« "Ce n’est pas un sprint mais un marathon", disait en 1987 Catherine Milcent pour décrire le chemin qui attendait le parent d’un enfant autiste. Trente ans plus tard, je constate qu’elle avait raison ou presque car, si la route est longue, elle est aussi semée d’embûches et relève plus du parcours d’obstacles.
J’ai rencontré Catherine, psychiatre et mère d’autiste, au moment où elle était sur le point d’ouvrir, au sein d’une école publique, une des toutes premières classes de France pour enfants autistes. Pas une mince affaire puisqu’il y a 30 ans, ici, on n’envisageait pas de prodiguer, aux autistes, une quelconque éducation. On attendait "que leur désir émerge" et s’il n’émergeait pas, ils se retrouvaient à l'hôpital psychiatrique lorsqu’ils devenaient trop ingérables, trop violents ou trop vieux et n’avaient plus de famille pour s’occuper d’eux.
Les classes intégrées étaient inexistantes, dans ce pays et, 30 ans après, elles demeurent une exception.
« Le mot "autiste" n’était pas encore entré dans le vocabulaire et utilisé à toutes les sauces. »
À la naissance de mon fils, en 1981, le mot "autiste" n’était pas encore entré dans le vocabulaire et utilisé à toutes les sauces. Je me souviens de l’avoir cherché, dans un dictionnaire, à la lettre "o", lorsque ce diagnostic fut prononcé devant moi. Par mes origines américaines et ma curiosité de journaliste, j’avais décidé de voir s’il existait un autre avenir pour Dominique que celui des établissements dépotoirs où les enfants autistes étaient laissés à eux-mêmes, des heures durant, dans des bacs à sable, les portes fermées à clef, et où l’on me disait que mon fils jouait avec les lumières "car il se nommait Brillié ". Un univers où les parents n’entraient pas, où leur rôle, dans la vie de leur enfant, était de venir parler de la "difficulté d’être parent d’autiste".
À force de recherches, j'apprenais qu’aux États-Unis, depuis 1971, on éduquait les autistes et que, grâce à cela, 80% d’entre eux pouvaient, à l’âge adulte, vivre dans la communauté et non à l’hôpital psychiatrique. C’est cela que je voulais pour mon fils mais, où le trouver en France ? La réponse m'est venue par Catherine Milcent, fondatrice de l’association APPEDIA. En 1987, elle venait d'ouvrir la première classe pour autistes intégrée à l’école élémentaire Ferdinand Buisson (Meudon). Mon fils a eu l’immense chance d'en faire partie ainsi qu'à celle, qu'elle a ouverte en 1994, au collège Jean Moulin (Meudon-la-Forêt).
Pendant treize ans, Dominique a bénéficié d’une situation idéale : un enseignement ciblé sur son handicap dans un environnement normal, où le comportement des enfants non autistes était un exemple positif, qui le tirait vers le haut.
« Je connais nombre de parents qui, faute de solution, ont leur enfant de 20 ans à la maison. »
Ma bulle a éclaté lorsque Dominique a eu 19 ans. La directrice du collège m’a contactée pour dire que mon fils avait atteint l’âge limite pour l’établissement.
Il fallait faire de la place aux jeunes autistes de la classe élémentaire. Hélas, comme treize auparavant, personne ne m’a proposé de voie à suivre. Je me suis, de nouveau, trouvée seule pour la chercher. Malgré des progrès considérables, l’autisme de Dominique était trop sévère pour qu’il poursuive une scolarité normale, même accompagné d’un auxiliaire de vie scolaire (AVS) Je me suis donc lancée à la recherche d’un établissement qui pratiquerait une prise en charge éducative, comme celle des classes intégrées. Mais, ils étaient fort peu nombreux et comptaient des listes d’attente d’une cinquantaine d’autistes.
Paniquée, je m’en suis ouverte à la directrice du collège. Je lui ai dit espérer que Dominique ne serait pas congédié tant que je n’aurais pas une solution pour lui. Sa réponse, je me souviendrai toujours : "Je connais nombre de parents qui, faute de solution, ont leur enfant de 20 ans à la maison", m’avait-elle dit.
« Mon fils en revenait couvert de bleus et, parfois, les vêtements déchirés. »
Par désespoir, j’ai fini par opter pour ce qui me semblait la moins mauvaise solution et qui s’est avérée être un enfer. Le centre était situé en Val de Marne.
Mon fils en revenait couvert de bleus et, parfois, les vêtements déchirés. Lorsque je l’y conduisais, le matin, il refusait de descendre de la voiture.
L’endroit était un univers de bruit, de cris et de tension où les conflits entre direction et éducateurs retombaient sur les jeunes. Heureusement, au bout de six longs mois, une place s’est ouverte sur la liste d’attente d’un établissement parisien réputé. Dominique y a passé quelques années très satisfaisantes mais le vrai salut et venu, encore une fois, de Catherine Milcent.
Nos routes se sont à nouveau croisées en 2007, alors qu’elle allait ouvrir un centre d’activités de jour pour dix adultes autistes. Avec son fils, Ulysse, elle avait séjourné quelques années au Canada pour apprendre les techniques les plus innovantes et prometteuses pour rééduquer les autismes sévères.
