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"Au bonheur d'Elise"
psychanalyse
7 mai 2017

Martin Seligman : de la psychanalyse à la psychologie positive

6 mai 2017
Par Jacques Van Rillaer

Le professeur Seligman doit sa vocation de psychologue à la lecture de Freud. Ses études universitaires lui ont fait comprendre la faiblesse méthodologique du freudisme et l’ont motivé à devenir chercheur en psychologie scientifique. Parmi ses nombreux travaux, nous évoquons ici des expérimentations sur la dépression et sa contribution au courant de la psychologie dite “positive”.

L’analyse statistique des noms des psychologues du XXe siècle cités dans les publications universitaires de psychologie (revues et manuels) montre que Seligman occupe la 13e place [1]. Sa carrière est une longue série de réussites dans la recherche expérimentale (il a publié près de 200 articles dans ce domaine), l'enseignement (il a dirigé durant 14 ans le programme de formation des psychologues cliniciens à l’université de Pennsylvanie, puis a dirigé le Centre de psychologie positive dans la même université), la rédaction d’ouvrages pour psychologues (notamment, avec David Rosenhan, un excellent manuel de psychopathologie), la publication de livres pour le grand public (plus d’une dizaine, dont plusieurs devenus des best-sellers). C’est avec raison que son nom est apparu sur la couverture de grands magazines comme Time, New York Times ou Newsweek.

seligman-photo

Une vocation de psychologue née de la lecture de Freud
Seligman est né en 1942 à Albany (Etat de New York). Sa vocation de psychologue lui est venue durant l’adolescence, à la suite de la lecture des Leçons d’introduction à la psychanalyse de Freud. Il raconte : “Quand je parvins au passage où il parle de ceux qui rêvent souvent de perdre leurs dents, j'eus comme une révélation. Ces rêves avaient aussi été les miens! Son interprétation me laissa d'ailleurs bouche bée. Pour Freud, il s'agissait d'un symbole de castration et de l'expression de la culpabilité que l'on ressent par rapport à la masturbation. Je me demandais comment il pouvait si bien me connaître... J'étais à mille lieues de penser que, pour produire ce déclic chez le lecteur, Freud avait profité de la coïncidence de la fréquence, au cours de l'adolescence, des rêves portant sur les dents et de ce phénomène plus courant encore à cet âge qu'est la masturbation. Plausible, intrigante, l'explication recelait la promesse alléchante de révélations ultérieures. Ce fut alors que je décidai de consacrer ma vie à des interrogations comme celles de Freud” [2].

Le revirement
Seligman a fait des études de philosophie à l’université de Princeton. Il a alors compris que “Freud avait soulevé de bonnes questions”, mais que sa méthode — “tirer des conclusions extrêmes de quelques cas isolés” — était inadéquate: “J'en étais venu à penser que seule l'expérimentation permettrait à la science de démêler les causes et les effets en jeu dans des problèmes affectifs et ensuite d'y remédier” [2].
De 1964 à 1965, il étudie la psychologie à l'université de Pennsylvanie. Il s’y passionne pour la psychologie expérimentale et obtient son doctorat en 1967. Après avoir enseigné trois ans à l'université Cornell, il revient à l'université de Pennsylvanie, au département de psychiatrie, là où le déjà célèbre Aaron Beck, lui aussi revenu de la pratique et des paralogismes du freudisme, élaborait la “thérapie cognitive”. Seligman y acquiert une formation de clinicien. Comme Beck, il s'intéresse particulièrement à la dépression. En 1971, il est nommé professeur à l'université de Pennsylvanie. Il y fera toute sa carrière.

Des expériences sur le conditionnement de l’impuissance
Seligman a étudié, pendant plusieurs années, un processus qui s’observe dans le monde animal et chez les humains à travers une large variété de situations: l’attitude passive adoptée à la suite de la répétition de comportements qui n’ont pas abouti à un résultat intensément désiré (gratification ou réduction de souffrance). Il appelle ce processus helplessness, mot traduit par impuissance, détresse, résignation, incapacité à s’en sortir, sentiment d’inefficacité. Le bilan de ces recherches se trouve dans son livre Helplessness (1975). Une édition remaniée est parue environ 20 ans plus tard [4].
L’expérience paradigmatique sur ce processus a été publiée par Seligman en 1967. Elle se déroule en deux phases, avec trois groupes de huit chiens. Les animaux, maintenus dans un harnais, apprennent à faire cesser des chocs électriques en appuyant le nez sur une plaque. Ils font ainsi l’expérience de leur capacité à contrôler une situation pénible. D’autres chiens sont appariés aux 1ers : ils endurent très précisément les mêmes chocs que ceux subis par les chiens du premier groupe au cours de leur apprentissage, mais ils n’ont aucun pouvoir d’agir sur les chocs. Un 3e groupe de chiens (groupe “témoin”) ne subissent pas cette 1ère étape de l’expérimentation.
La 2e phase de l’expérience a lieu 24 heures plus tard. Chaque animal est placé dans une “cage d’échappement” (shuttle box), un dispositif qui comprend deux compartiments, A et B. En A, le plancher permet d’administrer des chocs électriques. En B, l’animal ne subit jamais de chocs. Une barrière, pas très difficile à franchir, sépare les compartiments.

shuttle-box
Chaque animal est placé en A et subit des chocs. Tous les chiens, qui dans la 1ère phase avaient arrêté les chocs en appuyant sur une plaque, apprennent rapidement à franchir l'obstacle pour se rendre en B. Ceux du 3e groupe apprennent tout aussi bien. Par contre, 6 des 8 chiens qui, dans la 1ère phase de l'expérience, avaient subi des chocs sans pouvoir rien y changer, restent passivement dans le compartiment où ils endurent des chocs. Ils apparaissent résignés (helpless) à subir une situation pénible.
L'équipe de l'université de Pennsylvanie a réalisé un grand nombre d'expériences sur ce modèle, avec des animaux différents (chats, rats, pigeons) et en faisant varier plusieurs paramètres de la situation. Ainsi, les chercheurs ont constaté par exemple que des animaux soumis longtemps à des chocs incontrôlables peuvent devenir durablement passifs.

Dépressions chez l’animal et chez l’homme
Les animaux rendus sévèrement helpless présentent de nombreuses analogies avec des humains déprimés. Dans les deux cas, on observe une réduction sensible des comportements actifs, efficaces, et un ralentissement psychomoteur. Les conduites compétitives, l'appétit, l’activité sexuelle et autres activités agréables diminuent. Au plan physiologique: diminution des catécholamines et augmentation de l'activité cholinergique. Un trait essentiel de la dépression chez l'être humain est la tristesse ou le désespoir. Pour autant qu'on puisse en juger, c'est aussi le cas des chiens qui ont souffert sans possibilité de réagir.
Il y a évidemment des différences substantielles entre les dépressions chez les humains et chez les animaux. Un homme peut déprimer parce qu'il est perfectionniste, parce qu'il s'impose des normes irréalistes. Il peut déprimer pour des questions d'honneur, par suite de culpabilité, de honte ou parce qu'il rumine l'idée qu'il est, fondamentalement, dépressif et se convainc qu'il est en train de rechuter [5]. Toutefois, si l'on prend du recul, on constate un facteur causal commun à un grand nombre de dépressions psychogènes (nous laissons ici de côté les dépressions endogènes, dont l'étiologie est essentiellement physiologique): l'impuissance à contrôler des événements pénibles comme on le voudrait. Chez l'animal, c'est essentiellement l'environnement qui joue. Chez l'être humain, ce sont à la fois des circonstances et des croyances relatives à ce qui devrait être.

Une réfutation de la théorie freudienne de la dépression
Ces observations permettent une mise en question de la théorie freudienne de la dépression. Seligman écrit : “Les patients déprimés ne manifestent pratiquement plus d’hostilité envers les autres. Ce symptôme est à ce point frappant que Freud et ses disciples en ont fait la base de leur théorie psychologique de la dépression. Freud croyait que lorsqu’un objet aimé est perdu, le déprimé éprouve de la colère et retourne cette colère libérée contre lui-même, étant donné que celui qui l’a ‘abandonné’ n’est plus là pour endurer la plus grande part de l’hostilité. Cette hostilité introjectée cause la dépression, la haine de soi, les souhaits de suicide et, évidemment, ce symptôme caractéristique de manque d’hostilité envers l’extérieur. Il n’y a malheureusement guère de faits observables qui confirment cette théorie. La théorie est à ce point éloignée de données observables qu’il est presque impossible de la tester directement. On pourrait supposer qu’on puisse le faire par des observations sur les rêves. Selon la théorie psychanalytique, l’hostilité réprimée du déprimé devrait se libérer dans des rêves. En réalité, les rêves des déprimés, comme leur vie éveillée, sont exempts d’hostilité. Même dans les rêves, ils se voient comme des victimes passives et des perdants (Beck & Hurvich, 1959 ; Beck & Ward, 1961). […] L’agressivité n’est qu’une réponse du système volontaire qui se trouve minée par la croyance d’être sans pouvoir” [6].
Notons que, conformément à l’usage de son époque, Freud écrivait “mélancolie” là où on écrirait aujourd’hui “dépression”. Il parlait de “sadisme” et de “haine” plutôt que d’“hostilité”: “L’auto-tourment (Selbstquälerei) de la mélancolie, indubitablement riche en jouissance, signifie, tout à fait comme le phénomène correspondant de la névrose de contrainte [7], la satisfaction de tendances sadiques et de haine qui concernent un objet et ont, sur cette voie, subi un retournement sur la personne propre” [8].

Des expériences d’efficacité pour sortir de la dépression
Après avoir provoqué un état de passivité ou de dépression chez des chiens, Seligman a cherché comment on peut y remédier. La 1ère tentative a consisté à replacer des chiens “helpless” dans le compartiment A de la cage d’échappement, mais sans la barrière entre A et B. Les animaux n’ont guère bougé. Ensuite, Seligman s’est placé au bout du compartiment B et a appelé les chiens. Les animaux sont demeurés tout aussi inactifs. La 3e tentative a consisté à affamer les chiens et à les mettre ensuite dans le compartiment A, d’où ils pouvaient percevoir du salami placé en B. Cette séduction est restée sans effet.
Une 4e procédure a eu un effet thérapeutique : pousser l’animal à faire des expériences d’efficacité. Dans une cage sans barrière, les expérimentateurs ont tiré les chiens avec une laisse depuis A jusqu’en B. Durant les premiers essais, les animaux se laissaient traîner et quelques-uns faisaient même de la résistance. Après 25 à 200 répétitions de la procédure selon les chiens, tous sont passés de leur propre initiative de A en B. C’est alors qu’une barrière entre A et B a été placée. D’abord petite, sa hauteur a été progressivement augmentée jusqu’à devenir la barrière que les chiens “non helpless” avaient appris à franchir sans difficulté. Cette fois, tous les animaux ont réussi l’apprentissage.
Cette procédure avait déjà son équivalent dans la panoplie des psychothérapies. À l’époque, des comportementalistes utilisaient avec succès des traitements par tâches graduées, appelés “activation comportementale”. Les patients étaient invités à définir avec le thérapeute des activités réalisables, puis ils les hiérarchisaient selon le degré de difficulté et ils commençaient par effectuer les tâches les plus faciles, de manière à retrouver petit à petit un sentiment d’efficacité et d’estime de soi. Les expériences de Seligman constituent un modèle simplifié de cette thérapie. Elles n’en sont pas moins instructives.

Immuniser contre les épreuves
Une petite proportion des chiens que Seligman a soumis à des chocs non contrôlables ne sont pas devenus apathiques. Une question de tempérament? Des expériences montrent que des chiens et des rats, qui ont contrôlé à de multiples reprises des situations aversives, résistent mieux que d’autres lorsqu’ils subissent par la suite des décharges non contrôlables. Les animaux qui ont enduré des chocs incontrôlables sans “immunisation comportementale” préalable, mais aussi ceux qui ont vécu en laboratoire à l’abri d’événements pénibles résistent moins bien aux épreuves. On retrouve ici des analogies avec le monde humain: les individus qui ont subi, dans leur enfance, des traumatismes (p.ex. la mort d’un ou des parents) sont prédisposés à déprimer, mais ceux qui ont été élevés comme des enfants gâtés, sans avoir dû faire des efforts pour affronter des situations difficiles, sont également démunis. Les individus qui résistent le mieux aux épreuves de la vie sont ceux qui ont rencontré de sérieuses difficultés qu’ils ont appris à surmonter.

La “psychologie positive”
Dans les années 1990, l’essentiel des recherches de Seligman a porté sur la prévention de la dépression et les conditions psychologiques d’une vie plus heureuse.
Durant le XXe siècle, la psychologie était “pathocentrée”, elle était focalisée sur les troubles psychologiques. Peu de psychologues s’étaient employés à favoriser l’optimisme, l’amabilité, la générosité et d’autres comportements qui font une vie de qualité. En 1998, quand Seligman devient président de l’Association américaine de Psychologie, il va donner une nouvelle impulsion en popularisant le concept de “psychologie positive”. Il entend par là l’étude scientifique des conditions psychologiques d’une “vie pleine” (full life) ou, du moins, d’une vie relativement heureuse et ayant du sens. Certes, des auteurs avaient déjà parlé de “développement du potentiel humain” et de thèmes apparentés, mais la plupart n’avaient guère eu le souci de vérifier systématiquement leurs belles théories et les résultats de leurs interventions.
Seligman ne cherche pas à vendre des recettes de bonheur en tenant des discours humanistes et en racontant des histoires édifiantes. Il teste la valeur de procédures en les soumettant aux règles de la vérification empirique qu’on utilise pour évaluer les traitements médicaux et les psychothérapies.
L’objectif majeur de la “psychologie positive” est d’aider les intéressés à construire une vie heureuse par des “interventions positives” plutôt que par une focalisation sur des dysfonctionnements psychologiques et une analyse interminable d’événements du passé. Seligman écrit : “Une des deux découvertes les plus significatives qu'ait faites la psychothérapie, en cent ans, est que les réponses satisfaisantes aux grands ‘pourquoi?’ sont fort difficiles à trouver ; peut-être que, d'ici cinquante ans, les choses auront changé et peut-être que non. […] Soyez sceptique, même envers vos expériences qui vous paraissent significatives. Quand vous retrouvez la furie ressentie le premier jour de la maternelle, ne vous imaginez pas que vous avez découvert la source de votre terreur constante de l'abandon. Les liens de causalité ne peuvent être qu'illusoires et l'humilité s'impose. L'autre découverte significative résultant de tous les efforts psychothérapeutiques est que les changements sont à notre portée tout au long de l'âge adulte. Alors, même si le pourquoi de ce que nous sommes demeure un mystère, la manière de nous changer n'en est plus un” [9].
Les procédures testées se rapportent principalement à trois conditions du bien-être psychologique: savoir générer des émotions agréables, s’engager dans des activités gratifiantes et valorisantes, se dépasser en se mettant au service d’une cause ou d’“institutions positives”, comme la famille, une communauté ou un parti politique.
Des exemples de comportements inducteurs de bien-être dont Seligman a évalué l’effet sont: apprendre à savourer davantage des activités quotidiennes ; pardonner une offense en écrivant une lettre ou en arrangeant une rencontre ; exprimer sa gratitude à quelqu’un, à qui on ne l’avait jamais fait ; identifier ses points forts et les développer dans de nouvelles situations ; consacrer du temps à une activité altruiste.
La majorité des êtres humains ont tendance à être attentif à des événements “négatifs” [10]. L’exercice “Les trois bonnes choses” inverse cette tendance. Chaque soir, avant de se coucher, on met par écrit trois événements qui se sont bien passés durant la journée, et pourquoi il en a été ainsi. Des recherches empiriques montrent qu’à prendre au sérieux cet exercice tout simple, on devient plus attentif à des éléments positifs de la vie quotidienne. Le degré de dépressivité diminue chez des personnes modérément déprimées [11].

Pour en savoir plus sur l’œuvre de Seligman :
Seligman, M. (2008) La force de l’optimisme. Trad., InterEditions, 288 p.
Seligman, M. (2011) La fabrique du bonheur. Trad., InterEditions, 368 p.

Pour un exposé documenté et rigoureux sur la psychologie positive :
Shankland, R. (2014) La psychologie positive. Dunod, coll. Psycho Sup, 2e éd., 2014, 244 p.
Présentation : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2326
Site recommandé sur la psychologie positive : http://www.psychologie-positive.net

Deux sites pour d’autres publications de J. Van Rillaer sur la psychologie, la psychopathologie, l'épistémologie, les psychothérapies, les psychanalyses, etc.
1) Site de l'Association Française pour l'Information Scientifique:
www.pseudo-sciences.org
2) Site de l'université de Louvain-la-Neuve
1° Taper dans Google : Moodle + Rillaer + EDPH
2° Cliquer sur : EDPH – Apprentissage et modification du comportement
3° A la page suivante, cliquer “Oui” à  : "Règlement"

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[1]Haggbloom, S. et al. (1999) The 100 most eminent psychologists of the 20th century. Review of General Psychology, 6 : 135-152.
[2] Apprendre l'optimisme. Paris : InterEditions, 1994, p. 28s.
[3] Ibidem, p. 29.
[4] Peterson, C., Maier, S. F. & Seligman, M. (1993) Learned Helplessness : A Theory for the Age of Personal Control. Oxford University Press, 370 p.
[5] Sur le rôle, souvent très important, des ruminations dans la dépression, voir : “Les ruminations mentales : fonctions, dysfonctionnements, traitements” — http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2723
[6] Seligman, M. (1975) Helplessness. Freeman, p. 89.
[7] Au lecteur non spécialisé, je signale que “névrose de contrainte” (Zwangsneurose) correspond à ce qu’on appelle aujourd’hui “trouble obsessionnel-compulsif”.
[8] “Deuil et mélancolie” (1917) Trad., Œuvres complètes, PUF, XIII, p. 272.
[9] Changer, oui, c’est possible. Éditions de l’Homme, 1995, p. 363. Noter que le titre de la traduction est trompeur. Dans What you can change and what you can’t (1993), Seligman fait le point des connaissances sur le degré de difficulté de changer différents types de changement et sur les méthodes les plus efficaces pour changer… lorsque c’est possible.
[10] C’est vrai pour les perceptions, les souvenirs et les anticipations. Pour une revue de recherches : Baumeister, R.F., Bratslavsky, E. & Finkenauer, C. (2001) Bad is stronger than good. Review of General Psychology, 5 : 323-370.
[11] Seligman, M., Steen, T., Park, N. & Peterson, C. (2005) Positive psychology progress. Empirical validation of interventions. American Psychologist, 60 : 410-421.

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27 avril 2017

Carl Rogers : de la psychanalyse à l’approche centrée sur la personne

25 avr. 2017
Par Jacques Van Rillaer

Blog : Le blog de Jacques Van Rillaer

Rogers est un des plus grands noms de la pratique psychologique du XXe siècle. Il a commencé sa carrière par l’approche freudienne. Il s’en est progressivement éloigné et a fini par constituer «l’approche centrée sur la personne». Nous présentons six principes essentiels de Rogers qui sont en opposition avec la pratique de Freud.

Le psychologue américain Rogers (1902-1987) est un des principaux artisans de l’orientation humaniste-existentielle. Il est le fondateur de l’«approche centrée sur la personne» (ACP). Au terme d’une analyse statistique des noms des psychologues du XXe siècle cités dans les publications universitaires de psychologie (revues et manuels), une équipe de onze chercheurs a établi que Rogers occupe la 6e place (après, dans l’ordre, Skinner, Piaget, Freud, Bandura et Festinger) [1]. Il a présidé l’Association américaine de psychologie en 1947.Rogers a commencé des études de pasteur protestant, qu'il a interrompues pour des études de pédagogie et de psychologie clinique au Teachers’ College de l'université Columbia. En 1925, il s’est initié au freudisme en travaillant dans un institut de guidance d’orientation psychanalytique [2]. Il y a développé une conception qui s’est progressivement éloignée de la psychanalyse et qui a abouti à une thérapie très différente. En 1940, il a été nommé professeur de psychothérapie à l'université de l'État de l'Ohio. Il a ensuite enseigné dans diverses universités, principalement à Chicago et à Wisconsin. Il a pratiqué le « counseling » durant toute sa carrière. À partir des années 1960, il s'est de plus en plus intéressé à la pédagogie et au développement d'une conception «humaniste» de la psychologie, conception qui annonce ce qu’on appelle aujourd’hui la psychologie et la psychothérapie «positives».

 

rogers-1-client-1951
Nous nous limitons à présenter six principes rogeriens en opposition avec la doctrine freudienne. Pour mieux connaître l’ACP, on peut consulter plusieurs sites [3].

1. Une relation respectueuse avec le consultant

Freud a abordé les patients avec davantage de respect que la majorité des médecins de son époque : il a écouté leur histoire individuelle avec patience et sans jugement moral. Toutefois, cette relation est fondamentalement asymétrique et autoritaire. Freud écrit dans son dernier livre — en quelque sorte son testament : « Bien des névrosés sont restés si infantiles que, même dans l’analyse, ils ne peuvent être traités que comme des enfants ». Il ajoute que l’analyste doit donc « assumer diverses fonctions, en tant qu’autorité et substitut des parents, en tant que maître et éducateur » [4].

L'analyste freudien décide souverainement des horaires, de la durée, de la fréquence et du coût des séances, ainsi que d’augmentations de tarif durant la cure. Le patient doit se coucher devant lui sans pouvoir le regarder, tandis que lui, installé dans son fauteuil, examine l'analysé(e) à loisir et pense à ce qui lui plaît. Freud écrit dans un de ses principaux écrits techniques : « Je tiens ferme à ce conseil de faire s'allonger le malade sur un lit de repos, alors qu'on prend place derrière lui de façon à n'être pas vu de lui. Cet aménagement a un sens historique, il est le reste du traitement hypnotique à partir duquel la psychanalyse s'est développée. Mais il mérite d'être maintenu pour de multiples raisons. D'abord pour un motif personnel, mais que d'autres peuvent bien partager avec moi. Je ne supporte pas d'être dévisagé par les autres huit heures par jour (ou plus longtemps). Comme pendant l'écoute je m'abandonne moi-même au cours de mes pensées inconscientes, je ne veux pas que mes mimiques procurent au patient matière à interprétation » [5].

Freud exige de tout dire, et de préférence les choses les plus intimes, mais lui ne parle que quand bon lui semble. Il n'est jamais tenu de répondre clairement à une question ; il dispose de formules rituelles pour renvoyer à l'analysant toutes ses interrogations (« pourquoi posez-vous cette question? », « qu'en pensez-vous vous-même? », « c'est vous qui devez faire votre analyse », etc.). Il ne donne des interprétations que lorsqu'il juge le moment opportun et non en réponse à des demandes de l'analysant. Lorsque l'analysant veut des révélations sur les mystères supposés l'habiter, celui-ci doit se montrer docile et très « patient ». Toute forme de contestation est désamorcée comme « résistance », « transfert hostile » ou manifestation de la « pulsion de mort ». Lorsque les revendications de l'analysant s'intensifient, l'analyste garde obstinément le silence ou menace de mettre un terme au traitement de l'« inanalysable ». L'état de dépendance induit par la cure freudienne infantilise les patients et conduit un certain nombre à vivre l’analyse comme une fin en soi. La fréquentation du divan devient alors une redoutable assuétude [6].

Rogers a tout mis en œuvre pour que la relation soit une relation de personne à personne, la plus respectueuse possible. Il a remplacé la position couchée par le face à face. Il s'est abstenu d’interprétations démasquantes déduites d’une théorie dogmatique, raison pour laquelle il a qualifié sa conception de « non-directive ». (En 1951, reconnaissant qu’un thérapeute ne peut s’abstenir réellement d’orienter, il abandonne cette dénomination. Il publie cette année-là Client-centered therapy). Il a remplacé les termes, utilisés par Freud, de « malade », « névrosé », « patient », par « client » et « personne ». Le mot « client » est devenu courant chez les psychothérapeutes anglo-saxons et néerlandais de différentes tendances, contrairement à l’usage en France. Notons que le mot « patient » évoque une situation « médicale », où un malade passif et qui doit se montrer « patient », reçoit une ordonnance ou subit un traitement. Le mot « client » évoque une relation avec un professionnel des relations humaines qui fournit un service moyennant rétribution, à une personne qui prend ses responsabilités et peut contester l’offre. (Rappelons aux férus du freudisme que la capacité de payer chaque séance en espèces est une condition sine qua non de la cure).

2. La compréhension empathique

Une différence essentielle entre Rogers et Freud concerne les interprétations soi-disant « profondes ». Pour Freud, l’homme est fondamentalement aliéné, il est la marionnette d’un Inconscient dont il ignore l’essentiel, à moins d’avoir réalisé une longue analyse sous la direction d’un freudien patenté. Freud renvoie toujours à un arrière-monde dont seuls lui et les disciples fidèles détiennent la clé. Des interprétations typiquement freudiennes sont le décodage symbolique et les interprétations par mots-ponts (Wort-Brücke). P.ex., pour « démontrer » que « la rage du jeu est un équivalent de l'ancienne contrainte à l'onanisme » [7], Freud avance les « faits » suivants : (a) le caractère irrésistible de la tentation, le plaisir étourdissant suivi de mauvaise conscience, les résolutions solennelles jamais tenues de ne plus recommencer et (b) l’usage du mot « jouer » pour désigner la manipulation des organes génitaux. Pour des exemples d’interprétation de rêves et leur analyse critique :  http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2617

Rogers admet, bien évidemment, l’existence d’expériences non conscientes ou « non-symbolisées », mais il ne se réfère pas du tout à une « entité interne, relativement autonome et pourvue de pouvoirs et de desseins à elle » [8]. Un principe-clé de sa thérapie est de favoriser la verbalisation d’expériences et la prise de conscience d’affects, grâce au climat de sécurité psychologique instauré par le thérapeute. Le thérapeute essaie de comprendre ce que le client éprouve, son monde vécu et son cadre de référence. Il communique une part de sa compréhension par l’attitude et la parole. Il pratique la technique du reflet (ou du miroir) : il reformule des propos de la personne de façon à lui permettre de mieux comprendre ses propres réactions (croyances, sentiments, vécus corporels), de les intégrer, de les réorganiser et d’éventuellement les remplacer par d’autres.

3. Le souci de l’accord interne du thérapeute

Pour Rogers, le thérapeute doit être attentif aux sentiments qu’il éprouve pour le client. Lorsque ces sentiments deviennent un obstacle à la thérapie il peut, dans une certaine mesure, en faire part au client. De toute façon, il doit éviter de jouer un rôle, il doit essayer de rester une personne authentique. À cet effet, le thérapeute adopte une attitude de «considération positive inconditionnelle» pour la personne du client, ce qui n’implique pas qu’il approuve tous ses comportements.

La conception rogerienne des «clients» est tout autre que la conception freudienne des «patients». Freud ne cachait pas, à ses proches et à ses confrères, son mépris pour les hommes en général et pour des patients en particulier. Il écrivait à Pfister en 1918: «Je ne me casse pas beaucoup la tête au sujet du bien et du mal, mais, en moyenne, je n'ai découvert que fort peu de “bien” chez les hommes. D'après ce que j'en sais, ils ne sont pour la plupart que de la racaille [Gesindel]» [9]. Deux ans plus tard, à propos des peintres expressionnistes : «Sachez que, dans la vie, je suis terriblement intolérant
envers les fous, n'y découvre que ce qu'ils ont de nuisible et suis en somme pour ces “artistes” exactement ce que vous stigmatisez, au début, du nom de philistinou de cuistre» [10]. À Theodore Reik en 1929: «Vous avez raison de supposer qu'au fond, je n'aime pas Dostoïevsky, malgré toute mon admiration pour son intensité et pour sa supériorité. Cela provient du fait que l'analyse a épuisé ma patience à l'égard des tempéraments pathologiques. Dans l'art et dans la vie, je suis intolérant à leur égard» [11].

Quand Edoardo Weiss, le pionnier de la psychanalyse en Italie, s’était plaint des échecs thérapeutiques, Freud lui a répondu le 11-2-1922: «Il ne faut rien prendre au tragique ! L'analyste doit s'attendre à de pareils accidents mineurs, surtout dans un milieu hostile. Pensons aussi que, malheureusement, seuls peu de malades sont dignes des efforts que nous leur consacrons, si bien que notre position ne doit pas être thérapeutique, mais que nous devons nous estimer heureux d'avoir dans chaque cas appris quelque chose» [12].

Son disciple Ferenczi était navré de cette attitude. Il écrivait en 1932: «Le point de vue pessimiste [de Freud] communiqué aux quelques intimes : les névrosés sont de la racaille, juste bons à nous entretenir financièrement et à nous permettre de nous instruire à partir de leur cas : la psychanalyse comme thérapie serait sans valeur. Ce fut le point où je refusai de le suivre. […] Je refusais d'abuser ainsi de la confiance des patients» [13]. Notons en passant que Lacan a fait preuve d’encore plus de cynisme. Un de ses anciens disciples, François Perrier, résume bien son attitude: «Seul le cheminement de la pensée l'intéressait. Les êtres humains, il s'en foutait. Et la séduction qu'il exerçait sur eux dépouillait ses malades et ses clients de toute capacité d'autodéfense, ou peu s'en faut» [14].

Le même Ferenczi plaidait pour l’authenticité du thérapeute: «Si le patient n’a pas pu prendre la parole l’analyste en flagrant délit de ne pas dire la vérité, ou de déformer […] s’il est obligé d’admettre que le médecin reconnaît aussi volontiers ses propres erreurs et étourderies qu’il commet à l’occasion, alors il n’est pas rare qu’on puisse récolter, en guise de récompense pour le mal considérable qu’on s’est donné, un changement plus ou moins rapide dans le comportent du patient» [15].

4. Un optimum de chaleur dans la relation

Freud a fait de la froideur des sentiments (Gefühlskälte) une règle technique: «Il ne profite guère au malade que, chez le médecin, l'intérêt thérapeutique soit marqué d'un trop grand accent affectif. Le mieux pour lui est que le médecin travaille froidement» [16]. «Je ne saurais recommander avec assez d'insistance aux collègues de prendre pour modèle pendant le traitement psychanalytique le chirurgien qui met de côté tous ses affects et même sa compassion humaine, et qui fixe un seul but aux forces de son esprit: effectuer l'opération en se conformant le plus possible aux règles de l’art» [17]. Notons que l’expression «neutralité bienveillante», utilisée par certains psychanalystes, n’apparaît pas chez Freud [18].

Rogers préconise un «optimum» de chaleur en sorte que la personne se sente en sécurité psychologique et puisse reconnaître ses véritables sentiments au lieu de les réprimer ou de les déformer. Pour lui, la « liberté expérientielle » est essentielle pour réduire des troubles comme l’angoisse, la dépression ou la rigidité mentale.

A noter qu’un maximum de chaleur compromet le processus parce qu’il ne peut se maintenir longtemps, ce qui peut perturber le patient. De plus, cela mène facilement à des complications affectives et des relations intimes qui n’ont pas leur place dans une thérapie.

5. La limitation des explications "transférentielles"

La notion de «transfert» est diversement comprise par les analystes. Freud, dans son dernier livre, donne cette version: «Le patient voit dans l'analyste un retour — une réincarnation — d'une personne importante issue de son enfance, de son passé, et il transfère sur lui pour cette raison des sentiments et des réactions qui s’adressaient très certainement à ce modèle. […] Les succès thérapeutiques qui se sont produits sous la domination du transfert positif encourent le soupçon d'être de nature suggestive. Si le transfert négatif prend le dessus, ces succès sont balayés comme fétus de paille au vent. On constate avec effroi que toute la peine et le travail dépensés jusque-là ont été vains» [19].

