des éducateurs qui apportent la leur, et que tout ce petit monde doit collaborer pour un meilleur monde possible.
Nous allons donc parler de ces néos-psys au travers de praticiens reconnus. Commençons par Marie-Christine Laznik, au travers d'une interview qu'elle a accordée en novembre 2005 au site Oedipe, dédié à la psychanalyse. Elle est interpellée d'emblée  sur les  critiques adressées aux psychanalystes  :  "Par leur refus d'accepter les causes biologiques et génétiques, ils organiseraient une désinformation des parents et forceraient les parents à se sentir responsables de la maladie de leur enfant". Et Laznik est catégorique là-dessus :
" Personnellement, je suis évidemment en complet désaccord avec ces deux affirmations. Non seulement, un certain nombre d'entre nous souhaite l'avis des autres spécialistes notamment des généticiens, mais nous le réclamons car il est susceptible de nous aider dans notre travail. Il correspond de toute façon à une nécessité. (...) Il m'est arrivé même d'insister pour que l'on refasse un examen alors qu'un premier résultat avait écarté la piste génétique... (...)
Laznik n'a pas peur, non plus, d'affirmer que "Bettelheim était complètement à côté de la plaque. Les mères n’ont rien à voir avec l’origine de l’autisme*", ou que "Les psychanalystes ne sont pas sans reproches". Une psychanalyste moderne, donc, qui semble accepter les avancées  scientifiques, et travaille en collaboration avec d'autres spécialistes.
* pétition de psychanalystes contre le DSM
http://initiative-arago.org/fr/petition.html  

Dans le détail, c'est une toute autre affaire.

Tout d'abord, aucune voix s'élève chez les psychanalystes pour s'indigner et faire en sorte que les pratiques les plus néfastes soient abolies. Aucune révision de l'enseignement non plus, nous l'avons évoqué. La  CIPPA (La Coordination internationale de psychothérapeutes psychanalystes s'occupant de personnes avec autisme), dont  Dominique Amy est la présidente, reconnaît"la diversité des pratiques et des hypothèses théoriques concernant l'autisme dans les courants psychanalytiques, et peut discuter avec certains membres du courant lacanien." Et nous l'avons vu dans les discours, dans les enseignements, chacun peut continuer de dire et de faire le pire comme Loison et des tas d'autres, sans être un seul instant ni interrogés, ni mis en cause, et encore moins mis hors de cause. Ce n'est pas une simple contradiction. C'est une contradiction qui prouve le désintérêt total pour les enfants autistes et leurs parents, un mépris caractérisé face à leurs souffrances et aux possibilités existantes de réel développement des enfants et une preuve de plus de l'aveuglement de la discipline psychanalytique.
Par ailleurs, nous allons le voir, les psychanalystes new-look n'ont aucune intention réelle de remettre en question leurs théories au vu des faits. Dans le documentaire, déjà, nous avons un bon aperçu de ce que j'appellerai un accomodement avec la science. Parfois il va de pair avec un évident mépris. Eric Laurent, par exemple,  exprime clairement son dédain de la science et le fait que ce qu'il pourra y trouver ne changera pas sa pratique fondamentale :  La psychanalyse prétend à l'humilité et elle est au contraire imbue d'elle-même. Le pompon c'est "la psychanalyse, comme discours coruscant envers toutes les croyances", elle qui se fonde, nous l'avons-vu et continuerons de le voir, sur un ensemble de propositions idéologiques. Laurent affirme à plusieurs reprises une espèce de condescendance envers toute une humanité qui se nourrit des espoirs de la science, pour lui vains, mais nécessaire à adoucir sa peine. C'est une insulte aux malades ou aux handicapés en général, qui apprennent au fur et à mesure de bonnes nouvelles qui améliorent ou sauvent leur vie.
Un autre type d'accomodement se lit à travers les propos de Bernard Golse. Un  vrai progressiste celui-là, nous le verrons plus loin. Au travers du patrimoine génétique, de phénomènes d''anticorps sécrétés à la naissance par la mère, il opère un glissement plus que grossier, inacceptable, du biologique vers une prétendue anthropologie. "C'est un peu triste à dire..." Il s'excuse d'apporter sa vérité anthropologique : dès la naissance la mère ne supporte pas chez son bébé une partie du père, elle ne reconnaît pas ce bébé alors elle va l'éjecter.  Ce qui est un procédé utilisé par le vivant est transformé ici en conflit  familial, c'est renversant de bêtise.


