Publié le 18-10-2015 à 14h58 - Modifié à 16h10
LE PLUS. Invitée sur le plateau de Laurent Ruquier pour parler de son livre "Le voleur de brosses à dents", Églantine Émeyé est revenue sur son combat de mère d'un enfant polyhandicapé. Jugée bouleversante par de nombreux internautes, elle a également fait bondir beaucoup de parents, dont Olivia Cattan, présidente de l'association SOS Autisme.
Édité par Louise Pothier
Eglantine Emeyé était l'invité de Laurent Ruquier dans "On n'est pas couché" samedi 17 octobre. (Capture d'écran France 2)
Il y a parfois des gens qui vous donnent envie de vous battre comme Francis Perrin et Sandrine Bonnaire et d’autres qui vous incitent à tout abandonner. Et là je m’adresse à vous Eglantine Emeyé.
J’ai créé l’association SOS Autisme dans le but de me battre pour les personnes autistes. Notre campagne : "Un artiste, un autiste" a pourtant été diffusée sur toutes les chaînes de télévision, les radios, les cinémas, essayant de faire évoluer les mentalités et les préjugés sur l’autisme mais plus largement sur le handicap.
Nous avons voulu montrer que la place de nos enfants autistes était à l’école, dans les clubs de sport et les conservatoires de musique et non dans les hôpitaux sous camisole chimique.
Là où il y a de l’éducatif, de la culture mais surtout où il y a de la vie. De la vie avec les autres et où l’on apprend à accepter toutes les différences.
Mais votre campagne pro psychanalytique réduit à néant tout ce que les associations de parents tentent de faire.
Ce que vous avez dit samedi dans l’émission "On n'est pas couché" m’a fait bondir. Et je ne suis pas la seule.
Un malaise propre à la France
Savez-vous, madame Émeyé, qu’aux États-Unis, au Canada, en Israël, en Angleterre, en Italie, au Danemark, on soigne les enfants atteints d’autisme par des méthodes éducatives ? Et peu importe leur nom, ABA TEACH, Feurstein, Sonrise. Savez-vous que cette méthode barbare, le "packing", dont vous vantez les mérites y est interdite ? Parce qu’elle est jugée dangereuse et inefficace !
Parfois je me demande si notre pays fait partie de l’Europe, pour être si coupé des avancées du reste du monde. Là-bas, dans l’autre monde qui avance, il y a des autistes informaticiens, il y a des consultants autistes qui travaillent pour le ministère de la Défense, il y a des musiciens, des comptables, des professeurs ?
Alors quel est notre problème français ?
Est-ce à cause des associations qui n’arrivent pas à se réunir pour lutter ensemble contre le lobby psychanalytique ? Est-ce parce que la Haute autorité de Santé qui préconise l’ABA ainsi que notre ministre du Handicap qui défend l’intégration des personnes autistes, n’arrivent pas à se faire entendre des médias ?
Est-ce parce que l’idéologie psychanalytique est trop ancrée dans l’histoire de notre pays et dans toutes les sphères de la société que tous nos efforts sont voués à l’échec ?
Il y a pourtant de formidables médecins et chercheurs en France qui savent bien que dans les autres pays, on ne pense plus, comme le prônait Bettelheim, il y a des décennies, que la mère est responsable de l’autisme de son enfant ?
Alors que se passe-t-il dans notre pays ? À croire que nous sommes sur une île coupée du reste du monde ?
Non, je n'ai pas envie de frapper mon enfant
Outre cette pensée d’un autre temps que vous incarnez Madame Emeyé, puisque votre maître à penser s’appelle Marcel Rufo, il y a autre chose qui me gêne chez vous.