Cette conception a permis à Freud de justifier à bon compte ses échecs, dont on sait qu’ils furent beaucoup plus nombreux que les réussites [20]. Si sa patiente Dora a interrompu la cure, ce n’est pas parce que ses interprétations étaient farfelues, c’est à cause d’un «transfert négatif»: «Je n’ai pas réussi à me rendre maître à temps du transfert. […] Je fus surpris par le transfert et à cause de l’X par lequel je lui rappelais M. K., elle se vengea de moi tout comme elle voulut se venger de M. K.» [21]. In fine, Freud et les freudiens sont responsables de rien. Si l’analysant se fâche, ce n’est pas contre l’analyste qu’il se fâche : c’est contre son père, sa mère ou n’importe qui d’autre.

Rogers estime que la majorité des sentiments manifestés par les consultants (anxiété, déception, hostilité, gratitude, etc.) s’expliquent à la fois par des expériences passées et la situation présente. « Si le thérapeute joue au père, le client jouera à l’enfant ; si l’un se montre ascendant l’autre se montrera dépendant. Les parties en cause ont tendance à confirmer leur rôle » [22].

6. Le souci de scientificité

Rogers est un pionnier dans l’étude objective de la psychothérapie et dans la formation des thérapeutes. Il a réalisé les premières analyses systématiques de séances de thérapie à l'aide du miroir à vision unique (« one-way mirror ») et d'enregistrements magnétophoniques qu’il a publiés. Il est aussi le premier à avoir formulé des expériences de difficulté croissante en vue de former méthodiquement des psychothérapeutes.

Il est vrai que Freud ne disposait pas de ces techniques, mais il s’est montré bien naïf quant à l’objectivité de ses observations. P. ex., il écrit à propos de Dora — qui deviendra le plus célèbre de ses cas : « L’histoire de la malade, je l’ai rédigée de mémoire qu’une fois la cure achevée, tant que mon souvenir était encore frais et renforcé par l’intérêt d’une publication. La rédaction par conséquent n’est pas absolument fidèle — au sens photographique —, mais elle peut revendiquer un haut degré de fiabilité » [23]. Quand on compare la publication du cas de l’Homme aux rats avec les notes prises durant la cure, on constate que Freud transformait des faits pour prouver ses théories [24]. Freud ignorait ce que la psychologie scientifique a, depuis, montré sur la transformation des souvenirs.

L’impact de Rogers sur l’histoire de la psychothérapie

En 1957, Rogers a publié un article où il soutenait que trois attitudes du thérapeute sont nécessaires voire suffisantes pour amener un progrès psychologique : la considération inconditionnelle, l’empathie et l’accord interne [25]. Cette conception a eu un impact considérable sur des pratiques psychothérapeutiques de diverses orientations. En 2007, la revue Psychotherapy : Theory, Research, Practice, Training lui a consacré un numéro spécial. On y trouve notamment un article de Marvin Goldfried, un des plus grands noms du comportementalisme, rendant hommage à la perspicacité de Rogers [26]. Quantité de recherches empiriques ont en effet montré que ces facteurs, même s’ils ne sont pas toujours suffisants, sont des préalables pour une relation psychothérapeutique efficace, qu’elle soit systémique, cognitivo-comportementale ou autre [27].

———————

[1] Haggbloom, S. et al. (2002) The 100 most eminent psychologists of the 20th century. Review of General Psychology, 6 : 135-152.

[2] Thorne, B. (2003) Carl Rogers. Sage, p. 7s.

[3] P.ex. le Collectif Carl-Rogers européen et francophone : http://www.collectifcarlrogers.euPour la Belgique: https://www.afpc.be/

[4] Abrégé de psychanalyse (1940), Trad., Œuvres complètes, PUF, XX pp. 268 ; 274.

[5] “Sur l’engagement du traitement” (1913) Trad., Œuvres complètes, PUF, XII, p.174. Je souligne.

[6] Plusieurs psychanalystes ont dénoncé ce processus. P.ex. Mélitta Schmideberg, la fille de Mélanie Kllein : https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/130317/une-deconvertie-du-freudisme-et-du-kleinisme-melitta-schmideberg

[7] “Dostoïevsky et la mise à mort du père” (1928) Trad., Œuvres complètes, PUF, XVIII, p. 224.

[8] Rogers, C. & Kinget, M. (1965) Psychothérapie et relations humaines. Trad., Nauwelaerts, 2e éd., vol. 1, p. 55.

[9] Lettre du 9-10-1918, in Freud, S. & Pfister, O., Trad., Correspondance. Gallimard, p.103.

[10] Ibidem, p. 122.

[11] Reik, T. (1975) Trente ans avec Freud. Éd. Complexe, p. 91.

[12] Freud, S. & Weiss, E. (1975) Lettres sur la pratique psychanalytique. Trad., Privat.

[13] Ferenczi, S. (1985) Journal clinique. Trad., Payot, p. 255.

[14] Voyages extraordinaires en Translacanie. Lieu Commun, p. 120.

[15] “Le problème de la fin de l’analyse” (1927) Psychanalyse. Tome IV. Trad., Payot, 1982, p. 49

[16] La question de l'analyse profane (1926) Trad., Œuvres complètes, PUF, XVIII, 81s.

[17] “Conseils au médecin dans le traitement psychanalytique” (1912) Trad., Œuvres complètes, PUF, XI 149.

[18] Laplanche, J. & Pontalis, J.-B. (1967) Vocabulaire de la Psychanalyse. PUF, p. 367.

[19] Abrégé de psychanalyse (1940) Trad., Œuvres complètes, PUF,  XX p. 267s.

[20] M. Borch-Jacobson a examiné de près l’évolution des 31 patients de Freud bien identifiés. Il a constaté que seulement 3 ont guéri. Les autres ont stagné, régressé ou se sont suicidés (Les patients de Freud, éd. Sciences Humaines, 2011). Voir :http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1969

[21] Fragment d’une analyse d’hystérie (1905) Œuvres complètes, PUF,VI 297s.Pour comprendre pourquoi Dora a interrompu assez rapidement ce traitement, voir l’analyse du psychanalyse P. Mahony : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2821

[22] Rogers, C. & Kinget, M., Op. cit., vol. 2, p. 244s.

[23] “Fragment d’une analyse d’hystérie” (1905) Trad., Œuvres complètes, PUF, VI, p. 190.

[24] Pour des détails, voir p.ex. J. Van Rillaer (1981) Les illusions de la psychanalyse. Mardaga, p. 132-135.

[25] Traduction française : http://zetetique-languedoc.fr/index.php/conditions-necessaires-et-suffisantes-dun-changement-de-personnalite-en-psychologie/

[26] “What has psychotherapy inherited from Carl Rogers ?”, 44 : 249-252.

[27] Pour une discussion sur la portée et les limites des ces facteurs, voir p.ex. http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2431

Deux sites pour d’autres publications de J. Van Rillaer sur la psychologie, la psychopathologie, l'épistémologie, les psychothérapies, les psychanalyses, etc.

1) Site de l'Association Française pour l'Information Scientifique: www.pseudo-sciences.org

2) Site de l'université de Louvain-la-Neuve

1° Taper dans Google : Moodle + Rillaer + EDPH

2° Cliquer sur : EDPH – Apprentissage et modification … (voir ci-dessous)

3° Cliquer “Oui” à la page suivante : Règlement

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18 avril 2017

Prise en charge de l'autisme: la France, un pays retardataire?

17/04/2017

 

L'autisme, un mystérieux trouble comportemental. Magali Pignard, la cofondatrice de l'association Le Tremplin à Grenoble, et aussi mère d'un enfant autiste, préfère le voir comme une "particularité". À l'occasion de la journée mondiale de l'autisme le 2 avril 2017, elle a réclamé une meilleure charge de l'autisme en France, un pays "retardataire" en la matière, estime-t-elle. Et surtout, elle entend mettre fin aux idées reçues. Rencontres.


Magalie Pignard et son fils Julien, en photo. Photo (c) Anaïs Mariotti
Magali Pignard et son fils Julien, en photo. Photo (c) Anaïs Mariotti

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Julien a le visage d’un ange et le sourire innocent d’un enfant de 11 ans. Mais à la différence des autres, Julien ne parle toujours pas. "[Malgré tout, j’ai le sentiment de mieux le comprendre que d’autres personnes]i", raconte sa mère Magali Pignard, dévouée à la progression de son enfant.

Les causes exactes de l’autisme demeurent très mystérieuses. Toutefois, les scientifiques s’accordent à dire qu’il existe des prédispositions génétiques. C’est pour cette raison que Magalie décide à son tour de réaliser un diagnostic. Coup de théâtre pour cette enseignante alors âgée de 32 ans: les résultats diagnostiquent un léger syndrome d’Asperger. À première vue, rien ne laisse à croire qu’elle est également atteinte de troubles autistiques. Grande et élancée, un peu timide et probablement maladroite, Magalie Pignard s’était souvent sentie différente. "C’est vrai que les codes sociaux, c’est pas mon truc", affirme-t-elle en riant.

Mais on constate aussi chez les autistes Asperger le développement de capacités artistiques ou intellectuelles étonnantes. Musicienne dans l’âme, Magali est par exemple capable de reconnaître les notes de musique dès la première écoute d’un morceau.

La pédagogie ABA proposée par l'association Le Tremplin à Grenoble

A l'association Le Tremplin. Photo courtoisie (c) Marine B Photographies
A l'association Le Tremplin. Photo courtoisie (c) Marine B Photographies

Née dans les années 1960 aux États-Unis, la méthode ABA est adoptée très tardivement en France. Depuis 2012, elle fait finalement partie des méthodes recommandées par la Haute autorité de la santé (HAS). Dans de nombreux cas, des progrès spectaculaires sont remarquables. Comment? Grâce à des programmes individualisés, créés spécialement en fonction des compétences de l'enfant autiste.

C'est pourquoi en 2009, Magalie Pignard décide de fonder l'association Le Tremplin à Grenoble, avec sa mère, Françoise Galletti. Son objectif? Permettre une meilleure intégration des personnes autistes, grâce à l’approche pédagogique ABA (analyse appliquée du comportement).

Un éducateur spécialisé s'occupe d'un élève à la fois. À la clef, des récompenses permettent de stimuler leurs progressions. "D'une personne à une autre, la manifestation des troubles autistiques est totalement différente. L’ABA tient compte de ces particularités", explique Magalie.

Entre autres, les enfants apprennent le langage des signes. "La communication est la première étape pour débloquer d’autres troubles", explique Françoise Galletti, la directrice de l’association. Ainsi, la méthode ABA préconise une prise en charge dès le plus jeune âge. "Plus on le prend en charge tôt, plus il y a des chances d'amélioration", poursuit-elle. Et cette pédagogie semble porter ses fruits: "trois élèves sur huit ont appris à parler à l'association le Tremplin", se félicite Françoise.

En matière d'éducation, la France a 40 ans de retard sur ses voisins européens

"La France a 40 ans de retard sur certains de ses voisins européens", déplore Magali. Alors que son fils était scolarisé en maternelle dans une école "classique", les enseignants ont suggéré à Magali de n'amener son fils que six heures par semaine et de compléter avec l’hôpital de jour pour éviter, semble-t-il, le poids de la prise en charge.

Alors qu'en Italie près de 80% des élèves autistes sont scolarisés en milieu ordinaire, ce taux avoisinait seulement les 20% en France, en 2014. L'Hexagone avait d'ailleurs été sanctionné par le Conseil de l'Europe, accusé d'avoir "délaissé l'éducation des jeunes autistes". Bien que la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des chances avait promis une meilleure intégration scolaire des personnes handicapées, les résultats sont toujours en deçà des espérances.

Pour Magali Pignard, l’Éducation nationale devrait être reformée pour permettre une meilleure intégration des personnes autistes. "À l'école, les jeunes autistes peuvent imiter le comportement des enfants "normaux" et progresser de cette manière. S'ils restent entre eux, ils n'imiteront que le comportement d'autres enfants autistes", explique-t-elle.

En réalité, ces derniers sont souvent orientés vers des IME (Instituts médico-éducatif). Souvent surchargés et en manque d’effectifs, ces instituts ne permettent pas toujours une prise en charge individualisée de l’enfant. Pire encore, des autistes sont dirigés vers les hôpitaux psychiatriques. Une "aberration" pour Magali, compte tenu du fait que la HAS a abandonné l'approche psychanalyste, considérée comme "non recommandée", au profit de l'approche comportementale (ABA par exemple). "On donne encore des neuroleptiques qui, au lieu de faire progresser l’enfant, augmentent ses troubles", estime Magalie. Pour certains, cette politique serait une manière très critiquable de désengorger les IME.

Le réel handicap, c’est presque le regard des autres

A l'association le Tremplin. Photo (c) Anaïs Mariotti
A l'association le Tremplin. Photo (c) Anaïs Mariotti

Quant aux discriminations, Magalie se heurte aux conventions sociales: "le réel handicap, c’est presque le regard des autres". À travers une intéressante métaphore, elle partage sa vision de l'autisme: "Imaginons un extraterrestre, qui débarque sur Terre et qui ne comprend rien aux codes sociaux et aux coutumes. Cela ne signifie pas qu’il n’est pas moins intelligent que les autres".

À ses yeux, l'autisme n'est pas un trouble à combattre: "la variété des personnes fait la richesse d’une société". Il s'agit plutôt de le comprendre, de l'appréhender et de l'intégrer. Finalement, "la définition du handicap dépend du regard que lui donne la société", affirme-t-elle, sagement.

Elle regrette également que l’autisme soit encore trop souvent associé au syndrome d’Asperger qui est, selon elle, "plus attrayant pour les médias". Pour la journée de l’autisme le 2 avril 2017, Magali Pignard a voulu rendre hommage à toutes les personnes du spectre autistique. Et surtout, elle entend mettre un terme aux idées reçues. L’autisme n’est-il finalement pas qu’une différence parmi tant d’autres?

16 avril 2017

Anna G., “Mon analyse avec le professeur Freud”. Journal d’une didactique

Anna G. a fait une analyse didactique chez Freud en 1921. Elle a pris des notes, non destinées à la publication. Ces notes ont été retrouvées 6 ans après sa mort. La petite-fille d’Anna, psychanalyste freudienne, les a éditées avec dix textes de commentaires. On présente ici ce document qualifié, sans doute un peu vite, de “véritable petit événement scientifique”.

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Une demande de Pfister pour une didactique

Oscar Pfister a demandé à Freud s’il pouvait accepter en analyse didactique une psychiatre de 27 ans, formée à la clinique psychiatrique du Burghölzli, haut lieu de la psychiatrie européenne et de la psychanalyse. Freud lui a répondu le 20 mars 1921 : «J’accepterai volontiers une jeune femme-médecin en analyse personnelle [Autoanalyse], à la condition qu’elle me verse les quarante francs l’heure qui sont maintenant habituels et reste assez longtemps pour que l’analyse ait une chance d’aboutir à quelque chose, c’est-à-dire quatre à six mois ; moins cela ne vaudrait pas la peine»[1].

À cette époque, comme Freud le disait à son ami Schnitzler, il ne faisait plus que des analyses didactiques [2]. Quand Pfister demandera à Freud un peu plus tard d’accepter une patiente, celui-ci lui répondra : «Tout mon temps est accaparé par des médecins anglais et américains. En sorte que je travaille maintenant pour le dollar et n’arrive à rien faire d’autre» [3].

L’agenda inflexible de Freud

Anna G. est arrivée sans tarder. L’analyse commencée le 1er avril devait se terminer impérativement le 14 juillet « car Freud devait partir en vacances le 15, à Bad Gastein, en compagnie de sa belle sœur Minna » (p. 25) [4].

Nous avons ici un exemple d’une particularité mise en évidence par l’historien de la psychanalyse Mikkel Borch-Jacobson : « Freud nous donne toutes sortes de raisons pour justifier la fin d’une analyse et on a souvent l’impression, à le lire, que la décision était prise après un long travail et d’un commun accord avec le patient. En réalité, pas du tout. Il se débarrassait du patient quand il en avait assez, quand il ne pouvait plus se faire rémunérer, ou encore, quand il partait en vacances. Par exemple, les analyses de Loe Kann et de Sergius Pankejeff se sont toutes deux terminées le 10 juillet 1914, tout simplement parce que Freud partait le 15 » [5].

Une analyse « taboue »

L’analyse s’est faite à raison d’une heure par jour, samedis inclus, durant quatre mois et demi. Le paiement a été effectué par le père d’Anna. Cette analyse n’a été connue que grâce à la découverte, par la fille d’Anna, de deux cahiers d’écolier dans lesquels Anna a consigné des notes sur son analyse. La petite-fille d’Anna, Anna Koellreuter, a édité ces notes, qui font 40 pages d’un livre au format de poche. Pour que ce document puisse se vendre sous forme de livre, il y a été adjoint dix contributions, dont celle d’Anna Koellreuter, praticienne à parts égales de la psychanalyse et l’« homéopathie classique » [6].

A. Koellreuter savait que sa grand-mère psychiatre avait fait une analyse chez Freud, mais Anna G. ne lui en avait jamais parlé. Elle écrit : « Lorsque je lui demandais par exemple comment Freud se comportait pendant les séances, elle répondait de façon évasive que c'était un homme “affable”. Sa seule remarque fut en réponse à une question de ma mère : la présence de Freud dans la même pièce était plus importante que ce qu'il pouvait lui dire. Je n'ai jamais pu en savoir davantage, ni d'ailleurs les autres membres de ma famille qui lui posaient aussi des questions » (p. 8). « Pourquoi cette analyse était-elle à ce point taboue pour ma grand-mère qu'elle ne parvenait pas à en parler ? Pensait-elle que la cure avait atteint son objectif ou au contraire qu'elle avait été un échec ? Pourquoi n'était-elle pas devenue analyste, alors qu'elle avait travaillé pendant quelques années en tant que psychiatre au Burghölzli ? » (p. 10).

En définitive, ni les notes ni un autre document d’Anna Guggenbühl (c’est son nom) ne permettent de dire que cette analyse, clôturée en fonction de l’agenda de Freud, a été satisfaisante. Force est de constater que la psychiatre n’a pas exercé la psychanalyse et n’a absolument pas fait la publicité du célèbre Viennois. Il semble assez évident que si l’analyse est restée « taboue » c’est parce que Anna s’est trouvée désillusionnée. Il est en tout cas bien évident qu’à cette époque Freud lui-même était désillusionné quant à l’efficacité de sa méthode. On le sait par sa correspondance et par des témoignages de ses proches disciples. Pour des exemples :

http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2367

http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2412

Ceci ne gêne nullement Mme Roudinesco pour produire, comme à son habitude, une légende. Elle écrit: «Cette cure fut plutôt réussie, selon le témoignage de la patiente» [7], sans citer la moindre phrase qui puisse attester de son affirmation. Juliet Michell est sans doute plus près de la réalité quand elle écrit : «On peut estimer que l'analyse ne s'est pas bien terminée» (p. 223). Pour découvrir de nombreuses autres légendes de Mme Roudinesco: http://www.pseudo-sciences.org/IMG/pdf/TCC-Faits-Legendes.pdf

Revenons sur cette «seule remarque» rapportée par la petite-fille: «La présence de Freud dans la même pièce était plus importante que ce qu'il pouvait lui dire». Ceci rejoint ce qu’a constaté Paul Roazen, qui a interrogé des patients de Freud. Citons à titre d’exemple Albert Hirst, un des rares satisfaits de sa cure. Roazen écrit: «Hirst déclarait clairement que le simple fait de parler à Freud avait eu plus d'effet thérapeutique que tout ce qu'il avait pu lui dire. Autrement dit, c'est la relation elle-même, et non le contenu des interprétations de Freud, qui avait été l'élément thérapeutique essentiel» [8]. Ce qui s’est réellement passé dans le cabinet de Freud a sans doute très peu à voir avec les films hollywoodiens où le ressouvenir d’un événement soi-disant refoulé apparaît comme une illumination qui change la vie.

Une parfaite illustration du conditionnement freudien

Freud commence sa présentation de l’Homme aux rats en écrivant: «Interrogé par moi sur ce qui l’amène à mettre au premier plan les renseignements sur sa vie sexuelle, il répond que c’est là ce qu’il sait de mes doctrines» [9]. Ainsi, avant même de franchir la porte de Freud, ses patients sont conditionnés à parler de sexe. On lit dans la première séance rapportée par Anna: «C'est par hasard que je découvris la masturbation, en me pressant contre une balustrade» (p. 45). Réaction de Freud: «Voilà un souvenir excellent». Réaction que Skinner appelle un renforçateur positif, un événement consécutif à un comportement qui favorise la probabilité de la répétition du même type de comportement.

Abraham Kardiner, auteur d’un journal d’analyse chez Freud écrit:«En comparant mes notes avec celles d'autres étudiants, je me suis aperçu que l'homosexualité inconsciente, tout comme le complexe d’Œdipe, faisait partie de la routine d'une analyse. […] Une fois que Freud avait repéré le complexe d'Œdipe et conduit le patient jusqu'à son homosexualité inconsciente, il ne restait pas grand-chose à faire. On débrouillait le cas du patient et on le laissait recoller les choses ensemble du mieux qu'il pouvait. Quand il n'y réussissait pas, Freud lui lançait une pointe par-ci par-là afin de l'encourager et de hâter les choses» [10]. La «découverte» essentielle que fera Anna G. chez Freud est bien sûr qu’elle n’a pas dépassé son complexe d’Œdipe. Sa petite-fille signale: «Elle possédait les Trois Essais sur la théorie sexuelle (1905) en double exemplaire — dans un état si défraîchi qu'ils tombent presque en lambeaux. Cela signifie qu'elle avait étudié de façon intensive des pans entiers de la théorie freudienne» (p. 32). Elle ajoute: «Ce qui transparaît dans les notes, c'est la conviction de Freud que le complexe d’Œdipe est partout à l'œuvre». Un des contributeurs à l’ouvrage, le psychanalyste André Haynal, résume comme suit le contenu des notes: «Si nous considérons tous les thèmes que Freud a abordés et interprétés durant la cure d'Anna G., nous retrouvons ceux qui l'ont préoccupé sa vie durant, qui sont
devenus des points nodaux de sa théorie et qui tournent autour du complexe d'Œdipe: père, jalousie œdipienne, désir de remplacer le parent du même sexe, peur de la castration, bisexualité » (p. 255).

Dès le départ de l’analyse, Freud, tout assuré de son savoir, se montre on ne peut plus suggestif. Anna évoque la naissance d’un frère. Freud lui assène: «Vous frôlez de si près le secret de l’étage inférieur de sa vie que je puis vous le révéler: vous aimiez votre père et ne lui avez jamais pardonné sa trahison avec votre mère. Vous vouliez être la mère de l’enfant, et donc, vous souhaitiez la mort de votre mère qui vous avait pris votre amant. Peu à peu, vous allez en apporter des preuves»(p. 46). Magister dixit et les preuves seront apportées…

Quand Anna rêve qu’il y a des taches répugnantes sur un drap, qu’elle appelle son père et que celui-ci, quand il arrive, se contente de rire un peu, le Professeur affirme doctoralement: «Dans votre rêve, vous appelez votre père à l'aide contre les agressions des jeunes hommes. Vous vous réfugiez auprès de votre père. Votre inconscient donne ainsi la première confirmation de mon affirmation selon laquelle votre père a été votre premier amant. Avez-vous lu “Fragment d'une analyse d'une hystérie: Dora”? (Anna répond: “Oui, mais je n’en ai aucun souvenir”). Votre rêve est une copie intégrale de celui de Dora. Vous vous mettez donc à la place de Dora, dont on sait bien qu'elle est amoureuse de son père » (p. 52). Quand Anna rêve de sa grand-mère, apparaissant en cire, le Maître dit: « La “transformation en cire”, c’est-à-dire la mort de votre arrière-grand-mère, est un substitut de la mort de votre mère, que vous appelez de vos vœux » (p. 55).

L’automaticité de l’interprétation transférentielle

Après trois semaines d’analyse, Anna semble conquise par le vieil homme (Freud a alors 65 ans). Sans doute est-elle charmée d’être écoutée une heure par jour par le personnage dont on raconte qu’il est le Darwin de la psychologie. Freud, lui, n’entend que résurgences des pulsions œdipiennes. Anna déclare: «À présent je comprends fort bien qu'on puisse épouser quelqu'un de plus âgé. Cela signifie donc que je voudrais éventuellement vous épouser, je vous aime déjà beaucoup». Freud répond: «Il s'agit là du transfert sur moi de l'ancien amour et du sentiment amoureux que vous éprouviez autrefois à l'égard de votre père. La déception, la jalousie douloureuse, etc. viendront alors elles aussi » (p. 61). Le jour suivant, le sentiment s’intensifie: «Je vous aime d'une façon si indescriptible, comme jamais auparavant je n'ai aimé quelqu'un, me semble-t-il». Freud: «Cet amour pour votre père était si démesuré que tout ce qui a suivi n'en était qu'un pâle reflet. On n'a pas idée de l'intensité de l'amour des enfants, il n'existe que de façon potentielle, il ne se réalise pas» (p. 62).

Ces moments d’exaltation se sont dégonflés. À en croire une conversation d’Anna avec sa petite-fille, avec le recul Freud n’est plus qu’un «homme affable». Ce jugement est toutefois plus élogieux que celui d’une patiente traitée un ou deux ans plus tôt, jugement rapporté par un des contributeurs à l’ouvrage: «Je n'estimais pas particulièrement le docteur Freud. Il faut dire que ça n'a rien donné, je le considérais comme un vieil homme sans intérêt. D'ailleurs, il m'a dit un jour: “Quand je vous montre les motions les plus profondes de votre psychisme, pour vous, c'est comme si je vous lisais un article de journal”» (p. 296). Parmi les patients dont on a retrouvé la trace, il y a des jugements encore bien plus négatifs. Marie von Ferstel, après avoir adoré Freud, le qualifiait de «charlatan», Victor von Dirsztay disait qu’il avait été «détruit par l’analyse» [11].

L’accès direct au sens « profond » grâce aux symboles

En 1911, Freud écrit: «Grâce à la connaissance de la symbolique du rêve, il est possible de comprendre le sens de tel ou tel élément du contenu de rêve, ou de tel ou tel fragment du rêve, ou quelquefois même de rêves entiers, sans être forcé d'interroger le rêveur sur ses idées incidentes. Nous nous rapprochons ainsi de l'idéal populaire d'une traduction du rêve et remontons par ailleurs à la technique d'interprétation des peuples anciens, pour lesquels interprétation du rêve et interprétation par la symbolique étaient identiques» [12]. Au fil du temps, Freud ne demandera plus de produire beaucoup d’associations d’idées avant d’interpréter un rêve, un acte manqué ou un trouble mental. Il se permettra de psychanalyser des personnes qu’il n’a jamais rencontrées, par exemple Léonard de Vinci et le Président Schreiber, ou d’interpréter d’emblée le rêve d’un patient ou d’un collègue.

Lorsqu’Anna rêve d’un lac, où nagent des amis et des garçons, et que le soleil brille, Freud interprète illico: «Les amis, les “petits” qui nagent, là, sont des symboles du membre viril. […] Le soleil représente toujours le père» (p. 57). Notons que le soleil est féminin en allemand. Pour Freud ce n’est pas une objection, comme il l’écrit dans le cas Schreber à propos du même symbole: «La symbolique passe outre ici au sexe grammatical ; en allemand du moins, car dans la plupart des autres langues le soleil est un terme masculin» [13].

À la dernière séance annotée, se trouve un joli exemple d’interprétation symbolique qui montre qu’Anna a bien lu attentivement les Trois Essais sur la théorie sexuelle. Elle écrit: «Alors que j’avais 4 ans, j’ai appelé Papa, une nuit, je sentais quelque chose de dur au-dessous de moi. Il est venu, c’était une crotte. J’étais fière et n’avais pas honte du tout, malgré mon âge, ce qui m’a étonnée plus tard. Ce cadeau état manifestement un enfant» (p. 83). Ce sens «manifeste» se lit dans le 2e des Trois Essais: chez les enfants, « le contenu intestinal est manifestement traité comme une partie importante du corps, il constitue le premier “cadeau”. […] Il gagne alors plus tard la signification de l’“enfant” qui, selon une des théories sexuelles infantiles, s’acquiert par le manger et se met au monde par l’intestin» [14].

Pour d’autres interprétations symboliques et, plus généralement, pour la question de la valeur et de l’utilité de l’interprétation des rêves: http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2617

Les commentaires de 10 analystes

Les contributions écrites à la demande de la petite-fille d’Anna G. ont manifestement une fonction de remplissage du livre. On y apprend très peu de choses intéressantes. Une contribution qui sort du lot est celle de Juliet Mitchell, psychanalyste lacano-féministe.

Rappelons d’abord que Freud reconnaissait le caractère inachevé de ses interprétations. Il écrivait à propos des rêves: «Dans les rêves les mieux interprétés, on doit souvent laisser un point dans l’obscurité, parce que l’on remarque, lors de l’interprétation, que commence là une pelote de pensées de rêve qui ne se laisse pas démêler» [15]. J. Mitchell illustre, de façon exemplaire, que les interprétations freudiennes laissent toujours la possibilité de ce que Freud appelait des «surinterprétations» [16]. Pour elle, la théorie du complexe d’Œdipe de Freud est le produit du refoulement de sa propre hystérie, ce serait un écran destiné à cacher la rivalité avec son frère Julius, mort à6 mois. Aussi Mitchell a-t-elle réinterprété les cas de Freud en fonction des relations latérales plutôt que des relations aux parents [17]. Elle intitule sa contribution «Anna G.: Fragment d’un autre cas de petite hystérie» (p. 223-250). L’autre cas est la célèbre Dora, que Freud a étiquetée «hystérique» parce qu’à l’âge de 13 ans elle a refusé de se laisser embrasser sur la bouche par un ami de son père [18]. Freud a le culot d’écrire: «Je tiendrais sans hésiter pour une hystérique toute personne chez qui une occasion d'excitation sexuelle provoque principalement ou exclusivement des sentiments de déplaisir» [19]. Notons bien le « toute »… Donc Dora et Anna: des «hystériques» (Mitchell étiquette Anna «l’hystérique» ou «la jeune hystérique»).

Les premières lignes de sa contribution résument sa longue «démonstration» de la possibilité de surinterpréter. Bien évidemment elle ne va pas jusqu’à dire que Freud s’est trompé. Elle dit seulement qu’on peut interpréter plus «profondément»: «J'affirme qu'il y a dans ce témoignage une haine meurtrière à l'égard du frère dont le niveau le plus profond est dénié et qui est donc effectivement inconscient. Il ne s'agit pas de remettre en question les interprétations œdipiennes de Freud, mais de pointer une dimension manquante. Il me semble qu'une des raisons pour lesquelles on peut estimer que l'analyse ne s'est pas bien terminée, c'est que — comme pour Dora — les relations latérales, c’est-à-dire la fratrie, n’ont été prises en compte que dans leurs dimensions conscientes ou préconscientes» (p. 223). Il est peu probable que Freud eut apprécié cette surinterprétation. En effet, il écrivait à Pfister quelques jours après la fin de l’analyse: «La petite G est devenue totalement transparente et en fait, elle en a terminé : mais je ne peux pas savoir ce que la vie va faire d’elle désormais» [20].

Un événement scientifique ?

Ernst Falzeder écrit que le journal d’Anna G. est un «véritable petit événement scientifique» (p. 12). En fait, ce qu’il illustre remarquablement c’est le caractère stéréotypé des interprétations freudiennes. Toute l’existence de Freud a été marquée par ses propres désirs œdipiens. À la fin de sa vie, il écrivit: “J'ose dire que si la psychanalyse ne pouvait tirer gloire d'aucune autre réalisation que de celle de la mise à découvert du complexe d'Œdipe refoulé, cela seul lui permettrait de prétendre à être rangée parmi les acquisitions nouvelles et précieuses de l'humanité» [21].

D’autre part, les contributions montrent une fois de plus que les analystes freudiens glosent interminablement sur les écrits freudiens, comme les théologiens glosent indéfiniment sur la Bible ou le Coran sans jamais remettre sérieusement en question la doctrine.

Notons enfin la facilité de la pratique psychanalytique. Freud lui-même l’a avoué à plusieurs reprises. Par exemple: «Le travail analytique est un art de l’interprétation dont certes le maniement requiert pour le succès doigté et pratique, et qui n’est pourtant pas difficile à apprendre (unschwer zu erlernen)» [22]. L’analyste écoute en état d’attention flottante, il met des liens entre ce qu’énonce l’analysé et des événements de son passé, il décode des symboles, il joue avec des «signifiants» et, tout à son avantage, il convainc l’analysé que « es traitements analytiques réclament des mois et même des années» [23].

———————

[1] Freud, S. & Pfister, O., Correspondance. Trad., Gallimard, 1966, p. 127.

[2] Freud avait invité chez lui A. Schnitzer et lui avait dit qu’il «ne donnait plus de consultations et se contentait de former des élèves qui, à cet effet, se font analyser par lui». Cité dans l’ouvrage p. 131.

[3] Freud, S. & Pfister, O., Op. cit.

[4] Les pages indiquées sans autre référence sont celles de l’ouvrage.

[5] “Que sont devenus les patients de Freud ?”, Interview de J.-F. Marmion (2017) Le Cercle Psy : http://le-cercle-psy.scienceshumaines.com/mikkel-borch-jacobsen-que-sont-devenus-les-patientsde-freud_sh_28036

[6] http://www.annakoellreuter.ch/Vita/

[7] Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre. Seuil, 2014, p. 311. Pour une analyse de cet ouvrage:

http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2368

[8] Dernières séances freudiennes. Des patients de Freud racontent. Trad., Seuil, 2005, p. 59s.

[9] L’Homme aux rats (1909) Trad., Cinq psychanalyses, PUF, 2011, p. 302.

[10] Mon analyse avec Freud. Trad., Belfond, 1978, pp. 92 ; 125.

[11] Borch-Jacobsen, M. (2011) Les patients de Freud. Destins. Éd. Sciences Humaines, p. 82 ;132.

[12] Du rêve (1901) Ajout de 1911, Œuvres complètes, PUF, V 68.

[13] Remarques psychanalytiques sur un cas de paranoïa (1911) Œuvres complètes, X 277.

[14] Trad., Œuvres complètes, VI p. 122.

[15] L’interprétation du rêve (1900) Trad. Œuvres complètes, PUF, II p. 578.

[16] «Ueberdeutung» (Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse (1917). Gesammelte Werke, XI 176.

[17] Pour un exposé critique de sa théorie, voir M. Borch-Jacobsen (2013) La fabrique des folies. Éd. Sciences Humaines, 2013, p. 231-246.

[18] Dans sa publication, Freud écrit «14 ans». Patrick Mahony (Dora s’en va. Les Empêcheurs de penser en rond, 2001) a établi que la patiente avait un an de moins.

[19] Fragment d’une analyse d’hystérie (1905) Œuvres complètes, PUF, VI, p. 208.

[20] Le 29-7-1921. Cité p. 40.

[21] Abrégé de psychanalyse (1940) Œuvres complètes, PUF, XX p. 287.

[22] Autoprésentation (1925) Œuvres complètes, PUF, XVII p. 88.

[23] Freud, S. (1926) La question de l'analyse profane. Trad., Œuvres complètes. PUF, XVIII, p. 10.

Deux sites pour d’autres publications de J. Van Rillaer sur la psychologie, la psychopathologie, l'épistémologie, les psychothérapies, les psychanalyses, etc.

1) Site de l'Association Française pour l'Information Scientifique: www.pseudo-sciences.org

2) Site de l'université de Louvain-la-Neuve

1° Taper dans Google : Moodle + Rillaer + EDPH

2° Cliquer sur : EDPH – Apprentissage et modification du comportement

3° Cliquer “Oui” à la page suivante : Règlement

12 avril 2017

Autisme - Anti-impérialisme de façade

12 avr. 2017
Par Jean Vinçot
Blog : Le blog de Jean Vinçot

Une tribune pour Mélenchon prétend "aller au-delà des polémiques" et mettre l'accent sur le manque de moyens. Mais les arguments anti-américains ("anti-impérialistes") utilisés sont faux. Mise au point sur quelques-uns de ces arguments.

Suivant un article paru dans un site de la France Insoumise, Autisme : au-delà des polémiques, l’absence de moyens !, les procédures de diagnostic pour l'autisme coûtent horriblement cher, et permettent à des entreprises privées, évidemment des multinationales américaines, de faire des profits aux dépens du secteur public.

Il est "plaisant" de lire cette argumentation (une fake news comme l'aime l'équipe de Trump, sur l'autisme en particulier) sur un site de la France Insoumise, malgré l'émission de J.L Mélenchon avec Olivia Cattan, et tout à fait conforme avec l'argumentation de Michel Botbol, de l'Association Française de Psychiatrie, coureur de couloirs ministériels de droite.

"Pauvres" hôpitaux de jour ! Ce sont pourtant eux le "haut de gamme" en coûts financiers de la prise en charge de l'autisme : bien entendu pas en efficacité ni en satisfaction des usagers.

Tout anti-capitaliste ou anti-impérialiste "conscient" ne peut être que révulsé par la description de l'envahissement marchand des entreprises américaines favorisé par les recommandations de la HAS (Haute Autorité de Santé).

Désolé de dire que cela relève du fantasme.

Il y a 5 ans, nous avons eu ces mêmes débats en Bretagne,


 Toutes ces considérations tendent à ne faire utiliser ADI et ADOS que par l’équipe du CRA et des équipes associées.Même le service Winnicott, dirigé par le Dr Squillante, pourtant membre du comité qui a publié les recommandations de la HAS et de la SFP de 200514, ne serait pas en mesure de les pratiquer.15 Mais à la lecture de la thèse qui vient d’être soutenue sous la présidence du Pr Botbol, on voit que la CFTMEA y est toujours privilégiée16.

Le dénigrement de l’ADI et de l’ADOS a été systématique de la part du Pr Botbol :

  • Lourdeur;
  • Manque de fiabilité;
  • Coût financier des formations.

«Le Pr Botbol a précisé que les questionnaires ADI et ADOS sont deux outils pour le diagnostic. Ils sont cependant trop lourds à mettre en œuvre par les équipes de premier niveau (2 heures pour ADI et 2 H 30 pour ADOS, avec examen de la vidéo par 3 personnes). Les explications fournies n'ont pas permis de comprendre la nature exacte de leur lourdeur, ni en quoi elle constituerait un obstacle rédhibitoire à leur mise en œuvre. Est-ce le coût financier des formations (1 à 2 journées à 3000 euros pour ADI; 2 journées à 3500/4000 euros pour ADOS)? Est-ce l'impossibilité pour les équipes de se libérer pour ces formations? Le Pr Botbol pense que ces deux méthodes devraient pouvoir être mises en place au niveau des centres départementaux, mais ne doivent pas être généralisées.»

Extrait du compte-rendu avec les assos de parents (26/04/2013) (...)

  • Lors du CTRA [Comité Technique Régional Autisme] de juillet 2012, le Pr Botbol a admis que le CRA avait formé à l’ADI . Il était peu vraisemblable que les professionnels concernés aient payé 3.000 € pour cette formation ... En fait, le CRA de Bretagne a proposé au moins une formation de 3 jours chaque année à l’ADI, pour un coût de 200 € (300 € la dernière année). De plus, le CRA a toujours assuré sa mission de conseil sur les diagnostics complexes – et donc l’assistance à la mise en œuvre de l’ADI et son suivi.

En ce qui concerne l’ADOS, le coût de la formation est de 1.200 € prix catalogue du CERESA(Bernadette Rogé) pour les personnes envoyées par un établissement13 . D’autre part, le CRA Nord Pas de Calais a une offre de formation ADOS en 2014 à 540 €. (...)

Toutes ces considérations tendent à ne faire utiliser ADI et ADOS que par l’équipe du CRA et des équipes associées.

Même le service Winnicott, dirigé par le Dr Squillante, pourtant membre du comité qui a publié les recommandations de la HAS et de la SFP de 200514, ne serait pas en mesure de les pratiquer.15 Mais à la lecture de la thèse qui vient d’être soutenue sous la présidence du Pr Botbol, on voit que la CFTMEA y est toujours privilégiée16.

14 et des recommandations 2012

15 La question a été posée au CTRA du 9 juillet, en présence du Dr Squillante.

16 http://dumas.ccsd.cnrs.fr/docs/00/84/43/79/PDF/These-Medecine_specialisee-2013-Psychiatrie-Kerrien_Margaux.pdf5


 Une formation d'un coût aussi faible (plus que soldé), avec une supervision gratuite ensuite par le CRA : mais que faut-il de plus ?

L'ADI est simple d'utilisation

L'ADI est un entretien semi-structuré. Il dure d'une heure et demi à 3 heures.

Il permet d'obtenir un score dans les trois critères des troubles envahissants du développement : un certain nombre de symptômes, tôt dans le développement.

Certains des médecins formés, hélas, ne veulent pas l'utiliser – soit parce qu'ils estiment manquer de temps, soit parce qu'ils sont contre sur le principe, soit parce qu'ils pensent manquer d'expérience.

Mais pas parce qu'ils ne veulent pas visiter Chicago (humer l'air de l'école d'orthogénie de Bruno Bettelheim?) ou New-York.

Dans les discussions entre professionnels, je comprends qu'il est préférable de faire une dizaine d'ADI par an pour être compétent en la matière.

L'A.B.A n'est pas une multinationale américaine

Un certain nombre de programmes d'intervention recommandés en matière d’autisme provient d'Amérique du Nord.

Le programme TEACCH est une politique de l'Etat de Caroline du Nord, sous l'impulsion d'Eric Schöpler (qui avait quitté Bettelheim).

L'A.B.A n'est pas une marque, ni une multinationale : sur la base de cette science de l'analyse appliquée du comportement, appliquée pour la première fois à l'autisme par Ivan Lovaas, une extrême diversité de pratiques se sont développées.

Sur le plan de la communication augmentée alternative, il y a certes le programme PECS. Il s'agit bien d'une marque déposée dans plusieurs pays. Mais les coûts des formations PECS ne sont pas exorbitants.

On peut aussi prendre la méthode de Denver (Early Start Denver Model). Il vaut quand même mieux être formé et supervisé par quelqu'un de compétent, que de se baser seulement sur un livre. Mais rien n'empêche de l'utiliser.

Dans l'état du Nouveau Brunswick (Canada), c'est l'ABA Autisme qui est utilisé. Elle est tout simplement enseignée par l’Université. La mise en place d'une plate-forme universitaire d'enseignement sur les troubles du spectre de l'autisme à distance, avec l'Université de Clermont-Ferrand, se fait d'ailleurs avec l’Université du New-Brunswick, dans le cadre du 3ème plan autisme.

Mais qu'est-ce qui explique que la TED (Thérapie d'Echanges et de Développment) développée par l'hôpital de Tours ne soit pas répandue ?

Sur quelques autres points

« Les résultats du travail thérapeutique et psychanalytique n’ont pas été assez quantifiés. Des recherches notamment à l’Inserm sont en cours avec des premiers résultats intéressants. » 

L'efficacité des approches psychanalytiques n'est effectivement pas assez quantifiée :

  • une autre commencée en 2006, dite des 50 cas ou de l l'INSERM, dont on annonce tout le temps les résultats « préliminaires », dont la méthodologie est contestée.

« En outre, donner un diagnostic sans offrir des soins dans la foulée, c’est extrêmement nuisible. D’autant que le diagnostic peut être long à accepter pour les parents. » Des psychanalystes qui donnent le diagnostic sans rien offrir – même pas le conseil de présenter un dossier à la MDPH, c'est courant. Compte tenu de la carence des établissements sanitaires et médico-sociaux, il restera heureusement aux personnes concernées le recours aux associations et à Internet.

« Le souci, c’est que l’autisme ne touche  pas que des familles qui vont bien ! Il ne touche pas que des parents exempts de maladies, de problèmes conjugaux, d’histoires compliquées.

Ces familles-là ont besoin d’avoir un psychiatre qui peut aussi aider les parents à se dégager de leur culpabilité, à faire face, à comprendre le sens que peut avoir cet enfant-là dans leur vie et donner un sens à la vie de cet enfant tel qu’il est. Et in fine l’aider à grandir. Ça ne suffit pas d’éduquer l’enfant, c’est toute la famille qu’il faut aider. » Terrible, ce paternalisme, cette volonté de soigner les parents qui n'ont rien demandé. La demande première et principale, c'est de comprendre son enfant, et d'avoir des conseils pour le faire progresser.

« se dégager de leur culpabilité ». Ah ! Bien sûr, en posant des questions sur la grossesse, les relations parentales etc … c'est le meilleur moyen d'enfoncer les parents dans la culpabilité, qu'on prétendra soigner ensuite. Une bonne explication sur ce que c'est un trouble neuro-développemental, ce serait plus efficace, non ? Moins fun, c'est vrai.

"On est en train de tuer le secteur sanitaire, financé par l’État, pour tout mettre dans le médico-social, financé par les collectivités territoriales." Drôle d'opposition : jusqu'à 20 ans, c'est "l'Etat" (sécurité sociale en fait) qui finance le médico-social (notamment IME). Après 20 ans, les MAS sont financés par la sécu, et partiellement FAM et SAMSAH.

"Une autre aberration dans la résolution Fasquelle, c’est de laisser aux centres médico-psychologiques (CMP), qui sont dans les quartiers, la charge de faire des diagnostics, et de laisser les soins au secteur médicosocial, moins médicalisé." Où çà dans la résolution Fasquelle ? Le 3ème plan autisme n'en parle même pas.

Il est sans cesse quesion d'approches plurielles, alors que dans la réalité, les programmes validés par la HAS et l'ANESM sont très minoritaires : dans les établissements médico-sociaux de Bretagne (étude CEKOIA), seuls 17% des établissements pour enfants et 8% des établissments pour adultes disent en connaître une !

Conséquences de l'inefficacité du secteur public et du refus de l'évolution : obligation pour les usagers de se tourner vers le secteur libéral, dans la mesure de leurs moyens.C'est l'inégalité assurée, conséquence de soit-disants anti-impérialisme et anti-capitalisme de façade, idéologies qui sont la couverture du corporatisme .

Conclusion en belle langue de bois, mais il n'est pas dit qu'elle doit être réservée aux professionnels.Innocent

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10 avril 2017

Formation Travail social et autisme - un audit ravageur

Blog : Le blog de Jean Vinçot


Une instruction ministérielle vient de publier les résultats d'un audit des contenus des formations dans le travail social concernant l'autisme : 14% seulement des organismes dispensent une formation basée sur les recommandations de bonnes pratiques professionnelles. Un résultat atterrant, mais pas vraiment étonnant.

Dans le cadre de la mesure 31 du 3ème plan autisme (pp.111-112), 228 établissements de formation ont été audités sur les contenus de formations délivrés pour les 4 diplômes suivants, en matière d’autisme :

  • Diplôme d’Etat d’Educateur Spécialisé (DEES) ;
  • Diplôme d’Etat d’Educateur de Jeunes Enfants (DEEJE) ;
  • Diplôme d’Etat de Moniteur Educateur (DEME) ;
  • Diplôme d’Etat d’Aide Médico-Psychologique (DEAMP).

Ils " devaient adresser un certain nombre de pièces dont les supports de cours, le nombre d’heures dédiées, les bibliographies, les Curriculum Vitae (CV) des formateurs…." 26 auditeurs ont effectué ces audits, en binômes.

Une évaluation n'a pu se faire que pour 96 organismes - soit 42%. Extraits :


 

  • 32 (soit 14 % de tous organismes de formation) proposent des contenus en conformité avec l’état des connaissances et en accord avec les recommandations de bonnes pratiques ;
  • pour les 64 dossiers restant, les éléments présentés ne sont pas en conformité avec l’état des connaissances et les recommandations de bonnes pratiques.
  • Parmi ces 64 dossiers, une quinzaine présentent l’autisme uniquement comme une psychose, et une vingtaine font cohabiter l’état des connaissances et les recommandations HAS / ANESM avec une approche de l’autisme comme d’une psychose infantile.

Les contenus et leur lien avec l’état des connaissances et les recommandations

Certaines propositions sont souvent jugées « incohérentes » par les auditeurs :

Au sein d’un même organisme de formation, pour un même diplôme, peuvent cohabiter des enseignements conformes aux recommandations et à l’état des connaissances et des enseignements présentant l’autisme comme une psychose, selon des données obsolètes, ou présentant des interventions non recommandées (3i, packing...). Ceci peut être enseigné par un même intervenant ou par des intervenants différents. Des établissementsde formation présentent cette approche comme « plurielle », « pluri référentielle » « humaniste».

Au sein d’un même organisme de formation, peuvent cohabiter un enseignement en phase avec les recommandations pour un diplôme et un qui ne l’est pas pour un autre diplôme.

Certains contenus semblent être des « copiés collés» de cours existant par ailleurs, ce qui interroge sur les contenus réels.

Des contenus ou lettres d’intention en faveur des recommandations cohabitent avec une bibliographie aux références théoriques exclusivement anciennes présentant l’autisme comme une psychose.

Des auditeurs font état d’un « saupoudrage de connaissances actualisées au sein de programmes éclectiques »,

Plusieurs établissements de formation sont en opposition frontale avec l’état des connaissances et la démarche préconisée dans les recommandations de bonnes pratiques professionnelles.

Les auditeurs relèvent souvent l’absence de contenus portant sur :

  • Les adultes avec autisme, l’autisme étant la plupart du temps présenté uniquement dans le cadre de l’enfance.
  • Les évaluations du fonctionnement des personnes,
  • Les questions de santé,
  • La place de la famille.

D’un point de vue pédagogique, les auditeurs relèvent des approches souvent théoriques peu en lien avec la réalité du métier et de la pratique (particulièrement pour les supports à destination des AMP).

Néanmoins, des auditeurs ont relevé que certains établissements de formation proposant la formation AMP présentent un contenu de meilleure qualité.

Les auditeurs s’interrogent sur le profil des formateurs: quelle expertise, quelle expérience ont-ils de l’autisme ? Quelles formations ont-ils eu sur le sujet ?


Source : INSTRUCTION N° DGCS/SD4/2017/44 du 6 février 2017 relative au recueil national des contenus de formations délivrés pour les quatre diplômes suivants, en matière d'autisme : Diplôme d'Etat d'Educateur Spécialisé ; Diplôme d'Etat d'Educateur pour Jeunes Enfants ; Diplôme d'Etat de Moniteur Educateur ; Diplôme d'Etat d'Aide Médico-Psychologique. pp.2-3

L'instruction ne se limite pas à une restitution générale de l'audit, telle qu'elle est présentée ci-dessus. Chaque établissement reçoit le résultat de l'audit réalisé chez lui, avec pour la plupart un plan d'action à fournir pour le 31 mai 2017.

Généreusement, Marisol Touraine, ministre de tutelle de ces établissements, leur détaille en annexe un contenu de référence et une bibliographie.

Evidemment, je serai bien curieux de connaître l'audit de l'institut de formation au travail social qui :

  • pour la sélection d'entrée, fournit "La forteresse vide" de Bruno Bettelheim, comme un des deux livres à lire;
  • qui fait une information dite "plurielle" : un des 4 intervenants donne la dépression de la mère comme cause environnementale de l'autisme, s'emporte contre la persécution par les associations de familles, et un autre explique sans états d'âmes que toutes les mères d'autistes ont voulu tuer leur enfant - d'où l'autisme de l'enfant qui se protège ainsi.

Formation "Interventions en autisme"

Parallèlement, toujours dans le cadre du 3ème plan autisme, la question d'une formation complémentaire pour les différents diplômes de travail social a fait l'objet de travaux depuis 2015. La CPC (commission paritaire consultative) a mandaté un grouoe de travail pour élaborer :

  • Une formation conçue comme complémentaire aux différents diplômes du travail social portant sur une spécialisation dans le domaine de l’autisme.
  • Une formation certifiante portant sur les compétences spécifiques aux professionnels intervenant dans le domaine de l’autisme.

La CPC a validé le 11 juillet 2016 la formation "Interventions en autisme". Actuellement, le Ministère en est à la phase d'élaboration du cahier des charges pour les appels à candidatures pour assurer cette formation. Elle concernera les personnes en situation d'accompagnement de personnes avec autisme, quelles que soient leurs années d'expérience, ayant les diplômes suivants :

  • Pour le niveau V : Aide médico-psychologique, Auxiliaire de vie sociale, Accompagnant des élèves en situation de handicap, Accompagnant Educatif et social; Assistant familial
  • Pour le niveau IV : Moniteur éducateur, Technicien de l’intervention sociale et familiale ,
  • Pour le niveau III : Educateur spécialisé, Assistant de service social, Educateur de jeunes enfants, Educateur technique spécialisé , Conseiller en économie sociale et familiale..

La formation bénéficie d'une socle commun de 140 heures, avec un module spécifique de 35 heures pour les professionnels de niveau III ou IV. Un stage de 140 heures est prévu.

Le jury est composé d'un formateur et d'un expert (qui peut être un aidant familial ou une personne avec autisme).

Le besoin de professionnels formés

Avec une lenteur désespérante, cet audit avec ses suites, cette formation "interventions en autisme" témoignent de l'inadaptation des formations des professionnels actuels à l'accompagnement des personnes autistes, que ce soit pour les enfants ou pour les adultes.

Cela est évident dans les établissements ou services spécialisés TED ou TSA, qui doivent commencer par reformer les professionnels embauchés.

Cela est le cas aussi dans les établissements qu'on pourrait qualifier de "généralistes", mais qui comptent au moins un tiers de personnes avec troubles du spectre de l'autisme.

Par mesure de précaution, des directions d'associations gestionnaires procèdent au classement vertical des candidatures d'étudiants provenant d'établissements ou de services réputés (à tort ou à raison) comme ayant des enseignants psychanalystes.

"Vade retro Satanas", c'est aussi la réaction normale d'adultes ou de parents quand le psychologue du service cherche à fouiller la relation avec la mère. Après un diagnostic, il y a autre chose à faire qu'une nouvelle anamnèse.

Des mesures positives donc, mais trop longues à mettre en oeuvre.

Et n'oubions donc pas les psychologues, mais aussi les médecins, les psychomotriciens, les ergothérapeutes..., que ce soit dans les formations initiales, complémentaires ou de perfectionnement. Une mention pour les orthophonistes qui, de façon dispersée, évoluent plutôt favorablement.

5 avril 2017

Trajectoires de l'autisme et compréhension de sa diversité

5 avr. 2017
Par Jean Vinçot

Blog : Le blog de Jean Vinçot


Le suivi des trajectoires de l’autisme pourrait aider à la compréhension de sa diversité. C'est l'objet d'une étude présentée sur le site de Spectrum News. En France, la cohorte Elena travaille aussi sur le sujet.

Lors de la conférence scientifique internationale mise en place par Ségolène Neuville, il y a eu peu de réponses sur l'adaptation des interventions en fonction des spécificités de la personne autiste.

Josef Schovanec, de façon perçue comme provocante, a parlé, dans son rapport sur l'emploi des personnes autistes, du « mythe de 'l'autiste lourd' » (pp.11-12) : « Le cœur en admet une formulation simple bien qu'elle ne soit que rarement énoncée ainsi, à savoir que le devenir de la personne soit fixé à jamais dans un état, une nature profonde immuable. »

Nous ne nous résignons pas à un destin programmé. Combien de parents se sont vus asséner : « Votre fils est autiste, il ne fera jamais rien de sa vie ! » ?

Il est vrai qu'en suivant les prescriptions des hôpitaux de jour (psychanalyse, psychothérapie institutionnelle), le risque est de voir régresser chaque année l'enfant.

Pour les jeunes Asperger, les problèmes les plus difficiles peuvent intervenir au collège, avec le harcèlement scolaire, à l'entrée dans l'âge adulte, avec la chute de la scolarisation en 2ème année d'université, avec la dépression...

Des études de cohorte, comme celles d'ELENA, permettront peut-être de sortir du brouillard, pour mieux adapter les interventions.

En France, la cohorte ELENA

Cohorte ELENA Cohorte ELENA

 

Les trajectoires évolutives dans les Troubles du Spectre Autistique (TSA) apparaissent multiples mais on dispose de peu de connaissances pour expliquer une telle diversité.

Elles sont liées à de multiples facteurs derisque ou de protection, dont certains pourraient n’être détectés que sur la base de larges échantillons. Les suivis de cohorte permettent habituellement de capturer de manière rigoureuse les processus de changement et les patterns qui leurs sont liés. Pourtant, au plan international il existe peu de grandes cohortes d'enfants avec TSA et celles-ci sont rarement menées à long terme. ELENA est une cohorte pédiatrique, constituée dans une approche multithématique, interdisciplinaire et translationnelle afin d’améliorer la compréhension des trajectoires évolutives.

Le suivi des trajectoires de l’autisme pourrait aider à la compréhension de sa diversité

Stelios Georgiades

28 mars 2017 - Spectrum News

La plupart des chercheurs en autisme connaissent la phrase : « Si vous avez vu un enfant avec autisme, vous avez vu un enfant avec autisme. » Cette formule est souvent utilisée pour présenter la nature hétérogène de l’autisme, et elle a certainement influencé ma façon d’aborder la pathologie.

Mais une autre formule, cette fois d’un parent d’un adolescent avec autisme, m’a aussi marqué : « Quand mon fils de 3 ans a été diagnostiqué d’un autisme, je n’ai jamais pensé qu’il puisse un jour jouer dans l’équipe de basket de son école. »

 Cette parole illustre l’énorme diversité des trajectoires de développement des enfants avec autisme. Elle montre aussi le peu de connaissances en notre possession sur l’avenir d’un enfant au moment de son diagnostic.

Une bonne part de cette incertitude provient de la manière dont nous étudions l’autisme. Nous tendons à rassembler les enfants selon des caractéristiques qu’ils partagent à un moment donné, et assumons alors que les enfants dans un certain groupe suivront un développement parallèle. Mais les enfants se développent à des vitesses différentes, et leurs parcours de développement sont rarement linéaires.

Mes collègues et moi proposons le terme ‘chronogénéité’ pour décrire l’hétérogénéité des caractéristiques de l’autisme dans le temps1. En introduisant le concept de chronogénéité dans de grandes études sur l’autisme, nous pouvons mieux comprendre à la fois les caractéristiques communes de l’évolution chez les enfants avec autisme et les parcours des enfants réussissant mieux, ou moins bien, qu’attendu

Prévoir l’avenir

Les parents se posent beaucoup de questions quand leur enfant est diagnostiqué d’un autisme. Une des plus courantes est : « Que pourra faire mon enfant - ou pas - quand il sera plus âgé ? » Même les médecins les plus expérimentés répondent difficilement à cette question.

Pour résoudre ce manque dans notre connaissance, mes collègues et moi avons suivi un groupe de 400 enfants avec autisme, pendant ces douze dernières années, dans le cadre de l’étude Pathways in Autism Spectrum Disorders2. L’étude est conçue pour tracer les trajectoires de ces enfants et identifier les facteurs relatifs à leur développement depuis leur diagnostic jusqu’à l’adolescence.

Nous avons constaté que quelques enfants décrits comme ‘sévèrement atteints’ quand ils étaient jeunes parviennent plus tard, en termes de fonctionnement quotidien, à un résultat meilleur qu’attendu. Ils forment, par exemple, des amitiés stables et peuvent même intégrer une équipe sportive à l’école.

À l’inverse, quelques enfants initialement décrits comme étant dans ‘la partie douce du spectre’ peuvent ne pas établir des amitiés stables. Ils peuvent aussi souffrir d’anxiété ou d’autres difficultés plus tard.

En dépit des progrès dans la cartographie de la variabilité des trajectoires de groupes, nous ne savons toujours pas pourquoi quelques enfants semblent passer d’une trajectoire à une autre. Nous ne savons pas non plus quand cela se produit habituellement. La compréhension de ce phénomène est essentielle. Autrement, comment saurions-nous si les améliorations que montre un enfant pendant une intervention proviennent du traitement, et non d’un changement de développement qui aurait pu se présenter de toute façon ?

Amorce de conversation

Comme bien d’autres dans la communauté de l’autisme, j’ai réalisé que notre approche conventionnelle de l’exploration de l’hétérogénéité dans l’autisme a peu progressé dans la compréhension des causes de la pathologie et des modifications de ses caractéristiques dans le temps.

 Nous devons étudier les enfants d’une façon qui capture non seulement les différences entre eux à un temps donné, mais aussi les différences dans leurs trajectoires individuelles.

Le concept de la chronogénéité peut servir d’amorce de conversation pour cette évoution nécessaire de la façon dont nous concevons nos études et analysons nos données. Les chercheurs peuvent utiliser les méthodes statistiques pour explorer la chronogénéité dans les données existantes sur l’autisme.

Par exemple, notre équipe Pathways (Chemins) observe les données de notre cohorte depuis un angle différent : nous analysons la variabilité des changements au fil du temps aux niveaux du groupe et individuels. Ce faisant, nous essayons de déterminer quand et pourquoi - en examinant les facteurs associés - quelques individus dévient des trajectoires de leurs groupes et se ‘catapultent’ sur un nouveau chemin.

Nous espérons aussi que les chercheurs intègreront le concept dans la conception de futures études. Notre équipe de l’université McMaster, Ontario, Canada, lance une nouvelle étude conçue pour explorer la possibilité que la chronogénéité puisse renseigner la pratique clinique. Dans ce but, nous prévoyons de collecter des données génétiques, cliniques et socio-économiques, sur les enfants diagnostiqués d’autisme fréquentant notre clinique.

Nous envisageons d’utiliser ces données pour identifier les différents facteurs, dont les interventions, influençant la trajectoire d’un enfant dans cet environnement clinique. L’information pourrait aussi renseigner le traitement en cours d’un enfant, et la pertinence des essais cliniques. Nous envisageons de suivre 50 enfants, initialement pendant trois ans, en débutant au moment du diagnostic. Notre objectif éventuel est de suivre le développement de chaque enfant diagnostiqué dans notre clinique jusqu’à l’âge de 18 ans.

J’espère que nous pourrons atteindre un point auquel la recherche pourra expliquer comment un nourrisson présumé (comme devant connaître) de sérieuses difficultés sociales se transforme en un adolescent aimant faire partie d’une équipe de basket. En comprenant ces facteurs qui forment la trajectoire de développement d’un enfant, nous pourrons planifier nos parcours de soins en conséquence.

