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"Au bonheur d'Elise"
20 février 2017

"Si tu veux t'occuper de ton enfant handicapé, tu démissionnes"

article publié dans l'Express l'entreprise

Par Claire Padych, publié le 20/02/2017 à 11:44 , mis à jour à 19:35

Laëticia, salariée d'une agence bancaire, estimé avoir été poussée à la démission par son employeur qui lui refusait un aménagement d'horaires pour s'occuper de son enfant handicapé. Elle l'attaque aux prud'hommes. (photo d'illustration).

Laëticia, salariée d'une agence bancaire, estimé avoir été poussée à la démission par son employeur qui lui refusait un aménagement d'horaires pour s'occuper de son enfant handicapé. Elle l'attaque aux prud'hommes. (photo d'illustration).

Getty Images

Laëtitia, salariée d'une agence bancaire, demande un aménagement d'horaires pour s'occuper de son enfant handicapé, mais il lui est refusé. Son employeur excluant aussi une rupture conventionnelle, elle démissionne. Elle l'attaque aujourd'hui aux prud'hommes.

Les conflits qui animent les prud'hommes reflètent quotidiennement notre histoire sociale. L'audience en bureau de jugement est publique. Régulièrement, une journaliste de L'Express assiste aux débats. 

Paris, tribunal des prud'hommes, section encadrement, le 20 janvier 2017, à 16h25. 

Le président, assisté d'une conseillère et de deux conseillers, appelle deux avocats qui attendent dans la salle. 

Le président: "Quelles sont vos demandes?" 

L'avocat de Laëtitia: "Ma cliente a pris acte de la rupture du contrat de travail qui doit s'analyser comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse et produire les effets de ce licenciement. Aussi, je réclame 6.487 euros d'indemnités de licenciement, 50.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et subsidiairement, si vous ne deviez pas reconnaître la prise d'acte comme licenciement, 57.000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et 2 500 euros d'article 700. La moyenne de salaire de ma cliente était de 2.944 euros." 

LIRE AUSSI >> Indemnité de licenciement, de congés payés, de préavis: comment les calculer 

Le président: "Rappelez-nous le contexte de la rupture." 

L'avocat de Laëtitia: "Vous avez entre les mains un dossier hors du commun. Ma cliente a été engagée le 4 février comme chargée de compte dans une agence bancaire d'une ville du Val d'Oise. Elle vit maritalement et a un enfant handicapé. Mais elle souhaite avoir du temps pour sortir son enfant d'un établissement où ça se passe mal pour lui. Elle demande une mobilité pour emmener son enfant à l'école et le récupérer. Elle demande un aménagement d'horaires: il lui est refusé. Elle a donc démissionné pour un motif impératif. Elle impute cette démission à son employeur, cela le gêne, évidemment.  

Le président: "A-t-elle demandé une rupture conventionnelle?" 

L'avocat de Laëtitia: "Oui, on la lui refuse aussi, même si dans ce type d'établissement qui a une charte sociale proclamée à longueur de temps, un aménagement d'horaires était la meilleure solution. Sa supérieure lui dit: "Si tu veux t'occuper de ton enfant handicapé, tu démissionnes", elle n'a pas le choix. Le 25 juin 2013, elle rédige donc sa lettre de démission motivée que sa supérieure refuse en lui disant qu'elle lui dictera les termes de la lettre. Ma cliente n'est pas d'accord. Elle prend donc acte de la rupture du contrat de travail. Je précise que ma cliente n'a jamais fait l'objet d'aucune sanction, elle a besoin de temps pour s'occuper de son enfant. On lui propose un 80% mais elle n'en veut pas, elle veut juste des horaires décalés le matin et le soir. Le montant de l'indemnité conventionnelle de licenciement est de un cinquième de mois sur cinq ans. Cela n'aurait pas mis en faillite une banque internationale cotée au Cac 40! Il s'agit de l'intérêt moral de la salariée..." 

Le président: "On lui a fait des propositions, me semble-t-il. Attention à ne pas noircir les choses!" 

L'avocat de Laëtitia: "Elle demande en avril un changement pour septembre. On lui répond qu'elle aura peut-être une possibilité en décembre, mais c'est trop tard pour elle. Dans la RSE [responsabilité sociale et environnementale] on annonce au monde entier: "regardez comme je prends en compte mes salariés". Très bien. Je ne noircis pas le tableau, monsieur le président, mais vous avez aujourd'hui devant vous un des plus grands cabinets d'avocats de Paris qui va tenter de mettre à mal un contre-exemple de la réalité sociale dans une banque." 

L'avocat de l'employeur: "J'ai entendu cet argument sur le manque d'humanité. Mais cette version des faits ne correspond pas à la réalité. Nous ne contestons pas que Madame a des difficultés avec une enfant handicapé. Mais elle a abordé ce fait le 21 mai 2013 avec sa gestionnaire de carrière en lui disant: "en septembre, mon enfant doit être scolarisé différemment". Elle demande des solutions. La mobilité prend du temps, car elle ne peut se faire qu'au sein du groupe et non pas de la société. Alors on lui propose un temps partiel qui peut être mis en place plus rapidement. On lui propose aussi de prendre un congé sabbatique le temps de trouver une solution. Nous ne souhaitons pas de rupture du contrat de travail alors votre cliente va voir les instances représentatives du personnel pour exposer son problème. Ils lui proposent les mêmes solutions que la gestionnaire de carrière. Elle démissionne. Nous en prenons acte." 

LIRE AUSSI >> Prise d'acte: ce qu'il faut savoir 

L'avocat de Laëtitia:"C'est une démission équivoque, requalifiée en prise d'acte avec un grief." 

L'avocat de l'employeur: "Il appartient à celui qui demande la requalification d'apporter la preuve des manquements graves de l'employeur tels que la relation de travail ne peut pas se poursuivre. Manquement grave car nous avons refusé la rupture conventionnelle? Mais elle ne peut être imposée à l'une ou l'autre partie." 

Le président: "Le conseil appréciera si oui ou non il y a eu un manquement grave." 

La conseillère: "Quels postes lui ont été proposés?" 

L'avocat de l'employeur: " Le 25 juin 2013, on allait lui proposer une mobilité, il y a 80 000 salariés en France, elle démissionne." 

La conseillère: "Ca a été écrit?" 

L'avocat de l'employeur: "Non, mais on allait vers cette solution, mais elle ne voulait qu'une rupture conventionnelle. Elle n'a pas examiné de bonne foi les propositions faites. Et comme mon confrère est à bout d'argument, il sort l'exécution déloyale du contrat de travail. Quant à la RSE, elle concerne les salariés frappés de handicap, pas leurs enfants. Je demande 1.500 euros d'article 700." 

LIRE AUSSI >> Article 700, départage, référé... Le glossaire des prud'hommes 

Le président: "Vous avez évoqué le fait qu'on aurait pu s'entendre. Est-ce qu'il y aurait aujourd'hui une possibilité de discuter?" 

L'avocat de Laëtitia: "Si on était d'accord, vis-à-vis de Pôle emploi, il faudrait que la rupture conventionnelle soit reconnue." 

La DRH de l'entreprise: "On a produit un document Assedic de démission, je ne suis pas sûre qu'on puisse changer. Cela semble étrange aujourd'hui de vouloir concilier! " 

Le président: "Et peut-on envisager une réembauche? " 

L'avocat de Laëtitia: "Cela fait trois ans et on lui a dit à l'époque qu'elle était trop payée. Elle a fait une formation pour s'occuper d'enfants." 

L'avocat de l'employeur: "Je vous propose que l'on vous écrive si l'on trouve une solution." 

17h15. Le président: "Très bien, vous avez jusqu'au 10 février. Si vous ne trouvez pas de solution, le conseil tranchera." 

LIRE AUSSI >> Emploi: "Il faut des contrats adaptés pour les parents d'enfants différents" 

Verdict, le 10 février 2017. Le conseil des prud'hommes déboute la demanderesse, Laëtitia de sa prise d'acte de rupture de son contrat de travail qui doit être analysée comme une démission et non comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La banque est néanmoins condamnée à payer à Laëtitia 25.000 euros au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail puisque aucune solution n'a été trouvée pour permettre à la mère de famille de concilier les contraintes de sa vie personnelle liée à un enfant souffrant de handicap, avec celles de sa vie professionnelle. La banque est également condamnée à payer 2.500 euros d'article 700. 

Les parents d'enfants souffrant de handicap et la vie professionnelle

Le congé de présence parentale permet au salarié de s'occuper d'un enfant à charge de moins de 20 ans, dont l'état de santé nécessite une présence soutenue et des soins contraignants. Le salarié bénéficie d'une réserve de jours de congés, qu'il utilise en fonction de ses besoins. Le congé est attribué pour une période maximale de 310 jours ouvrés par enfant et par maladie, accident ou handicap, dans la limite maximale de trois ans. 

De plus, l'allocation journalière de présence parentale (AJPP) est attribuée aux salariés qui doivent interrompre leur activité professionnelle pour rester auprès de leur enfant (de moins de 20 ans ou à la charge du salarié) du fait d'une maladie, d'un handicap ou s'il est victime d'un accident d'une particulière gravité. Le salarié percevra, pour chaque jour de congé, une allocation journalière dans la limite de 22 jours par mois. Le certificat médical doit être établi par le médecin qui suit l'enfant. Il doit être détaillé, sous pli cacheté. Le médecin doit également préciser la durée prévisible du traitement. 

Un complément mensuel peut être attribué sous conditions de ressources et pour trois ans au maximum. Au-delà de trois ans, le droit à l'allocation peut être ouvert à nouveau, en cas de rechute ou de récidive de la pathologie de l'enfant au titre de laquelle un premier droit à l'AJPP avait été ouvert.

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