15/05/2013
Après un coup d’œil furtif, ce jeune homme aux cheveux longs nonchalamment assis sur le canapé ressemble à s’y tromper à un amateur de rock défiant l’autorité parentale. Il n’en est rien. Dylan, un garçon de 17 ans, est une personne avec un autisme dit sévère. Il n’est absolument pas autonome. Il se lève néanmoins pour tendre la main à un étranger qu’il n’a jamais vu. “C’est le fruit d’un important travail d’apprentissage de codes sociaux”, commente la mère de Dylan, Cécile Lafitte, par ailleurs médecin psychiatre.
Le fils interpelle sa mère, mais ne lui adresse pas la parole. “Dylan a récemment passé une batterie de tests et son état de développement correspondrait à celui d’un enfant de deux ans. Il ne parle pas”, explique-t-elle. Le jeune homme se lève et prend alors une sorte de petite valise contenant des images dont il a visuellement mémorisé la signification : il ne sait ni lire ni écrire. Rapidement et d’un geste sûr, il associe plusieurs images et les dispose sur une bandelette à la manière d’un rébus. “Il voudrait des biscottes”, indique sa mère.
Afin de permettre à son fils d’accroître son autonomie et faciliter les relations au quotidien, Cécile Lafitte a décidé d’opter pour le Pecs, ou “Pictures Exchange Communication System”, un procédé qui se décline aujourd’hui sur les tablettes informatiques. “Dylan en est actuellement à la troisième phase du Pecs. Les progrès qu’il a faits sont notables. En continuant ainsi, il pourra réussir à atteindre un certain degré d’autonomie en communiquant avec autrui”, poursuit Cécile Lafitte. Auparavant, Dylan allait malheureusement jusqu’à s’automutiler lorsqu’il ne parvenait pas à se faire comprendre.
Le parcours du combattant
L’autisme de ce jeune homme a été diagnostiqué alors qu’il avait trois ans. “Je voyais bien qu’il n’était pas comme les autres enfants. Mais on ne donnait pas de réponse à mes questions”, déplore Cécile Lafitte. Si le diagnostic a été établi relativement tôt, compte tenu du niveau d’autisme de Dylan, cela a été assez tardif. “En outre, le système médical français a fait sien une hypothèse erronée, selon laquelle l’autisme tient son origine d’un dérèglement psychologique. Ce qui est totalement faux”, ajoute-t-elle.
Le jeune homme de 17 ans n’a jamais été à l’école et a toujours été placé au sein d’hôpitaux de jour ou d’instituts médico-éducatifs. “On les y laisse végéter sans rien faire pour véritablement chercher à développer leurs capacités”, se lamente-t-elle. En outre, Dylan s’est vu appliquer des traitements qui font franchement froid dans le dos. “Mon fils a parfois été laissé dans des draps mouillés un long moment. L’idée est que le ‘moi-peau’ est percé dans le cas de l’autisme. Cette technique serait un moyen de remédier à un état psychologique déficient. Mais tout ceci est une vaste aberration théorique, qui a d’ailleurs été condamnée par la Haute Autorité de la santé en mars 2012”. Reste à faire bouger les lignes, ce qui ne semble pas être une mince affaire. “C’est tout un système qu’il faut alors faire volet en éclat”, lance-t-elle.
Parfois fatiguée de lutter quotidiennement, on la voit néanmoins ragaillardie par le regard et les gestes complices de son fils qui vient de nouveau vers elle avec sa petite mallette et compose un autre rébus afin de lui demander de mettre un disque de chants basques. “Il faut bousculer un establishment français qui ne veut pas être délogé et dont les traitements ont été nocifs non seulement à Dylan, mais aussi à beaucoup d’autres personnes avec autisme”, tranche-t-elle.
Un Hexagone rétrograde ?
Quelles sont au juste les différentes écoles d’interprétation de l’autisme ? “En réalité, il n’y en a pas.” répond Joaquín Fuentes, pédopsychiatre à la polyclinique Gipuzkoa de Donostia et conseiller scientifique de Gautena, l’association gipuzkoar d’autisme. “Ou plutôt, il n’y en a que deux : d’une part, l’école française, minoritaire et discréditée, qui se fonde essentiellement sur les théories psychanalytiques antérieures à 1900 ; d’autre part, le reste du monde qui reconnaît l’origine neurobiologique du trouble et l’interprète en terme de handicap.”
L’État français aurait donc laissé passer le train sans prendre place dans le wagon. Pour le dire autrement, “c’est un peu comme si l’on pratiquait une opération du cœur selon les principes médicaux d’il y a 100 ans. Qui accepterait cela ?”, s’étonne Joaquín Fuentes. Pis encore, “la France a été condamnée par les instances européennes compétentes car elle ne donne pas aux enfants avec autisme la possibilité d’être scolarisés”, déplore le pédopsychiatre. “Il est proprement lamentable qu’un pays riche et cultivé maintienne une vision obsolète qui marginalise ces personnes et fait qu’elles terminent généralement à l’âge adulte dans des hôpitaux psychiatriques.”