 

Stelios Georgiades Stelios Georgiades
Stelios Georgiades est professeur assistant de psychiatrie et de neurosciences comportementales à l’université McMaster, Ontario, Canada. Il est le fondateur et le co-directeur de la McMaster Autism Research Team.

Traduction par PY

––––––––––––––––––––––––––––––––

1 Georgia’s, S. et al. J. Child Psychol. Psychiatry In press

2 Szatmari P. et al. JAMA Psychiatry72, 276-283 (2015)

4 avril 2017

Autisme - 3/04/17 - Conférence scientifique internationale

3 avr. 2017
Par Jean Vinçot

Blog : Le blog de Jean Vinçot


Ségolène Neuville a décidé de réunir une commission scientifique internationale pour préparer les orientations du 4ème plan autisme. Quelles conclusions tirer de cette conférence ?

La commission est composée de :

  • Pr Tony CHARMAN, psychologue clinicien (King’s College - Royaume-Uni)
  • Pr Jonathan GREEN, pédopsychiatre (Université de Manchester - Royaume Uni)
  • Pr Christopher GILLBERG, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent (Université de Göteborg - Suède)
  • Dr Francesco CUXART, Docteur en psychologie (Université de Barcelone - Espagne)
  • Dr Pierre DEFRESNE, pédiatre, neuro-pédiatre, réadaptation fonctionnelle et professionnelle (Centre de Référence pour les Troubles du Spectre de l’Autisme "J-Ch Salmon" – Belgique)
  • Pr Herbert ROEYERS, Ph.D, spécialiste en psychologie clinique (Université de Gand – Belgique)
  • Pr Carmen DIONNE, Professeure psychologue (Université du Québec à Trois-Rivières - Canada)
  • Dr Annalisa MONTI, neuropsychiatre (Italie)
  • Pr Laurent MOTTRON, MD, Ph.D, psychiatre (Centre de Recherche en santé mentale de l’Université de Montréal – Canada)
  • Pr Kerim MUNIR, psychiatre (Hôpital pour enfants de Boston - USA)
  • Pr Fred VOLKMAR, psychologue (Université de Yale – USA) - absent ce 3 avril
  • Pr Catherine BARTHELEMY, pédopsychiatre (INSERM – France)
  • Pr Thomas BOURGERON, généticien (Université Paris Diderot / CNRS - France)
  • Pr Marion LEBOYER, psychiatre (UPEC – France)
  • Pr Nadia CHABANE, pédopsychiatre (Centre Cantonal Autisme – Suisse)
  • Pr Bernadette ROGE, psychologue (Université Jean Jaurès, Toulouse – France)
  • Pr Ghislain MAGEROTTE, psychologue (Université de Mons – Belgique)
  • Pr Amaria BAGHDADLI, pédopsychiatre (Centre Hospitalier Universitaire de Montpellier – France)
  • Dr Amaia HERVAS ZUNIGA , Ph.D, pédopsychiatre (Espagne)
  • Pr Francine JULIEN-GAUTHIER, Professeur de Sciences de l’Education (Québec, Canada)

Une première réunion par visioconférence avait eu lieu le 15 mars. Les associations représentant les personnes autistes et les familles avaient préparé collectivement des questions. Les 9 premières ont pu être discutées le matin, pendant une heure 30. L'ensemble de la conférence a été filmée, et devrait être mis en ligne sur le site du Ministère. Chacun pourra en juger.

Les questions posées

20170403-1
20170403-2

Remarques sur quelques points :

 1 - Psychanalyse


S'il y a bien un point où l'unanimité des experts s'est manifestée de façon évidente, c'est bien celle-là. Jonathan Green a rappelé qu'il n'y a aucune étude sur l'efficacité de la psychanalyse, et que les bases théoriques de la psychanalyse sont fausses. 

Il rappelera que la question des effets indésirables des pratiques est peu traitée, mais que la psychanalyse peut avoir des incidences négatives,  par ces théories et ce que l'on dit des parents. Il y a un consensus sur les risques potentiels de la psychanalyse.

La question sera réabordée en public à la conférence de l'après-midi. Kerim Munir se fera l'interprète de tous les experts pour écarter la psychanalyse dans l'autisme : "elle ne doit pas être remboursée par la sécurité sociale, ce serait jeter l'argent par les fenêtres !"

Nadia Chabanne interviendra sur les troubles de l'attachement, qui n'ont aucun parallèle avec l'autisme, sur le Syndrome de Munchausen "by proxy" qui n'a rien à voir avec ce trouble neurodéveloppemental. Les traits de caractère partagés par certains parents avec leurs enfants montrent qu'il y a une base génétique qui passe d'une génération à l'autre.

Elle s'appuie sur l'hétérogénéité de l'autisme et indique comme intervention d'abord les outils de communication fonctionnelle, la formation des parents (guidance parentale, coaching), le modèle de Denver - ESDM , l'ABA surtout en cas de déficience intellectuelle ou de troubles du comportement.

Un intervenant indiquera que la France est victime d'un ralentissement de la recherche, du fait du poids de la psychanalyse. La France est différente ... et "c'est problématique".

2 - Repérage et intervention précoces

Laurent Mottron indique qu'il faut découpler interventions et diagnostic. Le diagnostic peut intervenir plus tard. Catherine Barthélémy estime aussi nécessaire ce découplage pour les très jeunes enfants, ce qui ne doit pas empêcher d'accéder aux services spécialisés.

Amaria Baghdadli rappelle que cela faisait déjà l'objet d'un consensus dans les recommandaitons de 2005. Il faut identifier l'existence de troubles neuro-développementaux et inscrire une prise en charge dans une filière non spécialisée, telles que les CAMSP.

A l'interrogation de Tony Charman, Danièle Langloys répondra que depuis 2005 (recommandations HAS/FFP sur le diagnostic des enfants), le maillage territorial pour le diagnostic est inégal et défaillant, et qu'il n'y a pas d'intervention précoce dans la plupart des cas.

Munir, Magerotte, Dionne, Mottron, Monti, Green
Munir, Magerotte, Dionne, Mottron, Monti, Green

3 - Adaptation des interventions

Laurent Mottron s'appuie sur les recommandations de NICE (Grande Bretagne), privilégie la guidance parentale, estime qu'il n'y a pas d'effet dose (plus d'intervention donne plus de résultats) et qu'il n'est pas possible ni utile de donner 25 h d'intervention par semaine à chaque enfant, comme c'est préconisé par la HAS et au Canada.

Carmen Dionne indique qu'il faut réinvestir en soutien en milieu de vie naturel des enfants, soutenir le projet éducatif en milieu scolaire.

Pour Christopher Gillberg, il faut une approche individualisée. Les symptômes ne déterminent pas le résultat. Ce sont plus les troubles épileptiques, le trouble déficitaire de l'attention etc... qui peuvent donner une prévisibilité.

Jonathan Green est d'accord. Avant d'aller à l'école, il faut se concentrer sur le développement des bases sociales. Il faut traiter les comorbidités.

  • Note : sur la période pré-scolaire, il développe le contraire des thèses de Laurent Mottron, qui estime qu'il n'est pas prouvé que le développement de la socialisation doit avoir lieu entre 2-5 ans et que c'est d'autres compétences (comme l'exposition massive à la lecture) qui doivent être développées à cet âge.

Bernadette Roger insistera aussi sur l'intervention précoce en milieu naturel, dans les familles, à la crèche, à l'école, de façon intensive.

J'avoue que ces réponses me laissent sur ma faim. On voit que manifestement, les chercheurs n'apportent pas d'éléments déterminants pour préciser des interventions adaptées à certains "profils".

Mais la question des interventions va rebondir de façon curieuse lorsque la commission a rendu compte de ses travaux en séance publique. Ce sont Jonathan Green et Laurent Mottron qui sont venus présenter la position de la commission, "du consensus".

Jonathan Green indique qu'il n'y avait aucun modèle prouvé scientifiquement jusqu'à récemment, mais que çà commence à se faire depuis 10/15 ans. Un essai randomisé coûte 2 millions d'€ : K. Munir expliquera que c'est le coût de la prise en charge d'un autiste sur toute sa vie.

Laurent Mottron rebondit alors en critiquant les 25 h préconisés par la HAS, "cible commode". Il estime qu'il ne faut pas raisonner en intensité. Que le modèle de Jonathan Green de guidance parentale (le PACT) est efficace avec 30 h par an. Qu'il ne nécessite pas de renforcement positif . Selon lui, il faut commencer par une intervention immédiate avec les parents pour traiter les problèmes alimentaires, les troubles du sommeil, les crises. Et traiter seulement après les problèmes proprement dits de l'autisme.

Que cela ne représente pas le point de vue de tous les experts, "le consensus", se voyait sur les têtes de certains. Jonathan Green est le créateur du PACT, que promeut Laurent Mottron avec un argument économique détestable. Ce sont des scientifiques de sociétés riches qui étaient représentés là : les moyens d'investir existent. C'est un calcul à court terme de ne pas investir aujourd'hui, ce qui a pour conséquence d'entraîner demain de lourdes dépendances.

Carmen Dionne, du Québec aussi, a lourdement insisté ensuite sur le fait qu'il n'y avait pas de consensus entre experts sur l'intensité de la prise en charge. Et sur le fait de tenir compte des priorités de la famille dans l'intervention.

A part Laurent Mottron, seul Jonathan Green est intervenu dans ce sens ("il n'y a aucune preuve scientifique sur l'efficacité de l'ABA"), ainsi que l'expert britannique présent à la table ronde sur l'inclusion l'après-midi.

Militant principalement pour les personnes autistes de haut niveau (Asperger ou non), j'ai (dans mon association) peu pratiqué l'ABA de façon intensive. Nos associations militent essentiellement pour la scolarisation en milieu ordinaire, puissant moyen d'apprentissage des interactions sociales et préparation de l'avenir dans la vie adulte.  Le diagnostic est fait plus tardivement, et la scolarisation permet l'évolution. Cela n'empêche pas l'intérêt d'une pratique comme celle du réseau Epsilon à l'école, inspirée par l'ABA avec du matériel Montessori.

Il est assez fréquent que des enfants avec différents niveaux de sévérité des troubles liés à l'autisme se trouvent dans la même famille. Les interventions ne seront évidemment pas les mêmes. Il ne faudrait pas que sous un prétexte économique à court terme, les moyens ne soient pas mis sur ceux qui en ont le plus besoin.

Et quand je vois ce qu'arrive à faire la MAS de Saint-Sétiers (Corrèze), c'est grâce à l'analyse appliquée du comportement qu'elle arrive à réparer près de 10 années d'exclusion scolaire et sociale.

8 - Différence homme/femme

Laurent Mottron propose de travailler avec les CRA sur le sujet. Le diagnostic pour les femmes se fait plus tard, et il faut plus de signes. Il propose de relâcher en attendant les critères du DSM pour les femmes, d'abaisser le seuil du diagnostic.

Il préconise l'utilisation des auto-références féminines, qu'il estime solides et "sémiologiquement intéressantes". Les auto-références, ce sont les récits de vie rédigés par les personnes elles-mêmes dans le cadre du processus de diagnsoitc.

Christopher Gillberg va dans le même sens. Il utilise un questionnaire de 15 questions pour les femmes et jeunes filles. On ne sait pas si l'autisme est surreprésenté chez les hommes, en fait.

En Suède, depuis l'année dernière, le seuil de l'autisme est passé de 8 symptômes à 4.

Nouvel espace site internet

La conférence a été aussi l'occasion de nous montrer le déroulement de la mesure 39 du plan autisme, la communication, avec l'ouverture récente de l'espace accompagnants sur le site autisme du Ministère :

http://social-sante.gouv.fr/grands-dossiers/l-autisme/espace-accompagnants-10709/

Discours de Ségolène Neuville

Sur le site du Ministère

Ségolène Neuville - conférence scientifique internationale - 3 avril 2017
Ségolène Neuville - conférence scientifique internationale - 3 avril 2017

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A lire le commentaire de Danièle Langloys avant la conférence.

Pour la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme 2017, les familles espèrent plus qu'une simple conférence

2 avril 2017

Pour la journée mondiale de sensibilisation à l'autisme 2017, les familles espèrent plus qu'une simple conférence

article publié dans le Huffington Post

Faut-il vraiment une conférence internationale pour faire enfin ce qu'il faudrait faire pour les personnes autistes?

02/04/2017 07:00 CEST | Actualisé il y a 10 heures

Après les quelques espoirs vite douchés engendrés par le plan autisme 3, les familles constatent massivement les menaces qui pèsent sur leurs rares acquis. La notion de troubles neuro-développementaux semble largement absente du bagage scientifique de nombreux professionnels qui masquent leur ignorance sous des diagnostics farfelus de troubles de l'attachement, de la personnalité ou de psychose infantile. L'acharnement haineux contre les familles qui insistent pour avoir un diagnostic d'autisme se poursuit sous forme de vengeance: les parents et surtout les mères seules sont punies d'avoir contesté un diagnostic erroné et risquent de se faire retirer leurs enfants.

Ce 2 avril 2017 a un goût très amer. Mobilisés depuis plusieurs mois pour la naissance d'un plan 4 qui aurait pu accélérer les transformations d'un système verrouillé, nous voyons cet espoir s'envoler, du moins dans un avenir proche. Le cabinet ministériel qui aurait pu le porter s'en tient prudemment à une conférence scientifique internationale à laquelle les associations n'ont même pas pu assister et qui va résumer ses travaux en une demi-heure le 3 avril. Faut-il vraiment une conférence internationale pour faire enfin ce qu'il faudrait faire pour les personnes autistes? Les familles et les professionnels compétents qui les soutiennent, car il y en a, sont d'abord les victimes de l'absence totale de courage politique à gauche comme à droite, pour régler une bonne fois pour toutes les problèmes liés à l'autisme.

En France, on gaspille l'argent public, mais ce n'est pas un souci: la Cour des Comptes est censée s'intéresser à cette question depuis des mois; il y a des années qu'elle aurait dû le faire, ainsi que les parlementaires. Nous parents sommes aussi des citoyens et avons le droit de demander des comptes sur l'usage de l'argent de nos impôts, alors que nous ne trouvons pas les services nécessaires et devons les payer de notre poche. Gageons d'ailleurs que la Cour des Comptes ne fera que compter, ce qui est son travail, et ne fera pas avancer l'exigence de qualité en autisme, pourtant indispensable. Il faut être compétent pour être efficace, et utiliser à bon escient l'argent du contribuable. Mais pas de problème: en toute impunité, on peut dans les hôpitaux de jour ou autres services publics, faire de la pataugeoire, de l'atelier-contes, du packing, au lieu d'aider les enfants autistes à développer communication sociale et autonomie. Les hôpitaux de jour devaient être inspectés? Mais non, sauf exceptions, on s'en tient à des visites informelles appuyées sur une grille d'analyse non rendue publique. Pas question de heurter la toute-puissance du lobby psychiatrique.

Bien entendu, en France, il est impossible d'obtenir les statistiques sur les personnes concernées. Un exemple? Impossible d'avoir les chiffres des personnes autistes indûment hospitalisées. Le seul chiffre existant, il faut aller le chercher dans la vidéo de l'audition de la France au Comité ONU des droits de l'enfant en 2016, où on découvre que 10.000 enfants diagnostiqués autistes (plus tous ceux sans diagnostic) étaient dans des hôpitaux de jour, massivement déscolarisés donc, au mépris de la loi. Alors, fonctionnaires du ministère de la Santé, donnez-nous ces chiffres!

En France, pour l'autisme, on privilégie les croyances, alors que dans d'autres pays qui n'ont pas forcément nos moyens, on essaie d'être pragmatique, cohérent et de répondre aux besoins des personnes autistes en s'appuyant sur des preuves scientifiques, ou l'expertise des professionnels et des usagers. Hélas, le verbiage indigent des psychanalystes continue à faire la loi: la pseudo-souffrance psychique du "sujet" autiste, qui n'accède pas au statut de personne, l'impitoyable déterminisme qui lui fait choisir d'être autiste pour fuir son environnement social et sa mère trop froide ou trop fusionnelle, sa réduction à son corps ou à de supposées angoisses archaïques: ces scandaleuses inepties continuent à structurer les formations à l'autisme partout, des médecins, des psychologues, des travailleurs sociaux, des infirmiers...Une véritable gangrène.

Bientôt 30 ans que notre association, Autisme France, demande la refonte de toutes les formations: nous n'avons jamais rien obtenu. Les psychanalystes organisent leur lobbying partout, à l'Assemblée Nationale, dans les médias, dans les ministères, dans l'indifférence et la complicité collectives. En France, chacun confond psychiatre, psychanalyste, psychologue, et s'imagine que la psychanalyse c'est le soutien psychologue alors que ce déterminisme condamne les humains à leur inconscient réduit à la sauce freudo-lacanienne, car l'inconscient cognitif c'est quand même autrement intéressant. La violence est la même que pour le diagnostic: vous ne voulez pas de la psychanalyse, vous l'aurez de force. Excellente définition de la dictature, non? La psychanalyse devrait être réservée à des adultes consentants et éclairés. L'imposer par la force à des personnes vulnérables est une violation indigne de l'éthique de la plus élémentaire.

Alors que chacun fasse enfin son travail: Education Nationale, formez enseignants et intervenants en autisme, recrutez psychologues, orthophonistes et éducateurs; et arrêtez de dire qu'il ne faut pas tripler le mammouth: il faut le décongeler, le mammouth, sans plus. Demandez l'argent gaspillé dans les hôpitaux de jour: la place de nos enfants est à l'école, dans des parcours diversifiés. Administrations centrales, mettez-vous au travail: rendez publiques les statistiques existantes sur l'autisme, établissez les autres. Dotez la France de cohortes épidémiologiques dignes de ce nom en demandant l'aide du Pr Fombonne: les deux seules qui existent en France ont des biais majeurs et sont inutilisables; 0, 36 % de prévalence de l'autisme en France, alors que partout c'est entre 1 et 1, 5%: combien de temps encore allons-nous continuer à être la risée du monde entier?

Revoyez les outils de classification des handicaps qui ignorent l'autisme, refaites de fond en comble les formations initiales, aidez à mettre en œuvre une certification autisme des établissements et services qui garantisse leur qualité et leur réponse précise et efficace aux besoins des personnes autistes.

Candidats à la présidentielle, faites de l'autisme un enjeu majeur de santé publique et de société: c'est une urgence absolue.

27 mars 2017

Autisme. Deux étudiants brestois témoignent

Publié le 27 mars 2017 à 13h19

Et de trois ! Guillaume Alemany et Raven Bureau, étudiants en histoire et en psychologie, ont à nouveau réuni un grand nombre de participants à leur conférence sur l'autisme, jeudi soir, introduite par la psychologue Pascale Planque. Tous deux ont parlé de leur autisme, détaillé leur parcours semé d'embûches avant d'être diagnostiqué, et de leur vie aujourd'hui.



Quand avez-vous été diagnostiqués autiste et quel a été votre parcours ?
Guillaume : j'ai été diagnostiqué à 27 ans, j'ai été scolarisé en milieu ordinaire, avec des difficultés pour m'intégrer dans les groupes, j'ai redoublé deux fois, j'ai eu mon bac de justesse. Le principal souci, dans les codes sociaux, c'est de ne pas savoir quand prendre la parole. J'ai eu des difficultés après un échec en fac de droit, j'ai fait une dépression. J'ai travaillé en usine en intérim. Ensuite, je suis parti à l'étranger, des voyages qui étaient des fuites en avant, j'ai été SDF en Australie, puis je suis allé en Asie du Sud-est, tout ça entre mes 22 et mes 25 ans. Quand je suis revenu ici, on m'a parlé du centre de ressources autisme.

Raven : J'ai 24 ans et j'ai été diagnostiqué à 21 ans. Placé à l'Aide sociale à l'enfance, quand j'avais 16 ans, je suis parti de chez mes parents parce que cela ne se passait pas bien, et à l'école non plus. C'était le harcèlement scolaire dans toute sa splendeur, je me faisais insulter et taper dessus. Pour apprendre les codes sociaux, j'avais mes petits carnets où je notais tout, comme un petit anthropologue de la cour de récré. Personne ne me croyait, et la juge des enfants non plus, qui m'a envoyé en hôpital psychiatrique pendant presqu'un an. Après avoir été diagnostiqué, j'ai demandé mon dossier d'hospitalisation et j'y ai trouvé tous les critères de l'autisme. Mais les psychiatres ne l'avaient pas vu. Après mon bac L, je me suis inscrit en philo, mais je n'ai pu suivre qu'un semestre faute d'argent, je ne savais pas que j'avais droit aux bourses. J'ai fait ensuite un CAP de fleuriste et travaillé en usine. Finalement, on m'a conseillé un psy à Brest, qui m'a dit d'aller au centre de ressources autisme, et j'ai été diagnostiqué. Maintenant, je suis en deuxième année de psychologie à l'UBO.

Que ressent-on après le diagnostic ?
Guillaume : Je ne voulais pas de l'étiquette handicapé, mais ce que je voyais comme une défaite est devenue une sorte de libération. J'ai mis un mot sur mes problèmes, j'ai rejoint l'association Asperansa, et j'ai proposé la mise en place de groupes d'habileté sociale pour les jeunes. Aujourd'hui, à 30 ans, je suis étudiant en troisième année d'histoire et coprésident d'Asperansa. À la fac, nous venons de créer, lundi dernier, Handicapable, association d'étudiants en situation de handicap à l'UBO.

Raven : Ce qu'on ressent est ambivalent, c'est le stigmate du handicap, c'est officiel, mais on retrouve enfin une cohérence biographique. On revoit toutes les expériences bizarres qu'on a pu avoir dans notre vie sous un nouvel éclairage. Comme cette fille à la chorale qui m'avait demandé de changer de place parce qu'elle avait peur du micro, j'avais 12 ans, mais je n'ai compris qu'à 21 ans qu'elle me disait qu'elle était timide et ne voulait pas être trop proche du micro. Moi, pendant trois ans, je lui ai demandé, à chaque fois, si elle était bien et assez loin du micro, dont je pensais toujours qu'elle avait vraiment peur.

Pourquoi faire ces conférences ?
Raven : pour lutter contre l'ignorance, pour que le mot autiste ne soit plus une insulte. J'explique comment ça impacte ma vie, même si j'entends toujours dire que je n'ai pas l'air autiste. L'invasion de sons et d'images est difficile à traiter, cela amène à des comportements comme compter pour tenter de contrôler son environnement. La synesthésie fait que, quand je parle ou quand j'entends quelque chose, le texte s'écrit devant mes yeux comme des sous-titres et la musique a des formes et des couleurs en plus des sons. Dès que je suis dans un milieu où il y a un peu de bruit, c'est vite trop, c'est compliqué de se concentrer. J'adore aller au Hellfest, c'est hyperintense, c'est plein de formes et de couleurs, pas besoin de LSD, même si je mets trois mois à m'en remettre.

Des questions vous ont choqué ?
Guillaume : même si c'est en voie de disparition progressive, certains renvoient encore aux thèses de Lacan, dans les années 70, pour qui l'autisme était dû aux relations avec la mère, et Bettelheim est allé encore plus loin en comparant les autistes à des animaux en cage. On a eu des questions lors des deux premières conférences, on leur a juste répondu qu'il ne fallait pas croire à tout ce qui se disait sur Internet, ni même en cours ! Il y a encore des professeurs de la faculté de Brest qui relaient ces thèses.

26 mars 2017

La vérité narrative de "La liste de Freud" de Smilevski

22 mars 2017
Par Jacques Van Rillaer
Blog : Le blog de Jacques Van Rillaer


Le roman de Smilevski "La Liste de Freud" a connu un succès considérable, à la fois par le nombre des lecteurs et quelques critiques acerbes, dont la plus virulente est celle d’É. Roudinesco. Nous résumons le contenu du livre, puis nous analysons des calomnies dont Smilevski a été l’objet. Nous montrons la "vérité narrative" de l’ouvrage, forme de vérité chère à bon nombre de psychanalystes.

La Liste de Freud [1]de l’écrivain macédonien Goce Smilevski a connu un succès considérable. Ce roman, traduit en 25 langues, a été récompensé par le Prix européen pour la Littérature et le Prix pour la Culture méditerranéenne.

L’auteur a imaginé un récit fait par Adolphina, une des cinq sœurs de Freud. Il a donné la parole à cette femme restée dans l’ombre, abandonnée, et à d’autres qui ont subi le même sort : Ottla Kafka et Clara Klimt. Le récit commence par l’entrée des Nazis en Autriche. De nombreux flashs back racontent les relations d’Adolphina avec Sigmund et évoquent des théories du célèbre Viennois. Smilevski évoque, entre autres thèmes, la vie dans les hôpitaux psychiatriques de l’époque, l’éducation juive des femmes, les souffrances subies par les Juifs, l’atmosphère des prisonniers dans les camps de concentration, la mort dans les chambres à gaz.

Le titre original de l’ouvrage est La sœur de Freud. Il a été traduit en anglais Freud’s sister : A novel. Les éditions Belfond, peut-être par souci commercial, ont titré : La liste de Freud. (Rappelons que c’est généralement l’éditeur, plutôt que l’auteur, qui décide in fine d’un titre). Cette expression rappelle le roman et le film La liste de Schindler. Elle se justifie ici par un fait peu connu, mis en évidence par Smilevski.

En mars 1938, les Nazis sont entrés en Autriche. L’appartement de Freud et les archives des publications psychanalytiques ont été fouillés par la Gestapo à la recherche de documents antinazis. Anna Freud a été détenue une journée entière par la Gestapo. Ernest Jones, le biographe attitré de Freud, assure que « ce fut certainement le jour le plus sombre de la vie de Freud »[2]. Voyant les désastres qui s’annonçaient, Freud, d’abord réticent à quitter Vienne, a fini par fuir en Angleterre. Peter Gay, auteur d’une des plus célèbres biographies de Freud, a longuement décrit ce qui s’imposait alors à la vue de Freud : « Le règne de la terreur s’instaure, un mélange immonde de purges ordonnées par l’envahisseur et d’un déchaînement de terrorisme spontané de la population locale : la traque aux sociaux-démocrates et aux dirigeants modérés de l’ancienne droite, et surtout la chasse cruelle aux Juifs. […] Les bandes de voyous qui pillaient les appartements juifs et persécutaient les commerçants agissaient de leur propre chef et y prenaient le plus vif plaisir. […] Les incidents qui se multiplièrent dans les rues des villes et des villages d'Autriche au lendemain de l'invasion dépassèrent en horreur tout ce qu'on avait pu voir dans le Reich hitlérien »[3].

Freud et des personnes de son choix s’échappent

Jones et la princesse Marie Bonaparte, arrivés à Vienne, ont cherché à obtenir des visas pour Freud et pour des personnes qui lui étaient chères. Ils ont pris contact notamment avec l’ambassadeur des États-Unis en France, William Bullitt (co-auteur avec Freud du livre Thomas Woodrow Wilson. A psychological study). Le président Roosevelt a demandé à son ambassadeur à Berlin de s’occuper personnellement du départ de la famille Freud pour Paris [4]. Jones écrit que Mussolini, « qui s’était probablement souvenu du compliment que Freud lui avait fait quatre ans auparavant », intervint directement auprès d’Hitler ou de son ambassadeur à Vienne [5]. Dès lors Freud put établir une liste de personnes pouvant s’exiler avec lui : notamment sa femme, sa très chère belle-sœur, sa fille et sa compagne, ses gendres, deux bonnes, son chow-chow, un médecin et sa famille. De plus, écrit Jones, « tous ses meubles, ses livres et ses antiquités arrivèrent sans encombre à Londres, le 15 août, et dans son vaste cabinet de consultation, ou bureau, tout était merveilleusement bien arrangé pour mettre en valeur les objets qu'il aimait tellement ; la maison était plus spacieuse que leur appartement de Vienne et Ernst s'était même arrangé pour installer un ascenseur » [6]. Mme Roudinesco précise que des trois milliers d’antiquités grecques, romaines et égyptiennes, deux mille seront emportés en Angleterre [7]. Ces antiquités, évidemment, valaient une fortune.

 

La spacieuse maison de Freud à Londres, actuellement Freud Museum La spacieuse maison de Freud à Londres, actuellement Freud Museum

Ernest Jones, l’ami et biographe officiel de Freud, écrit : « N'ayant aucun espoir de pouvoir subvenir à leurs besoins à
Londres, Freud avait dû laisser ses vieilles sœurs, Rosa Graf, Dolfi Freud, Marie Freud et Paula Winternitz à Vienne, mais lorsque le danger nazi se fit plus proche, son frère Alexander et lui leur donnèrent la somme de 160 000 schillings autrichiens (environ 22 400 dollars) somme qui devait suffire pour leur vieillesse, à condition de ne pas être confisquée par les nazis 
». Il ajoute : « Par bonheur, il ne sut jamais ce qu'il advint d'elles : elles moururent dans les fours crématoires quelque cinq années plus tard » [8]. Dans sa biographie louangeuse de Freud, longue de 902 pages, Peter Gay ne consacre que trois phrases à ce destin : « Quatre sœurs de Freud sont restées à Vienne. Il leur a laissé 160 000 shillings — soit plus de 20 000 dollars, une somme considérable. Pourtant, dans cette Autriche soumise au brutal régime nazi, l’incertitude règne, et on ignora ce qu’il adviendra de cet argent, encore moins ce qu’il adviendra des quatre vieilles dames » [9]. On peut s’étonner de la fin de la 3e phrase (on ignore ce qu’il adviendra des dames), car ce psychanalyste dévot a évidemment trouvé chez Jones ce qu’il a écrit dans la première phrase (la somme d’argent) en y ajoutant le qualificatif « considérable ». Relisons encore Jones pour constater que Gay omet le délai du don et la participation d’Alexandre. Comme Mme Roudinesco, Gay est un psychanalyste qui fait œuvre d’hagiographie.

Quelques semaines après son arrivée à Londres, Freud fit son testament: « Dans le testament que Freud signe le 28 juillet 1938, et qui fut authentifié le 1er décembre 1939, dont les exécuteurs testamentaires sont Martin, Ernst et Anna Freud, il distribue ses biens entre sa veuve et ses enfants, en faisant parts égales : il laisse par ailleurs trois cents livres sterling à sa belle-sœur Minna, et à Anna, toute sa collection d'antiquités et sa bibliothèque de psychologie et de psychanalyse » [10]. Rien pour les pauvres sœurs restées dans l’enfer nazi.

Élizabeth Roudinesco scandalisée

Les quelques caciques de l’intelligentsia parisienne outrés par le livre de Smilevski sont ceux qui avaient été scandalisés par les révélations sur la liaison de Freud avec la belle-sœur qui vivait sous son toit. À leur tête, Mme Roudinesco. Michel Onfray ayant évoqué ce qui était, déjà du vivant de Freud, un secret de Polichinelle, Mme Roudinesco avait consacré à peu près un quart de ce qu’elle avait écrit, dans le petit opuscule censé objecter à Onfray, pour nier cette possibilité [11]. Comme le note Borch-Jacobsen, « il n’y a de scandale que pour les freudiens » [12]. On peut préciser : pour certains freudiens, car par exemple Jacques-Alain Miller déclare à ce sujet : « La morale de Freud se dégage de sa forme de vie : une vie de travail acharné, d'ambition, assez étriquée sur le plan sexuel, qu'il ait ou non couché avec sa belle-sœur (ce que je lui souhaite) » [13]. Une accumulation d’indices semble bien montrer que le souhait de Miller a été une réalité [14].

Mme Roudinesco et les quelques autres freudiens offusqués sont ceux qui alimentent le mythe d’un Freud modèle de vertu. Une raison essentielle pour affirmer envers et contre tout que Freud était un homme parfaitement fiable et intègre, à tous points de vue, est d’assurer la validité de ce qu’il a dit et écrit : la fiabilité de ses observations, la rigueur de ses interprétations, la vérité des prétendues guérisons. La psychanalyse freudienne étant une discipline qui repose essentiellement sur le témoignage du fondateur, « il est crucial pour la théorie qu’il ait été un témoin d’une probité et d’une impartialité absolues, faute de quoi tout l’édifice s’écroulerait » [15].

Calomnier pour dissuader de lire

Mme Roudinesco n’a pas hésité à calomnier Smilevski en espérant décourager la lecture de son livre. C’est la stratégie qu’elle avait utilisée pour Le Livre noir de la psychanalyse, avant même sa parution. Comme on peut le lire dans Pourquoi tant de haine ? Anatomie du Livre noir de la psychanalyse en page 5, sa critique « a été diffusée sur plusieurs sites le 28 août 2005 », c’est-à-dire plusieurs jours AVANT la sortie du livre. Se basant sur quelques pages du livre reçues par une journaliste de L’Express, elle avait écrit un chapelet de stupidités. Par exemple qu’on affirmait dans Le Livre noir que « Marilyn Monroe avait été suicidée par ses psychanalystes » … alors que ce nom apparaissait nullement dans les 830 pages du livre ! Elle n’a même pas pris la peine de supprimer ce genre d’allégations fantaisistes dans l’opuscule qu’elle a publié après la parution du livre. Moins d’une semaine après la sortie du Livre noir (830 pages !), elle lançait dans L’Express une vingtaine de critiques plus absurdes les unes que les autres :

http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1424

Revenons à Smilevsi. Sous le titre « L’épouvantable Dr. Freud », Mme Roudinesco écrit dans Le Monde, un journal où elle règne en maître sur la rubrique psy depuis des années : « Smilevski prend appui dans son roman sur un prétendu épisode méconnu de la vie de Sigmund Freud afin de montrer que le fondateur de la psychanalyse était un misogyne pervers, fasciné par le nazisme, obsédé par l'argent et la masturbation : en bref, un répugnant personnage » [16].

J’ai cherché en vain des passages où Freud est décrit comme « un misogyne pervers, fasciné par le nazisme, obsédé par l'argent ». Dans ce livre de 273 pages, je n’ai trouvé qu’un seul petit passage où il est question de masturbation — 9 lignes exactement — et seulement une phrase explicite sur cette activité de Freud adolescent : « sa main droite glisse sur son ventre à un rythme régulier » (p. 61). À vrai dire Freud était effectivement obsédé par la masturbation, mais Smilevski n’a absolument pas évoqué cette obsession, que chacun peut lire chez Freud. Rappelons que Freud écrit en 1897 à son ami Fliess : « La masturbation est l'unique grande habitude, I’“addiction originaire” [Ursucht], et c'est seulement en tant que substitut et remplacement de celle-ci qu'apparaissent les autres addictions — à l'alcool, à la morphine, au tabac, etc. » [17]. L’année suivante, il explique par la masturbation toutes les neurasthénies (on dirait aujourd’hui « dépression » ou « syndrome de fatigue chronique ») [18]. En 1908, il affirme : « Si une hystérique est mise en colère, elle a une crise. C’est un substitut de la masturbation. Elle a une crise d’hystérie dans les mêmes circonstances qui la poussaient avant à se masturber » [19]. Il affirme que la masturbation corrompt le caractère (« car elle apprend à atteindre des buts importants sans se fatiguer »), prédispose à la névrose et même à la psychose [20]. Trente ans plus tard, même discours. Ses toutes dernières lignes contiennent cette phrase : « L'ultime fondement de toutes les inhibitions intellectuelles et des inhibitions au travail semble être l'inhibition de l'onanisme enfantin » [21].

En 1901, Fliess faisait cette critique à Freud (qui allait se fâcher au lieu de réfléchir) : « Le liseur de pensées ne fait que lire chez les autres ses propres pensées » [22]. On se demande si, en écrivant que Smilevski fait de Freud un obsédé de la masturbation, Mme Roudinesco n’a pas cru lire chez cet auteur les pensées de Freud ou sa propre obsession.

« Pas de chambres à gaz »

Jones écrit que les quatre femmes « moururent dans les fours crématoires quelque cinq années plus tard ». Cela devient chez Smilevski : des chambres à gaz. Mme Roudinesco a le plaisir de prendre Smilevski en défaut sur cette sinistre question. Elle déclare : « Toutes les sœurs de Freud ne sont pas mortes gazées puisqu'Adolfine est morte de dénutrition à Therensienstadt où il n'y avait pas de chambres à gaz » [23]. Smilevski a-t-il été négligeant dans ses recherches historiques, qu’il dit avoir menées pendant plusieurs années, ou a-t-il simplement voulu se positionner sur cette très délicate question ? Mme Roudinesco veut-elle souligner que la mort d’Adolphine a été plus horrible que ce qu’écrit Smilevski ? [24] Quoi qu’il en soit, le roman de Smilevski est criant de vérité et on ne peut que difficilement comprendre que Mme Roudinesco ou d’autres psychanalystes invoquent cette question pour le salir.

La vérité narrative

Smilevski indique clairement avoir écrit un roman, mais il est sans doute plus près de la vérité historique que ne l’est par exemple Freud dans ses histoires de cas. Celui-ci écrivait d’ailleurs : « Cela ne cesse de me faire à moi-même une impression singulière de voir que les histoires de malades que j’écris se lisent comme des nouvelles et sont pour ainsi dire privées de l’empreinte de sérieux de la scientificité » [25] ou encore, à propos de Dora, le plus célèbre de ses cas : « L’histoire de la malade, je l’ai rédigée de mémoire qu’une fois la cure achevée, tant que mon souvenir était encore frais et renforcé par l’intérêt d’une publication. La rédaction par conséquent n’est pas absolument fidèle — au sens photographique —, mais elle peut revendiquer un haut degré de fiabilité » [26]. Quand on compare la publication du cas de l’Homme aux loups avec les notes prises durant la cure, on constate que Freud transformait des faits pour prouver ses théories [27].

Les psychanalystes disent volontiers que ce qui importe in fine dans une analyse, ce n’est pas la vérité historique, mais la « vérité narrative », l’histoire telle qu’elle est construite à partir de quelques éléments. Le psychanalyste américain Donald Spence a écrit l’ouvrage de référence sur le sujet. Un de ses articles dans la Revue Française de Psychanalyse fait une excellente mise au point. Il écrit en guise d’introduction : « Traditionnellement, la force de la position psychanalytique a plutôt reposé sur la persuasion rhétorique que sur le recours aux données — une tradition fortement influencée par Freud qui n’a jamais estimé nécessaire de révéler tous les faits observés pour une interprétations particulière. Quelles qu’aient été les raisons de sa réticence, il a par la suite rationalisé cette tendance en affirmant que si le lecteur n’était pas porté à accepter sa formulation, des données supplémentaires ne le feraient guère changer d’avis » [28].

Jacques-Alain Miller, dans un débat avec Michel Onfray, ironise quand Onfray évoque des faits. Il déclare : « Votre opposition entre l'histoire et la légende me paraît sommaire.
Vous êtes une créature étrange, un nietzschéen positiviste, qui rend un culte aux soi-disant “faits”, à ce que Nietzsche appelait “l’histoire antiquaire”. La psychanalyse apprend à ne pas céder à cette illusion. Les faits bruts n'existent pas, tout est légende depuis le début 
» [29]. Last but not least, Mme Roudinesco elle-même, dans une vidéo publicitaire pour sa biographie de Freud, précise qu’elle a « raconté la vie de Freud comme un roman, à mi-chemin entre Stefan Zweig et Thomas Mann » [30]. Faut-il rappeler que Mme Roudinesco apparaît souvent comme une conteuse plus que comme une historienne universitaire. A titre d’exemple, 20 légendes de son cru : http://esteve.freixa.pagesperso-orange.fr/roudinesco_legendes_jvr.pdf

et une analyse de son « Freud », un Freud bien à elle : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2368

Smilevski a écrit un roman qui illustre parfaitement le manque de compassion de Freud, que celui-ci a clairement fait savoir au moins en ce qui concerne ses relations aux patients. Il écrivait dans La question de l’analyse profane : « Je ne sache pas que dans mes premières années j'aie eu le moindre besoin d'aider les hommes souffrants. […] J'estime pourtant que mon manque de véritable disposition médicale n'a pas beaucoup nui à mes patients. Car il ne profite guère au malade que, chez le médecin, l'intérêt thérapeutique soit marqué d'un trop grand accent affectif. Le mieux pour lui est que le médecin travaille froidement et le plus correctement possible » [31].

Le roman illustre également le phallocratisme de Freud, rendu en ces termes par le fidèle Theodor Reik : « Je fus souvent surpris par l'attitude de Freud envers les femmes. Il est certain qu'il ne partageait pas avec les Américains le concept d'égalité entre les sexes. II était bien d'avis que c'était à l'homme de prendre le pouvoir dans la vie conjugale » [32]. Et Mme Roudinesco d’ajouter : « Le destin des filles, disait Freud, est de quitter père et mère pour se soumettre à l’autorité du mari » [33].

No comment

Les affirmations de Mme Roudinesco et quelques autres sur le livre de Smilevski sont de mauvaise foi. Ayant participé à la rédaction du Livre noir de la psychanalyse, je sais ce qu’il en coûte d’oser toucher à la réputation de Freud : des dévots du freudisme vous taxent d’emblée « antisémite » ou « fasciste », du moins en France (en Belgique, je ne connais que le romancier Pierre Mertens, ami de Roudinesco, qui a eu recours à l’accusation d’antisémitisme). Même si l’usage qu’ont fait É. Roudinesco et Bernard-Henri Lévy du terme « antisémitisme » en a affadi le sens, il me déplairait fortement d’en être étiqueté. Je ne laisse donc pas ici la possibilité de commenter. Pour se faire une idée du triste niveau d’accusations que j’aurais subies, je renvoie aux 150 commentaires qui ont suivi l’article de Dominique Conil sur ce roman de Smilevski : https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/270913/freud-einstein-attention-genies

Deux sites pour d’autres publications de J. Van Rillaer sur la psychologie, la psychopathologie, l'épistémologie, les psychothérapies, les psychanalyses, etc.

1) Site de l'Association Française pour l'Information Scientifique: www.pseudo-sciences.org

2) Site de l'université de Louvain-la-Neuve

1° Taper dans Google : Moodle + Rillaer + EDPH

2° Cliquer sur : EDPH – Apprentissage et modification du comportement

3° Cliquer “Oui” à la page suivante : Règlement

Références

[1] Belfond, 2013, 278 p. Réédition, Coll. 10/18, 2015, 264 p.

[2] La vie et l'œuvre de Sigmund Freud. Trad., PUF, 1969, vol. III, p. 255.

[3] Freud. Une vie. Trad., Hachette, 1991, p. 712.

[4] Ibidem, p. 717.

[5] Jones, Op. cit., p. 252.

[6] Ibidem, p. 265. Pour voir cette magnifique demeure, il suffit de taper dans un moteur de recherches : « Freud + London + maison ».

[7] Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre. Seuil, 2014, p. 314.

[8] Jones, Op. cit., p. 263.

[9] Gay, Op. Cit., p. 724.

[10] Gay, Op. cit., p. 705.

[11] Mais pourquoi tant de haine ? Seuil, 2010. L’ouvrage comporte 90 pages, mais seulement 62 sont de Mme Roudinesco. 14 pages sont consacrées à ce qu’elle affirme être « une rumeur ».          Pour une analyse de cet opuscule : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1424

[12] Borch-Jacobsen, M. (2010) D’Œdipe à Tartuffe : l’affaire Minna. In C. Meyer et al., Le livre noir de la psychanalyse. Les Arènes, 2e éd., p. 163.

[13] Miller, J.-A. & M. Onfray, M. (2010) Débat “En finir avec Freud ?”. Philosophie magazine, n° 36, p. 15.

[14] Borch-Jacobsen, Op. cit.

[15] Ibidem.

[16] http://www.lemonde.fr/livres/article/2013/09/20/l-epouvantable-dr-freud_3480635_3260.html

[17] Lettre du 22-12-1897, p. 365.

[18] La sexualité dans l'étiologie des névroses (1898) Œuvres complètes. PUF, III, p. 215-240.

[19] 11-11-1908. In Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, vol. 2, Gallimard.

[20] La morale sexuelle “culturelle” et la nervosité moderne (1908). Œuvres complètes, PUF, VIII, p. 214s.

[21] Résultats, idées, problèmes (1941). Trad., Œuvres complètes, PUF, 2010, XX, p. 320.

[22] S. Freud, Lettres à Wilhelm Fliess. Trad., PUF, 2006, p. 564.

[23] http://www.huffingtonpost.fr/2013/09/19/freud-liste-soeurs-roudinesco_n_3953918.html

[24] On peut estimer qu’être affamé jusqu’à en mourir est pire que mourir asphyxié en quelques minutes. C’était la justification des Nazis. Ils répétaient que la mort par le gaz était une « euthanasie », « une mort miséricordieuse », « une mort sans douleur ». Cf. H. Arendt (1966) Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal. Gallimard, p.124-127.

[25] Études sur l’hystérie (1895) Trad., Œuvres complètes. PUF, II, p. 182.

[26] Fragment d’une analyse d’hystérie (1905) Trad., Œuvres complètes, PUF, VI, p. 190.

[27] Voir p.ex. J. Van Rillaer (1981) Les illusions de la psychanalyse. Mardaga, p. 132-135.

[28] Vérité narrative et vérité théorique. Revue Française de Psychanalyse, 1998, 62: 849-870.

[29] « En finir avec Freud ? ». Philosophie magazine, n° 36, p.12.

[30] À 2m20 de : <https://www.youtube.com/watch?v=fLUDObqQnCw>

[31] Œuvres complètes, PUF, XVIII, p. 81.

[32] Trente ans avec Freud. Trad., Ed. Complexe, 1975, p. 34.

[33] Sigmund Freud en son temps …, Op. cit. p. 52.

 

17 mars 2017

Une déconvertie du freudisme et du kleinisme : Mellitta Schmideberg

13 mars 2017
Par Jacques Van Rillaer

Blog : Le blog de Jacques Van Rillaer

M. Schmideberg, fille de Mélanie Klein, est devenue psychiatre-psychanalyste. A partir de 1933, elle a formulé de plus en plus de critiques essentielles à la théorie et à la pratique du freudisme. Elle a fini par quitter le Mouvement freudien et a développé une psychothérapie qui annonce les thérapies cognitivo-comportementales.

Biographie

Melitta Schmideberg (1904-1983) est née en Slovaquie et a passé son enfance à Budapest. Elle est la fille de Mélanie Klein, qui lui a fait subir une psychanalyse au cours de son enfance [1]. À 15 ans, elle assiste aux réunions de la Société hongroise de Psychanalyse. Elle fait ses études de médecine à Berlin et devient psychiatre. En 1925, elle se marie avec Walter Schmideberg, célèbre psychanalyste autrichien, ami de Freud. Elle fait une psychanalyse didactique à Berlin avec Karen Horney [2], puis à Londres avec Edward Glover. En 1933, elle est membre titulaire de la Société britannique de psychanalyse, puis devient analyste didacticienne. Au début des années 1940, elle prend parti contre sa mère dans le conflit qui oppose celle-ci à Anna Freud. Elle estime, comme Glover, que sa mère met en danger l’essentiel de la psychanalyse. Elle ne se réconciliera jamais avec elle. En 1945, elle émigre aux États-Unis et s’occupe surtout du traitement de délinquants juvéniles. Elle fonde l’International Journal of Offender Therapy et développe une conception de la psychothérapie dont les principes annoncent ceux des thérapies comportementales et cognitives [3].

Schmideberg commence très tôt à critiquer la psychanalyse. La conférence qu’elle a donnée en 1937 à la Société britannique de Psychanalyse évoque les limites de l’efficacité de la psychanalyse, l’absence d’évaluation convenable des résultats, le désintérêt des freudiens pour l’efficacité des traitements, les manipulations de patients par des analystes, l’effet néfaste des longues cures. Par la suite, ses critiques deviennent encore plus sévères : elle évoque le conditionnement subi par les patients, les effets de détérioration de cures freudiennes et le manque de scientificité des théories psychanalytiques. Dans un article de 1970, elle écrit: “Plusieurs analystes de premier plan ont ouvertement critiqué la psychanalyse, mais ils n’ont jamais tiré toutes les conclusions de ces observations, probablement parce qu’ils n’avaient rien à mettre à la place de la psychanalyse. Pour ma part, je me trouve dans une situation inhabituelle. Étant la fille d’une psychanalyste (Mélanie Klein), j’ai été élevée avec la psychanalyse. Pendant longtemps, j’ai considéré toute critique comme un préjugé réactionnaire. Mon mari était un ami personnel de Freud et de sa famille, et j’ai été amenée à connaître personnellement tous les grands analystes d’Europe et des États-Unis. J’ai publié de nombreux articles dans des revues de psychanalyse et j’ai été analyste-didacticienne de la Société britannique de Psychanalyse jusqu’au moment de mon départ pour les États-Unis. Je suis cependant devenue de plus en plus critique envers la théorie et la pratique psychanalytiques, et en particulier envers les Sociétés de psychanalyse, où la libre discussion s’avère impossible. Depuis plusieurs années, j’ai donné ma démission de membre de l’Association Psychanalytique Internationale” (p. 195).

Nous citons ici des extraits de trois de ses articles :

1938: After Analysis. The Psychoanalytic Quartely, 7: 122-142. Trad., Après l’analyse. Revue française de psychanalyse, 2012/3, 76: 797-814. — 1970: Psychotherapy with Failures of Psychoanalysis. Britisch Journal of Psychiatry, 116: 195-200. — 1975: Some basic principles of offender therapy: II. International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, 19: 22-32.

1. L’efficacité limitée de la psychanalyse

Il vaudrait mieux ne pas trop attendre du patient en matière de développement intellectuel ou social, dans quelque direction que ce soit. Rien ne laisse supposer qu'un patient qui écrit de la poésie de second plan améliorera nettement sa production du fait de l'analyse. Il en résultera plus vraisemblablement qu'il se résignera à accepter ses limites mais continuera d'avoir du plaisir à composer des poèmes de moindre qualité, ou bien arrêtera complètement d'écrire. Au lieu d'écrire de la poésie mineure, un patient peut commencer à aimer cuisiner ou tricoter : un changement très favorable du point de vue de son bonheur personnel, que l'on ne devrait pas regretter d'un point de vue culturel. Même en ce qui concerne le développement humain de la personne, nous ne devrions pas nous montrer trop exigeants. Certains analystes semblent considérer comme évident que les meilleurs parents sont ceux qui ont été analysés. Ce n'est absolument pas le cas. Tout ce que nous pouvons légitimement attendre, c'est qu'une personne dont l'analyse est réussie développe une meilleure relation à son enfant qu'avant le traitement. Mais cette attitude, bien qu'améliorée, n'est pas nécessairement meilleure ; en fait, elle se révèle souvent moins bonne que celle d'un parent vraiment bon » (1938, trad., p. 811).

M. Schmideberg déplore que les patients surévaluent naïvement le pouvoir de la psychanalyse: Dans cette surévaluation de l'analyse, le patient répète souvent son attitude envers la religion : il fait les mêmes efforts désespérés pour y croire et montre les mêmes excès dans ce qu'il en attend. […] Il est prêt à croire que seule une analyse complète peut le sauver du martyre de la souffrance mentale et lui apporter le bonheur éternel, tout comme le vrai croyant sera sauvé de l'enfer et connaîtra la félicité éternelle dans une vie après la mort. Il faut croire sans réserve — “être exempt de résistances”. De telles idées sur l'analyse sont souvent accompagnées d'une attitude religieuse moralisatrice et de la plus grande intolérance envers la moindre déviation de ce que le patient voit comme la doctrine analytique acceptée, ou envers tout doute possible ou éventuelle critique à l'égard de celle-ci. Il révèle une surestimation des termes et rituels analytiques “exacts”, comparables à ceux de la liturgie de l'Église. […] Il entreprend de convertir les autres, parfois les personnes les plus inappropriées dans des circonstances absurdes, comme les évangélistes partaient prêcher la Bible” (id., p. 802).

2. L’absence d’évaluations convenables des traitements

Il semblerait que l'on estime parfois qu'il n'est pas digne de l'analyste de s'intéresser à des questions de réussite, que cela ne se fait pas de revendiquer des bons résultats, ou bien, de nouveau, que se montrer sceptique revient à avouer un échec. Les statistiques telles que celles publiées par les cliniques analytiques ne valent pas grand-chose, car elles n'expliquent pas ce que l'on entend par “guéri” et ne donnent pas non plus de détails sur les cas. La plupart des récits de cas publiés traitent de patients toujours en traitement ou qui viennent de le terminer. Il serait précieux d'observer le développement des réactions des patients pendant plusieurs années après la fin du traitement et d'établir si ceux décrits comme “guéris” présentaient des réactions névrotiques et, dans ce cas, quelles en étaient la nature et l'intensité, comment ils ont réagi à des difficultés et frustrations particulières, comment ils ont fait face à des situations de stress émotionnel, combien d'entre eux pouvait-on considérer comme durablement “guéris” ou dans un état “amélioré”, en définissant non seulement ces termes en détail, mais aussi quels étaient les facteurs décisifs pour un pronostic favorable” (id., p. 806).

N.B.: La situation n’a guère changé 60 ans plus tard. En 1999, É. Roudinesco, la psychanalyste alors la plus médiatisée de France, déclare que « l'évaluation dite expérimentale des résultats thérapeutiques n'a guère de valeur en psychanalyse : elle réduit toujours l'âme à une chose » [4]. En 2004, le Ministre de la santé, Douste-Blazy, à la demande d’analystes lacaniens, a fait retirer du site de l’INSERM le premier rapport français sur l’efficacité des psychothérapies [5]. Ce rapport avait conclu à une meilleure efficacité des thérapies comportementales et cognitives par comparaison avec les cures analytiques.

3. Le mépris des analystes pour les traitements “symptomatiques”

On peut comparer, me semble-t-il, les modifications que l'analyse produit dans l'inconscient profond (le ça) à l'effet que cela aurait sur le niveau de la mer d'en enlever quelques cuillerées. Aussi longtemps qu'il n'existe aucune preuve que l'analyse induit des changements radicaux dans l'inconscient en tant que distinct du préconscient, ce sont les résultats pratiques de nos efforts thérapeutiques qui doivent nous guider : ce qui a changé dans l'attitude et le comportement du patient — car c'est en fait avec ces objectifs en vue qu'il vient engager un traitement” (id., p. 810).

La tâche de l'analyste, comme de tout médecin, consiste à atténuer la souffrance humaine. Par conséquent, rien ne saurait justifier de regarder avec mépris un traitement qui soulagerait “seulement” des symptômes. Toute forme de thérapie, analytique ou non analytique, qui soulage la souffrance est précieuse” (id., p. 814).

 4. Le conditionnement et la manipulation des analysés

Il est, me semble-t-il, essentiel en thérapie de savoir déterminer le bon moment pour arrêter. Il faut peser les avantages de poursuivre le traitement au regard des désavantages que cela peut comporter et prendre également en compte les effets psychologiques de sacrifices trop grands et d'autres inconvénients. Si le patient a le sentiment, peut-être à juste titre, que l'analyste attend de lui qu'il considère l'analyse comme le plus important dans sa vie, qu'il soit prêt à sacrifier chaque sou à cela ou se refuse des plaisirs aussi simples que d'aller au cinéma ou acheter de nouveaux vêtements, il sera alors difficile d'analyser son inhibition du plaisir et de corriger les effets de l'attitude de ses parents attendant de lui qu'il sacrifie tout pour eux et essayant de le rendre “désintéressé” et modeste. Il faut également considérer les effets défavorables de la pression directe ou indirecte exercée sur le patient pour qu'il continue ; par exemple, en l'amenant à se sentir coupable d'aspirer à être indépendant de l'analyste, ou en faisant grandir ses préoccupations hypocondriaques eu égard à cet état d'esprit. J'ai entendu parler d'analystes qui, pour que le patient continue le traitement, lui faisaient réellement peur en l'avertissant des conséquences graves qu'une interruption entraînerait: son état pourrait s'aggraver, il pourrait devenir fou, se suicider — l'analyste faisant parfois de plus appel à une pression extérieure directe ou indirecte [6]. Je pense que l'on ne saurait trop insister sur les effets néfastes d'une telle façon de procéder. Il fut un temps où les analystes soulignaient le fait que le patient s'accroche à l'analyse comme défense contre la vie et comme continuation de ses fixations infantiles. Bien que leur méthode pour contrecarrer cette tendance, consistant à fixer des limites dans le temps, fût assez rudimentaire et se révélât souvent insatisfaisante, l'idée qui la sous-tendait était bonne” (p. 807).

N.B.: Sur le conditionnement des patients en psychanalyse, voir le site www.pseudo-sciences.org

Lien direct : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article373

5. Les effets néfastes de certaines cures

«Pour certains patients, faire une analyse, c'est s'évader de la vie, retourner à l'enfance. Ce type de patient ne vit presque littéralement qu'à travers et pour l'analyse. Il se sentirait coupable s'il devait faire face à une difficulté ou surmonter une crise émotionnelle sans que celle-ci soit d'abord analysée. Il préfère l'analyse aux méthodes ordinaires et quotidiennes tout comme, à partir de la culpabilité envers son désir d'indépendance, il avait dû préférer ses parents aux autres personnes ou aux autres enfants. Il voudrait que l'analyse le protège contre la réalité comme ses parents le préservaient de la vie ; il veut rester un bébé et remet à plus tard toute démarche ou décision désagréable, jusqu'à ce que la situation “ait été complètement analysée” et dans l'attente que, dans la vie après l'analyse, travailler ne sera plus un effort, qu'il ne sera plus nécessaire de renoncer à quoi que ce soit et qu'aucune décision ne sera plus jamais douloureuse» (p. 801).

«Le principal danger des analyses longues (six, huit, voire dix ans d'analyse ne semblent plus inhabituels) consiste en cela qu'elles coupent le patient de la réalité. Il existe même le danger que l'analyste perde lui-même contact avec la vraie vie s'il a les mêmes patients (en général, relativement peu) pendant des années. L'analyste et le patient ont tous deux tant misé sur le traitement qu'ils seront plus réticents à reconnaître un échec et, de ce fait, plus partiaux dans leur évaluation des résultats de l'analyse» (p. 808).

«Il m’a fallu plusieurs années pour comprendre que beaucoup de patients qui m’étaient envoyés par leur analyste étaient en fait des échecs de la psychanalyse, et que le traitement antérieur les rendaient plus difficiles à traiter. Ainsi, bien que je me considère encore comme une analyste — sans doute tant soit peu dissidente — j’en suis venue, depuis longtemps déjà, à ne plus pratiquer la psychanalyse» (1970, p. 195).

«On dit au patient que, pour aller réellement mieux, il doit d'abord aller plus mal, passer par une “névrose de transfert”, c'est-à-dire une détérioration temporaire. Cette situation est la conséquence, pour une part, d’interprétations pénibles et, pour une autre, de suggestions négatives. Macalpine a souligné que le patient ne peut s'ajuster à l’anormalité de la situation analytique que par une anormalisation, c’est-à-dire le développement d'une “névrose de transfert” ; la seule autre possibilité qui lui reste étant de “résister” et d'abandonner le traitement [7]. La détérioration n'est toutefois pas toujours une phase passagère, comme le souhaite l'analyste ; souvent elle se perpétue d'elle-même en exerçant une influence néfaste sur la confiance et l'estime que le patient se porte à lui-même, sur l’environnement et sur la situation réelle. Elle apparaît donc comme un véritable conditionnement (sheer conditioning)» (id.).

«Le fait que la psychanalyse encourage souvent la “fuite devant la vie” (flight from life), qu'elle concentre l'attention sur les motifs plutôt que sur les conséquences, qu'elle attache plus d'intérêt aux fantaisies irrationnelles qu'au développement d'un meilleur jugement, tout cela peut aboutir à de graves résultats» (1970, p. 196).

N.B.: Pour un article sur l’« effet de détérioration » de psychothérapies, voir le site www.pseudo-sciences.org - Dans “Rechercher”, taper: “détérioration”. Lien direct:http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2574

6. Le manque de scientificité, le dogmatisme et le mysticisme

"La psychothérapie moderne a débuté avec la psychanalyse, qui se fonde sur le traitement d’un groupe très particulier de patients placés dans des conditions plutôt artificielles. On n’a jamais effectué une évaluation sérieuse des résultats thérapeutiques, mais il est probable que les espoirs du début n’ont pas été réalisés. D’autre part, il n’est guère possible de faire une évaluation de ses découvertes scientifiques. On est en présence d’une abondance d’assertions confuses, parfois même contradictoires, et cela pourrait bien prendre une génération avant que ces énoncés soient démêlées et correctement évaluées. La psychanalyse a stimulé l’intérêt pour le psychisme et la thérapie, mais elle a freiné le progrès et l’observation clinique par son dogmatisme et son mysticisme" (1975, p. 22).

—————————

[1] Klein a publié des éléments de cette cure, avec le pseudonyme Lisa, notamment dans “Le rôle de l’école dans le développement libidinal de l’enfant” (1923) In: Essais de psychanalyse (1921-1945). Trad., Payot, 1976, p. 90-109. On y lit p.ex. que Lisa ne comprenait pas l’idée d’addition. «Son inhibition à l’égard des mathématiques, née son complexe de castration, concernait la différence entre les organes génitaux masculins et féminins. Il apparut que l’idée d’“addition” s’expliquait pour elle par le coït de ses parents» (sic, p. 99).

[2] K. Horney est une psychanalyste formée à Berlin dans les années 1920, qui a rapidement critiqué le freudisme orthodoxe, notamment l’affirmation que « l’envie du pénis » détermine le destin de toutes les femmes. Émigrée aux Etats-Unis, elle y est devenue une des principales analystes «culturalistes». Son premier livre, publié en 1939, a été traduit en français en 1976: Voies nouvelles en psychanalyse. Une critique de la théorie freudienne. Payot, 252 p.

[3] Schmideberg, M. (1960) Principles of psychotherapy. Comprehensive Psychiatry, 1: 186-193.

[4] Pourquoi la psychanalyse? Fayard, p. 39.

[5] www.pseudo-sciences.org - Dans « Rechercher », taper « Douste » - Lien direct : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article372

[6] Freud écrit à ce sujet: «je permets à chacun d'interrompre la cure quand il lui plaît, sans lui cacher pourtant qu'une rupture après un travail de courte durée ne sera suivie d'aucun résultat et qu'elle peut facilement, telle une opération inachevée, le mettre dans un état insatisfaisant» (Sur l’engagement du traitement (1913) Œuvres complètes, PUF, XII, p. 170).

Le sociologue Nathan Stern a fait une étude des diverses stratégies utilitées par les analystes pour apparaître comme les seuls détenteurs du droit d’interrompre l’analyse. Cf. La fiction psychanalytique. Etude psychosociologique des conditions objectives de la cure. Mardaga, 1999, Chap. “La cure interminable”, p. 153-167.