Revenons maintenant  à  M.C Laznik, qui  admet un consensus  entre psychanalystes, généticiens et "cognitivistes" sur le fait de distinguer psychose infantile et autisme, malgré un flou supposé du DSM IV d'inclure la psychose infantile dans  les TED. La psychose infantile ne fait plus partie des classifications internationales nous l'avons vu, mais passons,  ce qui nous intéresse ici est ailleurs, dans l'argument que la psychanalyse avance pour pemettre la distinction des deux pathologies :
"Si l'on pense avec Lacan – notamment dans le séminaire XI- que dans la constitution du sujet il y a deux temps l'aliénation et la séparation, c'est ce temps de l'aliénation qui manque dans la constitution du sujet autistique, alors que ce que manque le psychotique c'est le temps de la séparation. C'est cette séparation qui vient contrebalancer l'effet de l'aliénation imaginaire, symbolique, réelle, dans laquelle se construit l'appareil psychique de tout sujet."
http://www.oedipe.org/fr/interview/autisme
Et voilà comment tourner le dos à la science d'un seul coup de rein pour affirmer les vieux principes spiritualistes de la psychanalyse, ceux-là mêmes que nous avons dénoncés comme faisant partie de la croyance, de l'idéologie. Celle-ci est patente dans nombre de communications de cette psychanalyste :
..."pour les bébés à devenir autistique, la question est plus celle de la régulation de la jouissance, que celle de la reconnaissance de la place du sujet. Pour eux la jouissance orale dévorante serait hyper discriminée et entraînerait une fuite. Il s'agirait de dégager la place d'une possible jouissance phallique."

Source :  http://www.cairn.info/article.php?REVUE=journal-francais-de-psychiatrie&ANNEE=2006&NUMERO=2&PP=49

Laznik a créé avec d'autres confrères une association, appelée PréAut, dont le but principal est "de travailler dans le sens de la prévention à partir de signes  précurseurs du  syndrome autistique chez les bébés."  Avant de parler de ceux listés par l'association, voyons ceux qui sont décrits depuis près de trente ans et étudiés au travers des films familiaux :
"Entre 0 et 1 an, il faut prêter attention à une absence de sourire social (en réponse au sourire parental), un défaut d’attitude anticipatrice (l’enfant ne tend pas les bras quand son parent s’approche), une fuite du regard, une impression de surdité (défaut de réaction aux sons ou à l’appel du prénom), un défaut de vocalisations ou une absence d’angoisse de l’étranger (peur face aux non familiers qui apparaît vers 9 mois).
Entre 1 et 2 ans, l’absence de jeux de faire semblant, d’attention conjointe (suivre le regard de l’adulte pour regarder la même chose) et de pointage déclaratif (montrer du doigt ce qui intéresse) sont considérés comme de sérieux signes prédictifs. Il n’est pas rare d’observer aussi des attitudes contemplatives (de lumière, d’objets circulaires ) et des mouvements répétitifs (balancements, pianotage des doigts)."
Association Nationale des Centres Ressources Autisme (ANCRA)
 http://www.autismes.fr/fr/signes-precoces.html

Et voici ce qu'affirme en résumé  la "recherche" de l'association PREAUT :