Vous défendez l’abandon et en tant que mère, cela m’est insupportable.
http://www.programme-tv.net/news/tv/73215-bouleversante-eglantine-emeye-evoque-sa-solitude-face-au-handicap-de-son-fils-je-comprends-ceux-qui-craquent-video/
Madame Léa Salamé a trouvé admirable que vous osiez écrire "avoir eu envie de frapper votre enfant" ou "de le jeter par la fenêtre". Peut-être n’est-elle pas encore maman ou peut-être fait-elle partie de ce milieu parisien littéraire où l’on admire ceux qui transgresse les valeurs et les bons sentiments ? Mais personnellement, comme beaucoup de parents sur les réseaux sociaux, je trouve cela terrifiant.
Il est normal pour chaque parent d’être à bout, surtout lorsque l’on a un enfant autiste qui enchaîne troubles du comportement et scènes de violences. Mais personnellement, ce ne sont pas ces idées-là qui me viennent lorsque mon fils est "difficile".
Je cherche d’autres méthodes, d’autres idées pour aider mon enfant à se sentir mieux. Je cherche d’autres thérapeutes si ceux-là ne le font plus assez avancer. J’ai parcouru le monde et continuerai à le faire s’il le fallait, je soulèverais des montagnes pour sauver mon fils de ce syndrome qui le ronge.
Aidons nos enfants à avoir une vie normale
Et ayant deux autres enfants qui ont parfois eu du mal à faire face au handicap de leur frère, je les ai toujours aidés à dépasser leur peine et aimer leur frère encore davantage.
Et je ne les aurais jamais séparés les uns des autres.
Parce qu’il est important pour un enfant autiste de sentir que sa famille l’entoure et croit en lui.
Et même si on ne peut pas sortir de l’autisme, nous pouvons aider nos enfants à avoir une vie normale, faite d’amour et de joie. On peut les aider à avoir un métier, des passions, une famille.
Je ne vous dis pas que ce chemin est facile et qu’il n’est pas jonché de larmes, mais l’espoir et l’amour doivent être nos seuls moteurs.
Votre capitulation n'est pas un modèle
Et je refuse que votre capitulation devant le handicap de votre fils devienne notre modèle parce que cela serait condamner l’avenir de millier d’enfants handicapés.
Toutes ces familles que je vois au quotidien sont isolées, précaires et souvent à bout de nerf parce qu’il faut faire face chaque jour et que ces hommes et ces femmes n’ont aucun répit.
Pourtant ils se battent avec tant de renonciation pour leur propre vie que c’est eux qui m’inspirent à ne jamais laisser tomber le combat que nous menons pour nos enfants.
Nous nous sommes rencontrés quelquefois, Églantine, dîner une fois ensemble et sachez que pour écrire cette tribune j’ai dû lutter contre mes bons sentiments de femme, de mère et de féministe qui m’auraient conduite à vous plaindre et à vous défendre.
Mais lorsque l’on met en danger l’avenir de 600.000 personnes autistes comme vous le faites, il est de mon devoir d’écrire cette tribune.
Battons-nous pour l'avenir de nos enfants
Les médias innocents vous invitent parce que votre livre est émouvant, que vous êtes journaliste et qu’une maman isolée qui se bat seule mérite le respect.
Mais tous ces journalistes que je ne peux blâmer et qui n’ont pas d’enfants autistes ne connaissent pas les enjeux qui se jouent en arrière-plan lorsque vous favorisez l’hôpital à l’école, que vous défendez le "packing" face aux méthodes éducatives qui permettent à l’enfant d’apprendre, de contrôler ses troubles et frustrations, d’exprimer ses émotions et de le sortir de son isolement.
Ils ne savent pas que chaque jour nous devons nous battre contre toutes les institutions et contre tous ceux qui pensent que la place de notre enfant n’est pas dans la société mais en dehors. Des gens qui ont poussé certains parents à s’exiler.
Parce que l’Onu a condamné la France plusieurs fois pour maltraitance vis-à-vis des personnes autistes à cause de notre retard en matière d’intégration.
Alors je sais que cette tribune déplaira à de nombreux amis communs mais l’important n’est pas de plaire ou de déplaire mais de défendre l’avenir de nos enfants.