[7] Macalpine, Ida (1950) The development of the transference. Psychoanalytic Quarterly, 19 : 501-539.

Pour d’autres déconvertis du freudisme et du lacanisme, voir le film de Sophie Robert :

https://www.dailymotion.com/video/x37mnmz_les-deconvertis-de-la-psychanalyse_school

Deux sites pour d’autres publications de J. Van Rillaer sur la psychologie, la psychopathologie, l'épistémologie, les psychothérapies, les psychanalyses, etc.

1) Site de l'Association Française pour l'Information Scientifique:

www.pseudo-sciences.org

2) Site de l'université de Louvain-la-Neuve

1° Taper dans Google : Moodle + Rillaer + EDPH

2° Cliquer sur : EDPH – Apprentissage et modification du comportement

3° Cliquer “Oui” à la page suivante : Règlement

 

13 mars 2017

Cette mère veut sortir l'autisme de l'ombre

Louis et sa mère, sur la scène du théâtre du Champ-de-Bataille.

Louis et sa mère, sur la scène du théâtre du Champ-de-Bataille. 

Clandestin, voyage en autisme (s), c'est l'histoire vraie de Louis et de sa mère, adaptée à la scène. Persuadée que son fils est autiste, elle ne parvient pas à le faire diagnostiquer.

Sept longues années. C'est le temps qu'il a fallu à la mère de Louis pour obtenir le diagnostic qu'elle avait posé dès la naissance de son fils. De longues années d'humiliation et de culpabilisation. Un rôle joué par Claire Rieussec.

De nombreux parents d'enfants autistes reconnaîtront leur histoire, dans Clandestin, voyage en autisme (s). Eux aussi victimes de la ridicule guéguerre psychanalytique en France, qui a déboussolé tant de familles.

La pièce est l'adaptation à la scène d'une histoire vraie, par la comédienne angevine Claire Rieussec, mise en scène par Marie Gaultier, racontée dans un livre écrit par Elisabeth Emily, la mère de Louis, jeune autiste.

Il est incarné par Virginie Brochard et Béatrice Poitevin, alternativement. Une performance qui permet aux spectateurs de ressentir les perceptions d'un autiste, les sons qui se mélangent, les meubles qui ne sont pas stables « Pour incarner Louis, je me mets dans une bulle. Je me rends compte que je ne regarde pas le public, juste à l'écoute de mes émotions, du besoin de sécurité, de se protéger », explique Béatrice. On découvre l'hypersensibilité des cinq sens, l'incapacité de lire sur les visages la complexité des émotions.

« Ne soyez pas égoïste »

« Tout va bien, votre fils est juste jaloux, et puis c'est un garçon. » Au début, la mère, inquiète de ce bébé pas comme les autres, se heurte aux discours lénifiants des psys. À trois ans, il ne parle pas, il est agressif, obsédé par la mort. Ce qui est très courant chez les autistes. Cela déclenche des angoisses fortes. Exprimées parfois avec violence, étant dans l'incapacité de communiquer.

Malgré la certitude, chez la mère, de l'autisme de son fils, c'est elle que les thérapeutes vont culpabiliser. « Vous êtes mal, c'est pour cela que votre fils ne va pas bien. Ne soyez pas égoïste, entamez une psychothérapie. »

Complexe d'OEdipe, soupçon de pédophilie chez le père, tout y passe... Ce sera ensuite le calvaire de l'école où Louis, intelligent, curieux de tout, qui lit, écrit mais n'est toujours pas diagnostiqué, est mis au ban de tous, pour être finalement exclu à la demande des autres parents, après avoir été régulièrement puni.

Sa maîtresse s'indigne devant sa crotte qu'il lui apporte. Elle croit voir un cadeau. En fait, il y a vu du sang et c'est une question grave qu'il lui apporte, à cause de sa terrible peur de la mort.

Croiser une personne âgée, quelqu'un qui a un simple rhume, tout cela peut déclencher des scènes de panique. « Il n'y a qu'en France qu'on continue avec la théorie de la psychose, au lieu d'adopter les techniques comportementales qui permettent aux autistes de s'intégrer et de gérer leur instabilité émotionnelle », s'écrie la mère en colère à la fin de ce spectacle poignant.

Du jeudi 9 mars, 19 h 30, vendredi 10 mars, 20 h 30, samedi 11 mars, 16 h 30, au théâtre du Champ-de-Bataille, 10, rue du Champ-de-Bataille. Tarifs: 15€/13€/10€. Tél. 02 41 72 00 94.

7 mars 2017

Un déconverti du lacanisme : François RECANATI

5 mars 2017
Par Jacques Van Rillaer
Blog : Le blog de Jacques Van Rillaer


Au début des années 1970, François Récanati, spécialiste de la philosophie du langage, a été séduit par le lacanisme et a acquis un statut de «sujet supposé savoir» dans la communauté lacanienne. Son étude de la philosophie anglo-saxonne l’a fait rompre avec le lacanisme. Il a alors pris pleinement conscience de la mystification opérée par le langage ésotérique de Lacan.


recanati

François Récanati est un philosophe, diplômé de la Sorbonne, devenu un spécialiste réputé de la philosophie du langage. Il est actuellement directeur de recherche au CNRS, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales et membre du Centre Jean Nicod (centre de recherches du CNRS). Il est cofondateur et ancien président de la Société européenne de philosophie analytique.

Il a enseigné dans plusieurs universités de grand renom : Berkeley, Harvard, Genève. Il a publié plusieurs livres chez des éditeurs prestigieux : Oxford University Press, Cambridge University Press. En 2014, il a reçu la médaille d'argent du CNRS.

Au début des années 1970, François Récanati a fait partie du cénacle lacanien. Voir p.ex. son discours au séminaire de Lacan «Encore»: http://staferla.free.fr/S20/S20%20ENCORE.pdf

Dans cette vidéo de 25 minutes, il raconte son adhésion au lacanisme et sa déconversion (voir de 08:20 à 34, “La phase Lacan”) :

http://www.archivesaudiovisuelles.fr/FR/_video.asp?format=69&id=61&ress=345&video=87781

Voici quelques éléments.

Au début des années 1970, Récanati a été séduit par le style intellectuel de Lacan, son côté flamboyant. Lacan lui semblait incarner, de façon supérieure, un nouveau style intellectuel. Récanati est alors devenu un “lacanien de choc”, “un sujet supposé savoir”.

Il explique pourquoi la participation à la communauté lacanienne est très valorisante: grâce à un langage hermétique, souvent incompréhensible, on a le sentiment de faire partie d’une élite qui dispose d’un savoir réservé. Le groupe dispose de formules dont personne, même parmi les adeptes, ne sait exactement ce qu’elles veulent dire. La masse qui suit les “dominants” n’y comprend rien ou très peu de chose.

La communauté lacanienne fonctionne comme une secte. Elle est très hiérarchisée. À sa tête se trouve un gourou, Lacan, dont on sait qu’il est le seul qui sait réellement. Le pouvoir repose sur le fait que le gourou est le seul à détenir la vérité. L’axiome de base est : “Ce que dit Lacan est vrai et il faut maintenir cette vérité”. Lacan disait p.ex. “Il n’y a pas de rapport sexuel”. Alors les disciples s’empressaient d’interpréter, de multiples façons et indéfiniment, l’énoncé du Maître.

Les disciples croyaient en la vérité des énoncés avant même de les comprendre. Ils passaient leur temps à répéter ce qu’avait déclaré le Maître et à y attribuer du sens. Les conflits d’interprétation étaient peu importants. L’essentiel était de maintenir l’idée que ce que disait le Maître était vrai. En définitive, le seul critère pour s’assurer de la justesse de l’interprétation était de demander à Lacan ce qu’il en était.

Pour faire partie du groupe, il suffisait d’utiliser des tournures verbales et les mots-clés du lacanisme, sans même comprendre ce qu’on énonçait. Il n’est pas difficile de produire du texte lacanien qu’on ne comprend pas soi-même. Il suffit d’apprendre à manier du jargon.

Récanati a appris assez rapidement à jouer avec les mots-clés pour acquérir un statut de « Sujet supposé savoir » dans la confrérie et produire du discours lacanien. Ainsi, après quelques années de ruminations lacaniennes, Récanati s’est senti très gratifié socialement par sa place dans la communauté lacanienne, mais il était déçu au plan intellectuel, car il avait le sentiment de faire du sur place. Il s’est alors intéressé à la philosophie du langage ordinaire, notamment à John Austin (p.ex. “Quand dire c’est faire”), pour voir ce que cette philosophie avait de commun avec la théorie de Lacan, ce qui pouvait l’enrichir, ce qui pouvait alimenter “le moulin lacanien”. Cette philosophie lui paraissait intéressante parce que, comme la doctrine lacanienne, elle s’opposait au positivisme.

Récanati a alors découvert des auteurs aux antipodes du monde intellectuel du lacanisme, des auteurs compréhensibles qui permettent de communiquer sans ambiguïtés. Il est devenu un partisan de la philosophie analytique et a compris que le « moulin lacanien » est stérile.

En définitive, Lacan n’a pas réalisé une véritable recherche intellectuelle. Il a promu un genre littéraire : « la théorie ». Lui et ses disciples ont lacanisé toutes sortes de choses : Descartes, la linguistique, etc. Récanati dit que Lacan a eu peut-être des intuitions intéressantes, mais il n’a pas fait le travail de les rechercher et de les exploiter. En tout cas, en ce qui concerne le langage, Lacan n’a rien apporté de fondamental.

Lacan évoquait souvent le soutien de grands intellectuels (Heidegger, Lévi-Strauss, Jacobson) avec lesquels il avait des liens d’amitié. Ces intellectuels ne le prenaient pas très au sérieux. Ils ne lui rendaient pas ce que lui voulait leur apporter.

Le succès de Lacan s’explique en partie par le fait qu’il a offert à des disciples ce qu’ils attendaient de la philosophie de cette époque. Il a plu à des gens qui considéraient l’obscurité comme de l’épaisseur.

Annexes (J. Van Rillaer)

1. L’opinion de Martin Heidegger sur Lacan

S’il faut en croire ce qu’écrit É. Roudinesco, «Lacan envoya à Heidegger ses Écrits avec une dédicace. Dans une lettre au psychiatre Medard Boss, celui-ci commenta l'événement par ces mots : “Vous avez certainement reçu vous aussi le gros livre de Lacan (Écrits). Pour ma part, je ne parviens pas pour l'instant à lire quoi que ce soit dans ce texte manifestement baroque. On me dit que le livre provoque un remous à Paris semblable à celui suscité jadis par L'Être et le néant de Sartre.” Quelques mois plus tard, il ajoutait : “Je vous envoie ci-joint une lettre de Lacan. Il me semble que le psychiatre a besoin d'un psychiatre”.» (Jacques Lacan. Fayard, 1993, p. 306).

2. L’opinion de Claude Lévi-Strauss sur le séminaire de Lacan

Entretien avec Judith Miller et Alain Grosrichard. In : L’Ane. Le magazine freudien, 1986, N° 20, p. 27-29.

«Judith Miller — À la première séance du séminaire des Quatre concepts fondamentaux, vous étiez dans la salle. Je m'en souviens très bien, j'y assistais aussi, comme élève de l'École normale. Quel souvenir en avez-vous gardé?

Claude Lévi-Strauss — C'est l'unique séminaire de Lacan auquel j'ai assisté. J'ai été tellement fasciné par le phénomène, disons, ethnographique, que j’ai prêté beaucoup plus d'attention à la situation concrète qu'au contenu même de ce qu'il disait. Le chemin de Lacan et le mien se sont croisés, mais nous allions au fond dans des directions très différentes. Moi-même venant de la philosophie, j'essayais d'aller vers ces sciences humaines dont Lacan critiquait la légitimité, tandis que Lacan, qui, lui, était parti d'un savoir positif, ou qui se considérait comme tel, a été amené vers une approche de plus en plus philosophique du problème.

Judith Miller — Dans ce premier séminaire à I'École normale, qu'est-ce qui vous a frappé en tant qu'ethnologue?

Claude Lévi-Strauss - Ce sont de bien vieux souvenirs... Ce qui était frappant, c'était cette espèce de rayonnement, de puissance, cette mainmise sur l'auditoire qui émanait à la fois de la personne physique de Lacan et de sa diction, de ses gestes. J'ai vu fonctionner pas mal de chamans dans des sociétés exotiques, et je retrouvais là une sorte d'équivalent de la puissance chamanistique. J'avoue franchement que, moi-même l'écoutant, au fond je ne comprenais pas. Et je me trouvais au milieu d'un public qui, lui, semblait comprendre. Une des réflexions que je me suis faite à cette occasion concernait la notion même de compréhension : n'avait-elle pas évolué avec le passage des générations? Quand ces gens pensent qu'ils comprennent, veulent-ils dire exactement la même chose que moi quand je dis que je comprends? Mon sentiment était que ce n'était pas uniquement par ce qu'il disait qu'il agissait sur l'auditoire, mais aussi par une autre chose, extraordinairement difficile à définir, impondérable — sa personne, sa présence, le timbre de sa voix, l'art avec lequel il le maniait. Derrière ce que j'appelais la compréhension, et qui serait resté intact dans un texte écrit, une quantité d'autres éléments intervenaient.»

3. Le témoignage de François George sur la logomachie lacanienne

F. George, dans “L'effet 'yau de poêle de Lacan et des lacaniens” (Hachette, 1979), a donné une description humoristique d’un séminaire lacanien typique des années 1970.

Il raconte qu’un ami, élève de l’Ecole normale supérieure, lui a écrit qu’il abandonnait leur «corps, est-ce pont d’anse?» parce qu’il ne s’intéressait plus à la « peau-lie-tique ». Pour comprendre ce qui lui arrivait, François George s’est introduit dans un cercle qui se livrait à l’exégèse des écrits de Lacan. «Le directeur du séminaire était un barbu dont le regard lointain paraissait dédaigner notre environnement grossier pour scruter les mystères du symbolique. Ses rares interventions faisaient l'objet d'une attention religieuse.»

Un jour il s’est tourné vers George et lui a demandé de commenter un passage particulièrement difficile. Mort de trac, George a dit n’importe quoi. «Peu à peu, je m'aperçus que mes paroles, loin de susciter le scandale, tombaient dans un silence intéressé et je me rendis compte de cette merveille : sans me comprendre moi-même, je parlais lacanien.» «La fin de mon intervention fut accueillie par un silence plus flatteur que des applaudissements, par cette “résonance” qui, selon la doctrine professée par le barbu, devait permettre la “ponctuation”, puis l’“élaboration” adéquates. Sans doute pour prévenir le découragement, le barbu avait appelé notre attention sur “l’effet d'après-coup” essentiel au discours, comme le vieillissement l’est à la qualité du vin.»

George a constaté que d’autres participants ne comprenaient guère plus que lui. « En fait, ils avaient simplement assisté à un échange de signaux, assez comparable à la communication animale. Comment ne pas se comprendre quand on ne fait qu'échanger des mots de passe et des signes de reconnaissance? Et comment ne pas comprendre que le “comprendre” est un leurre, un effet de l'imaginaire, quand toute la question est de se montrer parés des mêmes plumes dans le rituel de parade?»

Pour d’autres déconvertis du freudisme et du lacanisme, voir le film de Sophie Robert :

https://www.dailymotion.com/video/x37mnmz_les-deconvertis-de-la-psychanalyse_school

 Dylan Evans, auteur d'un dictionnaire des concets lacaniens: https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/010317/un-deconverti-du-lacanisme-dylan-evans

Deux sites pour d’autres publications de J. Van Rillaer sur la psychologie, la psychopathologie, l'épistémologie, les psychothérapies, les psychanalyses, etc.

1) Site de l'Association Française pour l'Information Scientifique:  www.pseudo-sciences.org

2) Site de l'université de Louvain-la-Neuve

1° Taper dans Google : Moodle + Rillaer + EDPH

2° Cliquer sur : EDPH – Apprentissage et modification du comportement

3° Cliquer “Oui” à la page suivante : Règlement

6 mars 2017

Bordeaux ou sa banlieue -> Initiation à la technique du packing 18 & 19 septembre 2017 !

=> Pour rappel :

"Quelle est la position de la HAS et de l’ANESM sur le packing ?

En l’absence de données relatives à son efficacité ou à sa sécurité, du fait des questions éthiques soulevées par cette pratique et de l’indécision des experts en raison d’une extrême divergence de leurs avis, il n’est pas possible de conclure à la pertinence d’éventuelles indications des enveloppements corporels humides (dits packing), même restreintes à un recours ultime et exceptionnel. En dehors de protocoles de recherche autorisés respectant la totalité des conditions définies par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), la HAS et l’Anesm sont formellement opposées à l’utilisation de cette pratique."

Extrait de http://www.has-sante.fr/portail/jcms/r_1501360/fr/autisme-et-autres-troubles-envahissants-du-developpement-ted#toc_10

(Jean-Jacques DUPUIS)

OBJECTIFS

La prise en charge des personnes, enfants ou adultes, présentant des troubles envahissants du développement (TED) nécessite l'utilisation de dispositifs cliniques élaborés. Les travaux autour des notions d’enveloppes psychiques et corporelles, de représentations du corps, ont permis le développement d’une technique de soin spécifique : le packing. Cette technique aujourd'hui remise en cause, reste pourtant un des rares recours dans les situations d'impasses thérapeutiques, de grands troubles du comportement psychomoteur, de fortes agitations ou d'auto-agressivité. Introduite en France en 1966 par un psychiatre psychanalyste américain M.A. Woodbury, ses travaux en collaboration avec P.C. Racamier apporteront d’importantes contributions sur la symbolisation primaire et le lien psyché-soma des autismes et psychoses. Depuis, les travaux de Pierre Delion notamment, ont permis de consolider un cadre thérapeutique exigeant mais indispensable à la mise en place du packing. Cette pratique n'a pas de valeur seule et doit être le fruit d'une réelle élaboration théorique et collective au sein de l'ensemble de l'équipe soignante. 

À travers ce stage il s'agira de permettre aux participants :

  • d’acquérir les repères théorico-pratiques concernant cette technique ;
  • de présenter le dispositif et ses modalités de fonctionnement ;
  • de travailler sur la dimension nécessairement institutionnelle de cette pratique.

 

CONTENU
apports théoriques

Histoire et processus thérapeutique des packs ou enveloppements humides.
La particularité de cette technique repose sur la mise en jeu du corps, contenu, stimulé, rendu disposnible aux formes archaïques de la symbolisation primaire.
Ces notions seront abordées à partir des travaux de Woodbury, Bovier et Brandli, Coulon et Delion.
Rappels sur les expressions de la vie psychique.
Les enveloppes psychiques, le moi-peau, le schéma corporel et l’image du corps, la dialectique dedans/dehors, contenant/contenu, les fonctions précoces du regard, les rassemblements, les fonctions contenantes, etc.
Ces notions seront abordées à partir des travaux de : Anzieu, Haag, Golse, Roussillon, Winnicott, Bion, etc.

approches pratiques

Les indications : impasses thérapeutiques, trouble du comportement psychomoteur, agitation ou auto-agressivité.
La nécessaire adhésion familiale.
Le dispositif : description du cadre.
La méthodologie et la technique.
Les principes d’intervention : rôle et place des soignants.
La mise en lien des perceptions, des sonorités, des attitudes, des mouvements, des regards et les verbalisations proposées.
L’indispensable travail de reprise et de supervision.
Les conditions institutionnelles nécessaires pour une bonne mise en place de cette technique.

modalités pédagogiques

L'abord des questions théoriques alternera avec des temps d'analyses des pratiques professionnelles réalisés à partir de présentations de séances et d'études de situations.

personnels concernés

Tous les personnels des secteurs sanitaires et médico-sociaux.

NOMBRE DE PARTICIPANTS
15 personnes maximum

formatrice
Anne Yvonne Lenfant, pédopsychiatre

 

Cette formation pourra être animée in situ pour l'ensemble d'une équipe désireuse de mettre en place des packings. La formatrice peut également superviser des équipes qui utilisent déjà cette technique.

 

durée :
1 cycle de 2 jours
(1 session de 2 jours)

nombre d'heures : 14 h
dates :
18-19 septembre 2017
lieu : Bordeaux ou sa banlieue

coût pédagogique : 345 €

 

Hébergement non assuré par la SOFOR. Une liste d'hôtels sera fournie à l'inscription
3 mars 2017

Un déconverti du lacanisme : Dylan Evans

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article publié dans Médiapart

1 mars 2017
Par Jacques Van Rillaer

Blog : Le blog de Jacques Van Rillaer

Dylan Evans est un universitaire anglais qui a été psychanalyste lacanien. En travaillant à la rédaction d’un dictionnaire des concepts lacaniens, il a constaté le flou et les contradictions de la pensée de Lacan. En faisant de la thérapie, il a constaté la stérilité de la théorie lacanienne. Il s’est donc réorienté et a entrepris notamment des travaux de psychologie, puis de robotique
evans-dictionnaire

 

Dylan Evans est né en 1966 à Bristol. A l’âge de 20 ans, il décida de devenir prêtre, mais perdit la foi peu de temps après cette décision. Il fit alors des études universitaires de linguistique, puis alla enseigner l’anglais en Argentine. C’est à Buenos Aires — la ville la plus densément peuplée de psychanalystes — qu’il découvrit le lacanisme. Il suivit alors une formation et pratiqua l’analyse lacanienne.

Il a raconté son entrée en lacanisme et sa déconversion notamment dans “From Lacan to Darwin” [1]. Nous reprenons quelques éléments de ce récit, ainsi que de son C.V. publié sur son site [2].

Evans évoque une des raisons de la fascination pour le lacanisme: «Les séminaires de Lacan étaient une fête intellectuelle, mais ils étaient aussi “addictifs” parce qu’il y avait toujours des choses qui restaient à explorer, à comprendre». Ce mécanisme a été bien illustré par le psychiatre belge Marc Reisinger, dans son livre Lacan l'insondable (Éd. Les empêcheurs de penser en rond, 1991, 190 p.).

Revenu en Angleterre, Evans a poursuivi sa formation lacanienne en se rendant à Paris une fois par mois, pour six ou sept séances de didactique en deux ou trois jours.

Durant sa formation psychanalytique en Argentine, Evans avait commencé à constituer un registre de citations pour comprendre et articuler l’édifice des concepts lacaniens. Il a ainsi réalisé, progressivement, les incohérences de la théorie lacanienne : «Lorsque j’essayais de trouver le sens de la rhétorique bizarre de Lacan, il devenait de plus en plus clair que le langage obscur ne dissimulait pas des significations plus profondes, mais était en réalité une manifestation évidente de la confusion inhérente à la pensée même de Lacan. Mais alors que la plupart des commentateurs de Lacan préféraient singer le style du maître et perpétuer l’obscurité, je voulais dissiper les brumes et exposer tout ce qui était en jeu — même si cela signifiait que l’on découvrait que l’empereur était nu. De façon ironique, ma tentative d’ouvrir la théorie lacanienne à la critique a joué un rôle déterminant dans mon rejet de la théorie lacanienne.»

Cet élément du cheminement intellectuel d’Evans rappelle l’étude, par le sociologue américain Erwin Goffman, des procédés de mystification du public. Goffman concluait: «Comme le montrent d'innombrables contes populaires et d'innombrables rites d'initiation, le véritable secret caché derrière le mystère, c'est souvent qu'en réalité il n'y a pas de mystère; le vrai problème, c'est d'empêcher le public de le savoir aussi» [3].

Evans a malgré tout publié le résultat de son travail sous forme d’un dictionnaire : An introductory dictionary of lacanian psychoanalysis (Routledge, 1996, 264 p.), traduit en espagnol en 2010 (Buenos Aires : Ediciones Paidos, 217 p.).

Ayant achevé sa formation d’analyste, Evans a pratiqué à Londres en privé et dans un hôpital public. Il a alors constaté l’absence d’efficacité pratique du discours lacanien: «Chaque fois que j’arrivais à aider quelqu’un, c’était toujours parce que j’avais mis de côté ma théorie lacanienne pendant un moment et que j’avais répondu simplement avec mon intuition, avec empathie, avec du sens commun. Inversement, je venais rarement en aide lorsque j’avais fait ce que je supposais devoir faire en fonction de ma formation lacanienne.»

Concernant la thérapie, Evans a conclu que «les idées de Lacan sont désespérément inadéquates parce que fondées sur une théorie erronée de la nature humaine.» Pour Lacan, l’analyste ne détient pas un savoir secret. L’analyste est «le sujet supposé savoir». Le patient s’imagine que l’analyste sait. Au cours du traitement, il perd progressivement sa foi dans l’analyste. Le patient doit faire cette douloureuse expérience de la désillusion afin de réaliser que personne d’autre que lui-même détient la clé de son existence. Evans a été choqué par le fait que l’analyste entretient ainsi la crédulité du patient, au lieu de lui faire savoir clairement qu’il ne possède pas de connaissances secrètes.

Notons en passant que le philosophe-sociologue François George avait été scandalisé pour la même raison. Il a développé ce reproche dans L’effet ‘Yau de Poële de Lacan et des lacaniens. Il écrivait notamment: «Lacan est le sujet supposé savoir, et la fin de la psychanalyse, la liquidation du transfert, intervient quand il se dévoile aux yeux du patient étonné que ce sujet supposé savoir ne sait pas grand-chose : il ne reste alors qu’à le rejeter comme une merde, selon la propre expression de Lacan, parce qu’il n’a jamais été qu’une merde — de la merde dans le bas de soie du savoir supposé. Le sujet supposé savoir, cela pourrait être une honnête définition du charlatan. […] En d’autres termes, le ressort de la psychanalyse, c’est le bluff: le psychanalyste est supposé détenir le carré d’as, et la règle, c’est de ne pas demander à voir» [4].

La déconversion d’Evans a été relativement lente. Il écrit: «Ce fut un processus graduel, au cours duquel les incohérences de la théorie lacanienne et les dangers de la thérapie lacanienne m’apparurent de plus en plus évidents à mesure que je comprenais davantage la théorie et la thérapie.» Ainsi, l’évolution d’Evans est semblable à celle de Stuart Schneiderman, qui fut un temps le principal représentant du lacanisme à New York [5].

Bien que ses yeux se soient ouverts sur le lacanisme, Evans s’est encore rendu à l’université de New York à Buffalo, une des seules universités américaines où cette doctrine était enseignée. Cet enseignement ne s’y faisait pas dans le département de psychologie ou de psychiatrie, mais dans celui de littérature comparée. Pour l’enseignante, la valeur de l’œuvre de Lacan résidait dans son pouvoir d’interpréter des textes littéraires. Selon elle, les contradictions internes du lacanisme n’avaient guère d’importance quand il s’agit d’herméneutique.

De retour à Londres, Evans a entrepris un doctorat au département de philosophie fondé par Karl Popper à la London School of Economics. Il y a pris goût à la clarté, à la concision et au souci de vérification [6]. Les séminaires lacaniens lui sont apparus désormais comme des jeux baroques: «Les débats dans les séminaires lacaniens étaient une pure question d’exégèse — qu’avait voulu dire le maître avec telle et telle phrase ? Personne ne faisait le pas logique suivant de demander: avait-il raison ? Cela allait de soi.»  Chez les lacaniens, la question «est-ce vrai ?» est accueillie avec un sourire condescendant: «Qu’est-ce qui est vrai ?», «vous ne croyez tout de même pas dans des faits ?»

Evans a également compris que les formalisations, avec lesquelles Lacan jouait dans ses dernières années, n’étaient que des «métaphores surréalistes». Il écrit: «Ses formules et ses diagrammes donnent une impression de rigueur, du moins aux yeux de ceux qui n’ont pas de formation scientifique, mais lorsqu’on les examine de plus près il devient évident qu’ils contredisent même les règles les plus élémentaires des mathématiques». Pour la démonstration, Evans renvoie au livre d’Alan Sokal et Jean Bricmont, Les impostures intellectuelles [7].

Evans signale que les lacaniens avec qui il a encore eu des relations après sa déconversion « ne voient pas son changement d’idées comme le résultat d’une recherche honnête et sincère de la vérité, mais comme une trahison, une apostasie, une perte de la grâce. »

Evans a présenté sa thèse de doctorat en 2000. Il a ensuite écrit plusieurs ouvrages, notamment : Introducing evolutionary psychologie (Totem Books, 2000, 176 p.), Emotion : The science of sentiment (Oxford University Press, Oxford University Press, 2002, 224 p.) et Placebo : Mind over Matter in moderne medicine (Harper Collins, 2005, 256 p.) Il a poursuivi des études de robotique et a enseigné cette discipline à l’université de Bath et à University of the West of England. Il a continué une carrière universitaire, en développant divers domaines de compétence. En 2006, il a tenté de vivre un temps en Écosse sans la technologie et le confort modernes (The Utopia Experiment). L’expérience s’est avérée pénible et déprimante. Depuis lors, il a réalisé bien d’autres choses, que l’on peut découvrir notamment via son C.V. et sa bibliographie [2].

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[1] in J. Gottschall & D. Sloan Wilson (eds) The Literary Animal. Evolution and the nature of narrative Northwestern University Press, 2005, p. 38-55. En ligne : https://media.wix.com/ugd/519faf_f4e5ddcc6612d8072b9d59cdb90998c0.pdf

[2] C.V. :  https://www.dylan.org.uk/

[3] Goffman, Erving (1959) The presentation of self in everyday life. Doubleday. Trad., La mise en scène de la vie quotidienne. Minuit, 1973, vol. 1, p. 71.

[4] Éd. Hachette, 1979 (204 p.), p. 177s.

[5] Sur l’entrée en lacanisme et la déconversion de Schneiderman, voir :

https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/210217/un-deconverti-du-lacanisme-stuart-schneiderman

[6] Popper écrivait : « C'est un devoir moral de tous les intellectuels de tendre vers la simplicité et la lucidité : le manque de clarté est un péché et la prétention un crime » (Objective knowledge. Clarendon Press, 1972. Trad., La connaissance objective. Éd. Complexe, 1978, p. 55).

Rappelons que Popper s’est également enthousiasmé pour la psychanalyse puis s’est déconverti. Cf.

https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/180217/karl-popper-un-celebre-deconverti-de-la-psychanalyse

[7] Odile Jacob, 1997, 276 p. Éd. revue et corrigée, Le Livre de Poche, n° 4276, 1999, 414 p.

Brève présentation de ce livre : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article168

Présentation des principales idées par J. Bricmont : http://www.dogma.lu/txt/JB_Impostures-intellectuelles.htm

Pour d’autres déconvertis du freudisme et du lacanisme, voir le film de Sophie Robert :

https://www.dailymotion.com/video/x37mnmz_les-deconvertis-de-la-psychanalyse_school

Deux sites pour d’autres publications de J. Van Rillaer sur la psychologie, la psychopathologie, les psychothérapies, les psychanalyses, l'épistémologie, l’esprit critique, etc.

1) Site de l'Association Française pour l'Information Scientifique :  www.pseudo-sciences.org

2) Site de l'université de Louvain-la-Neuve

1° Taper dans Google : Moodle + Rillaer + EDPH

2° Cliquer sur : EDPH – Apprentissage et modification du comportement

3° Cliquer “Oui” à la page suivante : Règlement

2 mars 2017

Melman, Botbol, Dolto, Laenik et compagnie : un anniversaire

2 mars 2017
Par Jean Vinçot
Blog : Le blog de Jean Vinçot

Il y a 3 ans, les associations de Bretagne manifestaient contre un colloque de psychanalyse à Brest. Aujourd'hui, le CRA n'est plus géré par l'HP.. " "L'approche lacano-doltoïenne de l'autisme infantile n'a pas la cote".[Melman]. Encore heureux.

Il ya 3 ans, nous manifestions à Brest contre les prises en charge psychanalytiques de l'autisme. La venue de Marie-Claude Laznik, à l'invitation du Pr Botbol, médecin coordonnateur du CRA à l'époque, dans le contexte de l'interview du dinosaure Melman le principal journal de la région  était une provocation insupportable.

L'ARS de Bretagne avait obligé le Pr Botbol à retirer le label du CRA à ce colloque.

Nous étions interdits de participer à ce colloque, nous avons donc manifesté. Vidéos et articles.

A la surprise de l'ARS, M. Botbol annonçait à la presse locale qu'il abandonnait le CRA. Ce n'était que la suite des manoeuvres pour le refiler à Sylvie Tordjman, à Rennes. La suite aboutissant à un nouveau CRA.


Les participants au colloque se désolaient des propos de Melman, se demandant même si ce n'était pas un complot du "Télégramme" !

Mais il venait pourtant de demander à Françoise Dolto de ressusciter. Tous les thèmes de son interview du "Télégramme" y figuraient. Je souligne des extraits, mais c'est tout  qui est ASTAP.

Dolto, reviens !
Charles Melman - Psychiatre, psychanalyste

L'approche lacano-doltoïenne de l'autisme infantile n'a pas la cote. On comprend aisément pourquoi quand on sait qu'elle consiste à donner la parole au bébé autiste, à lui faire dire par thérapeute interposé ce qu'il n'a jamais pu formuler faute de l'adresse qui l'aurait institue en interlocuteur, lui aurait assigné sa place dans le langage. Autrement dit il ne suffit pas pour naître de venir à l'air mais d'apprendre à respirer à l'intérieur du langage dès qu'on en est partie prise. Ah ! ces bronchiolites à répétition des bébés destinés à devenir autistes. Le plus surprenant évidemment est de vérifier que cette interprétation articulée par le soignant des difficultés ou des carences qu'il a subies, éveille l'attention du bébé, fixe le regard qui désormais suit, anime la motricité, en particulier des membres inférieurs jusque-là inertes, fait attraper un doigt du thérapeute pour le sucer, et surtout inaugure une modulation vocale jusque-là absente. Il suffit de suivre le film des séances assurées par M.-C. Laznik pour partager le bonheur de cette éclosion. Bien sûr cette intervention, faite en présence de la mère sinon des parents, et éventuellement filmée avec leur accord pour analyser et suivre les progrès, nécessite le tact nécessaire pour essayer de les concilier avec leur enfant, c'est-à-dire l'élever non par devoir mais par amour. Certes, celui-ci ne peut être forcé mais sa difficulté à s'exprimer n'est pas toujours insoluble. On imagine en tout cas les circonstances où un tel forçage et l'exhumation de difficultés refoulées ou cachées ont pu provoquer la révolte de familles organisées ensuite par Internet en lobbies. Elles étaient venues pour un bébé malade, voilà qu'on les accuse d'héberger le microbe et de propager le mal. Il est bien normal pourtant qu'une mère ait un inconscient et que puisse lui échapper ce qui se trouve en cause alors même qu'elle se trouve accomplir, sa fatigue en étant le témoin, les gestes nécessaires.

Or un bébé pour une femme est au carrefour de sa vérité, et celle-ci parfois peut chercher à être évitée. Le seul reproche qu'on puisse faire à ces lobbies est une passion persécutrice de mauvais aloi et revancharde à l'égard d'une méthode qui leur l'ut malheureusement insupportable mais dont ils pourront, quand ils y seront prêts, vérifier sur film le potentiel. Ce qui est certain, en revanche, est que la méthode comportementaliste pourra, dans les bons cas, leur fabriquer un golem, voire un génie mathématique, mais pas l'enfant inscrit dans une filiation et apte à la poursuivre. Le matériel cérébral est certes apte à toute une série d'éducations et de rééducations et cette possibilité dans le cas d'autisme infirme les thèses organicistes mais celles-ci ne peuvent rétroactivement créer le sujet qui aurait à les mettre à son service. L'homme nouveau sera-t-il celui d'un organisme capable de répondre aux attentes de l'entourage sans plus rien demander pour lui-même, sinon de l'impossible ?

Un très vieux débat - qui amuse un neuropsychiatre familier des spéculations sur le rôle de telle ou telle formation intracérébrale - sépare la médecine et la psychiatrie. Elles ont peu à voir ensemble s'il est vrai que l'une est le domaine du signe et l'autre du signifiant. Mais à chaque occasion la pensée médicale revient à la charge pour occuper le territoire qui met en cause la simplicité de sa méthode. Et cette occasion lui est favorable avec l'autisme infantile puisqu'il s'agit d'une affection prépsychotique. Si la psychose en effet est le résultat des démêlés avec le langage, l'autisme infantile est le fait d'avoir été démêlé du langage.

Traiter de problèmes aussi graves avec un jeu de mots pourra paraître primesautier. Mais n'est-ce pas le jeu des mots qui fait de nous un bon ou un mauvais partenaire ? Ceux du rapport de la HAS qui exclut la pratique analytique du champ des pratiques recommandables, à l'occasion d'une démarche dont il faudra demander à des scientifiques ce qu'ils en pensent, laisseraient penser à un jeu de massacre plutôt qu'à un partenariat. In jeu avec les psychanalystes certes bons à écarter des lieux de soin et de recherche, mais avant tout des innocents qu'il semble pourtant possible de sortir du marasme. La santé qu'est chargée de surveiller la Haute Autorité est-elle d'abord celle de monsieur Harousseau [président de la HAS en 2012] ?

PS : Une étude norvégienne parue dans un dernier numéro du Journal of American Medical Association rapporte que l'administration d'acide folique (vitamine B9) avant et pendant la grossesse diminue de moitié la proportion d'enfants autistes. Mais il est impératif que la candidate s'[y prenne quatre semaines avant la conception. Le nombre d'études du même type qui se sont révélées porteuses de faux espoirs ne décourage pas la recherche de crédits par les labos. Nous souhaitons bonne chance à nos collègues norvégiens.

La Revue Lacanienne, N° 14 juin 2013 : Autismes

En paraphrasant Melman, je ne peux résister à écrire : "La santé mentale qu'est chargée de surveiller la Haute Autorité est-elle d'abord celle de monsieur Melman ?"

C'est donc en toute connaissance de cause que Michel Botbol, du CRA, et Maria Squillante (le chef de l'autre service de pédopsychiatrie brestois - du réseau PREAUT et de la CIPPA) faisait des joies à MC Laznik et à C Melman, cinéphile ébahi des productions de sa disciple.


Le 27 février 2014 - Collectif Autisme Bretagne
Trop, c’est trop ! Ni Golem, ni parent de Golem !

Les propos de Charles Melman, de l’Association Lacanienne Internationale, dans « Le Télégramme » sont insultants pour les personnes autistes et pour leur famille :

Ces enfants autistes sont vides comme un golem au sens où leur capacité combinatoire n'a pas de maître ni de limites. Ils ont des capacités de calcul souvent stériles, comme un ordinateur laissé à lui- même.Il n'y a pas d'instance morale ni réflexive venant leur donner une identité.
Le bébé autiste a souffert d'une chose très simple. Sa maman, qui peut être fort aimante au demeurant, n'a pas pu transmettre le sentiment du cadeau qu'il était pour elle et qui dès lors lui donnait sa place dans le discours qu'elle lui adressait, voire qu'elle lui chantait. Car la prosodie du discours maternel joue un rôle dans le développement de l'autisme.

Le SUPEA (service universitaire de psychiatrie de l’enfant et l’adolescent) de l’hôpital de Brest va continuer dans le même sens lors de la journée scientifique sur le « Traitement précocissime d’un bébé à haut risque d’autisme ».

Comment mettre en oeuvre le 3ème plan autisme, insuffisant mais qui va dans le bon sens, tout en invitant systématiquement seulement ceux qui se sont exprimés contre ce plan : Berrnard Golse (mai 2013), Pierre Delion (septembre 2012), Jacques Constant et Moîse Assouline (décembre 2013), et maintenant Marie-Christine Laznik – dont l’association veut faire annuler les recommandations 2012 de la Haute Autorité de Santé ?

Journée interdite aux usagers, journée soldée aux lacaniens

Pour la première fois, ce colloque est interdit aux personnes autistes et à leur famille. Il est soit-disant réservé aux professionnels, mais les partisans de la psychanalyse non professionnels (membres de l’Ecole Psychanalytique de Bretagne) ont droit à un rabais de 66% (60 € au lieu de 180 €).

Il est vrai que lorsqu’on continue à affirmer que le bébé devient autiste à cause de son « environnement », que ce terme (environnement) est une manière de désigner la mère, il est normal de se protéger des usagers qui ont subi et subissent ce type d’interprétations sans aucun fondement scientifique. Léo Känner s’est excusé il y a 50 ans de ses premiers propos concernant les mères froides. Quand un pape ou une papesse de la psychanalyse franco-lacanienne le fera-t’il ?

Nous n’attendons pas de miracle du babillage d’un-e psychanalyste avec un bébé. Aujourd’hui, il n’y a pas de moyen identifié de définir un bébé à haut risque autistique entre 3 mois et 18 mois. Prétendre le « guérir » est d’autant plus aventureux !

Ce dont nous avons besoin Nous voulons des professionnels capables de détecter le plus tôt possible les signes d’un trouble autistique.

Nous voulons des professionnels capables d’en parler aux parents, pour mettre en oeuvre ensemble des méthodes éducatives permettant à l’enfant et à l’adulte de trouver une place dans la société.

Nous ne voulons pas d’un enfermement dans des hôpitaux ou dans des institutions spécialisées.

Nous voulons que la société accepte les personnes autistes avec leurs différences.

Nous avons besoin de l’application du 3ème plan autisme
L’application du 3ème plan autisme, que nous avons attendu trop longtemps, est bloquée en Bretagne. La mesure concernant la formation des « aidants familiaux » n’a pas été relayée par le Centre de Ressources Autisme (CRA). L’administration fiscale poursuit une association parce qu’elle organise
un accompagnement et des formations pour les familles : « à but lucratif » pour mettre en oeuvre les recommandations de la HAS combattues par des professionnels .

Toujours pas de comité des usagers au CRA – promis depuis octobre 2012.

Le CRA doit sortir du pôle psychiatrie de l’hôpital : c’est ce que réclament les associations d’usagers depuis septembre 2012. Le maintien de la situation actuelle – jusqu’en septembre 2015 - , après l’épuration du Dr Lemonnier et de la coordinatrice du CRA, n’est plus possible.
Florilège
Interview de M-C Laznik par Sophie Robert (« Le Mur »)
http://www.youtube.com/watch?v=FvYV1MaSGEY

Propos du 9 mars 2013 de Pierre Delion
Le risque pour une pédo-psychiatrie qui se couperait de la psychiatrie générale serait d'oublier que l'enfant est l'enfant de quelqu'un, qu'il est inséré dans un milieu familial et social qui lui-aussi est en souffrance. Les parents sont très souvent aux prises avec des difficultés psychopathologiques, soit parce que la maladie de leur enfant les rend malades dans leur parentalité, soit parce qu'ils sont eux-mêmes en difficultés psychopathologiques. Ce dernier point est toutefois de plus en plus difficile à aborder, voire même interdit!)

XLIème Colloque des hôpitaux de jour psychiatriques - Les 11 et 12 Octobre 2013 à Brest - Le travail avec les familles en hôpital
de jour - Atelier n°5 : « Wanted : famille idéale ! »
Il ne fait pas l’ombre d’un doute que les familles carencées, négligentes (voire maltraitantes), les familles apparaissant comme « manipulatriceset utilisant des mécanismes de toute puissance et maîtrise, ou encore celles aux caractéristiques « perverses » sont monnaie courante dans les modèles familiaux rencontrés en hôpital de jour. Dans de telles situations, la prise en charge globale est souvent questionnée et remise en question, quitte à revisiter notre rôle de soignant et nos possibilités (limites) thérapeutiques. Peut-on travailler à n’importe quel prix ? Que doit-on accepter de perdre (lâcher), pour espérer gagner ? http://www.hopitaldejourbrest2013.fr/atelier-5-titre-de-latelier/#page

« Qui sont les autistes aujourd’hui ? » conférence animée par les psychanalystes du Courtil, Institut médico-pédagogique en Belgique près de la frontière française - Le 20 février 2014 – Voir film « A ciel ouvert » dont la promotion est assurée par les services publics de psychiatrie.
« Quel dommage que les autistes soient sortis du champ de la santé mentale pour être dans celui du handicap »
« L’autiste a un double et il faut parler au double si l’autiste veut pas communiquer ça permet de rentrer en contact »
« Un ‘sujet’ a choisi l’électricité comme job pour se connecter aux autres »
« On a choisi de pas éduquer l’autiste parce que le faire rentrer dans notre monde c’est une violence terrible »
"L'autisme, c'est le choix du sujet" puis « Il ne parle pas parce qu’il ne VEUT PAS parler »
« Il se regarde dans le miroir sur la porte puis il va voir derrière la porte. »
L’éducatrice : « On ramassait des orties pour faire du purin d’orties, avec les gants mais ça faisait mal quand même. Je me pique aux orties, je crie. Je ‘théâtralise’ et là Henri parle. Parce qu’à cause des orties, ça lui rappelle son père qui était jardinier et qui est parti de la maison quand il était petit. Plus tard, Henri est allé à l’école et là il a fait des progrès : les progrès c’est grâce à mon cri qui a provoqué un déclic ».
« Mais on fait des tas de choses, on n’a même que 10 minutes pour les repas des enfants car il y a : atelier théâtre, atelier eau, atelier promenades, atelier gares, atelier poterie, etc. Alors hein, avec tout ça le temps d’école il est partiel hein, enfin pour ceux qui vont à l’école ».
Source : http://desmotsgrattent.blogspot.fr/2014/02/ca-faitpeur.html

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Un peu lâché en silence par certaines de ces troupes (seule MG Crespin a pris position publiquement, ainsi qu'un étudiant lacanien de Rennes), Charles Melman a persisté, tout en se défendant de traiter la mère de coupable (mais responsable : "l’agent d’une transmission involontaire").

Auteur : Charles Melman 11/03/2014
À propos des débats sur l’autisme et de la position de notre Association

Prenons un exemple figuré dans la littérature. Un bébé souffre de vives régurgitations œsophagiennes de sorte que le visage maternel et la tétée ne lui annoncent rien de bon. Il a faim pourtant, pleure et se détourne du visage et du sein qui approchent. Résigné au bout de quelques jours il devient inerte et indifférent. On conçoit que ce refus opposé à la maternité la décourage en retour. Un cycle est amorcé qui peut conduire à l’autisme.

On reconnaît dans ce propos l'influence de Marie-Christine Laznik. Mais cela reste de la "littérature". Parce qu'aucune étude scientifique ne valide cette conception de la genèse de l'autisme.

Le rapport de la HAS leur promet ainsi des programmes poly-rééducatifs de 40 heures par semaine. Depuis, dit le père d’un tel enfant, il ne se roule plus par terre, sait lire, écrire et compter. On peut s’en réjouir avec lui, de bon cœur ; sauf lorsqu’on sait que, pris au départ, le défaut aurait pu être corrigé et aurait été évité qu’on aboutisse à une créature à peu près docile, faisant bonne figure peut-être, mais déshabitée.. À son propos j’ai avancé le terme de golem et j’ai été bouleversé par la réaction de parents criant leur refus de ce qu’ils prenaient pour une insulte.

Mais comment peut-il dire qu'un autiste soit déshabité, sous prétexte qu'une éducation lui a permis d'acquérir certains comportements !


Hébergé pendant un an et demi dans le service de dermatologie du CHRU de Brest, le Dr Eric Lemonnier est devenu directeur du centre expert autisme du Limousin et du Centre de Ressources Autisme de Limoges. Pour ne pas désespérer de tous les pédopsychiatres :

Questions au Dr Éric Lemonnier  - lettre d'Autisme France – 25 avril 2014 

Les enfants autistes sont mieux pris en charge en Limousin - reportage de France 3 - 17/12/2015

27 février 2017

Un déconverti du lacanisme : Stuart Schneiderman

21 févr. 2017
Par Jacques Van Rillaer
Blog : Le blog de Jacques Van Rillaer


En 1973, l’Américain Stuart Schneiderman a abandonné sa carrière de professeur d’anglais pour venir se former à la psychanalyse chez Lacan. Après avoir pratiqué l’analyse et écrit plusieurs livres à la gloire de Lacan, il s’est totalement réorienté. Aujourd’hui, il pratique à New York une forme de coaching d’orientation cognitivo-comportementale. Les raisons de sa déconversion sont ici expliquées.

En 1973, l’Américain Stuart Schneiderman a abandonné sa carrière de professeur d’anglais pour devenir psychanalyste. Il s’est rendu à Paris pour une analyse didactique chez Lacan. Après quatre années d’analyse, il a enseigné la psychanalyse au département de psychanalyse de l’université de Vincennes, puis est retourné à New York et y a pratiqué l’analyse.

1. PERIODE LACANIENNE

Dans l’article « Mon analyse avec Lacan » [1], Schneiderman a raconté comment Lacan menait ses analyses : « Pendant une séance d'analyse, Lacan n'est jamais un observateur passif, impersonnel, jouant le rôle proverbial de l'écran sur lequel se projettent les fantasmes du patient. Il ne reste pas tranquillement assis sur sa chaise ; il marche de long en large dans la pièce, il gesticule, tantôt il fixe le patient, tantôt il ferme les yeux. Il peut vous accueillir un jour comme si vous étiez l'un de ses amis intimes et remarquer tout juste votre présence le lendemain. » [2]

A cette époque, Schneiderman justifiait la pratique des séances à durée variable, invariablement beaucoup plus courtes que la durée réglementaire prescrite par Freud et l’Association Internationale de Psychanalyse : « Les séances courtes servent à intensifier la relation entre l'analyste et l'analysé, en la rendant plus imprévisible. Avec Lacan, la durée d'une séance peut varier d'une fois à l'autre. C'est encore un moyen qu'utilise Lacan pour détourner l'esprit du patient vers l'inconscient ».

Schneiderman a publié plusieurs ouvrages psychanalytiques, notamment la traduction d’articles de Lacan et de lacaniens célèbres : Returning to Freud : Clinical Psychoanalysis in the School of Lacan (Yale University Press, 1980, 263 p.).

A l’occasion de cette publication, il a été interviewé par la revue lacanienne Ornicar ? Bulletin périodique du champ freudien [3]. Il déclarait alors être un des seuls lacaniens aux États-Unis, mais il espérait faire école : « Les Etats-Unis ont accepté tellement de  choses et ils ont si peu tendance à exclure qu’il semble tout à fait raisonnable de penser qu’un jour il y a aura des lacaniens partout ici, et il se pourrait bien qu’une fois que ça arrive, ça se répande assez vite ». Il notait plusieurs difficultés à cette diffusion :

• « La psychanalyse américaine est en crise, en faillite. Les analystes ne font presque plus de psychanalyse. La crise est là depuis cinq ans environ. […] Pour gagner leur vie, ils font de la psychothérapie, de la psychiatrie, ils travaillent dans les hôpitaux. » (p. 175)

• Le cloisonnement des Écoles : « Ce n’est pas la même orthodoxie à New York, à Chicago ou à Los Angeles. Celui qui est orthodoxe dans le Middle West, ce n’est pas la peine qu’il mette les pieds à l’Institut de New York. A New York, c’est Arlow, Brenner, Edith Jacobson qui donnent le ton, et ils sont toujours assez attachés à Hartmann, Löwenstein et Kris. C’est ce qui fait finalement l’unité à New York. A Los Angeles par contre il y a plein de kleiniens. Et ça n’existe pas, Mélanie Klein, à New York. » (id.)

• La rigidité des responsables de la formation psychanalytique : « Ce sont tous des grands obsessionnels, tout le monde le sait, ils aiment ça, ils aiment se réunir entre eux. » (p. 176)

• Les traductions d’une sélection des Écrits et des Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse « sont assez mal faites, plutôt illisibles, et le peu d’intérêt que l’éditeur y a mis n’a rien aidé. » (p. 175)

• Un « préjugé » à l’égard de Lacan : « Il est manifeste que les gens d’ici pensent que Lacan est une sorte d’aristocrate de la psychanalyse, et que eux sont des démocrates, des egos égaux, et donc qu’ils ne pourront pas apprendre Lacan. » (p. 176)

2. DÉCONVERSION

Après une trentaine d’années de pratique psychanalytique, Schneiderman s’est réorienté vers une pratique de coaching inspirée de l’approche cognitive-comportementale. Ses clients ont joué un rôle important dans ce changement : ils voulaient s’engager de façon plus productive dans la vie. Ils disaient : « Voilà mon problème, que devrai-je faire pour cela ? » De moins en moins disaient : « Voilà mon problème, qu’est-ce que cela signifie ? » Manifestement les gens voulaient de la guidance, non des interprétations. Ils avaient rejeté la conception traditionnelle de la thérapie. Ils voulaient des avis pratiques. [4]

En 2014, Schneiderman a publié The last psychoanalyst. [5] Le titre fait référence à une des thèses de l’ouvrage, à savoir que Lacan est le dernier psychanalyste qui a cru en l’efficacité de la cure freudienne, mais qui a fini par constater que c’était un leurre. Lacan en est venu à déclarer en 1977, quelques années avant sa mort, que la psychanalyse est « une escroquerie » :

«Notre pratique est une escroquerie, bluffer, faire ciller les gens, les éblouir avec des mots qui sont du chiqué, c'est quand même ce qu'on appelle d'habitude du chiqué. […] Du point de vue éthique, c'est intenable, notre profession ; c'est bien d'ailleurs pour ça que j'en suis malade, parce que j'ai un surmoi comme tout le monde. […]Il s'agit de savoir si Freud est oui ou non un événement historique. Je crois qu'il a raté son coup. C'est comme moi. Dans très peu de temps, tout le monde s'en foutra de la psychanalyse. Il est clair que l'homme passe son temps à rêver qu'il ne se réveille jamais. Il suffit de savoir ce qu'à nous, les psychanalystes, nous fournissent les patients. Ils ne nous fournissent que leurs rêves.» [6]

Schneiderman fait remarquer que Lacan ne se contente pas de dire qu’il s’est trompé. Le mot « escroquerie » est lourd de sens. Il indique que Lacan a continué à pratiquer des cures alors qu’il avait constaté qu’elles n’avaient guère d’effet thérapeutique. Lacan semble en avoir éprouvé de la culpabilité.

Une des principales thèses de Schneiderman est que Freud a voulu faire de la science, mais a produit une pseudoscience, qui s’est finalement transformée en pseudo-religion, avec un culte, des « novices » qui s’initient par le rite de la didactique, des textes sacrés, des dogmes, des « schismes » et la mise à l’index de livres. Avec Lacan, la situation a empiré. Le gourou parisien a réussi à se faire suivre, comme leader d’un culte, alors que les disciples ne comprenaient pas grand chose de ce qu’il énonçait :

«Dans l’Église freudienne, les paroles de Lacan sont devenues l’objet d’un rituel sacré — une sorte de communion — où des autorités sacerdotales récitent ses paroles comme si elles étaient son corps et son sang. […] Si vous assistez à une réunion dirigée par les grands prêtres du mouvement lacanien, vous entendrez des discours servant à s’épancher avec des paroles de Lacan. Toutes les sentences commencent par “Lacan a dit” ou par “Mais Lacan a dit”. » (p. 228)

«Dans la Sainte Église lacanienne quasi personne ne comprend réellement l’enseignement de Lacan. Ainsi l’ignorance est une glu qui unifie les membres. La plupart des membres sont capables de marmotter quelques formules et citations vides, mais dans l’ensemble ils ignorent et ont toujours ignoré ce que Lacan essayait d’enseigner. Ils sont unis par la passion, non par la raison. […] Cela ne choquait pas Lacan. Il savait que la plupart de ses disciples ne comprenaient pas ses idées. S’il l’avait voulu, il aurait pu recalibrer son enseignement pour qu’on puisse le comprendre. Il ne l’a pas fait. Cela n’a pas semblé le préoccuper. » (p. 234)

La situation de la psychanalyse aux États-Unis est loin de s’être améliorée depuis les années 1970 : « Aux États-Unis, de moins en moins de psychanalystes pratiquent encore la psychanalyse. Certains continuent à s’appeler psychanalystes, mais ils passent de plus en plus de temps à rédiger des prescriptions et à coacher plutôt qu’à pratiquer la “dangereuse méthode” [7] de Freud. » (p. 257)

Schneiderman passe en revue une série de traits de la personnalité de Freud et de Lacan, ainsi que les principaux aspects du freudisme et du lacanisme. Voici quelques exemples.

• Freud est le père que la psychologie négative : « Freud a inventé la psychologie négative en se focalisant sur le côté sombre des l’esprit humain. Il a privilégié les mauvais rêves, les traumatismes horribles et des motivations dépravées » (p. 253). Son nom évoque la sexualité refoulée ou frustrée, non la sexualité joyeuse. Pour lui, la sexualité c’est avant tout le désir de commettre l’inceste.

• La cure freudienne n’est guère efficace dès qu’il s’agit de problèmes sérieux. Le seul cas d’hystérie, traité par sa propre méthode, que Freud a présenté en détail est un échec : Dora [8]. Il a essayé de convaincre ses confrères et ses lecteurs qu’il avait raison contre elle. « Freud appelait la psychanalyse “la cure par la parole”, mais elle a toujours été plus des paroles qu’une cure » (p. 3).

• La psychanalyse est aliénante : « La psychanalyse est un processus d’extraction. Elle cherche à vous extraire de votre vie et de vous introduire dans la psychanalyse. Un bon freudien veut que vous travailliez avec lui afin qu’il devienne l’expérience la plus significative de votre vie » (p. 61).

• Le psychanalyste ne se laisse jamais remettre en question : « Selon la règle du transfert, vous exprimez votre colère à la mauvaise personne au mauvais moment au mauvais endroit dans de mauvaises circonstances » (p. 63).

• Schneiderman évoque l’absence de règles pour l’admission à l’École freudienne de Paris, au début de sa création, par Lacan en 1964 : « Il n’y avait pas de procédures d’admission, pas de curriculum, pas de remise de diplôme. Les gens venaient et partaient, suivaient les cours comme ils voulaient, sans s’encombrer d’exigences académiques. Les aspirants analystes poursuivaient la connaissance, non des références » (p. 160).

• Schneiderman rappelle son expérience de la didactique avec Lacan : «Contrairement à la plupart des psychanalystes, Lacan ne faisait pas semblant d’être l’écran vide [blankscreen] proverbial (ou préverbal). Actif, animé, en mouvement, il semblait plus intéressé à faire un show qu’à rester tranquillement dans un fauteuil. Parfois Lacan recevait des patients en pyjama ou en peignoir. Parfois il lisait le journal ou mangeait un repas. Parfois il comptait des billets de banque et les assemblait avec des agrafes. Parfois il faisait ou défaisait des nœuds. Parfois il semblait écouter intensément ; parfois il semblait perdu dans ses propres pensées. Parfois il était affable ; plus souvent il était grossier et dédaigneux.» (p. 141) [9]

• L’interprétation que donne Schneiderman des séances raccourcies a sensiblement changé : « En modifiant de façon unilatérale sa pratique et en omettant d’en donner l’explication, Lacan faisait comprendre qu’il pouvait faire ce qu’il voulait parce qu’il était celui qu’il était. Des collègues croyaient qu’il représentait la vérité freudienne. D’autres y voyaient une pure provocation. Assurément, son intention était de montrer sa surnormalié » (p. 146).

• Schneiderman analyse l’évolution de l’École lacanienne, notamment les conflits et sa dissolution : « Tandis que les véritables religions enseignent la camaraderie et l’amitié, la pseudo-religion freudienne était destinée à produire le conflit et le psychodrame » (p. 165).

Schneiderman évoque beaucoup d’autres thèmes, notamment les conditions socioculturelles du développement de la psychanalyse en Europe et aux États-Unis, l’interprétation des rêves et des désirs, la vie conjugale de Freud, les manipulations de patients par Freud, les mœurs de Lacan, ses relations avec Heidegger, la dissolution de son École (« du grand Guignol »), la thérapie cognitive de Beck, le film « Le Mur. La psychanalyse à l’épreuve de l’autisme », etc.

BLOG de S. Schneiderman : http://stuartschneiderman.blogspot.be

 

Schneiderman a participé au FILM “LES DECONVERTIS DE LA PSYCHANALYSE” réalisé par Sophie Robert :

http://www.dragonbleutv.com/reperes/147-les-deconvertis-de-la-psychanalyse

ou

https://www.dailymotion.com/video/x37mnmz_les-deconvertis-de-la-psychanalyse_school

——————

[1] Psychologie, 1978, 102 : 31-36

[2] Notons le décalage avec la technique freudienne, que Lacan lui-même avait prescrit : « Quel souci conditionne l’attitude de l’analyste ? Celui d’offrir au dialogue un personnage aussi dénué que possible de caractéristiques individuelles ; nous nous effaçons, nous sortons du champ où pourraient être perçus cet intérêt, cette sympathie, cette réaction que cherche celui qui parle sur le visage de l'interlocuteur, nous évitons toute manifestation de nos goûts personnels, nous cachons ce qui peut les trahir, nous nous dépersonnalisons, et tendons à ce but de représenter pour l'autre un idéal d'impassibilité » (“L’agressivité en psychanalyse”. Rééd. in Écrits, 1966, p. 106).

[3] 1981, 21 : 175-177.

[4] http://www.stuartschneiderman.com/about-stuart-schneiderman/

[5] Amazon Digital Services, 281 p.

[6] Intervention de Jacques Lacan à Bruxelles, 26 février 1977. Publié dans Quarto. Supplément belge à La lettre mensuelle de l’École de la cause freudienne, 1981, n° 2. Réédité dans Le Nouvel Observateur, sept. 1981, n° 880, p. 88).

[7] Allusion au film A Dangerous Method de David Cronenberg (2011) mettant en scène Jung, Freud et Sabina Spielrein (patiente et maîtresse de Jung).

[8] Les cas présentés dans Les Études sur l’hystérie (1895) ont été traités par la méthode de Breuer. Freud dira plus tard que les résultats ne se maintenaient pas. Cf : J. Van Rillaer (2014) Les désillusions de Freud sur l’efficacité thérapeutique de sa méthode. Science et pseudo-sciences, 2014, 309 : 64-70 ; 310 : 46-53. En ligne : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2367

[9] Pour des témoignages semblables d’autres analysés de Lacan : J. Van Rillaer (2010) Comment Lacan psychanalysait. Science et pseudo-sciences, 293 : 96-106. En ligne : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1553

Pour d’autres publications de J. Van Rillaer sur la psychologie, la psychopathologie, les psychothérapies, les psychanalyses, l'épistémologie, l'esprit critique:

1) http://www.pseudo-sciences.org

2) Site de l'université de Louvain-la-Neuve:

1° Taper dans Google : Moodle + Rillaer + EDPH

2° Cliquer sur : EDPH – Apprentissage et modification du comportement

3° Cliquer “Oui” à la page suivante : Règlement

13 février 2017

"Voilà pourquoi votre fille est muette (ou autiste)"

13 févr. 2017
Par Jean Vinçot
Blog : Le blog de Jean Vinçot


Un texte de Pierre Sans sur la pédopsychiatrie française éclaire mon parcours de parent. Il n'y a pas que des lacaniens dans les Hôpitaux de Jour.

"Voilà pourquoi votre fille est muette" : Expression qui conclut ironiquement un discours verbeux ou incompréhensible, qui s'utilise à la fin d'une conversation après une pseudo-conclusion destinée à couper court aux éventuels commentaires, ou bien qui suit des explications d'une totale évidence.

Evidemment, jamais aucun professionnel ne me l'a dit aussi directement - pourquoi ma fille est autiste.

Nous, associations de personnes autistes en Bretagne, avons l'habitude de cibler les lacaniens, à cause notamment de la prégnance de Jean-Claude Maleval à Rennes II, à qui a succédé Mireille Perrin.

Influence telle que des directeurs généraux de grosses associations disent qu'ils refusent systématiquement de prendre des étudiants venant de Rennes II. Il y a pourtant d'excellents professeurs de psychologie du développement en Bretagne, y compris à Rennes II.

Une pédopsychiatre, pionnière de l'autisme en Bretagne (et défendant la psychanalyse, pas dans l'autisme, bien sûr) me disait que les pédopsychiatres français étaient "post-kleiniens" et non lacaniens. Je n'ai absolument pas envie de me plonger dans les délices  de ces différentes variantes - ni d'ailleurs dans l'oeuvre de Sigmund Freud.

Mais Pierre Sans l'a fait pour nous dans son livre, "Chroniques d'un Psychiatre Libertaire"*.


 

Chroniques d'un psychiatre libertaire - Pierre Sans"Voyons en effet où nous a mené, en France, la psychanalyse dans le domaine de l'autisme. On sait que Léo Kanner (1894-1981) dans ses onze premières observations qui lui permirent de mettre en évidence le premier l'autisme infantile, pensa que l'élément explicatif nodal était la mauvaise qualité de parents, en particulier la personnalité des mères, décrites comme cérébrales, surtout préoccupées de leur réussite sociale et professionnelle, au total « réfrigérantes ». Il ouvrait ainsi la porte à la psychanalyse. A la fin de sa carrière il revenait sur cette notion et présentait ses excuses aux parents, mais le mal était fait.


Déjà Mélanie Klein (1882-1960) dès 1923 avait pris en analyse un enfant « psychotique ». Leader, avec Anna Freud (1895-1982), la fille de Sigmund, de l'école psychanalytique anglaise, toute une fraction de ses élèves s'engouffra derrière elle dans la voie ainsi tracée. Quand deux décennies plus tard eux ou leurs propres élèves prirent connaissance de la fameuse publication de Kanner, un coup d'accélérateur propulsa la psychanalyse kleinienne au firmament du soin des autistes. Donald Winnicott (1896-1971) souvent injustement honni par les parents d'autistes antipsykks pour la lecture hâtive et assez débile (au sens premier de ce terme) qu'en ont fait les pédopsychiatres, a poursuivi de manière originale l’œuvre de Klein. De même que John Bowlby (1907-1990) particulièrement intéressant dans une partie de son travail de recherche sur la « pulsion d'attachement » du petit enfant. J'ai déjà évoqué un grand original pour lequel j'ai une grande estime, Wilfred Bion (1897-1979), vaillant conducteur de chars anglais durant la Grande guerre, engagé volontaire à 18 ans, encore étudiant à Oxford. Inventeur des concepts d'éléments alpha et bêta, des cadres de pensée, de la barrière de contact entre la mère et son bébé, il aurait pu révolutionner la théorie psychanalytique, avec Bowlby.

Mais c'est la pensée plus académique des Frances Tustin et de ses élèves qui constituera le cœur de la dérive de la psychanalyse appliquée aux autistes dans laquelle les français se sont englués avec un plaisir un peu pervers, je regrette un peu de le dire. Tustin distingue plusieurs stades chez le nourrisson, depuis celui de l'autisme « normal »qui devient chez certains « pathologique » en entraînant l'entrée dans le tableau autistique décrit par Kanner. Elle invente trois formes d'autisme, celle dite « amibienne » », celle dite « à carapace » de la forme habituelle, et celle dite enfin « régressive » correspondant à la schizophrénie infantile. Avec elle on commence à s'engager dans la dérive et une surenchère de métaphores, dont les plus célèbres sont le « trou noir avec un vilain piquant » prétendant représenter l'irruption de la réalité extérieure dans la « carapace » de l'autiste. Elle enfoncera le clou de la culpabilisation maternelle en détectant à la base de la relation mère-autiste une fréquente dépression de la maman, qui justifie évidement un processus psychothérapique de la fautive. Cette « découverte » deviendra rapidement la tarte à la crème de ses suivants, anglais ou surtout français. Une remarque en passant ; autant chez nos si pragmatiques voisins d'outre-Manche ces théories restaient limitées à la Hampstead clinic et perdaient rapidement de l'audience auprès des pédopsychiatres, autant en France ces derniers s'enthousiasmaient et en rajoutaient dans la dérive métaphorique. Ce sera par exemple le cas de la grandissime théoricienne Geneviève Haag.

La thèse centrale de celle-ci est que l'enfant autiste, faute d'avoir pu franchir certaines étapes de son développement normal, en particulier au niveau du « moi corporel » (notion qu'elle partage avec Didier Anzieu, 1923-1999), a été obligé de mettre en place des stratégies particulières pour dépasser ce défaut. Là encore, faute de pouvoir exprimer clairement son propos, elle emploie un ensemble de métaphores aussi absconses que celles de Tustin. Et aussi difficiles à prouver. C'est par exemple le cas pour les « sensations très pénibles de chute, de liquéfaction », ou de « noyaux internes » qui vivent une sorte de vie indépendante du reste du psychisme de l'enfant, ou de « vécus corporels indicibles ». Pourquoi cela, et pas autre chose questionnerait le philosophe ?

Lorsqu'en 1985 dame Haag avance l'hypothèse que « les enfants autistes nous ont montré qu'ils avaient établi une analogie entre la voix humaine et les bruits de tuyaux, donc probablement les borborygmes intestinaux », où est le commencement de preuves d'une telle assertion ? C'est en référence à ces thèses que nombre de publications et de communications françaises s'en donnent à cœur joie dans ces histoires de plomberie.

C'est ainsi que Pierre Delion écrit avec elle un ouvrage sur sa spécialité, le packing, en 2012. De même, des auteurs comme Anne Brun prétend conceptualiser à partir des thèses de Haag sur « La théorie des médiations », qui n'est rien d'autre qu'un laborieux habillage des innombrables ateliers dessins, modelage, et autres danse africaine qui parsèment les journées des autistes en hôpital de jour. Le summum de ces pensums « théoriques » étant atteint avec l'ouvrage d'Anne-Marie Latour, tentant de légitimer la fameuse pataugeoire, passage amphibien obligé de tout hôpital de jour qui se respecte. Et là on s'en donne à cœur joie des théories de madame Haag et de ses fantasmes de liquéfaction et de corps qui fuient de partout ! Vite appelons « Allô plombier » a-t-on envie de conseiller devant ces délires !" (pp.220-222)
Autres extraits


Une observation de détail au sujet de Léo Kanner. C'est seulement dans son troisème article en 1949, qu'il est rentré dans la théorie du réfrigérateur. Et c'est seulement là qu'il a eu du succès. Il lui a fallu 20 ans pour dire officiellement que les mères n'étaient pas responsables, pour les "acquitter".

Pour nous, çà a commené aux 3 ans de Lila :

  • "Lorsqu'elle est en moyenne section, elle passe la visite médicale scolaire. L'équipe médicale me convoque car elle a remarqué qu'elle était totalement isolée dans la classe. Lors de l'entretien, elle est « absente », comme d'habitude, et ne dit rien. Questionnée sur ses problèmes de sommeil, je dis que j'en ai également. Je sors de l'entretien avec cette injonction : « Madame, il faut vous soigner ». Je suis à la fois déstabilisée et insatisfaite, car je n'ai pas pu obtenir d'éclaircissements, et je me sens accusée d'être à l'origine de ses troubles." 1

Le lendemain de la rentrée au CP, nous sommes convoqués par le directeur de l'école : Lila a fait un sit-in dans la cour de l'école, elle a refusé de rentrer en classe. "Normal" quand on est née le 22 mars 2. Suivent deux ans en CMPP. Conclusion au bout de 2 ans : elle n'est pas psychotique, parce qu'elle est "acceptée" à l'école (mais traitée de sorcière) 3.

15 ans après, nous demandons le dossier du CMPP car notre fille participe à une recherche scientifique. Le psychologue demande à nous voir (le témoignage de Lila est paru dans la presse) 4 . Il confirme nos souvenirs. Il ressort ses notes : un mercredi, il m'a entendu dire dans la salle d'attente : "Qu'est-ce que tu lis là, Li-la ?".  Mais c'est bien sûr ! La mère est documentaliste, et le père lit beaucoup. Un prénom pré-des-ti-né.

Au collège, nous allons dans le service Winnicott. Mais notre fille "n'est pas intéressée", et çà s'arrête là. Il faudra 10 ans, un article dans "Sciences et Avenir" pour qu'il y ait une explication. Et un an pour trouver le Centre de Ressources Autisme, qui était juste à côté. Et des effets concrets, qui lui ont permis de terminer ses études.

Nous allons ensuite nous heurter, avec les autres parents, aux disciples de Didier Houzel, qui sont à l'origine du service Winnicott et combattent le CRA : exemple d'exclusion de soins.

Dans ses écrits d'il y a 20 ans, Didier Houzel notait que la moitié des mères d'enfants autistes de Brest étaient dépressives. J'en connais plusieurs. L'une m'a raconté comment elle était capable, avec son mari, de ne pas dire un mot pendant une heure, le Dr Houzel voulant les empêcher d'envoyer leur enfant à l'école. Il travaille et a un logement indépendant aujourd'hui : merci pour ses parents.

Il y a 25 ans, le Dr Ferrari (et accessoirement Botbol) considérait aussi que la dépression de la mère était la source de l'autisme5. Depuis, de larges études ont fait litière de cette hypothèse 6.

Mais quand un étudiant demande au Pr Botbol un exemple de causes environnementales de l'autisme, il cite encore la dépression de la mère. Il ne lit pas les journaux ? Le scandale de la Dépakine (valproate de sodium), il n'en a pas entendu parler ?

En 2006, j'ai assisté à ma première conférence sur l'autisme, avec Catherine Barthélémy et Bernard Golse ("Regards Croisés" sous la houlette du Pr Alain Lazartigues et du Dr Eric Lemonnier). Celui-ci, après avoir brodé sur le passage de l'autisme de Kanner à l'autisme de scanner (suite à la publication en 2005 de Monica Zilbovicius, a fondé pendant deux jours ses explications sur la dépression de la mère après la naissance, "passée le plus souvent inaperçue". En sortant de l'amphi, j'entendais infirmière et sage-femme murmurant que la dépression post-partum était trop violente pour passer inaperçue.

La démonstration de Golse était appuyée par une vidéo d'eye tracking7 à partir de la chanson "Ainsi font font les petites marionnettes", chanson paraît-il retrouvée dans toutes les cultures.

J'étais revenu troublé de la première journée de conférence, me reprochant de n'avoir peut-être pas stimulé ma fille dans ses premiers mois (j'avais pris un congé parental)8. Le lendemain, ma femme m'a fait écouter une cassette audio où je bêtifiais à loisir, comme je ne me croyais pas capable.

Lors de la deuxième journée de conférence, j'avais été - très - choqué par sa remarque à Catherine Barthélémy : "Puisque que nous sommes entre professionnnels, avouez que c'est bien plus pratique pour travailler avec les parents que de dire que l'autisme a une origine neurobiologique." Je lui ai répondu qu'en tant que parent - le principal parent présent la première année -, je pouvais tout entendre, mais que je n'acceptais pas la dissimulation9. Elle serait bonne pour l'alliance thérapeutique ?

En recherchant des références à l'article du Dr Ferrari, je suis tombé sur un bijou co-signé par les Drs Botbol et Golse en 2003:

  • "[Aurore] L’exigence d’une alimentation lisse évoque ici l’intolérance autistique vis-à-vis des aliments durs qui viennent rappeler la séparation. L’absence d’investissement de la maîtrise sphinctérienne vient cerner un endroit de conflit, les orifices, lieux de passages entre soi et l’extérieur. (...)  Marc dit aujourd’hui n’avoir jamais dessiné qu’en deux dimensions, « à plat », sans jamais « remplir » ses formes, en ne faisant que des traits, sans gris ni dégradé. Cela vient-il traduire des difficultés cognitives précoces venant témoigner d’un trouble psychopathologique ? Peut-on y voir des difficultés de séparation-individuation avec prépondérance de l’identification adhésive dans le cadre d’une psychose symbiotique ?"

Je comprends mieux ce qu'explique Pierre Sans, et comment les jeunes autistes sont classés comme schizophrènes dans les HP. Et pourquoi le Pr Botbol s'extasiait devant le DSM5 qui, selon lui, ferait perdre le diagnostic d'autisme aux deux tiers des personnes ayant un diagnostic de Syndrome d'Asperger (un autre tiers étant reclassé comme schizophrène). Comme on peut le constater aux USA, 91% conservent un diagnostic de SA, et 6% un trouble de la communication sociale - qui suppose pour l'essentiel les mêmes besoins de soutien.

J'arrête là. Ma chance est de ne pas avoir été une mère, et d'avoir été assez indifférent au point de vue des autres (mes parents se sont posé la question de l'autisme quand ma fille avait 2 ans, mais s'ils me l'avaient dit, cela ne m'aurait fait ni chaud ni froid).

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1 A noter que la prescription de mélatonine n'aurait pas été une mauvaise idée. Les parents d'autistes ont souvent un déficit en la matière (voir Thomas Bourgeron)

pour les plus jeunes, c'est une référence au mouvement du 22 mars [1968], à Nanterre, avec Daniel Cohn Bendit

après le diagnostic, les instits nous ont dit comment çà avait été difficile. Mais la mère était présidente des parents d'élèves (bine utile pour la kermesse)

4  ou http://lebihan.over-blog.com/article-5620485.html

FERRARI, P., BOTBOL, M., SIBERTIN-BLANC, D., PAYANT, C., LACHAL, C., PRESME, N., FERMANIAN, J., BURSZTEJN, C. Etude épidémiologique sur la dépression maternelle comme facteur de risque dans la survenue d’une psychose infantile précoce. Psychiatrie Enf. 1991 ; 34, 1 : 35-97.

6 Au moins pour la phase post-natale.

7 Golse m'avait quand même épaté avec ce dispostif d'eye-tracking [suivi des yeux], qu'il avait pu utiliser grâce à l'Aérospatiale. Mais quand je l'avais dit à des professionnels, ils avaient fait la moue. Et Catherine Barthélémy avait répondu à Bernard Golse qu'elle prenait "plaisir" à la poésie de ses interventions. Je ne m'étais pas bien rendu compte de la vacherie.

8 On m'a dit que tenais donc le rôle de la mère (dans la responsabilité de l'autisme). Une psychanalyste m'a dit que c'était une bêtise

.9Il m'a répondu qu'il n'avait pas dit çà. Ma copine psychanalyste lacanienne, avec qui j'étais ce jour-là, m'a fait la remarque qu'un vrai psychanalyste, qui sait écouter, n'aurait pas dit çà.

7 février 2017

Le complexe d'Oedipe : (3) Faits observés & conséquences psychosociales

6 févr. 2017
Par Jacques Van Rillaer
Blog : Le blog de Jacques Van Rillaer


Freud affirmait que ses théories reposaient sur d’abondantes observations. En fait, il décodait ses pensées et les propos de ses patients à l’aide de quelques concepts théoriques. Il ignorait des principes élémentaires de la recherche scientifique en psychologie. Sa doctrine du complexe d’Œdipe, clairement infirmée, demeure largement répandue. Les conséquences sont parfois désastreuses.

Les deux précédents articles sur le complexe d’Œdipe ont montré les contradictions difficilement conciliables entre des théories psychanalytiques, toutes produites par des analystes utilisant la méthode de Freud (interprétations de paroles, plus ou moins “libres” de patients). Pour vérifier la validité d’une théorie, il est indispensable de procéder à des observations méthodiques d’implications concrètes en tenant compte, honnêtement, des observations qui infirment l’hypothèse.

La rhétorique empiriste de Freud

Freud s’est toujours présenté comme un chercheur “scientifique”, “empirique”, “positiviste”. Dès la fin des années 1890, des confrères et estimaient qu’il suggérait à ses patients des idées bien arrêtées. Aussi Freud se défendait-il sans cesse par ce type d’affirmation: “Je puis assurer que je me suis mis à l'étude des phénomènes révélés par l’observation des psychonévrosés sans être tributaire d'un système psychologique déterminé, et que j'ai ensuite réajusté mes vues jusqu'à ce qu'elles me semblent aptes à rendre compte de l'ensemble des éléments observés. Je ne mets aucune fierté dans le fait d'avoir évité la spéculation” [1].

En fait, Freud n’était pas un observateur patient, soucieux de recueillir avec soin beaucoup de faits permettant de confirmer ou d’infirmer des hypothèses. Ses lettres à Fliess montrent que, dès le début de sa pratique, il a systématiquement interprété en fonction de sa théorie. Quand des patients refusaient ses interprétations, il menaçait d’arrêter le traitement [2]. Fliess l’a mis en garde, écrivant notamment : “Le liseur de pensées ne fait que lire chez les autres ses propres pensées” [3].

Cette mise en garde et les critiques de confrères n’ont guère servi. Ainsi, on peut lire dans les notes de Freud sur l’analyse de l’Homme aux loups : “Le patient est sûr de n’avoir jamais pensé qu’il put souhaiter la mort de son père. Après ces paroles prononcées avec une vigueur accrue, je crois nécessaire de lui donner un fragment de théorie. La théorie affirme que, puisque toute angoisse correspond à un ancien souhait refoulé, on doit supposer exactement le contraire. Il est certain aussi que l’inconscient est alors juste le contraire du conscient. — Il est très ébranlé, très incrédule” [4]. Au cours de sa rédaction de Totem et Tabou, Freud écrivait à Jung : “Avec mon travail sur le totem et le reste cela ne va pas bien. [...] L'intérêt est affaibli par la conviction de posséder déjà à l'avance les résultats que l’on s’efforce de prouver. [...] Je vois aux difficultés de ce travail que je ne suis absolument pas organisé comme un chercheur inductif, mais entièrement en vue de l'intuitif” [5]. Jung a dit plusieurs fois que Freud avait pour principe “Je l’ai pensé — ça doit donc être vrai” [6].

Freud ignorait la notion de groupe contrôle. Il généralisait à une catégorie psychopathologique ou à l’Humanité ses interprétations de quelques-unes de ses pensées ou de paroles de quelques patients, sans jamais prendre la peine de mener une enquête méthodique auprès de personnes non atteintes de troubles mentaux. (Rappelons que son dévoué biographe, E. Jones, écrit que Freud lui-même a souffert d’une “psychonévrose fort grave”, d’états dépressifs, de phobies et de troubles cardiaques d’origine psychosomatique [7]). Par exemple, il affirmait que toutes les neurasthénies sont causées par la masturbation parce que des patients souffrant de neurasthénie, en réponse à ses questions insistantes, lui avaient avoué se masturber [8]. Il ne lui venait pas à l’esprit de vérifier si des personnes ne souffrant pas de neurasthénie pratiquaient également la masturbation.

Freud n’a guère compris l’importance de la quantification en psychologie. Il semble n’y avoir songé qu’une fois : lorsqu’il mettait en doute la théorie de Rank selon laquelle quasi tous les troubles psychologiques trouvent leur source dans le traumatisme de la naissance et non dans le complexe d’Œdipe. Jones rapporte : “À ma connaissance, ce fut la seule occasion où Freud se montra favorable aux statistiques en relation avec la psychanalyse ; habituellement, il les considérait comme hors de propos ou inapplicables. Ne voilà-t-il pas qu’il disait à Ferenczi que s’il avait été à la place de Rank, il n’aurait jamais imaginé publier une théorie aussi révolutionnaire sans au préalable avoir amassé des données statistiques comparant les caractères des premiers-nés, des enfants dont la naissance fut particulièrement difficile et de ceux qui virent le jour par césarienne” [9].

Les observations méthodiques du “complexe d’Œdipe”

Les interprétations freudiennes, qui font référence à un Inconscient que seul le freudien peut décoder, sont, comme l’a bien expliqué Karl Popper, “irréfutables” : l’“expert” peut toujours prétendre “expliquer” une objection et la désamorcer. Si vous n’acceptez pas une interprétation, c’est que vous “résistez”, que vous “refoulez”, comme ces Adler, Jung, Rank, Ferenczi et tant d’autres cliniciens, qui cependant analysaient autant de patients que Freud, sinon plus, mais qui n’observaient pas du tout ce que Freud affirmait.

Ceci dit, on peut tout de même opérationnaliser certains énoncés théoriques de Freud en vue de les tester. Ces énoncés, sous peine d’être considérés comme “irréfutables” et donc non scientifiques, doivent être formulés de façon à pouvoir être éventuellement réfutés par des faits d’observation. Dès les années 1930, essentiellement aux États-Unis, des psychologues scientifiques ont ainsi testé convenablement des “lois” comportementales formulées par Freud, p. ex. que le caractère “anal” (avarice, entêtement, goût de l’ordre et de la propreté) est causé par la sévérité de l’éducation sphinctérienne [10].

Un des premiers ouvrages de synthèse est paru en 1943: Survey of objective studies of psychoanalytic concepts, de Robert Sears, professeur à l’université de l’État de l’Iowa [11]. Concernant l’Œdipe, Sears écrit, évidemment: “Tout effort pour obtenir des faits concernant les relations œdipiennes se heurte d’emblée à la question de la définition” (p. 42). Si l’on parle simplement d’attachement, la conclusion des recherches est que les enfants entre 3 et 5 ans préfèrent plus souvent le parent de sexe opposé, mais ceci est loin d’être une règle absolue. Cette préférence dépend pour une large part de la structure familiale et d’attitudes parentales. Quant à l’universalité du complexe d’Œdipe tel que Freud l’a défini (désir de relations sexuelles avec la mère et meurtre le père), Sears conclut au vu des observations que c’est une “conception grotesque” (p. 136).

Plusieurs chercheurs ont encore répliqué des enquêtes sur l’Œdipe au sens “dur” et au sens “mou” [12]. Les conclusions sont identiques. Fisher et Greenberg, qui ont passé en revue les nombreuses recherches scientifiques sur les relations entre la psychopathologie et le complexe d'Œdipe, concluent : “Il n'y a pas d'étude qui ait pu établir une corrélation, même faible, entre la perturbation des relations œdipiennes et une symptomatologie névrotique dans la suite de l'existence” [13]. Un enfant peut être traumatisé par des conduites de ses parents, par la disparition de l'un d'eux, par la dysharmonie conjugale... mais ces effets s'expliquent fort bien sans la théorie freudienne.

Notons que plusieurs psychanalystes — notamment les “culturalistes” Karen Horney et Clara Thomson, ou encore George Devereux, fondateur de l’ethnopsychiatrie — ont estimé que la présence de sentiments “œdipiens” sont l’effet de comportements parentaux et sont loin de s’observer dans toutes les cultures [14].

Rappelons que dans le mythe, c’est Laïos qui a l’initiative de la volonté d’éliminer le rival. Dans l’histoire humaine, l’infanticide est infiniment plus fréquent que le parricide. Très peu de mères ont été violées par leur fils, mais beaucoup d’enfants ont subi des sévices sexuels de la part de leurs parents, et ces enfants, loin de jouir de la réalisation d’un soi-disant “désir fondamental”, sont très généralement choqués et traumatisés.

Des conséquences humaines désastreuses

Dans les pays latins, beaucoup plus que dans les pays anglo-saxons, le complexe d’Œdipe demeure une théorie adoptée par beaucoup de psys, mais aussi des travailleurs sociaux, des enseignants, des journalistes, des magistrats et, finalement, une grande partie de la population. C’est en Argentine que la croyance en cette doctrine semble être la plus forte. L’historien argentin Mariano Plotkin constate que “quiconque, en société, dans une grande ville d'Argentine, oserait mettre en doute l'existence de l'inconscient ou du complexe d'Œdipe se trouverait dans la même position que s'il niait la virginité de la Vierge Marie face à un synode d'évêques catholiques” [15].

Quelle que soit la version — freudienne orthodoxe, lacanienne, populaire — elle entraîne des dégâts très importants, surtout du fait de la non-assistance efficace à des enfants, des adolescents et même des adultes [16].

À titre d’exemple : au lieu de remédier à des difficultés d’apprentissages scolaires par des méthodes pédagogiques aujourd’hui éprouvées, nombreux sont encore les psys endoctrinés par le freudisme qui se contentent du baratin œdipien, notamment sous le patronage de Françoise Dolto. La psy d’enfants la plus encensée de France déclarait — sans avoir jamais mené une quelconque enquête méthodique : “Sur le plan de toutes les activités intellectuelles et sociales, le complexe de castration entrera en jeu ; l'intérêt de l'enfant découle de sa curiosité sexuelle et de son ambition à égaler son père, curiosité et ambition coupables tant que le complexe d'Œdipe n'est pas liquidé. Dans le domaine scolaire surtout, on verra des inhibitions au travail ; le garçon deviendra incapable de fixer son attention. C'est l'instabilité de l'écolier, si fréquente, et source pour lui de tant de remontrances. Le calcul, particulièrement, lui paraîtra difficile ; le calcul étant associé dans l'inconscient aux ‘rapports’ (ressemblance, différence, supériorité, égalité, infériorité) — aux problèmes quels qu'ils soient — et l'orthographe associée à ‘l’observation”, grâce à laquelle on ‘voit clair’”. Relisez bien : Toutes les activités intellectuelles et sociales dépendent de quelques homonomies [17].

Même discours chez Mélanie Klein, dont des freudiens disent qu’elle est “le personnage le plus célèbre, après Freud lui-même, de la psychanalyse” [18] : “Nous devons faire remonter la formation de toutes les inhibitions qui affectent l'étude et le développement ultérieur, à l'époque du premier épanouissement de la sexualité infantile, celle où l'on assiste à l'apparition du complexe d'Œdipe et qui donne sa plus grande intensité à la peur de la castration ; cela se passe entre trois et quatre ans. C'est le refoulement des composantes masculines actives, né de cette peur, qui constitue chez les garçons comme chez les filles la base principale des inhibitions à l'égard de l'étude” [19].

Didier Pleux a décrit les ravages des dogmes freudiens dans le milieu des éducateurs, milieu qui était le sien dans les années 1970 [20]. Chacun peut constater aujourd’hui que les dégâts ont peu diminué, et cela dans les milieux les plus divers de La France freudienne [21].

Pour d’autres publications de J. Van Rillaer :

www.pseudo-sciences.org

1° Taper dans Google : Moodle + Rillaer + EDPH

2° Cliquer sur : EDPH – Apprentissage et modification du comportement

3° Cliquer “Oui” à la page suivante : Règlement

Références

[1] Fragment d’une analyse d’hystérie (1905) Trad., Œuvres complètes, PUF,VI 291s.

[2] Cf. P.ex. Lettres à Wilhelm Fliess. Édition établie par J. Masson. Trad., PUF, 2006. Lettre du 3-1-1897.

[3] Ibidem, lettre du 7-8-1901. Freud reprend cette phrase écrite par Fliess et réplique : “Si je suis celui-là, il ne te reste plus qu'à jeter dans la corbeille à papier, sans la lire, ma Vie quotidienne” (il s’agit du livre Psychopathologie de la vie quotidienne).

[4] L’Homme aux rats. Journal d’une analyse. Trad., PUF, 1994 (4e éd.), p. 77.

[5] Lettre du 17-12-1911. In Freud, S. & Jung, C. G. (1975) Correspondance. Trad., Gallimard.

[6] Cité in Borch-Jacobsen, M. & Shamdasani, S. (2006) Le dossier Freud. Enquête sur l’histoire de la psychanalyse. Les Empêcheurs de penser en rond, p. 234s.

[7] La vie et l'œuvre de Sigmund Freud. Vol. 1, Trad., PUF, 1958, p. 335-343.

[8] “Loi” présentée sans nuance dans “La sexualité dans l’étiologie des névroses” (Œuvres complètes, III 215-240). Freud y déclare avoir observé cette loi dans plus de 200 cas. Les lettres à Fliess montrent que ce nombre est un mensonge. Pour des détails :

http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2347

[9] La vie et l'œuvre de Sigmund Freud. Vol. 3, Trad., PUF, 1969, p. 76.

[10] Paul Kline, qui a examiné une dizaine d'études de ce genre et mené lui-même des investigations empiriques, conclut: “Il y a des données qui confirment l’existence de dimensions de la personnalité qui ressemblent aux caractères anal et oral, mais ces caractères n'ont pas pu être mis en rapport avec l'érotisme prégénital, ni avec des procédures éducatives” (Fact and Fiction in Freudian Theory. Methuen, 1972, p. 94).

[11] Social Science Research Council, N° 51. Rééd., 1951, éd. Edwards Brothers, 156 p.

[12] Je reprends l’expression de J.-P. Sartre, qui déclarait en se référant précisément au complexe d’Œdipe : “Un analyste peut dire une chose, puis, aussitôt après, le contraire, sans se soucier le moins du monde de manquer de logique, puisque, après tout, ‘les opposés s'interpénètrent’. Un phénomène peut avoir telle signification, mais son contraire peut aussi signifier la même chose. La théorie psychanalytique est donc une pensée ‘molle’”. (Cité in Freud. Jugements et témoignages. Textes présentés par Roland Jaccard. PUF, 1976, p. 244).

[13] Fisher, S. & Greenberg, R. (1977) The scientific credibility of Freud's theories and therapy. Basic Books, p. 218.

[14] Devereux, G. (1953) Why Œdipe killed Laïus. Journal of Psycho-Analysis, 34 : 132-141.

[15] Mariano Ben (2010) Histoire de la psychanalyse en Argentine. Une réussite singulière. Paris : CampagnePremière, 370 p. p. 13.

[16] P.ex. sur Youtube un gynécologue affirme que des conflits conjugaux sont causés par la non-résolution du complexe d’ Œdipe :

https://www.youtube.com/watch?v=BQdHpwm2f5k

[17] Psychanalyse et pédiatrie. Seuil, 1971, p. 99. Italiques de Dolto.

[18] Perron, R. (1988) Histoire de la psychanalyse. PUF, Que Sais-je?, 1988, p. 83.

[19] Essais de psychanalyse (1921-1945). Trad., Payot, 1976, p. 106. Je souligne “toutes”.

[20] La révolution du divan. Pour une psychothérapie existentielle. Odile Jacob, 2015, chap. 1.

[21] La France freudienne est le titre d’un livre de la sociologue américaine Sherry Turkle, venue en France étudier les raisons pour lesquelles, comme elle dit, “toute la France est passée à la psychanalyse” après mai 68. Elle écrit : “Le vocabulaire psychanalytique a envahi la vie et le langage, transformant la manière dont les gens pensent en politique, discutent de littérature, parlent à leurs enfants. Les métaphores psychanalytiques ont infiltré la vie sociale française à un point qui est sans doute unique dans l'histoire du mouvement psychanalytique. Même aux États-Unis les choses ne sont jamais allées aussi loin” (éd. Grasset, 1982, p. 25).

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