La prise en charge de l’autisme en France reste défaillante, loin d’être à la hauteur des difficultés que vivent les enfants atteints comme leurs familles, sans oublier la prise en charge, qui reste catastrophique, des jeunes adultes autistes. Pour autant, la lecture du rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales), rendu public ce jeudi soir, à l’occasion de la réunion du Comité national autisme, présidée par la secrétaire d’Etat, Ségolène Neuville, montre que «depuis les différents plans, les choses bougent», et que l’on est sorti de «l’indifférence et de l’immobilisme».

«Ce rapport est important, il fallait faire le point, et avoir un regard extérieur sur l’état des lieux», confie à Libération le Dr Claude Bursztejn, qui préside l’Association nationale des centres ressource autisme (CRA). La demande faite à l’Igas était d’analyser le rôle et la fonction des CRA, presque dix ans après leur création. La fonction de ces centres ? Organiser sur le territoire un système de diagnostic le plus tôt possible des enfants atteints, mais aussi s’occuper de la formation des personnels et de l’information. Et enfin, diffuser les réglementations de bonnes pratiques de prise en charge, qui avaient été énoncées en 2012 par la Haute Autorité de santé (HAS). On se souvient que ces dites réglementations avaient été à l’origine d’un très violent conflit dans le milieu psy, car la HAS considérait que les pratiques psychanalytiques n’avaient plus leur place dans l’autisme, faute d’une évaluation suffisante, et qu’il fallait dès lors privilégier les prises en charge de type éducative et pédagogique.

Les données, quelles données ?

D’abord des chiffres. Mais lesquels ? En matière d’autisme, c’est un peu du n’importe quoi. Aujourd’hui, on parle de troubles du spectre de l’autisme (TSA), notion qui est très large, et qui regroupe des pathologies ou handicaps très variés. Combien sont-ils ? Cela peut varier de un à dix. «Concernant l’autisme typique, note l’Igas, la prévalence était de 4 à 5 cas pour 10 000 personnes en 1996. Aujourd’hui, on parle de taux pour l’ensemble du spectre de l’autisme situés entre 30 à 70 pour 10 000, sans qu’il soit possible de déterminer avec certitude si la prévalence augmente en réalité ou si cette croissance est simplement expliquée par un meilleur dépistage ou par de multiples changements de critères.»

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De plus, rappelle l’Igas, les associations ont fait un combat de ce chiffre, car il s’agissait «pour elles de faire de l’autisme un enjeu de santé publique en menant une politique du nombre». Les associations de familles ont ainsi œuvré pour modifier la définition de l’autisme, avec un fort élargissement. D’où, aujourd’hui, cette incapacité à dire avec un peu de précision le nombre d’enfants atteints. «Si l’on examine pour la France, les chiffres de personnes vivant avec un TSA, la fourchette est extrêmement large, entre 250 000 à 600 000 personnes sur cinq millions de personnes en situation de handicap». Ou encore : «Il n’existe pas de données exactes sur le nombre des personnes avec autisme, ni sur leurs lieux ou conditions de vie…. On estime que le nombre d’enfants autistes de moins de 20 ans est situé entre 90 000 et 110 000 individus». Quant aux adultes, «il est aujourd’hui presque impossible de mesurer la population des adultes autistes». Des données essentielles manquent. Et rendent toute politique fortement aléatoire.

Le diagnostic, mais quel diagnostic ?

C’est le rôle des CRA de faire en sorte que ce dépistage soit possible. Et cela, le plus tôt. «Actuellement, le diagnostic de l’autisme repose sur le repérage d’un certain nombre de signes comportementaux», rappelle l’Igas. En même temps, ce diagnostic doit être réévalué régulièrement.

Dans les faits, ce n’est pas le cas. «Face à l’engorgement des CRA, c’est impossible, remarque l’Igas. La part des réévaluations dans les bilans réalisés en 2014 est de 6,8%, avec une légère baisse par rapport à 2013.»

