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"Au bonheur d'Elise"
13 novembre 2015

Quand le ventre fait mal au cerveau

article publié dans Le Temps.ch

Le microbiote humain comprend 100 milliards de bactéries. Celles-ci sont dix fois plus nombreuses que la totalité des cellules qui constituent le corps humain.
© DR / Pacific Northwest National Laboratory

 

Sylvie Logean
Publié vendredi 6 novembre 2015 à 19:31, modifié vendredi 6 novembre 2015 à 19:34.

Notre microbiote intestinal pourrait influencer l’apparition de pathologies comme Alzheimer, Parkinson et l’autisme

Y a-t-il un lien entre notre microbiote, ces centaines de milliards de bactéries qui colonisent notre intestin, et notre cerveau? Des évidences préliminaires issues de différents travaux sur l’homme tendent aujourd’hui à montrer que les microbes vivant dans notre ventre pourraient avoir une influence sur la survenue de maladies neurodégénératives ou neuropsychiatriques, comme la maladie d’Alzheimer, Parkinson ou l’autisme. Réunis à Genève mardi dernier, près de 300 scientifiques se sont penchés sur ce qui constitue l’un des domaines d’exploration scientifique les plus actuels.

L’existence du microbiote – qu’on qualifie désormais d’organe – a été découverte il y a seulement quelques années. Celui-ci est unique pour chacun d’entre nous, à l’image d’une empreinte digitale. Il pèserait entre un et deux kilos, et serait composé de 50 à 100 000 espèces de bactéries différentes. Logées dans notre tractus intestinal, ces dernières seraient dix fois plus nombreuses que l’entier des cellules qui constituent le corps humain. Elles sont non seulement indispensables à la digestion des aliments, à la synthèse des vitamines, mais interviennent aussi dans la maturation du système immunitaire et jouent un rôle crucial dans l’équilibre des fonctions physiologiques.

Lire aussi: Quand les microbes manipulent le cerveau

Lorsque ce délicat équilibre est rompu, des troubles peuvent apparaître, aussi divers que le diabète, les maladies inflammatoires intestinales, l’obésité, ou, justement, des affections de type neurologiques. Car il apparaît aujourd’hui que notre système nerveux entérique, qui contrôle le système digestif à l’aide de ses 200 millions de neurones, dialogue en permanence avec le cerveau, et serait ainsi en mesure d’affecter la façon dont il fonctionne.

La maladie de Parkinson, par exemple, pourrait trouver son origine dans le ventre, selon des études récentes présentées à Genève. «L’intestin est touché dans une phase précoce de la maladie, probablement des dizaines d’années avant l’apparition des troubles moteurs, confirme Filip Scheperjans, neurologue à l’Hôpital universitaire d’Helsinki. Pour 30 à 50% des patients, les premiers symptômes de Parkinson se traduisent par une atteinte de l’olfaction, des problèmes de déglutition, et de la constipation.» Le chercheur finlandais a aussi observé des différences entre le microbiote intestinal de patients atteints et celui de personnes en bonne santé, qui dépassent les simples disparités interpersonnelles. Il existerait en outre une corrélation directe entre la quantité de microbes de genre Enterobactericeae (un type de bactérie pouvant être pathogène ou ne causer aucun mal selon son sous-type) et le degré de gravité des problèmes de mobilité et d’équilibre chez les patients atteints.

Autre découverte: la majorité des malades auraient les mêmes lésions propres à Parkinson dans leur système nerveux intestinal et leur cerveau. Cette avancée dans la compréhension de la maladie laisse entrevoir la mise en place de nouveaux outils de diagnostic précoce. Il devient en effet possible d’imaginer qu’une simple biopsie du colon permette de dépister cette affection avant même l’apparition des signes moteurs. «L’inoculation du microbiote de ces patients à des souris susceptibles de développer la pathologie pourrait également représenter un énorme raccourci dans le temps, car en quelques semaines, on pourrait voir l’évolution de cette affection chez l’animal, et ainsi mieux évaluer le risque réel du patient face à la maladie», complète le professeur Jacques Schrenzel, responsable du laboratoire central de bactériologie aux Hôpitaux universitaires de Genève.

Alzheimer aussi

Des modifications du microbiote ont aussi été observées dans le cas de la maladie d’Alzheimer. Selon Angela Kamer, du Center for the Brain Health de l’Université de New York, «il pourrait y avoir un lien entre les maladies parodontales, qui touchent les tissus de soutien des dents, et des troubles cognitifs». Cette corrélation s’appuie, entre autres, sur une observation réalisée en 2013 au Royaume-Uni, où la présence de la bactérie Porphyromonas gingivalis a été détectée dans le cerveau de plusieurs patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Ce microbe, responsable des lésions parodontales avancées, aurait également comme caractéristique de bloquer le mécanisme naturel de régénération des cellules.

De plus, selon des travaux réalisés en Lombardie sur 270 patients atteints de troubles cognitifs associés à la maladie d’Alzheimer, le dépôt d’amyloïde, l’un des marqueurs prédominants de cette pathologie, serait également associé à un déséquilibre du microbiote, lorsque des bactéries entraînant des phénomènes inflammatoires prennent le dessus dans la flore intestinale.

Génération microbiote

Les liens entre le microbiote et certaines affections neuropsychiatriques ne s’arrêtent pas là. Des travaux réalisés notamment en Californie ont ainsi pu prouver qu’en modulant la flore intestinale, il était possible d’influencer les symptômes de l’autisme chez l’animal. Des extrapolations chez l’homme restent toutefois encore difficiles à réaliser.

Lire aussi: Giulia Enders, son éloge de l'intestin nous rend plus intelligents

Pour en savoir davantage, une vaste étude baptisée «génération MB», dont le but est de mieux comprendre le lien entre le microbiote et différentes maladies inflammatoires, dont l’autisme, devrait être lancée à Genève dès l’année prochaine. Elle réunira une large cohorte de nouveau-nés, en les suivant depuis leur vie intra-utérine (par un prélèvement de selles chez la mère), jusqu’à environ 2 ans, âge auquel le microbiote intestinal se stabilise. Les bébés, stériles in utero, développent leur flore intestinale au cours des deux premières années de leur vie, en entrant tout d’abord en contact avec les bactéries maternelles à la naissance, puis avec les microbes présents dans l’environnement. Selon divers travaux, un accouchement par césarienne, l’allaitement par biberon ou encore la prise d’antibiotiques pourraient affecter le microbiote de l’enfant en affaiblissant sa diversité, générant ainsi une plus grande sensibilité aux maladies inflammatoires. Pour Jacques Schrenzel, l’un des initiateurs du projet, «cette étude permettra de remonter dans le temps. Certains de ces enfants vont probablement développer une maladie inflammatoire, comme l’autisme. En ayant accès à leur microbiote à des moments précoces de leur vie, on espère pouvoir avoir une idée plus précise des interactions en jeu et envisager, à terme, des études thérapeutiques.»

Quels traitements?

Si les scientifiques semblent convaincus du rôle pathogène des bactéries dans l’apparition de certaines maladies neurologiques, l’aspect thérapeutique reste, quant à lui, un champ d’étude à défricher. Nous disposons de plusieurs outils pour intervenir sur notre flore intestinale et ses bactéries: antibiotiques, probiotiques (des bactéries et levures bénéfiques pour le microbiote), prébiotiques (des molécules rétablissant son équilibre), l’alimentation ou encore les transplantations fécales, qui consistent à remplacer la flore intestinale d’un malade par celle d’un donneur. Mais les effets de certains de ces moyens sont complexes à évaluer, et l’on ignore encore leurs possibles effets secondaires. Des études précliniques conduites à l’Université de Los Angeles ont cependant identifié plusieurs mécanismes selon lesquels les probiotiques pourraient influencer les interactions entre le microbiote intestinal et le cerveau. Mais ces résultats sont encore à confirmer à plus large échelle.

«C’est tout de même assez excitant, car il est probablement plus facile de manipuler le microbiote que nos cellules sur un plan génétique, s’enthousiasme Jacques Schrenzel. Certes, il est nécessaire de mieux comprendre les mécanismes en cause avant d’aborder l’aspect thérapeutique, mais on avance rapidement dans ce domaine.»

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