VIDEO. Laurent Savard, humoriste, fait rire avec l'autisme de son fils ... Merci Gabin !
La promenade quotidienne, en rollers pour Gabin, en trottinette pour Laurent, est un moment de complicité.
JPGuilloteau/L'Express
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Ensemble, les deux copains ont collé des affiches sur les murs de Paris pour leurs one-man-show. C'était leurs débuts, ils passaient dans le même café-théâtre et, le plus souvent, jouaient pour trois quidams. Très vite, Stéphane Guillon devient l'humoriste caustique des plateaux télé, le trublion de France Inter qui défend l'impertinence au point d'être viré. Laurent Savard, lui, peine à se faire un nom. A la naissance de son fils, diagnostiqué autiste, il galère toujours. Confronté au défi insensé d'élever un bonhomme si différent des autres, il se met à écrire, dans son coin, une série de sketches dans la pure veine autobiographique et l'intitule Le Bal des pompiers - allusion à ce 13 juillet de l'année 2002 où il est devenu papa.
Faire rire avec l'autisme, ce trouble précoce qui compromet le langage, la sociabilité et brise tant de destins ? Le pari est risqué. Le spectacle ovni démarre doucement, en 2010. Il attise la curiosité des parents d'enfants autistes, qui ressortent émus aux larmes et, hyperconnectés, participent au buzz sur Internet. Le public s'élargit, la taille des théâtres aussi. Quand Laurent Savard monte sur la scène du Déjazet, à Paris, son vieux pote Stéphane Guillon est dans la salle.
LA PSY / Laurent Savard par N99
Le one-man-show a aujourd'hui rassemblé plus de 30 000 spectateurs et, après 125 représentations, continue à tourner dans toute la France. Le Bal des pompiers devrait même devenir un film - dès que l'artiste trouvera le temps d'écrire les dernières lignes du scénario. Le handicap du fils a apporté le succès au père, preuve, s'il en fallait, que la vie n'est qu'une vaste blague.
Dans son propre rôle, l'humoriste force à peine le trait. Les soirs de représentation, quand les projecteurs s'allument, le public découvre un père sur le qui-vive, barbe de trois jours et yeux rétrécis par les nuits sans sommeil.
Le voici en balade à Montmartre, guettant les réactions d'un petit garçon invisible mais manifestement téméraire, capable, si ça lui chante, de se mettre tout nu au milieu d'un square. "Où tu vas, Gabin ? Ah oui, les cartes postales, elles sont jolies, hein... Regarde là, c'est le Sacré... Non, Gabin, interdit! [NDLR : il gesticule frénétiquement pour se faire comprendre en Makaton, une langue des signes simplifiée pour les autistes.] Même s'il est moche, on déchire pas le Sacré-Coeur, Gabin."
Dans un autre sketch, le comédien prend la pose, jambes croisées bien haut. Il interprète une psychologue sentencieuse, égarée dans de vaines interprétations freudiennes : "J'ai observé Gabin, il s'assied en retrait, au centre d'un cercle, comme pour mieux chercher l'utérus de sa maman." Puis vient le tour d'une institutrice de maternelle, qui cherche à convaincre le père de retirer l'enfant de sa classe et lâche, à bout d'arguments, cette remarque perfide : "Ce n'est tout de même pas notre faute si Gabin ne sait rien faire !"
Les méthodes d'apprentissage du langage ont toutes échoué
Dans Le Bal des pompiers, le héros a 4 ans pour l'éternité. Mais Gabin, le vrai, est devenu un garçon longiligne de 12 ans, plus hyperactif que jamais. En cet après-midi d'hiver, casqué, rollers aux pieds, il se tient prêt à débouler hors de l'appartement familial. Comme son père tarde à régler sa trottinette de sport, il s'impatiente. Se met à fermer une par une les portes donnant sur les autres pièces - un besoin impérieux d'ordonner son environnement selon une disposition précise, toujours la même.
Dehors il bruine, mais, à moins d'une tempête "digne de la fin du monde", Laurent Savard ne renonce jamais à leur randonnée quotidienne dans Paris, moment de complicité sacré à ses yeux, et défoulement vital pour son fils. C'est parti ! Gabin file à vive allure sur le trottoir, les yeux rivés à son smartphone, où défilent ses clips préférés. Son père le talonne, un à deux mètres en arrière, pas plus, veillant au grain et à la couleur des feux de circulation lors de la périlleuse traversée des carrefours.
