Près de 500 enfants et adolescents handicapés sont en attente d’une place pour les accueillir, dans le département. Institutions et classes spécialisées saturent.
Des dossiers. Des recours. Des lettres recommandées. Des refus. Et cette incertitude qui n’en finit pas. Aujourd’hui, en Loire-Atlantique, plus de 200 enfants handicapés attendent une place dans un Institut médico-éducatif (1). Ils sont 264 de plus à être sur liste d’attente pour le Sessad (2). Des chiffres vertigineux derrière lesquels se cachent des réalités familiales souvent douloureuses.
« Beaucoup de parents démissionnent de leur travail pour s’occuper de leur enfant » , lâche Véronique N’Douassi, mère d’un enfant bientôt adulte, pris en charge par l’IME de Saint-Hilaire-de-Chaléons, dans le Pays de Retz.
On sent chez cette femme de 56 ans une grande force doublée d’une colère profonde. « Nos enfants sont des numéros de dossiers, s’indigne-t-elle. À la naissance de mon fils, j’ai découvert que la notion de droit et l’égalité des chances pour tous était un leurre. On doit se battre en permanence. »
Des combats d’autant plus difficiles à mener que le quotidien est déjà compliqué pour ces familles. « Elles doivent faire le deuil de l’enfant ordinaire, résume Véronique N’Douassi. Accepter qu’on ne se réjouira pas pour l’obtention du bac, mais pour autre chose. »
Comment trouver de la force pour affronter l’administration lorsqu’il faut déjà veiller aux autres enfants de la fratrie, éviter que le couple n’explose sous la pression, se trouver du temps libre pour les nombreux rendez-vous médicaux ?
Seize mois d’attente en moyenne
En Loire-Atlantique, le délai moyen pour obtenir une place en IME est de seize mois. Mais à l’établissement de Saint-Hilaire-de-Chaléons, certaines familles patientent depuis deux ans.
« La situation est aberrante , lâche Denis Marchand, directeur éducatif de l’Adapei, association qui gère 70 % des IME du département. Rien que pour notre association, nous avons 324 familles sur liste d’attente (3). Nous recevons des appels de familles dans une détresse profonde. Nous leur disons que nous manquons de places. Que voulez-vous dire d’autre ? Nous sommes incapables de leur proposer quoi que ce soit. »
Une réalité que l’Agence régionale de santé ne nie pas. Dans un livret consacré à la question de la scolarisation des enfants en situation de handicap, paru le 18 mai dernier, l’ARS pointe du doigt « le nombre important de jeunes maintenus en Ulis (4) faute de places en IME » .
Comprendre : des enfants dont les pathologies nécessitent une prise en charge dans un établissement spécialisé restent dans des établissements ordinaires, faute de places.
Manon a 11 ans et se prépare à faire une rentrée en Ulis, au collège de Saint-Philbert-de-Grandlieu. | Ouest-France
« Manon ne peut pas aller au collège »
Derrière les chiffres, les dossiers, les acronymes, il y a des enfants comme Manon, 11 ans. Elle est atteinte d’une trisomie découverte à l’âge de 3 mois. Elle est élève à l’école publique de Saint-Mars-de-Coutais depuis 2013, en classe Ulis. « Malgré le turn-over important des enseignants, Manon s’y plaît beaucoup », confie sa mère, Cécile.
Cette jeune fille souriante manie depuis peu les multiplications, elle progresse en lecture et adore lire des histoires à son petit frère, mais pour ses parents, elle n’est tout simplement pas capable d’aller au collège à la rentrée de septembre. C’est aussi l’avis de la directrice d’école, Laurence Johanet, qui était d’accord pour garder Manon une année de plus.
Mais à en croire le dernier courrier adressé par la Maison départementale des personnes en situation de handicap (MDPH), Manon intégrera le collège de Saint-Philbert-de-Grandlieu, l’an prochain, en classe Ulis.