"1)  le bébé ne cherche pas à se faire regarder par sa mère (ou son substitut), en absence de toute sollicitation de celle —ci (S1).
2)  le bébé ne cherche pas à susciter l'échange jubilatoire avec sa mère (ou son substitut), en absence de toute sollicitation de celle-ci (S2).
3)  L'évitement du regard est un signe grave et bien connu, qui peut s'observer plus généralement dans le cas de mères dépressives ou chaotiques. Il ne serait pas significatif d'un risque d'évolution vers des troubles graves de la communication que lorsqu'il se présente associé à la non capacité du bébé à susciter l'échange jubilatoire avec la mère (S2) viendrait corroborer le risque détecté par (S1).
4)  Beaucoup d'autres paramètres sont également en cours d'étude coordonné par le Pr C Bursztenj du CHRU de Strasbourg.
5)  Ce que nous a permis cette attention nouvelle à l'endroit de ces  enfants, bien avant trois ans, a le mérite de nous avoir amené à  prendre en charge un enfant et sa famille à un moment où les choses ne sont pas encore ou presque définitivement arrêtées, c'est à dire à un moment où ils n'ont pas pris des habitudes relationnelles qui isolent parents et enfant du même monde.
6)  Ce qu'il y a de remarquable chez les bébés et leurs parents quand leur bébé souffre de ces troubles-là, c'est que cette absence relationnelle vient remettre en question et de façon très grave les capacités maternelles et paternelles et, à la façon du bébé  (pas de répondant du côté du bébé), il peut arriver que le même évitement relationnel frappe parents et enfants et du même coup, l'absence de relations du bébé à son entourage cesse de surprendre les parents qui, malgré leur inquiétude, n'ont plus le ressort pour réagir.
l'Ecole Rhône Alpes d'Etudes Freudiennes et Lacanniennes se doit de soutenir une démarche qui, à notre sens, si nous arrivons à la mener jusqu'au bout, a des chances de nous permettre de soigner, dans le cadre d'une  prévention, bien plus efficacement ces enfants qui ne sont pas nombreux à souffrir de ce syndrome mais face auxquels nous sommes le plus souvent, quand, à trois ans, les choses se sont installées, bien en mal de leur éviter de devenir déficients. C'est une bataille contre ce risque qui est menée tous les jours dans nos institutions.
Alors, même si les sciences comportementalo-cognitivistes promettent avec comme seuls outils et comme seul souci l' éducatif,  nous avons du mal à considérer leurs résultats positifs tant ils réduisent à un unique sens, le sens même de la vie. Il n'est pas abusif de dire que, pour le coup, le projet actuel  est de « dresser » ces enfants, ce qu'il ne leur évite pas de devenir déficients ….)  
Le sens même de la vie n'est pas de renforcer une parfaite « autonomie » (ce mot est à la mode pas seulement pour ces enfants-là…) mais de vivre dans un rapport aux autres  (si singulier soit-il) , intelligent au bon sens du terme. "
http://www.ecole-freud-lacan.com/grenoble/clinique-psychanalytique/appel-de-l-association-preaut.html

Le basculement de la connaissance vers la croyance, une fois encore, est patente. D'un côté la neutralité clinique, athéorique, qui propose un outil  aux parents, aux médecins, etc., et de l'autre, une liste où le seul et unique regard clinique, le premier point, est un peu tordu : "le bébé ne cherche pas à se faire regarder".  Le deuxième point introduit une attente psychanalytique suspecte :  "échange jubilatoire"  (plaisir, libido..), là où l'observateur neutre devrait parler de multiples échanges avec son entourage (cris, regards, pointages, etc ), la jouissance (sourires, rires..) n'étant qu'un élément parmi toutes les manifestations du petit bébé où on pourrait parler de curiosité, écoute, attention etc.   L'évitement du regard, troisième point, et là encore la mère dépressive revient à la charge, avec une corrélation toute psychanalytique, toujours culpabilisatrice,  et aucunement scientifique. Les cinquième et sixième points mettent encore en défaut ces parents dans la relation : " habitudes relationnelles qui isolent parents et enfant du même monde", "qui n'ont plus le ressort pour réagir.", "cette absence relationnelle vient remettre en question et de façon très grave les capacités maternelles et paternelles", ou dans l'interview d'Oedipe : "Pour une mère, cela est assez terrible et va l'empêcher de devenir inventive".  
Envers et contre toute expérience clinique, on le voit, les psychanalystes continuent de responsabiliser d'une manière ou d'une autre les parents dans la survenue ou l'aggravation des troubles de leur enfant. Allez parler d'absence relationnelle, de remise en cause grave des capacités maternelles  à ces milliers de parents qui se battent pour comprendre et aider leurs enfants, et étonnez-vous ensuite de leur colère !  
On le voit sans cesse, donc, toute l'approche psychanalytique de l'autisme est anti-scientifique. On ne part jamais de ce qu'on sait, de ce qu'on voit, mais on est d'emblée et perpétuellement dans l'interprétation, celle qui collera le plus aux principes sacrés de la discipline : jouissance, désir, plaisir, libido, sexe, pulsion, etc.  Comme pour tous les psys new-look, M.C Laznik accomodent les recherches scientifiques à la sauce psychanalytique :
" Dans le cas de l'autisme ; le bébé est alors aux abonnés absents. Pour une mère, cela est assez terrible et va l'empêcher de devenir inventive. Cela va se répercuter sur sa prosodie, sa voix ne sera plus porteuse d'une pulsion invoquante capable d'aller chercher son bébé.
Un psychanalyste peux arriver à remettre en route ce circuit pulsionnel en jouant avec le bébé et sa mère. Dans ce lien transférentiel, la mère peut retrouver une voix porteuse de la pulsion invoquant que l'indifférence de son bébé avait éteint. Cette nouvelle pulsion, introduite par Lacan, joue un rôle essentiel dans toute cette affaire. J'essaye de démontrer dans mes recherches qu'il y a certaines dimensions prosodiques et rythmiques auxquelles nul ne peut se soustraire, pas même le bébé à risque autistique. S'il répond à la voix humaine, cela active des zones cérébrales qui dans le développement de l'autiste- comme cela a été montré récemment - ne sont pas normalement activées et périclitent.
Ce que je cherche à te montrer c'est au fond que nos concepts psychanalytiques, nos constructions méta psychologiques sont susceptibles d'aider et d'éclairer non seulement la clinique mais aussi la recherche des autres disciplines et d'aider à leur progrès comme leur progrès nous aident aussi à y voir plus clair."
http://www.oedipe.org/fr/interview/autisme
Bien sûr, le langage adressé au bébé développe des réseaux neuronaux, oui la prosodie maternelle  a de l'importance (mais aussi la lenteur du débit, l'accentuation des syllabes, etc.) mais aussi, plus généralement, l'attention au bébé, la réponse à ses sollicitations, etc.  Les carences de langage dans l'environnement influent sur la manière qu'a le cerveau de se structurer, mais dire que la "voix n'est plus porteuse d'une pulsion invoquante" ne signifie rien en termes scientifiques. Il s'agit d'entretenir, de développer le lien avec son enfant pour le conduire au mieux sur le chemin du développement personnel, de la  socialisation, et pas  "remettre en route ce circuit pulsionnel ", pas "un lien transférentiel", et on ne voit absolument pas comment, une fois encore, les "concepts psychanalytiques" et "constructions méta psychologiques" seraient "susceptibles d'aider et d'éclairer".  
Une autre interview permet de compléter ce regard sans cesse biaisé sur les sciences. Elle commence par de récentes recherches de Monica Zilbovicius, c'est elle qui parle :
"L’être humain naît avec une attirance particulière pour les stimuli humains, du coup, il se spécialise, il devient un expert pour la voix humaine et le visage. Il y a probablement chez les autistes quelque chose d’inné, ils ne naissent pas avec cette attirance […]. Du coup, ils ne deviennent pas experts, et le développement de la région corticale ne se fait pas de la même façon."
Mais chez Laznik, c'est "ce qui ne permet pas que la fonction Grand Autre vienne se constituer."
source :
http://www.cairn.info/article.php?REVUE=journal-francais-de-psychiatrie&ANNEE=2006&NUMERO=2&PP=49
Devant ce problème, la scientifique propose de trouver des moyens ludiques, dès quatre ans, qui donneraient envie à l'enfant d'écouter la voix humaine. Laznik, elle, prétend que "la psychanalyse peut avoir, dans sa praxis, de quoi donner cette envie, c’est l’essentiel de mon travail auprès des bébés et de leurs parents. Bien avant l’âge de 4 ans : il s’agit de savoir si un psychanalyste peut permettre à un bébé de découvrir le plaisir de susciter le plaisir chez l’Autre."
On perçoit ici une différence essentielle entre la psychanalyse et les sciences  : Ici, il y a des fonctions cognitives absentes ou en mauvais état de marche et la scientifique est pragmatique, comme le seraient des éducateurs. Elle cherche un outil qui  activerait, stimulerait cette fonction en suscitant l'intérêt  de l'enfant. Là où Laznik, pour la millième fois ne parle que de "plaisir" ou du "plaisir de susciter un plaisir".  Mais il y a pire :
"déjà, pourrions-nous penser à une volonté d’un proto-sujet de ne pas entendre cette voix humaine ? Y aurait-il un facteur d’hypersensibilité chez ces bébés, qui les mènerait à éviter une voix humaine pour peu que cette dernière soit porteuse du moindre signe dépressif ? Comme si cela ne pouvait pas ne pas engendrer chez le bébé une réponse de type dépressif intolérable."
* "Frances Tustin avait évoqué quelque chose d’analogue chez ces bébés, qui les mènerait à éviter une voix humaine" (note des intervieweurs).
Voilà, on retombe à nouveau dans les croyances pychanalytiques, avec cette fameuse "volonté d'un proto-sujet" à ne pas faire, pas voir, par la fuite devant la dépression, par une réponse dépressive du bébé. On n'en sort pas.