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Dans son spectacle, le père de l'enfant n'a guère besoin de forcer le trait.
JPGuilloteau/L'Express
Gabin patine aussi sur la glace. Dans un spot diffusé par l'association SOS Autisme à l'occasion de la journée mondiale de sensibilisation à ce trouble, il forme un émouvant duo avec le médaillé olympique Philippe Candeloro. Il skie, même, mais ne parle toujours pas. Ses parents se sont fait une raison. "Je ne crois pas au miracle, au déclic qui débloquerait d'un seul coup le langage", confie Marie-Lou, sa mère, philosophe par nécessité. "On a essayé assez tôt la plupart des méthodes d'apprentissage reconnues, comme l'ABA, renchérit Laurent. Je ne pense plus, comme dans les premières années, que Gabin pourrait sortir de son autisme. Il est différent, voilà. La solution, c'est le respect de cette différence."
Il faut dire que Laurent et Marie-Lou connaissent, depuis peu, la cause du handicap de leur fils : une mutation génétique. Un privilège quand, pour la plupart des familles touchées par l'autisme, le mystère demeure. Le couple insiste : un "privilège", oui, même si une anomalie du Shank 3, le gène concerné, sabote la communi cation entre les neurones dans le cerveau de Gabin et provoque une "déficience intellectuelle", comme disent les médecins. "J'ai du mal avec ce terme, lâche Laurent avec une grimace douloureuse. Un vilain mot, vraiment, même si c'est une réalité."
Gabin n'est pas seulement la vedette d'un spectacle comique. Il est aussi devenu l'une des mascottes de l'équipe engagée, à l'institut Pasteur, dans la course mondiale pour l'identification des gènes de l'autisme. Si bien que son directeur, Thomas Bourgeron, a convié ses parents à une visite privée de son unité, le Laboratoire de génétique humaine et fonctions cognitives. Lorsque Laurent tape à la porte vitrée, en ce début du mois de mars, c'est le généticien en personne qui leur ouvre.
Veste et chemise noires, le cheveu un peu long et les pattes à la Dick Rivers, il passerait pour une rock star s'il n'employait constamment des mots abscons de biologiste. L'hôte conduit ses visiteurs dans la pièce attenante, où deux chercheurs font défiler sur les écrans de leurs ordinateurs une succession infinie de A, C, G, U, les quatre bases de l'ADN. "Le génome d'une seule personne comporte 3 milliards de lettres", rappelle le directeur-rockeur. C'est une enquête digne d'un détective qu'a menée le Pr Bourgeron pour découvrir, en 2006, le rôle clef joué par le Shank 3. En explorant les génomes de 200 familles touchées par l'autisme, son équipe a repéré chez cinq enfants une mutation sur cette même portion du chromosome 22, indispensable au bon fonctionnement des synapses, la zone de contact entre deux neurones.
L'ADN de Gabin a été analysé dans la foulée. Depuis, sa frimousse trône en bonne place dans la galerie de portraits rassemblés pour l'étude en cours : 6 garçons et filles auxquels les chercheurs espèrent pouvoir proposer, un jour, un traitement. En France, l'anomalie du Shank 3 concernerait de 2 000 à 3 000 personnes.
Une erreur de réplication de l'ADN aux premiers stades de la vie
Plus fascinée qu'intimidée par cet étalage de sciences dures, Marie-Lou ne tarde pas à poser la question qui la préoccupe : "Et pour Gabin, elle s'est produite comment, cette mutation ?"
Ni elle ni Laurent n'en sont porteurs - l'équipe de Pasteur l'a vérifié grâce à une prise de sang. "Il pourrait s'agir d'une erreur de réplication de l'ADN, quand les cellules se multiplient aux tout premiers stades de la vie", suggère le Pr Bourgeron, plongeant Marie-Lou dans un abîme de perplexité. Mais il a gardé la bonne nouvelle pour la fin. Le décryptage du génome complet d'un individu est désormais bon marché. A 1 500 euros, son laboratoire peut se permettre la dépense. Alors, la semaine dernière, il a passé commande de celui de Gabin. "Nous pourrions y trouver d'autres particularités génétiques, poursuit le Pr Bourgeron. Nous espérons comprendre pourquoi, avec la même mutation, certains enfants ne parlent pas du tout alors que d'autres disent quelques mots." Gabin ? Une superstar de la recherche.