En somme, “il ne s’agit ni de médecine ni de psychiatrie, mais de droits civiques dont les personnes avec autisme doivent bénéficier au même titre que les autres”, conclut Joaquín Fuentes.
Qu’est-ce que l’autisme ?
Au juste, qu’est-ce que l’autisme ? “Il s’agit d’un trouble du développement des compétences sociales, communicatives et imaginatives présentant un degré variable de gravité. C’est pourquoi on trouve des personnes nécessitant un soutien intensif tout au long de leur vie et d’autres qui en ont besoin jusqu’à ce qu’ils apprennent à gérer ces compétences”, répond le pédopsychiatre Joaquín Fuentes.
L’autisme désigne ainsi une forme de troubles envahissants du développement (TED), affectant la personne dans trois domaines principaux. Il s’agit d’abord d’anomalies de la communication verbale ou non verbale. Dans ce cas, la personne avec autisme utilise par exemple le langage de manière écholatique, autrement dit qu’elle répète mot pour mot une question qu’on lui pose. Il existe ensuite des anomalies touchant aux interactions sociales : elles se traduisent parfois par une apparente indifférence aux personnes. Enfin, les centres d’intérêt sont fréquemment restreints et stéréotypés. Cela peut se manifester par une intolérance aux changements.
Selon les chiffres communiqués par l’association Autisme France en avril 2013, dans l’Hexagone “un médecin sur trois ne sait pas ce qu’est l’autisme et un sur quatre assimile encore le handicap à une psychose, alors que la Haute Autorité de santé le définit comme un trouble neurodéveloppemental”. Tel est le triste bilan récemment dressé.
Entretien avec Idoia ANGULO / Pédopédagogue
“Ce qui se fait en France envers les enfants avec autisme est condamnable”
Pédopédagogue au sein du centre Goiz de Bilbo de l’association Apnabi (Association de parents affectés par l’autisme de Bizkaia), Idoia Angulo revient sur les diverses facettes de son travail avec les jeunes enfants avec autisme.
Qu’est-ce que le centre Goiz à Bilbo et comment fonctionne-t-il ?
Le centre Goiz s’occupe d’enfants de zéro à six ans. Y travaillent à la fois des psychologues et des pédopédagogues. Cette bipartition reflète le double travail que nous effectuons.
D’une part, les psychologues accueillent les enfants et leurs familles. Un ensemble de tests sont alors effectués afin d’établir un diagnostic précis : savoir s’il s’agit d’autisme et, si oui, quel en est le degré de gravité. D’autre part, nous, les pédopédagogues, recevons les enfants une ou deux fois par semaine afin de provoquer des situations de communication et d’interaction sociales.
Comment les parents arrivent vers vous ?
Il existe trois types de cas de figure. Certains parents viennent nous voir sur les recommandations de leur pédiatre ; d’autres parce que l’école où l’enfant est scolarisé les y a poussés ; enfin, mais il s’agit d’une minorité, quelques-uns viennent de leur propre chef.
Au Pays Basque Sud, les enfants avec autisme sont donc scolarisés ?
Oui, à la différence de la France, où les enfants sont mis à part, ce qui, du reste, est proprement condamnable.
Dans la mesure du possible, mieux vaut que les enfants avec autisme soient en contact avec d’autres enfants sans autisme. Cela leur permet de développer leurs compétences. Par exemple, les enfants avec un autisme léger sont scolarisés avec les autres enfants et bénéficient d’un accompagnateur en permanence. C’est un droit qui existe au sein de la Communauté autonome basque et qui a été épargné par les réductions de postes.
Comment se passent l’accueil et le suivi des enfants ?
Lorsqu’ils arrivent, les enfants passent des tests durant trois mois avec les différents psychologues. Tout se fait à travers le jeu. De longues discussions d’accompagnement aux familles encadrent ces tests. La finalité est de savoir quel est le degré d’autisme dans chacun des trois types d’autisme [voir encadré ci-contre].
Dans un deuxième temps, les enfants ont un ou deux rendez-vous hebdomadaires d’une heure avec les pédopédagogues. Je tiens à dire que c’est vraiment trop peu vu l’étendue de ce qu’il faudrait faire. Mais c’est déjà mieux qu’ailleurs. Chez nous, toutefois, ce qui fait défaut, c’est un travail plus approfondi au domicile familial. Cela se fait dans certains pays et permet d’apporter des réponses à des problèmes concrets que les familles rencontrent au quotidien.
Quels sont les résultats que vous obtenez ?
Cela dépend bien entendu du degré d’autisme : chaque cas est spécifique. Reste que les personnes avec autisme ne sont pas des gens qui veulent rester dans leur bulle. Ils ont seulement une façon différente de la nôtre d’appréhender le monde.