De retour en France, elle avait fondée, en 2005, l’association ASAP - Les Petites Victoires pour prendre le relais des classes intégrées. Aujourd'hui, l'établissement accueille vingt enfants en institut médico éducatif, douze jeunes adultes en centre d’accueil de jour médicalisé et six adultes en résidence hebdomadaire, du lundi au vendredi après-midi, 210 jours par an. En 2007, lorsque Dominique a passé les tests d’admission aux Petites Victoires j’ai pu mesurer les lacunes de sa prise en charge depuis son départ du collège. Il avait bien de choses à rattraper et a pu le faire.
© Document personnel
« Il y a trente ans je n’aurais jamais cru que mon enfant sévèrement autiste, qui hurlait si on changeait la couleur de son pyjama, hyperactif et anorexique, chez qui la vue d’une orange sur la table provoquait des hauts le cœur pourrait participer à la préparation d’un repas »
Il y a trente ans je n’aurais jamais cru que mon enfant sévèrement autiste, qui hurlait si on changeait la couleur de son pyjama, hyperactif et anorexique, chez qui la vue d’une orange sur la table provoquait des hauts le cœur pourrait participer à la préparation d’un repas, passer avec mention le concours de musique Léopold Bellan*, assister à un opéra, faire la queue dans un supermarché, taper ses recherches YouTube sur une tablette.
Si, pour l’heure, on ne sait pas guérir ou prévenir l’autisme, depuis quelques années, certains gènes responsables ont pu être identifiés. Les autistes des Petites Victoires font partie de la recherche d’un diagnostic génétique mené par le Pr Arnold Munnich de l’hôpital Necker. Connaître l’origine de l’autisme de son enfant ouvre, déjà, l’espoir de pouvoir y remédier par une thérapie efficace.
Le choix de petits modules qui s'intègrent à la cité a toujours été une priorité pour le Dr Milcent. Son approche est d’adapter l’autiste à la société et non l’inverse sans, pour autant, n’inclure que des autistes de haut niveau aux Petites Victoires.
Et, puisqu’il s’agit d’un marathon, voilà une nouvelle étape de notre route : créer pour nos autistes, maintenant quadragénaires, un foyer de vie pour quand nous, parents, ne serons plus là. C’est une étape charnière car nous voulons leur garantir la qualité de vie qu’ils ont connue jusqu’ici, afin qu'ils puissent continuer à apprendre, évoluer et s’épanouir.
« Si, pendant de longues années, nous nous sommes battus, pour tirer nos enfants vers le haut ce n’est pas pour les condamner à ces ghettos. »
Le gouvernement vient d’annoncer un 4ème plan autisme. Hélas, il s’adresse surtout aux autistes de haut niveau: ceux qui peuvent suivre une scolarité normale avec l’aide d’un AVS. Ce n’est pas le cas de mon fils ni de la grande majorité des autistes français. Autre facteur d’inquiétude : une floraison de projets de "foyers XXL" regroupant 30, 60 voire 158 autistes ! (Tribune de l’association Sésame autisme) Le but affiché : tenir la promesse de campagne d’ Emmanuel Macron : "plus de départs d’autistes français pour la Belgique". Il est vrai qu’en France, faute de structures, des milliers d’autistes adultes partent en Belgique, mais "Zéro autiste sans solution" ne doit pas ouvrir la voie à cela !
Ces structures de masse représentent un danger de régression et de violence. Si, pendant de longues années, nous nous sommes battus, pour tirer nos enfants vers le haut ce n’est pas pour les condamner à ces ghettos.
« Nous voulons pour eux, une vie de qualité, la plus normale possible. »
Nous voulons pour eux, une vie de qualité, la plus normale possible, dans leur ville, qu’ils connaissent, et dont ils aiment fréquenter les musées, cinémas, salles de concerts, magasins, gymnases et piscines et où vivent leurs parents. Notre projet de lieu de vie est conçu pour douze adultes autistes. Il a obtenu l’agrément de la DASES* mais, malgré nos efforts, nous ne trouvons pas les murs pour l’installer. Les bailleurs sociaux disent ne pas avoir de locaux à nous proposer et les bailleurs privés nous opposent un refus dès qu’ils entendent le mot "autistes". Nous avons tapé à toutes les portes mais, jusqu’ici, sans réponse. Nous avons contacté l’équipe de Sophie Cluzel, d’Anne Hidalgo et d’Agnès Buzyn. Le maire du onzième arrondissement, qui nous a toujours soutenus, est intervenu auprès des bailleurs sociaux.
Après 42 ans de travail en tant que journaliste, de longues journées stressantes, doublées de mon autre métier de mère d’autiste, me voilà arrivée à la retraite.
Je réalise, maintenant, qu’il n’y a pas de retraite pour un parent d’autiste. Ou bien, peut-être, si : quand je réussirai à bâtir pour Dominique, l’avenir que je souhaite pour lui, là, oui, je pourrai prendre ma retraite.
L’année dernière, j’ai frôlé la mort d’un peu trop près. C’était la deuxième fois en vingt ans. Or, comme vous l’aurez compris, disparaître avant de "prendre ma retraite" ne m’est vraiment pas permis. »
Lucy Brillié
* Un concours de musique et d’art dramatique créé en 26 et ouvert aux élèves non-inscrits en conservatoire.
**Direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé