Un Petit Prince différent
Publié le Nathalie Hamidi on 7 novembre 2009 • Catégorie Témoignages
Je vous livre aujourd’hui le témoignage de Caroline à
propos de l’autisme, des difficultés de la vie quotidienne et du combat
que doivent mener les parents d’enfants différents.
Je l’appelle mon Petit Prince car il m’a beaucoup appris par sa
différence. Sa différence? Il s’agit de deux handicaps invisibles: la
dyspraxie (diagnostiqué en maternelle), et les Troubles Envahissant du
Développement (TED) non spécifiés (diagnostiqués en juin 2009). Il n’a
pas le même nom que moi mais c’est mon fils.
Quels ont été les signes qui vous ont inquiétés?
Mon fils va avoir 13 ans, et à l’époque j’ai sollicité tout le monde
pour avoir un diagnostic. J’étais « trop inquiète », selon eux tout
allait bien. Pourtant, son regard, dormir autant, ses problèmes
digestifs, le besoin de stimuli intenses pour le faire réagir, son
visage sans aucune expression particulière m’inquiètaient. « Ces mamans
sont décidément trop inquiètes », me disait-on.
Qui avez-vous consulté?
Tout d’abord, j’en ai parlé a mon pédiatre qui s’est voulu rassurant. Son frère aîné était très vif? Et alors? Lui, il est très calme.
Son frère mangeait comme quatre, 120 grammes de lait maternel lors de
la première tétée de sa vie. Brandon avait du mal a placer sa langue, il
n’arrivait pas à tèter.
J’ai vu un neuropédiatre et je lui ai fait passer bilans divers au
CHU de Grenoble, sur le conseil de mon pédiatre que je harcellais de
questions. J’ai consulté une kinésithérapeute (elle travaillait sur les
os du crâne et les pieds), un pédopsychiatre, une orthophoniste et le
SESSAD (équipe pluridisciplinaire avec psychologue, éducatrice,
psychomotricienne). L’ORL aussi, puisqu’il ne réagissait pas comme mon
fils ainé quand je l’appelais. J’ai même consulté un chirurgien
orthopédique car l’acquisition de la marche était très tardive, presque à
deux ans.
Parlez-nous un peu de votre enfant et de l’école.
Le pédiatre l’a autorisé à entrer en maternelle sans acquisition de
la propreté. Quel calvaire que le comportement de certaines personnes
dans cette école! Je n’ose même pas vous dire comment l’ATSEM de
l’époque me rendait ses « vêtements », enfin si j’ose: avec tout dedans.
Quelle tristesse! Mais une cellule d’écoute du Ministère de l’Éducation
Nationale m’a dit que ce n’est pas un cas isolé. C’est scandaleux.
À la maternelle: sacrées années de prépa! 5 ans de mat’ sup’ et bac à
sable: il a été maintenu deux ans de plus. Nous avons commencé par des
demi-matinées, puis enfin des matinées entières.
J’ai parlé d’autisme et j’ai demandé de l’aide la directrice,
pourtant compréhensive, qui m’a dit « oh, tout de suite les grands
mots ». J’ai demandé les actions à entrevoir à court, moyen et long
terme, mais je n’ai pas eu de réponse. Sa dyspraxie a été diagnostiquée à
cette époque.
Le personnel voulait le mettre en IME, mais je n’ai pas voulu.
Quelques années plus tard, j’ai eu du soutien du maire et de
l’inspecteur d’académie. Mais beaucoup de mal m’a été fait
personnellement par l’attitude des écoles. Sa maigreur alertait. J’avais
une épée de Damoclès au dessus de ma tête, avec le spectre de la
« mauvaise mère ».
Il avait tendance a s’échapper, à tel point que j’écrivais mon numéro
de téléphone au feutre indélébile sur son bras à l’époque. Il se
cachait et tirait les couvertures des lits du dortoirs méthodiquement.
Sa voix trop aigüe le rendait difficile à comprendre. Son regard
balayait le sol, et il avait une absence de contact visuel…
Je résume, mais l’école n’était pas aidée pour conduire mon enfant au
même point que les autres enfants. Le personnel de l’école maternelle
me faisait beaucoup de reproches sur l’attitude de mon fils qu’ils ne
comprenaient pas. Il se sauvait, se cachait et ne répondait pas quand on
l’appelait. Il s’allongeait même par terre dans la cour pour se reposer
quand l’envie lui prenait. Moi, j’attendais une aide pour que mon fils
évolue au mieux.
Qu’est-ce que vous avez fait pour essayer de vous en sortir?
Sur le moment, je l’ai gardé avec moi. J’ai fait de mon mieux avec
des repas fractionnés hypercaloriques (oeufs, sucre, lait, huile de
colza avec de nombreux acides aminés, farine infantile, le tout en
bouillie dans un biberon).
Il y a eu des périodes de quinze jours à le caresser, le masser car
il restait en position foetale. Il sortait de son petit monde… Il m’a
fait ce genre d’épisode deux fois après le divorce d’avec son papa – un
divorce digne d’une série noire, mais là n’est pas le sujet. C’est
difficile pour les enfants.
Quels ont été les aménagements faits pour Brandon?
À
l’époque, un PEI (Plan d’Intégration Individualisé) a été mis en place,
renommé PPS (Projet Personnalisé de Scolarité) à présent. Ce sont des
réunions trimestrielles, qui regroupent les intervenants de l’enfant
pour établir un « plan d’action ».
Il a bénéficié d’un SESSAD pendant deux ans. Équipe
pluridisciplinaire avec éducatrice, psychologue et psychomotricienne.
Deux ans, c’est merveilleux, mais si peu!
Il a eu un ordinateur attribué par l’Éducation Nationale pour pallier
à sa dyspraxie (souvent associée au spectre autistique). Mais pas de
programme, pas de formateur.
J’ai du rechercher une ergothérapeute, mais son intervention à
l’école était difficile car elle ne fait pas partie de l’Éducation
Nationale. Toutefois, avec des autorisations, ce n’est pas impossible.
Et elle forme mon fils à l’utilisation de l’ordinateur.
Tant pis pour les gestes maladroits de la vie quotidienne – c’est moi qui essaie de pallier à ce handicap.
J’ai même sollicité de l’aide à la Mairie, et je vous tairais les
propos du directeur d’une école, m’indiquant en gros que ce n’était pas
son problème, lorsque mon fils a commencé à fréquenter son école. Une
semaine après mon intervention en Mairie, l’ergothérapeute avait son
autorisation d’exercer à l’école. La difficulté de la prise en charge
financière reste importante et j’ai mes manquements sur ce sujet.
À l’école primaire, il y avait une CLIS (CLasse d’Intégration
Scolaire), mais mon fils avait un Q.I. trop élevé, donc il n’a pas eu le
droit d’y participer.
Ensuite, il y a eu l’accompagnement aux devoirs, mais mon fils avait
un handicap trop important pour en bénéficier. Toujours rien.
Je vous laisse imaginer le reste du parcours avec mon fils TED et
dyspraxique. Oui, il était maladroit. Oui, il se salissait en mangeant,
oui à tout! Deux handicaps « invisibles », ce n’est pas un couple
gagnant.
L’école faisait feu de tout bois. Et moi, blessée par tant
d’incompréhension et tant d’acharnement, je ne voulais pas lâcher prise!
J’ai vécu ces premières années de scolarisation comme le combat de
David contre Goliath.
Comment avez-vous tenu le coup?
Je me pose encore la question. La boulimie du désespoir vous
connaissez? Seul mon coeur a guidé ma route. J’ai croisé des personnes
magnifiques avec bonté d’âme et compétences exceptionnelles toutefois.
Je pense à l’éducatrice du CMP (Centre Médico-Psychologique), tout le
corps médical, le SESSAD (Service d’Education Spéciale et de Soins À
Domicile), l’ergothérapeuthe, l’Inspecteur d’Académie qui m’a toujours
écoutée – et a même salué mon action pour garder Brandon dans un cursus
scolaire traditionnel à la vue de ses progrès manifestes -, Monsieur le
Maire qui a pris le temps de me recevoir et de m’écouter.
Cette année, ça se passe comment?
Cette année l’AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire) est enfin accordée, et
le SESSAD autorisé de nouveau mais il est sur liste d’attente. Des
choses commes celles-ci font « perdre » une année de soutien.
Après plus d’un an d’attente, le CADIPA (Centre Alpin DIagnostic
Précoce Autisme) de St. Egrève a pris en observation mon fils, et le
diagnostic posé en juin 2009 est: TED non spécifié.
À ce jour, mon fils entre en 6ème. Le directeur du collège,
l’infirmiere scolaire, le médecin scolaire, l’enseignant référent en
lien avec la MDA (Maison De l’Autonomie), la Conseillère Principale
d’Éducation (CPE), ses professeurs, l’assistante sociale du collège,
l’assistante sociale du Conseil Général… tous sont d’une extrème
compréhension. L’atmosphère hostile semble avoir disparue. Deux jeux de
livres lui ont été accordés pour ne pas alourdir son cartable, grâce à
l’infirmière scolaire que je remercie.
Comment aidez-vous Brandon à la maison?
Petit, j’ai toujours recherché le contact visuel en levant
délicatement son menton. Je stoppais ses fonctionnements circulaires.
Quand il répétais sans cesse quelque chose au téléphone, « ti fais kia,
et ti va ou, et ti fais kia, et ti vas où, et ti… » par exemple, je lui
disait stop, « si tu veux encore parler à maman, tu me le dis, mais tu
arrêtes de répéter tout le temps la même chose ». Ça fonctionnait.
Pour aider mon fils à être autonome, j’essaie de trouver des astuces
un peu partout, mais il est grand… Le dépistage précoce de l’autisme
reste important pour vos enfants, pour leur prise en charge future.
J’ai attendu des années pour qu’il puisse enfin faire une activité
sportive, au départ le judo, pour le contact avec les autres. Ensuite,
il a fait du foot, son rêve depuis toujours, mais il a été confronté à
ses limites: il est trop différent des autres, il était dans la
catégorie des benjamins correspondant à son âge, mais vraiment pas de
son niveau. Il a pris des cours particuliers de natation toutes les
semaines pendant un an. Il a fait aussi du hip hop, activité qu’il
souhaitait et qu’il a exercé à son rythme, sous l’oeil attentif d’une
animatrice de la Maison des Jeunes de ma ville.
J’ai mis au point des codes couleurs avec des casiers de différentes
couleurs qui correspondent aà des matières bien particulières. Par
exemple, rouge pour l’anglais (tout en rouge: emplois du temps, cahiers,
livres), bleu pour le français, jaune pour les mathématiques, etc. Ces
même couleurs sont sur les emplois du temps pour l’aider à se repérer.
Il s’organise assez bien. À voir et à contrôler encore.
Toujours pour le rendre autonome, je crée des petites affiches avec
collage d’images de catalogue. Par exemple, pour l’aider à s’habiller le
matin, je colle une photo de chaque vêtement sur une fiche. Ensuite, il
n’y a plus qu’à suivre le programme: je fais mon lit, je mets le pyjama
sous l’oreiller… Cette étape là, il la fait bien, sauf qu’il reste
jouer ou rêver dans sa chambre… donc il faut surveiller! C’est un bon
début.
Je surfe sur la vague de ses 13 ans, période où il s’affirme, pour le responsabiliser.
J’ai pensé aux animaux de compagnie: il a choisi un lapin « toy » et
un poisson rouge, en plus du chat et du hamster de Russie qui sont à ses
frères. Les animaux sont miraculeux… par contre il a parfois envie de
garder le chat pour lui tout seul, et adopte des attitudes vives envers
son petit frère. Mais il apprivoise le contact. Les animaux le sortent
de son monde, le rappellent ici, c’est un beau spectacle.
Avez-vous des conseils pour les autres parents d’enfants autistes?
Écoutez votre coeur de parent, suivez votre intuition, laissez-lui
avoir son rythme de développement. Pourquoi avoir une dictature des
standards à subir? Je suis contre le fait de dire qu’ une seule méthode
est juste. La mienne par rapport aux spécificités de Brandon montre des
résultats.
S’unir, communiquer, c’est important – et grâce à des actions comme celle d’Autisme Infantile, nous nous sentons moins seuls.
Il faut aider au maximum son enfant à développer la confiance en lui,
c’est nécessaire. Comment la maman peut-elle garder la force pour cela,
quelles sont les actions à promouvoir? Je parle de la maman, excusez
moi Messieurs, mais le père de mes enfants commence à réaliser le
handicap que porte Brandon au bout de douze ans.
Garder en tête qu’il faut favoriser et développer son amour-propre en
mettant en avant ce qu’il fait bien ou mieux que les autres, par
exemple. Mon fils adore les livres, il lit presque tout sur tout et ses
connaissances générales sont très développées et surprenantes.
Avez-vous une dernière chose à dire?
Il y a de très bonnes et belles idées, on ne peut que remercier le
gouvernement d’en parler, mais sur le terrain les moyens sont si peu
nombreux! J’ai vécu des années dans l’attente de soutien, et j’en ai
enfin aujourd’hui un peu. Mon témoignage peut-il servir à d’autres
parents? D’autres enfants? Au gouvernement? Toute cette énergie ne sera
pas perdue de toute façon, puisqu’elle a été déployée pour mon fils,
mais si elle sert à d’autres, quelle belle victoire!
Les besoins financiers (une prime spécifique importante pour avoir
une aide ménagère ou aide aux devoirs, 1500 euros, n’est rien à côté du
coût des structures d’accueil spécialisées), le soutien psychologique
(en plus d’une démarche individuelle, mon souhait est que le personnel
de l’Éducation Nationale soit plus compréhensif et qu’il agisse avec
nous et pas contre nous) et l’aide matérielle (logement, transport,
accès à la culture: musées, cinéma, spectacles) sont très importants.
Peut-être qu’un jour ils seront reconnus et pris en compte.
J’aimerais que ma santé et ma carrière d’infirmière, que j’adore,
n’en aient pas souffert pour rien. Je garde les stigmates de ces
batailles.
Les Réseaux d’Aides Spécialisées aux Enfants en Difficulté (RASED) et
les postes d’AVS sont des richesses à développer, à mon humble avis.
Des aides à l’enfant et aux parents aussi.
Merci d’avoir lu ce témoignage, de l’interêt que vous lui avez porté.
Merci à mes amis d’avoir invité mon fils chez eux et de lui avoir offert du temps et de l’amour.
Merci à mes deux autres fils qui l’aident beaucoup à progresser.
Merci d’être là, merci à toutes les personnes attentives aux autres en général.
Caroline Courbon
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