« C’est la mettre dans la gueule du loup , résume Cécile. Pour n’importe quel enfant, le collège est un univers difficile. Mais, pour Manon, ce n’est pas possible. Elle est extrêmement influençable, elle ne peut pas se débrouiller seule dans la cour de récréation. Avec ce qu’on voit aujourd’hui sur le harcèlement scolaire, sur les vidéos filmées dans les toilettes, nous avons très peur pour notre fille. Et elle le ressent. »
Cécile et Véronique sont deux mères d’enfants handicapés, adhérentes à l’Adapei de Loire-Atlantique. | Ouest-France
L’inclusion, mais avec quels moyens ?
Au sommet de l’État, depuis plusieurs années, le message est clair et se résume en un mot : inclusion. En clair : permettre à chaque enfant de vivre et apprendre avec les jeunes de son âge, en milieu scolaire ordinaire dès que possible. C’est-à-dire un système à l’inverse des IME, des établissements spécialisés, réservés aux enfants et adolescents handicapés.
Mais là encore, l’ARS des Pays de la Loire pointe elle-même les limites du système : « La coopération entre milieu ordinaire et milieu spécialisé existe dans les textes de loi. Néanmoins, cela se concrétise encore difficilement sur le terrain […] La scolarisation en milieu ordinaire se heurte à une mauvaise représentation du handicap à l’école, une difficulté d’accès à l’accueil périscolaire, aux sorties scolaires, aux transports et à un manque d’offre quantitative et qualitative. »
« L’école ne peut accueillir tout le monde »
Pour Cécile, mère d’un garçon déficient intellectuel, l’inclusion est un projet intéressant. « Mais on est dans une phase de transition qui prendra des années. Comment faisons-nous en attendant ? Nos enfants sont là et ne peuvent pas en faire les frais. »
Pour Denis Marchand, également, ce sont là des volontés politiques louables, « mais telle qu’elle existe aujourd’hui, l’école de la République n’est malheureusement pas en capacité d’accueillir tout le monde ». Dans l’IME qu’il gère, dans le pays de Retz, il estime que seulement 40 % des jeunes accueillis seraient capables, « avec un accompagnement intensif », d’intégrer une classe ordinaire.
S’équiper sur Le bon coin
Ce manque de moyens, Laurence Johanet le résume en une anecdote qui pourrait faire sourire si la situation n’était pas aussi grave. « Lorsque nous avons ouvert la classe Ulis, à Saint-Mars-de-Coutais, en 2011, nous n’avons eu aucun moyen supplémentaire pour acheter du matériel, se remémore-t-elle. On s’est retrouvés à chiner des objets de récup à l’amicale laïque et à poster des demandes sur Le bon coin pour des bureaux ! Ensuite, le conseil départemental nous a donnés 380 € par an pour notre classe Ulis. Puis, depuis trois ans, cette aide n’existe plus. Heureusement, la mairie a décidé de la prendre à sa charge » .
Dans la salle de la classe Ulis, le tableau numérique a été offert par une association de la commune, grâce au fruit d’une vente aux enchères. Une gestion qui tient comme elle peut, ici comme ailleurs, grâce en grande partie à la bonne volonté des équipes en place.
9 % d’équipements en plus
La Loire-Atlantique fait partie des départements particulièrement saturés. Depuis 2012, le taux d’équipement a augmenté de 9 % en Loire-Atlantique, insuffisant au regard de la pression démographique.
Alors, en attendant une société idéale, où les enfants handicapés iraient tous dans des structures adaptées à leurs capacités, avec suffisamment d’encadrement et d’aide pour leur permettre de s’y épanouir, de nombreuses familles angoissent. Remplissent des dossiers. Trouvent la force de faire des recours. Postent des lettres recommandées. Et attendent, encore.
(1) Un IME accueille enfants et adolescents handicapés atteints de déficience intellectuelle et dispense une éducation et un enseignement spécialisés.
(2) Un service qui permet l’intervention de médecins, orthophonistes ou éducateurs au lieu de vie de l’enfant, que ce soit à l’école ou à son domicile.
(3) Certaines familles s’inscrivent dans plusieurs établissements dans l’espoir de trouver une place rapidement. D’où la différence avec les chiffres fournis par la Maison départementale pour le handicap (MDPH).
(4) Les Unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) permettent l’accueil dans une école, un collège, un lycée dans des classes spécialisées avec des heures prévues au sein des classes « ordinaires » .