article publié sur la Gazette Santé-Social.fr
[Points de vue] Handicap | 11/10/2018
par Auteur Associé © K.Colnel-Territorial
Marina Drobi, cheffe de projet au Comité interministériel du handicap et Stéphane Corbin, directeur de la compensation à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, témoignent des conditions nécessaires pour que "Une réponse accompagnée pour tous" réponde mieux aux besoins des personnes en situation de handicap. Le travail entre acteurs et la participation des usagers sont essentiels.
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Handicap : la démarche "Une réponse accompagnée pour tous" questionne les pratiques
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Par Jean-Marie Pichavant, responsable du Pôle autonomie santé, Groupe Enéis, jm.pichavant@groupe-eneis.com
Comment se passe le déploiement de la démarche ?
Marina Drobi : Nous sommes en plein changement d’échelle. D’une part, l’année 2018 est celle de la généralisation. Même si de nombreux départements se sont lancés dès 2017, la mise en œuvre opérationnelle a débuté souvent en 2018. D’autre part, on constate une véritable prise de conscience quant à la nécessité d’investir de manière concomitante tous les axes de la démarche, les travaux engagés localement et les feuilles de route sont désormais plus complets. C’est essentiel car, comme le disaient Denis Piveteau et Marie-Sophie Desaulle, la voiture a besoin de ses quatre roues pour avancer. Surinvestir un axe au détriment des autres rendrait la démarche bancale et risquerait de gripper la dynamique de transformation portée par les acteurs. Enfin, pour aboutir aux objectifs de la démarche, nous pouvons désormais nous appuyer sur une dynamique interministérielle plus forte et l’ambition du gouvernement à avancer sur le chemin de la société inclusive. Pour citer encore Denis Piveteau, « on ne peut espérer aboutir à ‘‘zéro sans solution’’ sans avoir l’ambition du ‘‘cent pourcent inclusif’’ ».
Marina Drobi, ancienne membre du cabinet de la secrétaire d’État en charge des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion, est aujourd’hui cheffe de projet « Une réponse accompagnée pour tous » au Comité interministériel du handicap.
Stéphane Corbin : La démarche s’appuie sur l’ambition de ne laisser personne sans solution d’orientation réellement effective. Pour atteindre cet objectif, elle vise une meilleure articulation entre les acteurs et un copartage de responsabilité dans l’élaboration des réponses faites aux personnes. Mais il y a aussi un intérêt plus global à revoir collectivement la façon dont on évalue les besoins des personnes et comment on construit les réponses avec les personnes elles-mêmes… Je vois deux intérêts majeurs à cette démarche. Premièrement, elle s’appuie sur les dynamiques territoriales. Dans certains territoires, elle a remis à plat des relations entre partenaires qui s’étaient grippées et a permis une meilleure coordination entre les intervenants que rencontrent une personne en situation de handicap et ses proches. C’est un travail de confiance et de transparence entre les acteurs. Mais la démarche réinterroge également la relation entre l’offre et la demande. Il y a un enjeu fondamental à mieux connaître les besoins des personnes à l’échelle d’un territoire pour que des réponses pertinentes puissent être mobilisées. Celles-ci doivent être rapidement disponibles et ne pas seulement reposer sur une dérogation ou sur « le pas de côté ». La diversité et la modularité des réponses doivent être recherchées. Ce n’est pas toujours évident et il nous faut des outils puissants d’analyse. Le déploiement d’un système d’information de suivi des orientations participe à cet objectif.
Stéphane Corbin, est directeur de la compensation à la Caisse de la solidarité pour l’autonomie (CNSA). Il était auparavant conseiller technique de la ministre de la Santé en charge des personnes âgées, des personnes handicapées et de la cohésion sociale, et DGA chargé des solidarités en Indre-et-Loire.
Chacune de vos institutions est pilote d’un axe de la démarche, la mobilisation des usagers pour le SG CIH et la mobilisation des MDPH pour la CNSA. Quelles sont les ambitions de ces différents chantiers ?
MD : Le SG CIH est effectivement responsable de l’axe portant sur le développement de l’accompagnement et le soutien par les pairs. La création d’une dynamique d’accompagnement par les pairs est un levier pour renforcer le pouvoir d’agir des personnes en situation de handicap et leur permettre de jouer un rôle plus actif dans leurs parcours. C’est un enjeu essentiel au regard des ambitions de la loi du 11 février 2005 et de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Et c’est également un enjeu essentiel pour le succès de la transformation que nous visons à impulser. Que ce soit pour trouver des réponses aux situations individuelles ou pour faire évoluer l’offre d’accompagnement sur un territoire, nous avons besoin d’ouvrir le champ des possibles. La rencontre entre l’expertise des professionnels et l’expertise dite « d’usage » des personnes vivant avec le handicap est pour cela un formidable vecteur.
SC : Les MDPH ont aujourd’hui des pratiques très diversifiées mais toutes ont identifié la nécessité de s’adapter aux besoins de la personne et de rechercher des solutions pour les personnes en risque de rupture dans leur parcours. Mais, l’objectif est l’amélioration continue du système d’orientation et d’accompagnement des personnes. Cette volonté d’un accompagnement renforcé des projets des personnes est déjà à l’œuvre dans de nombreuses MDPH. Elles le font en lien avec les autres chantiers qui leur sont confiés comme le déploiement d’un système d’information harmonisé destiné à terme à simplifier leur travail quotidien pour pouvoir accorder plus de temps à l’accompagnement, la mise à disposition d’un nouveau formulaire unique de demande pour faciliter la compréhension d’une situation. Ces transformations prennent du temps. Le changement des cultures professionnelles et des pratiques concerne à la fois l’accompagnement à la mise en œuvre des droits, les pratiques d’admission et les pratiques d’évaluation des besoins. Parce que le changement est global, il nécessite de pouvoir s’appuyer sur des partenaires qui partagent la même ambition.
Comment explique-t-on les difficultés rencontrées et quelles conditions pour les lever ?
MD : En ce qui concerne la mobilisation des usagers, nous avons me semble-t-il deux types de difficultés. Certains considèrent que cette dynamique de soutien par les pairs existe déjà dans le réseau associatif et que nous n’avons guère besoin d’aller plus loin. D’autres identifient bien la plus-value de ces nouvelles approches mais ne savent pas forcément comment les décliner de manière concrète et opérationnelle localement. Nous devons donc expliquer que l’accompagnement par les pairs va plus loin que la simple entraide et implique un certain nombre de prérequis et conditions que développe par exemple Ève Gardien dans son ouvrage récent sur ce sujet (1). Si je ne devais en citer que deux ce serait la nécessaire prise de recul par rapport à sa propre expérience et l’impératif d’une posture relationnelle spécifique où l’objectif n’est pas de « faire le bien d’autrui, mais de le soutenir dans ses rêves et ses projets ». De la même manière, la formation par pairs va bien au-delà de la mobilisation des témoignages des personnes concernées dans une formation réalisée par les professionnels. Il s’agit de s’appuyer sur ce qui se pratique déjà pour aller plus loin au service de l’empowerment des personnes en situation de handicap. La responsabilité des acteurs institutionnels, que ce soit au niveau local ou national, est de créer des conditions pour faciliter le déploiement de cette dynamique : capitaliser l’existant, mettre en place des formations, intégrer la mobilisation des pairs dans les appels à projets, mobiliser des financements quand c’est nécessaire. Cependant, l’action doit être conçue et portée par les pairs, c’est ça la condition de réussite essentielle.
SC : La principale difficulté relève de la coordination dans le temps des différents travaux en cours. C’est pourquoi dans le cadre du comité de pilotage national, il est à la fois question de la transformation de l’offre médico-sociale, des travaux autour du plan de transformation pour l’école inclusive, des travaux des départements pour le développement du soutien au domicile ou encore des projets territoriaux de santé mentale. Sur les territoires, on retrouve ces objectifs de diversification et de modularité dans les programmes régionaux de santé que pilotent les agences régionales de santé, mais aussi dans les schémas départementaux de l’autonomie ou des solidarités des conseils départementaux. Ils peuvent être déclinés dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) passés avec les établissements et services médico-sociaux. Ils trouvent également un appui dans l’action menée par les représentants de l’Éducation nationale au sein des groupes techniques départementaux. La démarche « Une réponse accompagnée pour tous » participe pleinement au développement d’une société plus inclusive où le « droit commun » est avant tout mobilisé : l’école mais aussi l’emploi, les activités culturelles ou sportives par exemple. Le montage de ces partenariats et le pilotage de ces chantiers reposent donc sur une gouvernance et une responsabilité partagées dans les territoires.