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"Au bonheur d'Elise"
20 octobre 2016

Comprendre comment les autistes perçoivent le monde : mon but pour mieux les aider

article publié dans le nouvel observateur
Publié le 15-10-2016 à 12h39 - Modifié le 17-10-2016 à 11h07

Temps de lecture Temps de lecture : 4 minutes
LE PLUS. Chaque année, la fondation L'Oréal, en partenariat avec l'Unesco et l’Académie des sciences, récompense de jeunes chercheuses pour promouvoir la place des femmes dans les matières scientifiques. Laurie-Anne-Sapey-Triomphe, doctorante s'intéressant à l'autisme Asperger, fait partie des lauréates. Elle témoigne, en cette semaine consacrée à la fête de la science.

Édité et parrainé par Rozenn Le Carboulec

 

Laurie-Anne Sapey-Triomphe a reçu une bourse L'Oréal-Unesco de 15.000 euros pour conduire ses recherches (Fondation L’Oréal)

 

L’autisme, j’en avais entendu parler comme tout le monde, et n’en avais pas une connaissance particulière, quand j’ai commencé mes études. Je voulais à cette époque m’engager dans la voie des neurosciences pour comprendre comment le cerveau nous permet d’interagir, de décrypter des émotions, mais également comment des dysfonctionnements peuvent tout d’un coup déstabiliser cet équilibre. Je m’intéressais à la fois au côté totalement fascinant du cerveau et à la manière dont de petites modifications peuvent bouleverser la vie d’une personne.

Et sur ce point, l’autisme s’avérait être un sujet d’étude particulièrement intéressant.

J’ai été fascinée par les patients avec autisme

La première fois que je me suis réellement intéressée à ce trouble, j’étais en master : mon professeur m’avait alors demandé de réaliser un dossier sur l’autisme. Au fil de mes lectures, cela m’a fascinée. J’ai ensuite eu l’occasion de rencontrer des personnes avec une certaine forme d’autisme, nommée syndrome d’Asperger, lors de mon stage dans un laboratoire – où je travaille actuellement – qui travaillait sur ce trouble. J’ai discuté avec plusieurs patients venant participer à des expériences, et j’ai été impressionnée par leur manière de percevoir le monde, bien différente de la nôtre.

Au départ, je m’étais orientée vers les neurosciences pour comprendre des maladies neurodégénératives qui touchaient des membres de ma famille. Puis j’ai réalisé que j’avais besoin de prendre un peu de distance car je perdais en objectivité. Ce stage auprès de personnes avec autisme a tout changé : j’ai rapidement eu envie de poursuivre en thèse pour approfondir le sujet, et, peut-être, essayer de les aider.

Comprendre leur perception de l’environnement

Je travaille aujourd’hui en neurosciences cognitives. J’essaie de comprendre comment des personnes avec Asperger perçoivent le monde et comment elles se créent des représentations mentales de leur environnement extérieur. Pour ce faire, je m’appuie à la fois sur des expériences comportementales – soit des tests sur ordinateurs – et des études en neuro-imagerie.

Cette seconde phase se fait en trois étapes grâce à l’IRM (Imagerie par résonance magnétique). 

1. Nous prenons tout d’abord une photographie très précise du cerveau, pour voir toute l’anatomie en détail.

2. Nous faisons ensuite passer des tests aux patients, afin d’observer les régions cérébrales impliquées dans un processus donné, en comparaison avec un groupe contrôle.

3. Lors de la troisième étape, nous mesurons grâce aux IRM la concentration dans le cerveau de certaines molécules importantes pour la communication cérébrale.

Un monde de détails et d’hypersensibilité

À ce jour, les expériences comportementales ont permis de montrer que les personnes autistes Asperger sont très sensibles, d’un point de vue perceptif. Cette caractéristique transforme par exemple pour eux le simple fait de marcher dans la rue en une expérience très intense. 

Ils s’attardent par ailleurs sur de petits détails et essaient de mémoriser chaque élément de manière un peu indépendante, au lieu de se créer une image globale qui permet de généraliser et simplifier.

En ce qui concerne l’IRM, je n’ai pas encore tous les résultats mais l’hypothèse est que les personnes avec autisme utiliseraient un réseau cérébral modulé différemment, avec certaines régions du cerveau qui vont plus ou moins influencer la perception que d’autres.

Des échanges extrêmement motivants pour nos recherches

De manière générale, mes recherches comportent toujours une phase de tests qui dure environ trois mois, lors de laquelle je rencontre des personnes avec autisme, qui est suivie par une phase d’analyses. Mais même lors de cette seconde étape, les patients rencontrés, souvent très curieux, continuent de m’envoyer des mails et nous échangeons en permanence. À la fin d’une expérience, nous essayons également de les revoir, avec leur famille, pour leur expliquer les résultats.

Les personnes avec syndrome d’Asperger nous posent toujours beaucoup de questions : elles sont conscientes de leur différence de fonctionnement, de leur décalage, mais souvent, elles ne réussissent pas à identifier sur quels points cela peut se jouer. Or il suffit parfois de leur expliquer notre manière de percevoir le monde – donc dans sa globalité – pour les aider à mieux l’appréhender.

Le fait de suivre sur le long terme des personnes dans le besoin, prêtes à s’investir dans des expériences, est extrêmement motivant. Et cela d’autant plus que les parents, eux aussi, sont en demande de conseils concrets, pour savoir de quelle manière ils peuvent soutenir leurs enfants au quotidien.

Le syndrome d’Asperger est un handicap invisible

Le syndrome d’Asperger est un handicap invisible, mais qui mérite que l’on s’y intéresse, comme toutes les formes d’autisme. Parmi les adultes touchés par ce syndrome, 70% ont ainsi déjà fait une dépression.

Le but de nos recherches n’est pas de "guérir" l’autisme, qui n’est pas forcément un terme approprié, mais de trouver un moyen d’atténuer ce qui, dans bien des situations, peut rendre la vie des personnes concernées très compliquée, et j’espère que mon travail pourra y contribuer.

 Propos recueillis par Rozenn Le Carboulec.

 

   

Créées en 2007, les bourses françaises L’Oréal-Unesco pour les Femmes et la Science visent à révéler et récompenser de jeunes chercheuses. Les femmes sont encore aujourd'hui largement

sous-représentées dans les carrières scientifiques. En 2015, elles ne représentaient que 34% des diplômés dans le monde, selon l'enquête Mutationnelles-Y Factor.

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