D'autres exemples de ce glissement perpétuel entre connaissance et croyance nous sont donnés  dans l'interview, où La psychanalyste parle à son confrère de ses patients. Il y a  d'abord Mourad, un autiste de haut niveau.
" Récemment, il a été privé de portable parce qu’il avait appelé tant et tant de fois par jour ses copains proches que ces derniers ont fini par aller se plaindre au proviseur, qui a interpellé les parents, qui, eux, ont dû retirer son portable à Mourad.
Quelle signification à cet épisode ?… sinon que Mourad n’entendait pas… Quand il appelait ses copains de façon répétitive, pour leur redire les mots qu’ils lui avaient dits au lycée, il n’a pas perçu, dans le ton du « arrête ! », le moment où cela a basculé vers l’insoutenable pour les autres. Il est tombé des nues quand les cinq se sont plaints."
C'est un exemple autistique typique , où la communication est mal interprétée, la réponse sociale inadéquate, et la neurologie nous explique que ces compétences sont altérées par un certain nombre de dysfonctionnements ou de malformations du   cerveau :
"Les études de tomographie par émission de positrons (TEP) chez des sujets autistes ont par ailleurs souligné des déficits dans l'interaction coordonnée entre les systèmes corticaux et sous-corticaux impliqués dans l'attention dirigée. Le dysfonctionnement des processus de l'attention, importants dans l'acquisition des habiletés de communication sociale, peut expliquer les troubles dans la socialisation rencontrés dans l'autisme."
http://www.autisme.qc.ca/TED/recherche/etiologie/etiologie-une-revue-des-progres-genetiques.html
Mais Laznik préfère expliquer les problèmes de Mourad autrement :
"C’est la question de l’énonciation dans l’énoncé, articulée bien sûr à la question pulsionnelle. Sur le graphe du désir dans le séminaire de Lacan, nous voyons que l’énonciation dessine une ligne allant du registre de la jouissance de l’Autre à la pulsion. C’est ce qui fait problème pour un autiste, même si par ailleurs il n’a pas de graves difficultés pour les études, liées en grande partie au registre des codes, c’est-à-dire dans le strict domaine de l’énoncé.
Ils sont là les problèmes de Mourad, les difficultés de Mourad avec ses copains. (...)
"Il ne peut pas repérer quelque chose de l’affect dans la voix… Quelque chose qui a trait au registre de l’énonciation dans l’énoncé. C’est la question de la pulsion…"
Je conseille au lecteur de lire l'interview en entier, Laznik et l'autre psy regardant des vidéos familiales et les commentant, ça ne s'invente pas :
"-  À partir de ce moment, je vais faire tout un travail psychique, il faut que je me trouve un moyen et de m’étonner et de m’émerveiller. Si je ne m’émerveille pas, ça n’ira pas. Je vais m’inventer un cinéma intérieur.
- Du fait que ce sont les pics prosodiques qui accrochent l’enfant, ce « Hum ! Miam ! » ne vient-il pas te représenter de façon signifiante pour cette petite fille, par ces signifiants « plaisir » justement dans la musicalité de ton propos ?
- Oui, le pic prosodique, ça n’est rien d’autre qu’une manifestation de sidération et lumière, surprise et plaisir, c’est articulé à la présence psychique de l’autre.
- Oui, tu l’expliques bien dans tes travaux.
-  Alors vous avez entendu, je lui dis : « Sens l’odeur ! » C’est complètement aberrant, on ne sent pas l’odeur ! C’est « sens l’odeur ! » ou « Regarde l’odeur ! » Je ne sais même plus ce que je lui ai raconté. Parce que moi pour me faire mon cinéma interne je m’imagine une plante, j’imagine la vanille que je n’ai jamais vue… j’ai découvert après que ça s’appelait le gardénia.
-  Le gardénia ? en plus c’était la fleur de Freud !
- De façon plus triviale, j’imagine cela parce que le yaourt est blanc et sent la vanille. J’imagine ce que je peux ! J’imagine l’odeur de la vanille, en fait je vois un grand gardénia, et je dis à Marine : « Regarde l’odeur ! » Parce que je suis en train de lui montrer le plant de gardénia. Elle se met donc à me regarder ! C’est gagné et ça tient le reste de l’entretien.
- C’est intéressant, ces deux pulsions liées là.
- Tout à fait, les deux pulsions sont liées, le regard et l’odorat, et du coup je suis ébahie. Je peux vous dire que je le vois mon plant avec sa feuille verte et ses grandes fleurs blanches, Je suis devant un gardénia géant… Je n’en ai jamais vu de ma vie, je sens l’odeur de la vanille, et là évidemment, je m’étonne. Je n’ai d’ailleurs jamais vu de gardénia.
- Tu es allée la chercher loin ta capacité à rêver.
- Il le fallait, ça a marché.
- On ne peut pas tricher…
- On ne peut pas tricher et en plus il faut parfois inventer !
- Les enfants autistes ne nous pardonnent pas de ne pas inventer quoi ? Un jeu de leurre ?"
Ça vaut son pesant de cacahuètes, non ? On se demande à qui Laznik veut faire du bien : à l'enfant ou à elle-même ?
Un autre exemple d'accomodement new-look, maintenant, avec Jean Rouillon,  issu de l'Ecole de la Cause Freudienne, psychanalyste à Clermont-Ferrand, directeur du Centre de  Nonette . A peu de réserve près, la première partie de son papier est une introduction  riche et claire sur le sujet de l'autisme :
"C’est en effet, à partir de la question de l’autisme, que la notion de maladie mentale, pour ce qui concerne les enfants, est devenue obsolète, qu’elle a laissé progressivement la place à la dimension du handicap.  Le handicap qui trouve sa cause hypothétique dans les profondeurs du corps, entre neurones et gènes, vient nommer un déficit, un dysfonctionnement qu’il s’agit de compenser par la voie d’apprentissages permettant à l’autiste d’accéder à l’autonomie, ce qui est un comble pour celui qu’on définit comme en retrait de tout lien social.
Dès son plus jeune âge, il s’agit de donner un diagnostic à ses troubles, il s’agit de le stimuler, de le soumettre à des apprentissages afin qu’il sorte de son monde, afin qu’il puisse vivre dans le nôtre en se sentant utile. On devine qu’il s’agit là d’une tâche infinie qui laisse peu de repos aux différents protagonistes de cette aventure qui se décline en livres, reportages et témoignages.
C’est l’autre versant que nous dévoile l’autisme. Il ne s’agit plus d’une question de spécialistes, il ne s’agit plus non plus d’une question dont se saisit la société pour s’interroger sur l’humaine condition."
(...)
Les élèves de Freud, dans leur volonté de nouer la psychanalyse à la psychologie, dans leur souhait d’effacer la dimension de scandale que présente l’invention de la psychanalyse, se sont d’abord livrés à une lecture développementale de l’autisme, trouvant alors son origine dans la relation, ou plutôt l’absence de relation de l’enfant à la mère. (...) Cette déviation de la voie psychanalytique devait d’ailleurs se payer au prix fort, par la mise en cause de la psychanalyse comme méthode inadaptée au traitement de l’autisme. "