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Mais surtout, l’Igas «fait le constat de délais d’attente considérables dans les différentes phases du processus diagnostic». Exemple: «Pour l’année 2014, le délai global entre la réception de la demande et la restitution du bilan dans les 22 CRA est, en moyenne de 419 jours». Près d’un an et demi.

On comprend dès lors le désarroi des familles; attendre, toujours attendre. Et pour l’Igas, ce n’est pas lié aux moyens, la mission ne notant pas «de lien clair entre le budget octroyé et la performance réalisée».

Dire ou ne pas dire ?

Des clivages forts subsistent, non seulement sur la prise en charge qui suivra, mais déjà sur l’annonce même du diagnostic. «Des professionnels considèrent le diagnostic comme une étiquette susceptible de stigmatiser l’enfant. Diagnostiquer c’est selon eux "enfermer l’enfant dans une catégorie" et rigidifier une réalité potentiellement évolutive, d’autant plus quand il s’agit d’un enfant», note la mission de l’Igas. A l’inverse, «d’autres psychiatres fournissent des arguments en faveur d’un diagnostic précoce, à partir de l’étude de trajectoires ou d’explorations fonctionnelles. Ils reconnaissent eux aussi que les signes chez un enfant très jeune sont difficiles à interpréter mais le bénéfice tiré d’un dépistage précoce leur paraît supérieur à ses risques. Ils s’appuient sur des études qui montrent que la précocité de la prise en charge est le facteur le plus influent, le plus bénéfique pour l’évolution du handicap». Et l’Igas de conclure sur ce point: «Il est évident qu’une évolution est en cours, mais il reste encore un frein au dépistage précoce des enfants.»

Quid des autistes adultes ?

L’Igas se montre particulièrement inquiet, «évoquant un retard considérable tant dans le diagnostic que dans la prise en charge» pour les autistes adultes.

Aujourd’hui, règne le flou absolu. On ne sait pas combien sont-ils ni où vivent-ils. Dans leur famille, dans des hôpitaux psychiatriques, ou dans des lieux de vie ? Pas de données. L’Igas parle de «génération sacrifiée». Les deux premiers plans autisme avaient évoqué la nécessité d’y travailler. Peu de résultats, et cela d’autant plus que pour les CRA, déjà débordés, les autistes adultes ne sont pas franchement leur priorité. «C’est le point noir», reconnaît le DClaude Bursztejn, «c’est là où il y a le plus d’inconnues».

L’Igas recommande que, dans leur mission, il soit clairement explicité que les CRA doivent suivre et s’occuper des adultes autistes.

Un avenir, quel avenir ?

Bien d’autres point sont encore abordés, comme les différentes formes de prise en charge, mais aussi l’isolement des familles, ou encore l’avenir délicat qui s’annonce avec l’effondrement du nombre de pédopsychiatres.

Pour la mission, il est clair que l’on n’est pas encore sorti du conflit entre d’un côté les associations de parents qui regardent avec méfiance le monde de la psychiatrie publique. Et, de l’autre coté, une partie du monde de la psychiatrie à tendance analytique, aujourd’hui marginalisée dans la prise en charge de l’autisme. Cette partie-là, hier dominante, n’a pas su s’ouvrir, se refermant sur elle-même sans se remettre en cause. L’Igas note que paradoxalement les meilleurs CRA sont ceux qui sont adossés à de fortes équipes de pédopsychiatrie universitaires.

Autre frein, les Agences régionales de santé. Elles ne font pas majoritairement leur travail, certaines n’ayant toujours pas décliné sur leurs régions des plans autisme. «Nous avons un système où il y a un opérateur, les Agences régionales et un opérateur les CRA. Il faut que les deux se mobilisent et marchent ensemble. On en est encore loin», note un expert.

En recevant ce rapport, Ségolène Neuville a expliqué que les propositions de l’Igas vont être toutes analysées. Elle devrait annoncer un changement de structures administratives des CRA, et le fait qu’il y en ait un CRA par région.

Eric Favereau