On notera  le caractère "hypothétique" de "la cause" du handicap. Il n'y a pas une cause du handicap mais des causes, qui n'ont rien d'hypothétique. Mais passons,  car il est rare de lire des textes d'obédience psychanalytique où cohabitent remise en cause, mise en avant de l'importance des apprentissages, compréhension des familles, etc.
 Pourtant, on reste frappé tant la deuxième partie contraste avec la première. Elle nous explique d'abord que c'est Lacan qui a commencé de critiquer les dérives dont il vient d'être question. A partir de là, on va le voir, on bascule du réel dans l'imaginaire, et le discours magique de la psychanalyse, sans prise sur la réalité, se déroule avec sa propre logique, ses propres inventions :


"Ce qui le relie, c’est un mot « Le Loup », mot où la loi vient se présentifier sur son versant insensé. L’autiste a ainsi affaire au surmoi, non celui de l’Œdipe qui ordonne le désir à la loi, mais un surmoi féroce qui le livre à la jouissance de l’Autre. Ce signifiant insensé qui le soumet à tous les égarements est pourtant aussi bien celui qui va le soutenir dans son opération d’élaboration du monde dans lequel il a été jeté dès lors que l’analyste, Rosine Lefort, consent à l’incarner dans sa rencontre avec le sujet. Elle peut l’incarner en nommant les unes après les autres, les diverses tentatives de ce sujet pour faire trou dans le réel. C’est ce qui lui permet de se livrer à cette scène du baptême où son corps peut enfin prendre forme d’extraire l’objet qu’il était face à la gueule béante de l’Autre.
Le signifiant, dans l’autisme, ne se présente pas sur son versant d’articulation, sur son versant de sens. Il se présente comme unique, comme tout seul, aussi bien sur le versant du commandement que sur le versant d’une satisfaction liée à ce qui résonne de sa substance sonore. Quant au dire, il ne doit pas se situer dans les rivages du sens, mais ouvrir par la voie du redoublement à l’émergence d’une écriture singulière où ce qui s’entend peut trouver à se satisfaire dans une adresse à l’autre. C’est dans cette adresse à l’autre que vient se dessiner le lieu d’une perte délivrant le sujet du sacrifice de son être. C’est cette voie qui permet au sujet autiste de construire un espace où s’appareiller dans son rapport au réel. Ce n’est pas le langage qui structure le monde de l’autiste, mais sa langue particulière, dès lors qu’elle lui donne matière à trouver une satisfaction dans un dialogue avec l’autre, satisfaction qui vient faire limite à l’exigence infinie de la jouissance.
Le psychanalyste ne doit pas reculer devant l’autisme. C’est en effet, à partir de ce qu’il a pu extraire de sa propre analyse, qu’il peut offrir au sujet autiste qui y consent, la chance d’un dialogue au cours duquel peut se tisser dans une adresse inédite, une voie enfin singulière au-delà de la pulvérulence des entendus."


 Le basculement de la réalité vers l'irréalité est stupéfiant, et toujours et encore porté par le charabia  habituel, totalement dépourvu de faits, de manifestations de vie  : aucun mot sur le comportement de l'enfant autiste, sur ses multiples difficultés, émotions, réactions, au quotidien.  A des degrés très variables, et selon les cas, les autistes ont des problèmes de sommeil, de repérage spatio-temporle, un spectre alimentaire réduit, de l'épilepsie, des intérêts restreints, des stéréotypies, etc. Selon les cas,  selon les jours, ils font des câlins, jouent  dans leur coin, frappent les choses ou les gens, ou eux-mêmes, embrassent, refusent le contact ou veulent être pris dans les bras, monopolisent votre regard, votre attention ou au contraire s'en détournent, aiment l'eau ou non, sont sensibles au bruit ou non, etc, etc.   Toute cette vie concrète n'apparaît jamais dans le discours psychanalytique, c'est une constante  et l'enfant (autiste ou pas) est réduit à  une âme éthérée où s'agitent des énergies contradictoires, libidineuses, mortifères,  avec des résonnances, des jouissances, des sacrifices, etc. Le tout toujours illustré par des métaphores ou des formules absconses  : "versant d'articulation... versant du commandement... rivages du sens.. voie du redoublement... lieu d'une perte délivrant le sujet du sacrifice de son être...", etc.)
Ces paroles ne peuvent pas prétendre rapporter sérieusement le réel. Elles ne se confrontent pas à lui, n'en rendent pas compte, mais articulent des inventions propres à une pensée, un imaginaire, en les faisant passer pour vraies.  De cette manière, n'importe quel délire peut être pris pour la réalité. C'est un mode idéologique, dont la pensée, la logique fonctionne en vase clos avec son lot de propositions, de formules cryptées et accessibles seulement aux initiés. Si, comme dans les mathématiques ou la physique, par exemple, ces formules s'appliquaient à rendre compte de phénomènes existants (comme celui du volume d'une sphère ou de  la masse d'un objet dans sa chute), le bons sens leur accorderait une évidente légitimité. Mais elles ne rendent compte que d'imaginaires et d'inventions de toute une cohorte de gens depuis Freud. C'est tout le problème.

L'ÉDUCATION

La psychanalyse se bat contre l'envahissement des terchniques cognitivo-comportementales, nous dit Alexandre Stevens. En apparence, les psychanalystes "spiritualistes" et rétrogrades qui s'expriment ainsi semblent être opposés aux  psys new-look qui se sont adaptés à l'air du temps :  Dominique Amy, Geneviève Haag ou Bernard Golse ont signé un article en réaction au documentaire du Mur dans lequel "ils proposent la compréhension et les soins psychanalytiques dans un esprit de constante articulation avec les autres approches : stratégies éducatives et instructives variées, scolarité et approches rééducatives : orthophonie, psychomotricité, ergothérapie, coordonnées et ajustées à chaque enfant." (...) Certains d'entre nous se sont formés eux-mêmes au TEACCH et à l'ABA ainsi qu'aux stratégies de communication alternative au langage verbal PECS et MAKATON pour comprendre ces méthodes et pouvoir accompagner ceux qui les utilisent. Nous en avons pris le meilleur, mais critiqué certains professionnels qui préconisent et mettent en pratique une trop grande élimination de la relation affective et ludique. "
http://www.rue89.com/2011/12/08/autisme-des-psys-alertent-sur-les-meconnaissances-227345


On se souvient des propos méprisants du même Golse, dans le documentaire, sur les avancées scientifiques, et on a vu la méthode des psys new-look de mettre un coup de ripolin sur leur discipline pour lui redonner du brillant. Ainsi, on lira ceci dans la présentation de l'association PréAut : "Alors, même si les sciences comportementalo-cognitivistes promettent avec comme seuls outils et comme seul souci l' éducatif,  nous avons du mal à considérer leurs résultats positifs tant ils réduisent à un unique sens, le sens même de la vie. Il n'est pas abusif de dire que, pour le coup, le projet actuel  est de « dresser » ces enfants, ce qu'il ne leur évite pas de devenir déficients ….)"
C'est très clair. Les psychanalystes  n'ont accepté de travailler avec d'autres parce qu'ils n'ont pas le choix. Ils se moquent de la science. Ils se moquent de l'éducation.  Mais les résultats sont là et démontrent l'aveuglement des psychanalystes de tous bord :
" Les premiers travaux sur la prise en charge précoce sont ceux de Lovaas (Lovaas, 1987) et de Strain et collaborateurs (Strain et Hoyson, 1988 ; Strain, Hoyson et Jamieson, 1985). Ces deux équipes ont mis en place des programmes reposant sur l'approche comportementale. Strain et ses collaborateurs ont combiné destechniques comportementales avec une approche développementale et ont pratiqué l'intervention dans le cadre de l'intégration.
Pour ces deux équipes, les résultats sont impressionnants puisque, lorsque les enfants ont bénéficié d'une intervention intensive a    vant  l'âge de 5 ans, environ la moitié d'entre eux rejoint ensuite le cursus scolaire normal (47 % pour Lovaas et 52 % pour Strain et collaborateurs) et n'a plus besoin de suivi. D'autres études portant sur des programmes similaires ont aussi apporté de bons résultats mais jamais à la hauteur de ceux annoncés dans les premières publications (Olley et al., 1993  ; Fenske et al., 1985)
(...)  Aux Etats-Unis... les programmes pour enfants d'âge préscolaire se sont beaucoup développés dans le courant des années quatre-vingt (Olley et al., 1993) et l'on dispose maintenant d'évaluations de leurs effets. Dans les revues récentes de cette question (Rogers 1996 ; Erba, 2000) les résultats  des programmes d'intervention sont très positifs.
(...)  Ces études ont en effet montré un effet significatif sur le développement avec une augmentation du QI, une amélioration du langage, l'installation de comportements sociaux, plus adaptés et une diminution de l'intensité des comportements autistiques chez les enfants pris en charge. De tels résultats sont généralement enregistrés en 1 ou 2 ans d'intervention précoce et intensive. La majorité des enfants pris en charge (73 %) atteint un niveau de langage fonctionnel à la fin de la période d'intervention (en général vers cinq ans). Les acquis réalisés dans tous les domaines du développement ont été préservés après la fin de l'intervention ce qui montre la stabilité des résultats obtenus. "
Bernadette Rogé  : Autisme, comprendre et agir, Editions Dunod, 2004

 

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